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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121121

Dossier : IMM-1461-12

Référence : 2012 CF 1345

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 21 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

HUI REN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et visant la décision du 3 février 2012 d’une agente d’exécution (l’agente) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) par laquelle la requête du demandeur visant à obtenir un report administratif de son renvoi du Canada a été rejetée (la décision).

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est âgé de 30 ans et est citoyen de la République populaire de Chine (la Chine). Il est d’abord venu au Canada grâce à un permis d’études. Il pouvait rester légalement au Canada jusqu’au mois de mai 2009.

[3]               Le 29 septembre 2009, le demandeur a fait une demande d’asile, laquelle a été rejetée le 6 mai 2011. Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 30 août 2011, demande qui a été rejetée le 12 janvier 2012. De plus, le demandeur s’était marié en juillet 2011 et, en septembre 2011, il a présenté au Canada une demande de parrainage au titre de la catégorie des époux.

[4]               Lorsque le demandeur a reçu la décision rejetant sa demande d’ERAR le 12 janvier 2012, il a présenté une demande de sursis afin de prendre des dispositions appropriées pour quitter le Canada. Un sursis de 5 semaines lui a été accordé et la date prévue pour son renvoi a ainsi été reportée au 17 février 2012.

[5]               Le 2 février 2012, le demandeur a présenté une demande officielle de report administratif de son renvoi. Cette requête était fondée sur le fait que l’épouse du demandeur était enceinte et qu’il souhaitait rester avec elle pendant sa grossesse. Le demandeur a présenté des documents médicaux démontrant que son épouse avait une grossesse difficile et qu’elle devait s’aliter. La date prévue pour l’accouchement de son épouse était le 6 mai 2012 et le demandeur a sollicité le report de son renvoi jusqu’au mois de juin 2012.

[6]               La demande de report présentée par le demandeur a été rejetée le 3 février 2012. Un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi lui a été accordé le 16 février 2012.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

 

[7]               La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire consiste en une lettre au demandeur datée du 3 février 2012 (la lettre de rejet) et dans les notes inscrites au dossier par l’agente (les notes).

[8]               La lettre de refus déclare que l’article 48 de la Loi oblige l’ASFC a exécuter les mesures de renvoi dès que possible. L’agente a conclu qu’un report n’était pas indiqué dans le cas du demandeur.

[9]               Les notes commencent par un examen du dossier d’immigration du demandeur. L’agente rappelle que, lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire, il est de mise qu’elle soit expulsée dès le rejet d’une demande d’ERAR. Un agent a peu de latitude en matière de report d’une mesure de renvoi, mais, même lorsqu’un report est accordé, l’agent doit néanmoins procéder à l’exécution de la mesure de renvoi dès que cela est raisonnablement possible.

[10]           L’agente a dit qu’elle n’avait pas le pouvoir de procéder à [traduction] « une demande CH accessoire », mais qu’elle avait considéré les circonstances spéciales alléguées par le demandeur. Elle a admis que l’épouse du demandeur faisait face à des complications médicales relativement à sa grossesse et qu’il était possible que le renvoi du demandeur soit éprouvant pour elle. L’agente a ensuite souligné que la note médicale fournie par le docteur Ou, selon laquelle la grossesse de l’épouse était difficile, ne précisait toutefois pas la nature ou gravité de ces complications. La note dit simplement que [traduction] « elle doit restée alitée jusqu’à l’accouchement et elle a besoin que son mari prenne soin d’elle à la maison jusqu’à l’accouchement ».

[11]           L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’il était la seule personne capable d’aider son épouse durant sa grossesse. L’agente a fait remarquer que l’épouse du demandeur était une résidente permanente du Canada et qu’elle avait par conséquent accès à de nombreux services publics, sociaux et de soins de santé. Selon les notes du médecin, il appert qu’elle bénéficie déjà d’un suivi médical et qu’il existe des organismes capables de lui dispenser des soins à la maison. L’agente était convaincue que l’épouse du demandeur recevrait des soins appropriés relativement à ses problèmes de santé.

[12]           L’agente a reconnu que le renvoi du demandeur serait difficile pour son épouse, mais elle a conclu que l’épouse du demandeur avait accès au Canada à un large éventail de services capables de lui dispenser une assistance. L’agente a conclu que le demandeur ne faisait pas face à des circonstances exceptionnellement difficiles qui justifieraient de suspendre son renvoi et a rejeté sa requête.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[13]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Mesure de renvoi
 

 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

Enforceable removal order
 

 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           En l’espèce, le demandeur et le défendeur soulèvent les questions suivantes :

a.                   La question soulevée dans la demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

b.                  Si la question n’est pas théorique, la décision de ne pas suspendre le renvoi du demandeur était‑elle déraisonnable?

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

            Le caractère théorique

 

[15]           Le demandeur reconnaît qu’il avait seulement demandé que son renvoi soit suspendu jusqu’au mois de juin 2012, mais il soutient qu’une question réelle demeure à trancher dans le cadre de la présente demande. Il fait valoir que la décision de principe sur la question du caractère théorique est l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, [1989] 57 DLR (4th) 231 de la Cour suprême du Canada (l’arrêt Borowski), laquelle s’est exprimée de la sorte aux aux paragraphes 15 et 16 :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

 

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

 

[16]           Selon le demandeur, la demande de report concernait les intérêts d’un enfant canadien à naître, mais l’analyse de l’agente n’en a nullement tenu compte. La question de savoir si l’agente avait l’obligation légale de considérer ce facteur n’a pas encore été analysée convenablement par la Cour. Le demandeur fait valoir que cette question litigieuse demeure réelle entre les parties et que la Cour doit pour ce motif exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner la demande de contrôle judiciaire.

Le défendeur

[17]           Le fait qui a poussé le demandeur à solliciter un report est désormais passé et le défendeur fait en conséquence valoir que la demande devrait être rejetée en raison de son caractère théorique. Le défendeur fait remarquer que, bien que le juge Donald Rennie ait accordé un sursis, le critère de la « question sérieuse » qui s’applique aux demandes de sursis est moins rigoureux que celui qui s’applique aux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[18]           Le demandeur a sollicité un report jusqu’au mois de juin 2012 et, comme cette date est déjà passée, à strictement parler, la demande est maintenant théorique (voir Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 (l’arrêt Baron) aux paragraphes 30 et 31). Compte tenu de l’arrêt Borowski, précité, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher la présente affaire sur le fond. Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée en raison de son caractère théorique.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

            La raisonnabilité de la décision

 

[19]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse sur la norme de contrôle applicable. Au lieu de cela, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision examine les quatre facteurs de l’analyse sur la norme de contrôle.

[20]           La norme de contrôle applicable à une demande de report est celle de la décision raisonnable (Ulloa Meja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 980, au paragraphe 22). De plus, l’insuffisance des motifs ne fait pas à elle seule l’objet d’un contrôle, mais elle a une incidence sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses)). La norme de contrôle applicable à la seconde question en litige est celle de la raisonnabilité.

[21]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[22]           Le demandeur fait valoir que l’agente n’a donné aucun motif clair et aucun fondement probatoire pour rejeter la demande de report du renvoi, mais qu’elle s’est contentée de faire des conjectures sur les services auxquels l’épouse du demandeur pourrait avoir accès. L’arrêt Newfoundland Nurses ne libérait pas l’agente de son obligation légale de donner des motifs démontrant la manière dont elle est parvenue à sa décision définitive. La décision doit tout de même être fondée sur une preuve pertinente et précise.

[23]           Dans la présente affaire, l’agente s’est livrée à de pures conjectures sur les organismes qui seraient capables de dispenser à l’épouse du demandeur les soins dont cette dernière avait besoin. Elle n’a pas examiné les questions de savoir quels organismes précis de soins de santé étaient capables de dispenser ces services, quelle sorte de soins ils pourraient dispenser et comment ces organismes pourraient remplacer l’amour et le soutien du père de l’enfant.

[24]           Le demandeur affirme que l’agente a simplement copié le dossier d’immigration du demandeur et des parties de sa demande de report dans les notes et qu’elle ne s’est pas livrée à une véritable analyse. Une décision est déraisonnable si les motifs de la décision ne permettent pas au demandeur de comprendre le fondement de la décision (Nintawat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 FC 66, au paragraphe 27). Bien que les agents de l’ASFC ne soient pas tenus de fournir des motifs aussi détaillés que d’autres décideurs, ils doivent néanmoins donner des motifs qui satisfont aux critères de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification énoncés dans Dunsmuir (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Varga, 2006 CAF 394 (Varga), au paragraphe 16).

[25]           Le demandeur fait valoir que, si l’agente avait des questions sur l’état de santé de l’épouse du demandeur, elle aurait pu les poser au demandeur ou à l’avocat de ce dernier. Il était déraisonnable de la part de l’agente de fonder sa décision sur un manque de renseignements alors que ces renseignements étaient très faciles à obtenir. Le demandeur reconnaît que l’agente avait peu de latitude en matière de report d’une mesure de renvoi, mais il fait valoir que l’agente avait néanmoins l’obligation de considérer sérieusement les observations écrites du demandeur.

[26]           De plus, les notes ne disent rien de l’enfant canadien à naître du demandeur. Le paragraphe 3(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une « considération primordiale » dans toutes les décisions qui concernent les enfants. La loi prévoit qu’il faut en tenir compte (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 32; Baker c Canada, [1999] 2 RCS 817). Il ne suffisait pas à l’agente de déclarer qu’elle prenait en compte l’intérêt de l’enfant, pour être « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur fait valoir que l’agente aurait au moins dû se livrer à une analyse des conséquences du départ du demandeur sur la grossesse de son épouse et sur l’enfant à naître.

[27]           Le demandeur soutient que les conclusions principales de l’agente reposaient sur des conjectures et que l’agente n’a pas tenu compte des critères qu’elle était légalement tenue d'examiner : l’intérêt supérieur de l’enfant à naître du demandeur. La décision serait donc déraisonnable.

Le défendeur

[28]           Le défendeur soutient que l’agente a pris en compte toutes les observations du demandeur, dont le fait que son épouse était enceinte depuis sept mois, avant de rejeter la demande de report. Il était raisonnable de la part de l’agente de supposer que l’épouse du demandeur, qui est une résidente permanente, aurait accès aux services sociaux et aux soins de santé publics au Canada durant l’absence du demandeur.

[29]           L’arrêt Newfoundland Nurses, précité, a réitéré qu’il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils soient exhaustifs. Il faut tenir compte du contexte de la preuve, des observations des parties et du processus. La cour de révision doit porter attention au rôle que la loi confie au décideur pour décider si les motifs expliquent de manière adéquate le fondement de la décision.

[30]           La Cour d’appel fédérale a noté dans Varga ainsi que dans Baron, précités, que l’obligation des agents d’exécution de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant est à l’extrémité inférieure du registre. La latitude accordée au décideur est faible : un agent de l’ASFC n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur d’un enfant avant de prendre une décision. En l’espèce, l’agente savait que l’épouse du demandeur était enceinte de sept mois. L’enfant à naître n’a peut‑être pas été mentionné dans les notes, compte tenu du rôle confié à l’agente par le paragraphe 48(2) de la Loi, cela ne permet pas de remettre la décision en question.

[31]           L’article 48 de la Loi donne aux agents d’exécution peu de latitude pour reporter une mesure de renvoi. Ils ont l’obligation d’exécuter une mesure de renvoi dès que possible. La Cour d’appel fédérale a confirmé dans Baron qu’un agent d’exécution avait peu de latitude pour reporter une mesure de renvoi. Il ressort clairement de la loi que l’exécution de la mesure de renvoi est la règle et que le report est l’exception (voir aussi Canada (Sécurité publique et protection civile), 2011 CAF 286, au paragraphe 45, et Padda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1081, aux paragraphes 7 à 9).

[32]           Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que rien n’indiquait que seul le demandeur était capable de prendre soin de son épouse durant son alitement. Il était également raisonnable de la part de l’agente de noter que l’épouse du demandeur aurait accès aux services qui sont offerts au public. La décision appartient aux issues possibles acceptables et le défendeur affirme que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

ANALYSE

[33]           Le demandeur a présenté de nombreuses observations sur les erreurs susceptibles de contrôle, mais il y a beaucoup de répétitions dans plusieurs des points soulevés. Je me pencherai sur ce que je considère comme les questions en litige principales.

L’absence de motifs véritables ou de fondement probatoire clair justifiant le rejet

[34]           À mon avis, les motifs et le fondement de la décision sont clairs : le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour convaincre l’agente que, étant donné le soutien médical que son épouse avait reçu jusque-là et étant donné les services médicaux et sociaux que l’épouse pouvait obtenir au Canada, la présence du demandeur n’était pas nécessaire durant la grossesse. Le fondement probatoire de cette conclusion était le manque d’éléments de preuve présentés par le demandeur pour démontrer qu’il était la seule personne pouvant s’occuper de son épouse.

L’absence d’analyse

[35]           Il n’est pas nécessaire que les motifs soient détaillés. Voir Boniowski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] ACF no 397 (CF), et Turay c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1090. En l’espèce, l’analyse est à la fois transparente et justifiable. Le demandeur n’a pas présenté une preuve suffisante comme il été montré plus haut. Les facteurs généraux relatifs aux considérations humanitaires ne sont pas pertinents relativement à la latitude accordée à l’agente en par l’article 48 de la Loi et il n’était pas nécessaire qu’il en soit tenu compte dans l’analyse. Ils ne font d’ailleurs pas partie de la demande de report.

Le défaut de poser des questions au demandeur et de lui donner une possibilité raisonnable d’y répondre

[36]           Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande de report et de la justifier. Voir la décision Williams c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 274, au paragraphe 30. L’agente n’a pas à poser des questions ou à fournir des éléments de preuve quant à la question de savoir pourquoi la demande devrait être accueillie. L’agente a l’obligation légale d’exécuter dès que possible la mesure de renvoi du demandeur. C’est au demandeur de convaincre l’agente que son renvoi n’est pas raisonnablement possible et qu’un report est nécessaire. L’agente n’avait aucune obligation de procéder à une entrevue du demandeur ou de discuter avec lui relativement à sa demande. Voir la décision John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] ACF no 583 (CF 1re instance). Le demandeur a eu amplement l’occasion de présenter ses éléments de preuve et ses arguments à l’agente. Il était également représenté par un avocat, qui avait fait la demande.

L’agente s’est livrée à des conjectures sur les besoins médicaux de l’épouse du demandeur et sur les ressources en soins de santé dont elle pouvait disposer.

[37]           À mon avis, il n’y a eu aucune conjecture. De nouveau, la question consistait à savoir si le demandeur avait présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer que, raisonnablement, son renvoi n’était pas possible en raison de la grossesse de son épouse et des complications médicales de cette grossesse.

[38]           Comme le montrent clairement les motifs, la lettre du docteur Ou [traduction] « ne précisait pas la nature et la gravité des ces complications. Il a seulement indiqué qu’elle devait s’aliter jusqu’à l’accouchement et qu’elle avait besoin de son mari pour prendre soin d’elle jusqu’à ce moment‑là ». L’agente a prêté foi à la lettre du docteur Ou sur la question des complications, mais cette preuve ne suffisait pas pour démontrer que le demandeur était la seule personne pouvant prodiguer des soins.

[39]           L’agente fait également remarquer que l’épouse du demandeur était déjà en rapport avec des docteurs et des spécialistes qui s’occuperaient de ses problèmes médicaux. Rien n’indiquait, étant donné le système social et de soins de santé du Canada, que l’épouse du demandeur ne recevrait pas les soins de santé et l’aide dont elle avait besoin. Le demandeur n’a présenté aucune preuve selon laquelle les soins de santé et l’assistance sociale dont son épouse pouvait disposer ne suffiraient pas à répondre à ses besoins.

[40]           Étant donné la nature de la demande de report, la pauvreté de la preuve présentée par le demandeur (ni lui ni son épouse n’ont présenté d’affidavit au sujet de leur situation personnelle) et l’ambivalence et le manque d’explications dans la lettre du docteur Ou, on ne peut pas dire que la décision était déraisonnable pour ce motif. D’autres conclusions étaient sans doute possibles, mais la décision satisfait au critère énoncé dans Dunsmuir. À mon avis, il s’agit de la principale question en litige quant au fond et le demandeur n’a pas établi le caractère déraisonnable de la décision.

Le défaut de considérer l’enfant à naître

[41]           La demande de report sollicitait seulement un report jusqu’au mois de juin 2012. Rien dans la demande ne portait sur l’intérêt de l’enfant à naître. Il ne relève pas de la compétence d’un agent saisi d’une demande de report de procéder à une analyse en profondeur des considérations humanitaires relatives à l’intérêt supérieur d’un enfant. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que l’agent doit seulement considérer l’intérêt « à court terme ». Voir l’arrêt Varga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 394, 277 DLR (4th) 762, au paragraphe 16, et l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 57. En l’espèce, le demandeur n’a soulevé aucun intérêt à court terme dans sa demande de report. On n’a pas non plus identifié un tel intérêt devant moi.

Le défaut de considérer les facteurs liés aux considérations humanitaires

[42]           Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, l’agente n’est pas tenue de procéder à une analyse des considérations humanitaires. Pour l’application de l’article 48 de la Loi, la question est de savoir si le renvoi du demandeur est raisonnablement possible. Aucune considération humanitaire n’a été soulevée dans la demande de report. Voir Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1131, et Chetaru c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 436.

Le caractère théorique de la demande

[43]           Le demandeur soutient que la demande n’est pas théorique parce que [traduction] « la demande de report englobait la considération de l’enfant à naître ». Cela est tout simplement inexact. La demande de report ne faisait nullement mention de l’intérêt de l’enfant à naître et, même si elle l’avait fait, cela ne n’aurait pu avoir trait qu’à la période de report demandée, qui allait jusqu’au mois de juin 2012.

[44]           À l’audience, les parties ont convenu que, à strictement parler, la question était théorique au sens de l’arrêt Borowski, précité. La seule question qu’il me reste à trancher est celle de savoir si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande de contrôle judiciaire. La présente affaire est très similaire à celle qui était en cause dans la décision De Aguiar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 456 (CanLII), rendue par le juge O’Reilly et dont les paragraphes 5 à 9 sont aussi pertinents à l’égard des faits de la présente espèce :

Dans ces circonstances, le ministre me presse de conclure que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique parce que les demandeurs ont déjà obtenu un report de leur renvoi au-delà de la date de la décision rendue sur la demande CH, et ce, même si l’agente leur avait refusé ce report. De plus, le ministre soutient qu’il ne sert à rien de décider si la décision de l’agente était raisonnable ou non, car peu importe la conclusion à laquelle j’arriverais, celle-ci n’aurait pas de portée pratique. Une nouvelle date de renvoi sera fixée peu importe ce que je décide.

 

Je suis d’accord.

 

Dans l’étude du caractère théorique d’une question, il faut tout d’abord qualifier le litige entre les parties : Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81. Dans la présente instance, le 11 mars 2008, les demandeurs ont sollicité le report de leur renvoi pour pouvoir [traduction] « demeurer [au Canada] en attendant l’issue de [leur] demande CH ». Ils ont annexé divers documents à leur demande faisant état des besoins médicaux et psychologiques de leur nièce canadienne et de son fils de 12 ans. Cette preuve était pertinente pour leur demande CH.

 

Comme les demandeurs l’ont eux-mêmes décrite, la question soumise à l’agente était de savoir si leur renvoi devait être reporté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leur demande CH. Comme la demande CH a maintenant fait l’objet d’une décision, il n’existe plus de litige actuel entre les parties (voir l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 31, citant la décision Amsterdam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 244).

 

Les demandeurs soutiennent que même si je concluais que leur demande était théorique, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et statuer sur le fond de l’affaire pour donner des précisions aux agents d’exécution quant à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de reporter les renvois. À mon avis, le juge Marc Nadon de la Cour d’appel fédérale a déjà fourni de nombreuses précisions à ce sujet dans l’arrêt Baron, précité, et il n’est pas nécessaire que j’ajoute quoi que ce soit à ce qu’il a dit.

 

[45]           Dans la présente affaire, il n’y a aucune question réelle entre les parties. Dans les faits, le demandeur a obtenu le report qu’il avait demandé en raison des actions de la Cour. De plus, les faits ne soulèvent aucune question juridique qui exigerait que la Cour passe outre au caractère théorique de la demande. Voir l’arrêt Borowski, précité.

Conclusions

[46]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la demande de contrôle judiciaire est entièrement théorique et qu’elle doit être rejetée sur ce seul fondement. Par ailleurs, même après en avoir examiné le bien‑fondé, je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agente.

[47]           Les avocats ont convenu qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1461-12

 

INTITULÉ :                                      HUI REN

 

                                                            -  et  -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

                              

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 octobre 2012

                             

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS : 

 

Robert Israel Blanshay                                                            POUR LE DEMANDEUR

                                                           

Ada Mok                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR                

 

                

                                                                                                                                                                                                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Blanshay & Lewis                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                               

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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