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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130130

Dossier : T-1472-12

Référence : 2013 CF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2013

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

SEGATOYS CO., LTD. ET
SEGA CORPORATION

 

demanderesses

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Segatoys Co., Ltd. et Sega Corporation (Sega, ou les demanderesses) en vertu de l’article 52 de la Loi sur le brevets, LRC 1985, c P‑4 (la Loi sur les brevets) en vue d’obtenir une ordonnance modifiant l’inscription des inventeurs désignés du brevet canadien no 2 547 539 (le brevet 539). La demande n’est pas contestée car le défendeur - le procureur général - n’a pas produit de preuve ou de mémoire et n’a pas comparu à l’audience.

 

[2]               Les demanderesses sollicitent le redressement suivant :

1.         conformément à l’article 52 de la Loi sur les brevets, une ordonnance portant que le commissaire aux brevets modifie toutes les inscriptions faites dans les registres du Bureau des brevets à l’égard de la paternité du brevet canadien no 2 547 539 en y ajoutant Satoshi Yamada et Fujio Nobata à titre d’inventeurs;

2.         conformément à l’article 52 de la Loi sur les brevets, une ordonnance portant que le commissaire aux brevets modifie toutes les inscriptions figurant dans les registres du Bureau des brevets à l’égard de la paternité du brevet canadien no 2 547 539 en en supprimant Wataru Sato et Noriyoshi Matsumura à titre d’inventeurs.

 

Le contexte

[3]               Le brevet 539 a trait à un jouet transformable appelé « Bakugan ».

 

[4]               Le brevet 539 a été déposé initialement au Japon le 20 février 2006. Le 23 mai 2006, l’associée de Sega chargée de la mise en marché et de la vente du jouet Bakugan au Canada (Spin Master Ltd.) a déposé une demande de brevet canadien fondé sur le brevet japonais initial. Le brevet canadien a été délivré le 22 septembre 2009.

 

[5]               En préparant une demande en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (TCB), le directeur des Services juridiques et de la propriété intellectuelle de Sega, Toshimine Arai, a découvert que la demande relative au brevet japonais initial comportait les noms de Wataru Sato et Noriyoshi Matsumura (les inventeurs inscrits) à titre d’inventeurs, au lieu de Satoshi Yamada et Fujio Nobata (les inventeurs véritables). Cette erreur a été reportée dans le brevet canadien, d’où la présente demande de modification du brevet 539.

 

[6]               Les inventeurs véritables sont ceux qui ont conçu le brevet 539 et qui en ont eu l’idée originale. Les inventeurs inscrits se sont occupés de l’aspect du produit fini pendant que ce dernier était en voie de conception, mais ils n’ont pas contribué à l’idée originale. Les inventeurs inscrits figurent sur le brevet à la suite d’une erreur commise par inadvertance; il n’y a pas eu d’intention d’induire en erreur ou de causer un délai.

 

[7]               L’un des inventeurs inscrits, M. Matsumura, a travaillé pour l’associée de Sega, Research and Development MAK CO., Ltd. (R&D MAK). Il a depuis ce temps quitté cette entreprise pour cause de maladie et l’on ignore quelles sont ses coordonnées. L’autre inventeur inscrit, M. Sato, est au service de Sega et il ne conteste pas les faits susmentionnés. Il a également indiqué dans sa déclaration qu’il en est de même de M. Matsumura. M. Sato a consenti à ce que son nom soit supprimé.

 

[8]               À l’époque de l’invention, les inventeurs véritables étaient des employés de Sega (M. Yamada) et de R&D MAK (M. Nobata). Selon les dispositions de l’entente conclue entre Sega et R&D MAK, tous les droits afférents au brevet 539 appartiennent à Sega, et le changement de paternité qui est demandé en l’espèce n’aura pas d’incidence sur ces droits.

 

La question en litige

[9]               Les demanderesses soulèvent la question suivante :

1.         La Cour doit-elle ordonner que les registres du Bureau des brevets qui se rapportent au brevet 539 soient modifiés en y remplaçant les inventeurs inscrits par les inventeurs véritables?

 

Les observations écrites des demanderesses

[10]           Selon les demanderesses, le commissaire aux brevets est habilité à ajouter un inventeur pendant la période où une demande est en instance, mais seule la Cour fédérale a le pouvoir de le faire une fois que le brevet a été délivré. La Cour est habilitée à faire ce que le commissaire aurait pu faire pendant la période applicable, de sorte qu’elle applique le critère énoncé au paragraphe 31(4) de la Loi sur les brevets en vue de décider s’il y a lieu de modifier la paternité.

 

[11]           En l’espèce, par inadvertance ou par erreur, les inventeurs inscrits ont été désignés à la place des inventeurs véritables. La désignation erronée des inventeurs n’a pas été faite délibérément dans le but d’induire en erreur. Il y a donc lieu de modifier les registres du Bureau des brevets au sujet de la paternité du brevet 539, et aucune partie, à part le commissaire, ne sera touchée.

 

Analyse et décision

[12]           Il incombe à la Cour fédérale de modifier la paternité d’un brevet déjà établi, comme le brevet 539 (voir Micromass UK Ltd c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 117, au paragraphe 12, [2006] ACF no 148).

 

[13]           Par ailleurs, le mot « titre » qui figure à l’article 52 de la Loi sur les brevets englobe la paternité, qui est la « source » du titre. L’article 52 confère à la Cour de [traduction] « très larges » pouvoirs afin qu’elle puisse accomplir la mesure qu’aurait prise le commissaire aux brevets (voir la décision Micromass, précitée, aux paragraphes 13 et 15).

 

i.                    L’application du paragraphe 31(3) de la Loi sur les brevets

 

[14]           Le paragraphe 31(3) de la Loi sur les brevets a trait à la suppression des inventeurs inscrits. Il comporte deux critères :

 

1.   Apparaît-il que l’un ou plusieurs des inventeurs désignés n’ont pas participé à l’invention?

[15]           En l’espèce, les inventeurs inscrits étaient responsables de l’aspect du produit fini, mais ils n’ont aucunement participé à la conception ou à la mise au point du brevet 539. Ce fait n’est contesté ni par les inventeurs véritables ni par l’inventeur inscrit, Wataru Sato, qui a produit une déclaration. Comme il a été mentionné, plus tôt, il a été impossible d’entrer en contact avec l’autre inventeur inscrit, Noriyoshi Matsumura.

 

2.   A-t-on produit un affidavit démontrant à la Cour que les derniers inventeurs sont les seuls?

[16]           MM. Yamada et Nobata ont produit des déclarations notariées établissant qu’ils sont les coinventeurs du brevet 539, et cela est corroboré par une déclaration de M. Arai, directeur des Services juridiques et de la propriété intellectuelle auprès de Sega.

 

[17]           Par ailleurs, comme il a été mentionné plus tôt, l’un des inventeurs inscrits a produit une déclaration indiquant que ni lui ni l’autre inventeur inscrit (avec lequel il a été impossible d’entrer en contact) n’ont participé de quelque manière à l’invention du brevet 539.

 

[18]           Ces déclarations ne sont pas qualifiées d’affidavits (le terme utilisé au paragraphe 31(3) de la Loi sur les brevets), mais elles sont notariées. À mon avis, elles remplissent donc la même fonction qu’un affidavit et il serait par trop formaliste de les rejeter à cause du nom qu’on leur donne.

 

ii.                  L’application du paragraphe 31(4) de la Loi sur les brevets

[19]           Dans la présente affaire, les inventeurs véritables peuvent être ajoutés par l’application du paragraphe 31(4) de la Loi sur les brevets (voir Plasti-Fab Ltd c Canada (Procureur général), 2010 CF 172, au paragraphe 14, [2010] ACF no 204). Cette disposition comporte les critères suivants :

 

1. Apparaît-il qu’une ou plusieurs autres personnes auraient dû se joindre à la demande à titre d’inventeurs?

[20]           Comme il a été mentionné plus tôt, toutes les parties intéressées (à l’exception de l’inventeur inscrit avec lequel il a été impossible d’entrer en contact) conviennent que les inventeurs véritables - MM. Yamada et Nobata - ont conçu le brevet 539 et en ont eu l’idée originale.

 

2. La Cour est-elle convaincue que :

i. Les inventeurs auraient dû se joindre à la demande?

[21]           Les parties intéressées ont produit des déclarations notariées indiquant que ce sont les inventeurs véritables, et non ceux qui ont été inscrits, qui ont inventé le brevet 539. Cela convainc la Cour qu’il aurait fallu joindre les inventeurs véritables.

 

ii. L’omission s’est produite par inadvertance ou par erreur?

[22]           Sega a déclaré que l’omission de MM. Nobata et Yamada à titre d’inventeurs véritables s’était produite par inadvertance ou par erreur, fort probablement parce que les inventeurs inscrits s’occupaient de mettre au point l’aspect du jouet en même que ce dernier était conçu par les inventeurs véritables. L’erreur a été découverte au moment de préparer une demande en vertu du TCB (voir la déclaration d’Arai, aux paragraphes 3, 5 et 6).

 

iii. L’omission ne s’est pas produite dans le dessein de causer un délai?

[23]           Sega a produit la déclaration notariée de M. Arai, directeur des Services juridiques et de la propriété intellectuelle, et elle indique que l’omission a été commise sans aucune intention d’induire en erreur ou de causer un délai. Cela étant, le brevet n’est pas invalide; cela est incontesté. Par ailleurs, le fait de ne pas nommer un inventeur n’est pas une fausse déclaration qui entraînerait une violation de l’article 53 de la Loi sur les brevets (voir 671905 Alberta Inc c Q’Max Solutions Inc, 2003 CAF 241, au paragraphe 32, [2003] ACF no 873).

 

[24]           Au vu de l’analyse qui précède, il y a lieu d’accorder l’ordonnance que demande Sega en vue de modifier les registres du Bureau des brevets pour y ajouter MM. Yamada et Nobata à titre d’inventeurs du brevet 539 et en supprimer MM. Sato et Matsumura.

 

[25]           La présente affaire satisfait aux critères énoncés aux paragraphes 31(3) et (4) de la Loi sur les brevets.

 

[26]           Par ailleurs, la preuve est incontestée. Toutes les parties intéressées que l’on a pu joindre conviennent que l’omission est une erreur, le commissaire aux brevets ne s’est pas opposé à la demande et rien ne donne à penser que les droits d’une tierce partie seront lésés.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.         Le commissaire aux brevets, conformément à l’article 52 de la Loi sur les brevets, modifiera toutes les inscriptions figurant dans les registres du Bureau des brevets au sujet de la paternité du brevet canadien no 2 547 539 en y ajoutant Satoshi Yamada et Fujio Nobata à titre d’inventeurs.

 

2.         Le commissaire aux brevets, conformément à l’article 52 de la Loi sur les brevets, modifiera toutes les inscriptions figurant dans les registres du Bureau des brevets au sujet de la paternité du brevet canadien no 2 547 539 en en supprimant Wataru Sato et Noriyoshi Matsumura à titre d’inventeurs.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4

 

31 […]

 

(3) Lorsqu’une demande est déposée par des codemandeurs et qu’il apparaît par la suite que l’un ou plusieurs d’entre eux n’ont pas participé à l’invention, la poursuite de cette demande peut être conduite par le ou les demandeurs qui restent, à la condition de démontrer par affidavit au commissaire que le ou les derniers demandeurs sont les seuls inventeurs.

 

(4) Lorsque la demande est déposée par un ou plusieurs demandeurs et qu’il apparaît par la suite qu’un autre ou plusieurs autres demandeurs auraient dû se joindre à la demande, cet autre ou ces autres demandeurs peuvent se joindre à la demande, à la condition de démontrer au commissaire qu’ils doivent y être joints, et que leur omission s’est produite par inadvertance ou par erreur, et non pas dans le dessein de causer un délai.

 

52. La Cour fédérale est compétente, sur la demande du commissaire ou de toute personne intéressée, pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée.

31. . . .

 

(3) Where an application is filed by joint applicants and it subsequently appears that one or more of them has had no part in the invention, the prosecution of the application may be carried on by the remaining applicant or applicants on satisfying the Commissioner by affidavit that the remaining applicant or applicants is or are the sole inventor or inventors.

 

 

(4) Where an application is filed by one or more applicants and it subsequently appears that one or more further applicants should have been joined, the further applicant or applicants may be joined on satisfying the Commissioner that he or they should be so joined, and that the omission of the further applicant or applicants had been by inadvertence or mistake and was not for the purpose of delay.

 

52. The Federal Court has jurisdiction, on the application of the Commissioner or of any person interested, to order that any entry in the records of the

Bureau des brevets
 relating to the title to a patent be varied or expunged.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1472-12

 

INTITULÉ :                                      SEGATOYS CO., LTD. et
SEGA CORPORATION

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 8 JANVIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 30 JANVIER 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Susan Beaubien

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macera & Jarzyna, LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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