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Date : 20130125

Dossier : T‑889‑11

Référence : 2013 CF 71

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

ENTRE :

 

SHAWN P. ELHATTON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET L’OFFICIER COMPÉTENT DE LA DIVISION J DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est membre de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), où il détient le grade de caporal. À la suite d’une audience disciplinaire concernant des allégations d’inconduite, le commissaire de la GRC, en vertu des pouvoirs que lui confère l’article 45.16 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi), a mis fin à l’emploi du caporal Elhatton pour cause de conduite scandaleuse. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs dont l’exposé suit, la Cour accueille la présente demande.

 

Les allégations

[2]               Le demandeur a reçu signification le 10 novembre 2003 d’un avis d’audience disciplinaire concernant trois allégations d’inconduite relatives à des événements censés s’être produits les 13 décembre 2002 et 7 juillet 2003. Quinze mois plus tard, soit le 28 février 2005, il a reçu signification d’un deuxième avis, touchant cette fois trois autres allégations relatives à des événements censés s’être produits entre 1993 et 1998.

 

[3]               Ces allégations étaient les suivantes :

1)                  L’incident des moufles. – Le demandeur s’est conduit de manière agressive et menaçante envers son ex‑femme, la gendarme Elhatton, et le fiancé de cette dernière, au moment où ils sont passés prendre le fils du demandeur à l’extérieur de son domicile. Le demandeur leur a crié des propos choquants, injurieux et grossiers, leur a adressé un geste obscène, les a menacés du doigt et a lancé des moufles dans leur direction. Il y avait une voiture identifiée de la GRC garée au bout de l’allée. Le fiancé de la gendarme Elhatton est membre d’un autre corps de police et il a signalé la conduite du demandeur à la GRC.

2)                  L’incident du bureau. – Le demandeur a adressé des propos choquants et injurieux à un supérieur en grade, le qualifiant de « mollasse » (spineless) et de « dégonflé » (gutless), tout en pointant le doigt vers son visage.

3)                  La désobéissance à un ordre légitime. – Le demandeur a désobéi à un supérieur en grade qui lui avait donné l’ordre légitime de se présenter à un rendez‑vous avec un psychologue après qu’un médecin‑chef eut recommandé qu’il suive une thérapie de maîtrise de la colère. Le demandeur ne s’est pas présenté à ce rendez‑vous.

4)                  L’incident du lave‑auto. – Le demandeur a frappé la gendarme Elhatton à poing fermé.

5)                  L’incident du pistolet. – Au cours d’une querelle, le demandeur a mis son pistolet de service dans la main de la gendarme Elhatton et l’a pointé sur sa propre tête en lui disant : « Si tu me détestes à ce point, tue‑moi, tue‑moi tout de suite. » La gendarme Elhatton lui a alors demandé de poser son arme, ce qu’il a fait.

6)                  L’incident des vacances. – Le demandeur a saisi la gendarme Elhatton par le bras et l’a frappée à l’avant‑bras quatre ou cinq fois.

 

[4]               L’article 40 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88‑361 (le Règlement), constitue en infraction disciplinaire la désobéissance à un ordre légitime. Les autres faits allégués relèvent de la conduite scandaleuse, qu’interdit le paragraphe 39(1) du Règlement.

 

Le régime législatif

[5]               La Loi prévoit des mesures disciplinaires dites « graves », aussi bien que d’autres dites « simples ». L’article 43 de la Loi dispose qu’un officier compétent peut convoquer une audience lorsqu’il lui apparaît qu’un membre de la GRC a contrevenu au code de déontologie et que des mesures disciplinaires simples ne seraient pas suffisantes.

 

[6]               La Loi institue une procédure en trois étapes pour les mesures disciplinaires graves. Cette procédure commence par la signification d’un avis écrit énonçant l’allégation ou les allégations en question et la communication de la preuve. Les allégations sont ensuite instruites par un comité d’arbitrage de trois membres (le comité d’arbitrage). Ce comité décide si le bien‑fondé des allégations est établi suivant la prépondérance des probabilités et il prononce une sanction. La Loi prévoit des sanctions de gravité progressive : la confiscation de la solde pour une période maximale de dix jours, la rétrogradation, l’ordre de démissionner et le congédiement.

 

[7]               L’une ou l’autre des parties peut interjeter appel de la décision du comité d’arbitrage devant le commissaire de la GRC (le commissaire). Cependant, avant d’instruire ce recours, le commissaire doit porter l’affaire devant un organisme civil indépendant, le Comité externe d’examen (le CEE). Le CEE examine la décision du comité d’arbitrage et adresse une recommandation non contraignante au commissaire.

 

[8]               C’est l’article 45.16 de la Loi qui confère sa compétence d’appel au commissaire. Le commissaire doit fonder son examen sur le dossier de l’audience tenue devant le comité d’arbitrage, le mémoire d’appel et les argumentations écrites qui lui ont été présentées. Il doit aussi prendre en considération la recommandation du CEE. Le paragraphe 45.16(6) de la Loi dispose qu’il n’est lié ni par les conclusions du comité d’arbitrage ni par la recommandation de la CEE mais que, s’il choisit de s’en écarter, il doit motiver ce choix dans sa décision.

 

[9]               Le commissaire peut trancher un appel de l’une ou l’autre de trois façons; il peut : a) soit rejeter l’appel et confirmer la décision portée en appel; b) soit accueillir l’appel et ordonner la tenue d’une nouvelle audience; c) soit accueillir l’appel, s’il est interjeté par le membre, et rendre la conclusion que, selon lui, le comité d’arbitrage aurait dû rendre. Il est à noter que le commissaire n’a pas le pouvoir, lorsqu’il rejette un appel formé par un membre, de prononcer la conclusion que le comité d’arbitrage aurait dû à son avis prononcer.

 

[10]           Pour ce qui concerne la peine, le paragraphe 45.16(3) de la Loi dispose que le commissaire peut soit rejeter l’appel contre la peine et confirmer celle‑ci, soit accueillir cet appel et modifier ou annuler ladite peine.

 

La décision du comité d’arbitrage

[11]           Par décision en date du 6 septembre 2005, le comité d’arbitrage a conclu que les allégations avaient été prouvées toutes les six, que le demandeur s’était conduit de manière à jeter le discrédit sur la GRC et que l’ordre de suivre une thérapie était légitime.

 

[12]           Le demandeur a contesté les allégations et fait valoir que la gendarme Elhatton avait formé ces plaintes dans le but d’obtenir la garde exclusive de leurs enfants. Le comité d’arbitrage a rejeté cet argument et conclu que la gendarme Elhatton avait « soutenu le contre‑interrogatoire rigoureux sans hésiter sur les points critiques ».

 

[13]           Le comité d’arbitrage a conclu au défaut de crédibilité du demandeur. Ce dernier avait nié avoir un casier judiciaire avant d’être mis en présence de sa déclaration de culpabilité pour avoir agressé un prisonnier en 1998. Il avait alors prétendu ne pas savoir que cette affaire lui avait valu un casier judiciaire. Selon le comité d’arbitrage, il avait minimisé cette déclaration de culpabilité au point d’essayer de l’induire en erreur. La faute en question lui avait aussi attiré une sanction disciplinaire.

 

[14]           En outre, le comité d’arbitrage a fait observer que quatre témoins – soit le chef de district, un surveillant potentiel, la gendarme Elhatton et le fiancé de cette dernière – avaient relaté des cas où le demandeur avait perdu la maîtrise de soi ou s’était mis en colère. La mère du demandeur a aussi déclaré dans son témoignage qu’elle lui avait reproché d’avoir élevé la voix contre la gendarme Elhatton. Elle a cependant nié qu’il l’eût frappée, ce que le comité d’arbitrage a interprété comme un mensonge destiné à protéger son fils. Le comité d’arbitrage a aussi relevé des divergences entre le témoignage du demandeur et celui de sa mère.

 

[15]           Le chef de district a déclaré à l’audience qu’il ne pensait pas que le demandeur soit capable de [traduction] « maîtriser ses émotions de manière à pouvoir se comporter au quotidien comme nous l’exigeons de nos agents », et il a recommandé son congédiement.

 

[16]           Un travailleur social a déclaré à l’audience que le demandeur avait suivi six ou sept heures de thérapie de maîtrise de la colère. Le représentant du demandeur a fait valoir que celui‑ci avait subi du stress et vécu des événements tragiques dans sa vie personnelle.

 

[17]           Le comité d’arbitrage a conclu que le demandeur s’était comporté de manière systématiquement répréhensible. Il n’avait pas assumé la responsabilité de ses actes, et il manquait d’honnêteté et de franchise. Sa conduite envers sa femme, notamment l’usage abusif d’une arme, attestait l’absence chez lui de deux qualités essentielles requises des agents de la force publique, à savoir la maîtrise de soi et le jugement. Le comité d’arbitrage a ordonné au demandeur de démissionner dans les 14 jours, sous peine de congédiement.

 

[18]           Le demandeur a accepté la décision du comité d’arbitrage pour ce qui concerne les deux premières allégations, mais il a contesté cette décision en appel à l’égard des quatre autres. Il a aussi contesté en appel la sanction prononcée.

 

Le Comité externe d’examen

[19]           Le demandeur a produit devant le CEE de nouveaux éléments de preuve, tendant notamment à établir que la gendarme Elhatton s’était parjurée à l’audience du comité d’arbitrage. Elle avait déclaré dans son témoignage avoir fait la connaissance de son fiancé après sa séparation d’avec le demandeur. Or, un autre membre de la GRC a déclaré les avoir vus ensemble à deux reprises avant cette séparation.

 

[20]           Le représentant du demandeur avait prié le comité d’arbitrage d’autoriser cet autre membre de la GRC à témoigner, sans toutefois l’informer de la nature ni de l’objet de son témoignage. La représentante de l’officier compétent avait récusé ce témoin éventuel, au motif qu’il avait été présent lors de certains témoignages à l’audience. Le comité d’arbitrage a refusé l’autorisation demandée.

 

[21]           Le CEE, après examen du critère applicable à la production de nouveaux éléments de preuve, a conclu que l’allégation de parjure devait être prise en considération. Il a constaté des erreurs dans la décision du comité d’arbitrage, mais a conclu à leur caractère mineur compte tenu du contexte. Par exemple, le comité d’arbitrage n’aurait pas dû considérer comme un aveu de culpabilité la remarque du demandeur concernant le moment choisi pour présenter les allégations (« Pourquoi maintenant? »).

 

[22]           Le CEE a donné ses recommandations le 10 février 2009. Il recommandait au commissaire de conclure à l’absence de fondement de la troisième allégation, au motif que la GRC ne peut ordonner à l’un de ses membres que de subir une évaluation de sa santé et non de suivre un traitement. Il lui recommandait en outre d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience touchant les allégations nos 4, 5 et 6, en raison de l’allégation de faux témoignage.

 

[23]           Le CEE a recommandé une réprimande et une confiscation de solde comme sanctions pour les allégations nos 1 et 2. Il a aussi recommandé au commissaire de conclure, dans le cas où il n’accueillerait pas l’appel sur le fond, que le comité d’arbitrage avait commis une erreur en ordonnant la démission ou le congédiement du demandeur.

 

La décision du commissaire

[24]           Le commissaire a rendu sa décision le 29 avril 2011. Il a conclu comme le CEE à l’existence d’éléments de preuve crédibles et pertinents touchant la violation de serment supposée de la gendarme Elhatton, et il a décidé de prendre en considération ces nouveaux éléments.

 

[25]           Le commissaire a aussi conclu qu’il lui était permis de prendre en considération le résultat de l’enquête sur la violation de serment reprochée à la gendarme Elhatton. La police de Fredericton avait enquêté sur cette allégation et conclu à l’absence d’éléments suffisants pour soumettre le dossier à l’attention du ministère public. Un autre service de police avait examiné l’enquête et souscrit à son résultat.

 

[26]           Se fondant sur le résultat de cette enquête, le commissaire a conclu que l’allégation de parjure n’aurait rien changé à la décision du comité d’arbitrage. Il s’ensuivait que la gendarme Elhatton était crédible et que son témoignage établissait le bien‑fondé des allégations nos 4, 5 et 6.

 

[27]           Le commissaire a confirmé la sanction du congédiement, pour les motifs suivants :

[traduction] [...] bien que je sois d’avis que cinq seulement des six allégations formulées contre le caporal Elhatton sont établies, je n’en estime pas moins raisonnable la sanction de congédiement compte tenu de tous les facteurs, notamment la gravité des infractions, les mesures disciplinaires prononcées antérieurement pour des raisons apparentées, l’absence de regret sincère de la part de l’appelant, les déclarations du [chef de district] selon lesquelles il était incapable de maîtriser ses émotions et d’assumer la responsabilité de ses actes, le fait que le [chef de district] n’ait pas confiance en lui et ne l’estime pas apte à faire partie de la GRC, l’absence d’appui de [l’officier compétent] et les faibles possibilités de réadaptation dudit appelant. La conduite du caporal Elhatton dénote une grave insuffisance des qualités fondamentales que sont le professionnalisme, le respect, l’aptitude à assumer la responsabilité de ses actes, l’intégrité et l’honnêteté, et le caractère que révèle cette conduite a considérablement diminué la confiance que notre corps policier peut lui accorder en tant qu’agent. Je conclus que les facteurs aggravants l’emportent nettement sur les facteurs atténuants dans la présente affaire.

 

La question en litige

[28]           Le demandeur soulève une seule question, soit celle de savoir si le commissaire s’est trompé en ne concluant pas que les allégations de parjure exigeaient la tenue d’une nouvelle audience devant le comité d’arbitrage. Le demandeur n’a pas maintenu sa contestation du caractère raisonnable de la sanction.

 

[29]           La norme de contrôle applicable à la décision du commissaire est celle de la raisonnabilité. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de ses conclusions sur les allégations d’infraction au code de déontologie, ainsi qu’à l’égard de la sanction qu’il a estimée adéquate. Le commissaire dispose de compétences spéciales touchant les aspects concrets du travail policier, ainsi que les conditions dont dépend le maintien de l’intégrité et du professionnalisme de la GRC : Gill c Canada (Procureur général), 2007 CAF 305.

 

[30]           Le commissaire dispose d’une vaste expérience dans l’appréciation des exigences du travail policier, notamment pour ce qui concerne l’usage adéquat de la force et les comportements personnels ou professionnels des agents qui risquent de nuire à la réputation de professionnalisme dont jouit la GRC. C’est le commissaire qui assume la responsabilité de la réputation de la GRC, et non la Cour. Celle‑ci, par conséquent, s’agissant d’établir si une conduite donnée est scandaleuse, examinera toujours la décision du commissaire en adoptant comme principe directeur les instructions suivantes données par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 48 de Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 :

[La déférence] est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Canada (Procureur général c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente. Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49).

 

 

[31]           Il est également à noter que la Loi contient une disposition privative, énoncée à son paragraphe 45.16(7). Dans ce contexte, le procureur général du Canada soutient que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable, faisant valoir que le commissaire, puisqu’il est investi du pouvoir discrétionnaire d’accepter de nouveaux éléments de preuve, jouit aussi du pouvoir discrétionnaire de les apprécier. Je souscris à cet argument.

 

Mise en contexte de la preuve

[32]           Le commissaire a conclu que la crédibilité de la gendarme Elhatton [traduction] « était le fondement de la décision du comité d’arbitrage ».

 

[33]           L’essence de l’erreur du commissaire, selon le demandeur, est d’avoir rendu sa propre décision sur la crédibilité, sans s’appuyer sur une audience. Le témoin n’a pas été suffisamment contre‑interrogé, de sorte que le comité d’arbitrage, le CEE et le commissaire ont été privés de la garantie de véracité que peut offrir le contre‑interrogatoire. On a affaire ici, soutient le demandeur, soit à un manquement à l’équité procédurale, question qui relève de la norme de la décision correcte, soit à une décision déraisonnable.

 

[34]           Le commissaire se trouvait devant un cas où des éléments de preuve pertinents, relatifs à la crédibilité du témoin principal, n’avaient pas été produits devant le comité d’arbitrage. Il a en effet conclu au caractère pertinent de ces éléments de preuve :

[TRADUCTON] Après examen des observations complémentaires de l’appelant et de la réponse de l’intimé, je conviens avec le CEE que le fait qu’une personne ayant entendu les déclarations faites par la gendarme X et son fiancé à l’audience touchant le moment où ils avaient fait connaissance ait estimé qu’ils s’étaient parjurés était un élément pertinent que le comité d’arbitrage n’avait pas permis à l’appelant de produire devant lui. Le point de savoir si la gendarme X et son fiancé se sont rencontrés avant ou après la séparation n’est pas pertinent pour l’appréciation des allégations formulées devant le comité d’arbitrage. Cependant, il est indéniablement pertinent pour la question fondamentale de la crédibilité, sur laquelle repose la décision du comité d’arbitrage touchant les incidents du lave‑auto, du pistolet, des moufles et des vacances.

 

 

[35]           Le commissaire a également conclu au caractère crédible de ces mêmes éléments :

[traduction] Je conclus aussi au caractère crédible de cette information : un enquêteur de police a déclaré sous serment à une autre audience disciplinaire qu’il avait découvert des éléments tendant à confirmer l’affirmation de l’appelant selon laquelle, contrairement à ce qu’ils avaient déclaré sous serment à l’audience disciplinaire considérée, la gendarme X et son fiancé s’étaient connus avant la séparation.

 

[36]           Le commissaire a tiré de ce qui précède les conclusions suivantes :

[traduction]

 

Je suis donc d’accord avec le CEE pour reconnaître, comme il le fait au paragraphe 73 de son rapport, que la nouvelle information et les documents justificatifs de l’appelant concernant la conclusion d’un enquêteur indépendant voulant que l’allégation de parjure formulée contre le fiancé de la gendarme X soit étayée par des preuves, et qu’il existe un motif valable d’ouvrir une enquête sur la conduite de la gendarme X, remplissent le critère qui rend de nouveaux éléments de preuve admissibles en appel. Le comité d’arbitrage ne disposait pas au moment de l’audience de ces éléments d’information, qui auraient pu influer sur sa décision puisque la crédibilité était un facteur clé de celle‑ci.

 

Je conviens aussi avec le CEE qu’il est raisonnable de penser que si le comité d’arbitrage avait conclu que la gendarme X avait menti sous serment touchant le moment où elle avait fait la connaissance de son fiancé, il aurait pu ne pas conclure comme il l’a fait au caractère véridique de son témoignage. Pour ces motifs, je prendrai ces nouveaux éléments en considération pour rendre ma décision.

 

 

[37]           Le comité d’arbitrage, le CEE et le commissaire attribuaient tous une importance cruciale à la crédibilité de la gendarme Elhatton. Le commissaire, pour sa part, a adopté la décision du comité d’arbitrage concernant l’allégation no 4 (l’incident du lave‑auto) et considérait lui aussi la crédibilité de ce témoin comme le pivot même de l’affaire :

[traduction] Le comité d’arbitrage a accepté la version donnée de cet incident par la gendarme X. Il a conclu que ses déclarations étaient claires et raisonnables, et que, bien qu’elle ait « oublié certains détails [...] elle [avait] soutenu le contre‑interrogatoire rigoureux sans hésiter sur les points critiques ».

 

 

[38]           Le témoignage de la gendarme Elhatton s’est révélé déterminant aussi pour la décision sur l’allégation no 5 (l’incident du pistolet). On trouve à ce propos le passage suivant dans la décision du commissaire :

[traduction]

 

La décision du comité d’arbitrage sur le bien‑fondé de l’allégation no 5

 

Le comité d’arbitrage a accepté la version donnée de cet incident par la gendarme X. Plus précisément, il a formulé la conclusion suivante à ce propos :

 

[…] Étant donné que le Comité a jugé la gend. [X] crédible sur toutes les autres questions, il n’y a aucune raison de ne pas la croire maintenant. Il estime également crédible son témoignage concernant ces deux allégations.

 

[39]           Le commissaire note dans le même sens, à propos de l’allégation no 6 (l’incident des vacances) :

[traduction] Le comité d’arbitrage a accepté la version donnée de cet incident par la gendarme X et conclu que le bien‑fondé de l’allégation était établi.

 

Le rôle du commissaire

[40]           Comme on l’a vu plus haut, le commissaire siège en appel d’une décision rendue par le comité d’arbitrage sous le régime de l’article 45.12 de la Loi. Avant de trancher l’appel, il doit porter l’affaire devant le CEE. Le commissaire n’est pas lié par les recommandations du CEE, mais s’il décide de s’en écarter, il doit motiver ce choix : paragraphe 45.16(6) de la Loi. La question se pose donc de savoir quel est au juste le rôle du commissaire par rapport aux conclusions de fait du tribunal de première instance et aux éléments de preuve examinés par celui‑ci.

 

[41]           Le commissaire a déclaré avoir l’intention d’user de retenue à l’égard des conclusions de fait du comité d’arbitrage. Siégeant en appel, il lui incombait d’établir si ce dernier avait commis des erreurs donnant lieu à révision. Il a formulé les observations suivantes concernant la preuve au paragraphe 174 de sa décision :

[traduction] Je suis conscient du fait que le comité d’arbitrage, ayant entendu la preuve (à l’exception des nouveaux éléments produits par les parties en appel) et ayant pu observer les témoins, était mieux placé que je ne le suis pour évaluer la crédibilité de ceux‑ci. Il ne m’appartient pas, dans le cadre du présent appel, d’apprécier à nouveau la preuve, mais plutôt d’examiner l’affaire dans le but d’établir si ladite preuve étaye raisonnablement la conclusion du comité d’arbitrage. [Non souligné dans l’original]

 

 

[42]           Voir aussi, dans le même sens, le paragraphe 177 de cette décision :

[traduction] J’estime par conséquent, comme le CEE le fait aussi observer dans son rapport, qu’il convient d’user d’une retenue considérable dans l’examen des conclusions du comité d’arbitrage sur la crédibilité.

 

[43]           Pour conclure sur ce point, il est évident que le commissaire, en assujettissant son examen à la norme du caractère raisonnable telle que formulée dans Dunsmuir, assimilait à celui d’une cour d’appel son rôle par rapport à la preuve.

 

[44]           Le commissaire, comme toute cour d’appel, peut admettre de nouveaux éléments de preuve. Mais ce pouvoir, si étendu qu’il soit, ne peut aller jusqu’à l’autoriser à tirer des conclusions qu’il n’est pas en situation de tirer. 

 

[45]           Le commissaire, siégeant au troisième niveau d’examen, n’était pas en mesure de se prononcer sur la crédibilité de la gendarme Elhatton. Cette dernière n’avait pas été mise en présence d’éléments de preuve qu’il estimait pertinents quant à sa crédibilité. Il est à noter que cette question ne concerne pas seulement le témoignage de la gendarme Elhatton; toute conclusion favorable sur la crédibilité de cette dernière équivalait à une conclusion défavorable sur celle du demandeur : les deux aspects sont interreliés.

 

[46]           On constate une pénurie de jurisprudence touchant le point de savoir quand on peut – si jamais on le peut – se prononcer en appel au sujet de la crédibilité sur le fondement de nouveaux éléments de preuve. Les avocats ont déclaré n’avoir pu trouver de précédents à cet égard. On ne s’en étonnera pas, étant donné le rôle attribué aux cours et aux tribunaux administratifs d’appel, qui, conformément à une jurisprudence de longue date, s’en remettent sur ce point aux tribunaux de première instance, mieux placés pour tirer des conclusions de fait.

 

[47]           Il va de soi, à ce propos, qu’une cour d’appel, pas plus que le commissaire, ne doit ni infirmer ni modifier des conclusions sur la crédibilité, à moins que le décideur de première instance n’ait commis une erreur manifeste et dominante ou tiré des conclusions de fait manifestement erronées ou non étayées par la preuve : F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41, paragraphe 73. L’arrêt McDougall est éclairant sur cette question. On peut y lire ce qui suit sous la plume du juge Rothstein, au paragraphe 72 :

En toute déférence, je ne peux voir dans les motifs des juges majoritaires de la Cour d’appel qu’un désaccord avec l’appréciation de la crédibilité de F.H. par la juge du procès à la lumière des contradictions et de l’absence d’élément circonstanciel corroborant le témoignage. Il incombe clairement au juge du procès d’apprécier la crédibilité, de sorte que sa décision à cet égard justifie une grande déférence. Comme l’ont expliqué les juges Bastarache et Abella dans l’arrêt R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17, par. 20 :

 

Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits. C’est pourquoi notre Cour a statué – la dernière fois dans l’arrêt H.L. – qu’il fallait respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante.

 

 

Le traitement de la preuve

[48]           Je dois cependant ajouter qu’il en irait tout autrement si les nouveaux éléments de preuve admis concernaient une question accessoire ou non pertinente par rapport aux principaux points à trancher, mais en l’occurrence le commissaire a conclu que les nouveaux éléments étaient pertinents et auraient pu influer sur le résultat de la procédure dans la mesure où ils auraient pu changer l’opinion du comité d’arbitrage sur la crédibilité du témoin (voir le paragraphe 125 de sa décision).

 

[49]           Il est également permis à la juridiction d’appel de confirmer les conclusions du tribunal inférieur lorsque le poids des éléments de preuve par ailleurs incontestés l’emporte nettement sur celui des nouveaux éléments. La simple réception de nouveaux éléments de preuve n’oblige pas la cour d’appel à renvoyer l’affaire devant le tribunal inférieur pour une nouvelle audience. Les cours d’appel prennent en considération, par exemple, l’effet sur la décision finale des éléments indûment exclus et, inversement, celui des éléments indûment admis. Même si les nouveaux éléments de preuve contredisent les conclusions de fait, le décideur siégeant en appel reste libre de confirmer la décision contestée devant lui. Il se peut en effet que les nouveaux éléments n’aient qu’une pertinence indirecte ou ne fassent pas le poids en comparaison d’autres éléments. Cette faculté se trouve renforcée par le pouvoir que l’alinéa 45.16(2)c) de la Loi confère au commissaire :

45.16 

 

[…]

 

(2) Le commissaire, lorsqu’il est saisi d’un appel interjeté contre la conclusion visée à l’alinéa 45.14(1)a), peut :

 

[…]

 

c) soit accueillir l’appel, s’il est interjeté par le membre reconnu coupable d’une contravention au code de déontologie, et rendre la conclusion que, selon lui, le comité d’arbitrage aurait dû rendre.

 

45.16 

 

[…]

 

(2) The Commissioner may dispose of an appeal in respect of a finding referred to in paragraph 45.14(1)(a) by

 

[…]

 

(c) where the appeal is taken by the member who was found to have contravened the Code of Conduct, allowing the appeal and making the finding that, in the Commissioner’s opinion, the adjudication board should have made.

 

 

[50]           Ce pouvoir est cependant soumis à une limite intrinsèque dans les cas où la crédibilité est en question. Il n’est donc pas étonnant que les avocats n’aient pu trouver aucune affaire où un tribunal d’appel, après avoir reçu de nouveaux éléments de preuve mettant en cause la crédibilité du témoin principal, aurait tiré sa propre conclusion sur cette crédibilité. Or, c’est ce qui est arrivé dans la présente espèce, puisque le commissaire a conclu que sa propre appréciation de la crédibilité du témoin n’avait pas changé. Il s’agit là, à mon sens, d’une erreur. Le commissaire n’était pas en mesure de prononcer de conclusion sur la crédibilité. En fait, il a expressément défini son rôle comme excluant cette fonction.

 

[51]           La deuxième difficulté que soulève la décision contrôlée est qu’elle ne remplit pas le critère formulé dans Dunsmuir. On ne voit pas de lien logique solide entre la conclusion selon laquelle [traduction] « [les éléments tendant à établir la violation de serment en contre‑interrogatoire] auraient pu influer sur [la] décision [du comité d’arbitrage] puisque la crédibilité était un facteur clé de celle‑ci », et la conclusion selon laquelle son examen des nouveaux éléments de preuve n’avait [traduction] « pas amené [le commissaire] à une conclusion différente de celle du comité d’arbitrage sur la question de la crédibilité ». Le commissaire raisonne à ce sujet dans les termes suivants :

[traduction] Mon examen de ces nouveaux éléments de preuve ne m’a pas amené à une conclusion différente de celle du comité d’arbitrage sur la question de la crédibilité. Étant donné les résultats de l’enquête à laquelle a donné lieu la plainte en parjure formée par l’appelant contre la gendarme X, je ne suis pas d’avis que ces nouveaux éléments auraient incité le comité d’arbitrage à conclure différemment concernant la crédibilité de la gendarme X, et ils ne changent rien à mes propres conclusions sur ce sujet. Par conséquent, je ne souscris pas à la recommandation du CEE, et je n’ordonnerai pas la tenue d’une nouvelle audience relativement aux trois allégations du deuxième avis d’audience (c’est‑à‑dire celles qui concernent les incidents du lave‑auto, du pistolet et des vacances).

 

[52]           Le commissaire avait admis les nouveaux éléments de preuve au motif qu’ils étaient pertinents pour l’appréciation de la crédibilité du témoin principal et auraient pu influer sur la décision du comité d’arbitrage.

 

[53]           Il incombait donc au décideur d’établir que le comité d’arbitrage aurait apprécié les faits de la même manière et, en particulier, aurait porté le même jugement sur la crédibilité de la gendarme Elhatton, s’il avait entendu les nouveaux éléments de preuve et si le témoin avait été contre‑interrogé. Il fallait pour cela, concernant chacune des allégations, une preuve objective que les événements en cause s’étaient produits, et de la manière admise pour vraie par le comité d’arbitrage – une preuve indépendante des déclarations de la gendarme Elhatton qui avaient étayé cette allégation suivant la prépondérance des probabilités. Or, le commissaire n’est pas arrivé à sa décision par ce chemin.

 

Application aux allégations considérées une à une

[54]           Le demandeur n’a pas contesté en appel les allégations nos 1 (incident des moufles) et 2 (incident du bureau). Pour ce qui concerne l’allégation no 3 (la désobéissance à un ordre légitime), le commissaire ne l’a pas confirmée et a accueilli l’appel. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire ne porte que sur trois des six allégations.

 

[55]           Examinons d’abord l’allégation no 4 (l’incident du lave‑auto). Cette allégation ne porte que sur un seul incident, survenu à une date non précisée entre le 1er février 1993 et le 31 juillet 1996, où le demandeur aurait frappé à poing fermé le haut de la jambe gauche de la gendarme Elhatton au moment où ils entraient dans un lave‑auto. Le demandeur a témoigné en ces termes devant le comité d’arbitrage :

[traduction]

 

Q. À propos des autres questions relatives à votre femme : vous avez reçu un deuxième avis d’audience disciplinaire touchant des événements survenus en Saskatchewan. Selon la première de ces allégations, entre le 1er février 1993 et le 31 juillet 1996, à Saskatoon ou à proximité, vous auriez frappé votre femme, la gendarme [X], sur la jambe à poing fermé. Que pouvez‑vous dire au comité concernant cet incident?

 

R. Il y avait quelque chose à propos d’un lave‑auto. Il nous est arrivé de traverser des lave‑autos ensemble dans cette Buick LeSabre, et je n’ai jamais frappé [la gendarme X]. Je ne frappe pas [la gendarme X], je ne l’ai pas frappée et je ne la frapperai jamais.

 

Q. Donc vous n’avez souvenir d’aucun incident où ‑ ‑

 

R. Je n’ai frappé [la gendarme X] d’aucune manière en aucune occasion. Il est impossible qu’elle puisse imaginer que je lui aie donné un coup de poing, parce que je ne l’ai pas fait. D’ailleurs, il suffit de voir comment cette Buick est construite : elle n’est même pas près de moi. Elle est sur le siège du passager avant, et il y a entre nous un appuie‑bras amovible. Ma main repose toujours sur cet appuie‑bras, mais je ne la frappe pas.

 

Q. Vous n’avez aucun souvenir d’un incident analogue à celui qui a été relaté devant nous lundi, où vous seriez entré dans le portique de lavage et où vous auriez failli heurter le poteau ou quelque chose comme ça ‑ ‑

 

R. Non.

 

 

[56]           Le commissaire a tiré la conclusion suivante touchant cette allégation :

[traduction] Le comité d’arbitrage a accepté la version donnée de cet incident par la gendarme X. Il a conclu que ses déclarations étaient claires et raisonnables, et que, bien qu’elle ait « oublié certains détails [...] elle [avait] soutenu le contre‑interrogatoire rigoureux sans hésiter sur les points critiques ».

 

 

[57]           Pour ce qui concerne l’allégation no 5 (l’incident du pistolet), en voici l’énoncé détaillé :

À une occasion entre le 1er février 1993 et le 31 juillet 1996, à votre domicile à Milden, dans la province de la Saskatchewan, vous vous êtes disputé avec votre conjointe, la gend. [X]. Juste avant la dispute, vous aviez enlevé votre uniforme et votre ceinturon. Pendant la dispute, vous avez sorti votre arme à feu de son étui et pris la main de votre conjointe pour la placer autour de l’arme. Vous avez ensuite pointé l’arme contre votre tête (la main de votre conjointe étant toujours sur l’arme) et dit en substance : « Si tu me détestes à ce point, tue‑moi, tue‑moi tout de suite. » Votre conjointe vous a dit d’arrêter et de déposer l’arme, ce que vous avez fait.

 

 

[58]           Le comité d’arbitrage a accepté dans les termes suivants la version donnée de cet incident par la gendarme Elhatton :

Étant donné que le Comité a jugé la gend. [X] crédible sur toutes les autres questions, il n’y a aucune raison de ne pas la croire maintenant. Il estime également crédible son témoignage concernant ces deux allégations.

 

 

[59]           L’énoncé détaillé de l’allégation no 6 (l’incident des vacances) est ainsi rédigé :

À une occasion entre le 1er mai 1998 et le 30 septembre 1998, lors de vacances à l’Île‑du‑Prince‑Édouard avec vos enfants et votre conjointe, la gend. [X], vous avez pris votre conjointe par le bras et lui avez frappé l’avant‑bras 4 ou 5 fois.

 

 

[60]           La mère du demandeur était alors présente et a témoigné sur cet événement. Le comité d’arbitrage a jugé le demandeur non crédible, sa version déraisonnable et ses explications intéressées, et il a rejeté les déclarations de la mère au motif qu’elles ne visaient qu’à protéger son fils.

 

[61]           Le CEE a résumé dans les termes suivants la décision du comité d’arbitrage concernant la crédibilité du demandeur :

Le comité a conclu que les six allégations avaient été établies. Il a mentionné que, vu les [traduction] « témoignages contradictoires sur des points essentiels liés aux actes de [l’appelant] et un grand nombre d’autres questions connexes » (décision, p. 17), la crédibilité était une question clé.

 

[…]

 

Le comité a soulevé deux préoccupations relatives à la crédibilité de l’appelant. Premièrement, le comité a estimé que l’appelant n’avait exprimé aucun regret à l’égard de sa conduite antérieure et avait grandement minimisé les faits, au point de dire qu’ils étaient trompeurs. Deuxièmement, le comité a constaté que, même si l’appelant a été déclaré coupable de voies de fait pour cette inconduite, il a malgré tout nié qu’il avait un casier judiciaire (décision, p. 21).

 

Le comité a aussi mentionné que quatre témoins (le chef de district, le superviseur potentiel, la gendarme X et le fiancé de celle‑ci) ont parlé de la perte de contrôle, de la colère ou de la rage de l’appelant, et que même la mère de celui‑ci a déclaré qu’elle avait dû l’avertir parce qu’il avait élevé la voix.

 

 

[62]           Cet examen des allégations considérées et des éléments de preuve produits à leur soutien appelle plusieurs observations.

 

[63]           Premièrement, la gendarme Elhatton était le seul témoin des faits sur lesquels portent les allégations en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire (soit les allégations nos 4, 5 et 6).

 

[64]           Deuxièmement, parce qu’il avait déjà accepté le témoignage de la gendarme Elhatton à propos de l’allégation no 1 (l’incident des moufles), le comité d’arbitrage a conclu qu’elle disait probablement la vérité au sujet des incidents postérieurs. Il a donc tiré concernant la crédibilité une première conclusion qui s’est répercutée sur les autres allégations. Ce raisonnement occupe une place centrale dans l’analyse du comité d’arbitrage. La Cour d’appel de l’Ontario, dans R. c M.G., 1994 CanLII 8733, a cité avec approbation l’avertissement suivant donné par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Faryna c Chorny, [1952] 2 DLR 354, au sujet des dangers inhérents au prononcé de conclusions sur la crédibilité en pareilles circonstances :

[traduction] On ne peut évaluer la crédibilité d’un témoin intéressé, en particulier dans les cas de témoignages contradictoires, en se fondant exclusivement sur le point de savoir si son comportement personnel inspire la conviction qu’il dit la vérité. Il faut soumettre la version qu’il propose des faits à un examen raisonnable de sa compatibilité avec les probabilités afférentes à la situation considérée. Bref, le critère de véracité qu’on doit appliquer à la version du témoin dans un tel cas est sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée estimerait d’emblée raisonnable dans le lieu et la situation en question [...] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté. Le juge du fond qui dirait : « Je le crois parce que je suis convaincu de sa véracité » tirerait une conclusion fondée sur l’examen de la moitié seulement du problème. En fait, il pourrait bien s’agir là d’une auto‑directive dangereuse.

 

 

[65]           Troisièmement, ces éléments de preuve ont été produits à l’évidence dans le contexte d’un mariage en voie de détérioration, contexte qui commande une certaine prudence ou un certain scepticisme dans l’appréciation des déclarations de chacun des conjoints.

 

[66]           Pour résumer, les allégations nos 1 (l’incident des moufles) et 2 (l’incident du bureau) n’ont pas été contestées en appel. Le commissaire a accueilli l’appel relatif à l’allégation no 3 (la désobéissance à un ordre légitime). Enfin, il a confirmé les allégations nos 4 (l’incident du lave‑auto), 5 (l’incident du pistolet) et 6 (l’incident des vacances), mais sur le seul fondement du témoignage de la gendarme Elhatton.

 

[67]           Le résultat final est donc que le commissaire a fait droit aux allégations nos 4, 5 et 6 en se basant sur les dires d’un seul témoin, l’ex‑femme du demandeur. C’est sur le témoignage de celle‑ci que reposent essentiellement ses conclusions. Or, dans ce contexte caractérisé par les témoignages contradictoires de conjoints séparés et l’absence de preuve corroborante indépendante, il était déraisonnable de conclure que les nouveaux éléments de preuve n’entameraient pas la crédibilité de la gendarme Elhatton. Cette dernière n’a pas été contre‑interrogée au sujet de l’allégation de parjure. Il n’existe aucun fondement sur lequel on puisse raisonnablement asseoir la conclusion que sa crédibilité resterait intacte, conclusion qui n’était donc qu’une conjecture non corroborée.

 

[68]           La décision du commissaire peut donc être dite déraisonnable suivant la norme de Dunsmuir. Aucun raisonnement clair et intelligible n’étaye la conclusion qu’un contre‑interrogatoire n’entamerait pas la crédibilité de la gendarme Elhatton et qu’il ne s’ensuivrait pas un effet important sur l’appréciation du bien‑fondé des allégations nos 4, 5 et 6.

 

[69]           On ne peut considérer la décision contrôlée comme raisonnable en s’appuyant sur les conclusions relatives à la crédibilité tirées à propos de l’allégation no 1 (l’incident des moufles). Le CEE a résumé dans les termes suivants la preuve produite au soutien de cette allégation :

Le comité a trouvé crédibles les témoignages de la gendarme X et de son fiancé parce qu’ils se corroboraient l’un l’autre de façon harmonieuse et sans hésitation et parce que la gendarme P a corroboré leur témoignage en déclarant qu’ils avaient raconté l’incident à d’autres personnes peu de temps après qu’il s’était produit. De plus, le comité a conclu que la crédibilité du fiancé était accrue vu le fait qu’il s’était excusé immédiatement après avoir fait une farce au mari de la gendarme P.

 

[70]           C’est là à mon sens une prémisse bien peu assurée dont déduire que la crédibilité de la gendarme Elhatton serait restée intacte. La décision du commissaire selon laquelle le témoin principal n’aurait rien perdu de sa crédibilité est d’autant moins soutenable que se révèle précaire le fondement sur lequel reposait la conclusion du comité d’arbitrage touchant cette crédibilité.

 

[71]           Avant de conclure, je tiens à souligner que la question de savoir si la gendarme Elhatton a effectivement fait ou non un faux témoignage reste sans réponse prouvée. On a refusé au demandeur la possibilité de produire ses preuves à ce sujet. L’absence d’inculpation ne permet pas de trancher la question. Les deux conditions dont dépend l’engagement de poursuites pénales, à savoir une perspective raisonnable de déclaration de culpabilité et la conformité à l’intérêt public, n’ont aucun rapport avec le point de savoir si la gendarme Elhatton, mise en présence de la preuve contradictoire, aurait maintenu sa crédibilité.

 

[72]           Deuxièmement, le commissaire a admis parmi les nouveaux éléments de preuve un [traduction] « affidavit conjoint », signé par la gendarme Elhatton et son fiancé. Or, l’affidavit conjoint n’existe pas dans notre système juridique. Il y a à cela de bonnes raisons, notamment qu’il dénote par essence la concertation de deux témoins distincts et fait obstacle à la fonction de recherche de la vérité qu’on assigne au contre‑interrogatoire. Pour ce qui concerne l’affidavit qui nous occupe, son auteur déclare que le contenu en est fondé sur une connaissance directe, alors que ce n’est manifestement pas le cas : il regorge en effet du ouï‑dire le plus évident.

 

[73]           Le commissaire s’est fondé sur l’affidavit conjoint pour exposer les résultats de l’enquête relative à l’imputation de parjure et conclure que la crédibilité de la gendarme Elhatton resterait intacte. S’il est vrai que le commissaire n’est pas soumis à toute la rigueur des règles de preuve, il manque néanmoins à la norme du raisonnement solide formulée dans Dunsmuir en basant sur l’affidavit conjoint cette conclusion touchant la crédibilité. De ce qu’on n’ait pas inculpé la gendarme Elhatton, il ne suit pas nécessairement que sa crédibilité serait restée la même devant le comité d’arbitrage.

 

[74]           Il est permis au commissaire, en vertu des pouvoirs que lui confèrent le paragraphe 45.16(2) et l’alinéa 45.16(3)b) de la Loi, soit de renvoyer les allégations nos 4, 5 et 6 devant un comité d’arbitrage différemment constitué, soit de réexaminer et modifier sa décision sur les peines au motif que le bien‑fondé de ces allégations n’a pas été établi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du commissaire est annulée, et l’affaire est renvoyée devant lui pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑889‑11

 

INTITULÉ :                                                  SHAWN P. ELHATTON c
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et L’OFFICIER COMPÉTENT DE LA DIVISION J DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 20 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William R. Gilmour

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Shelley C. Quinn

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gilmour Barristers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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