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Date : 20130121

Dossier : T-4-12

Référence : 2013 CF 51


[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

HABIB BANK LIMITED

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

HABIB BANK AG ZURICH

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, à l’encontre d’une décision de la registraire des marques de commerce (la registraire) rejetant l’opposition de la Habib Bank Limited à l’enregistrement des marques de commerce de la Habib Bank AG Zurich. Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

 

 

 

Les faits

 

[2]               La famille Habib a établi la Habib Bank Limited (HBL) en 1941 à Bombay, en Inde. Lors de la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947, HBL a déménagé son siège social à Karachi, au Pakistan. HBL a pris de l’expansion à l’échelle internationale et, en 1967, elle a demandé l’autorisation d’établir une banque en Suisse. À cette époque, le droit suisse exigeait qu’une telle entreprise soit établie au moyen de capitaux locaux, et la Habib Bank AG Zurich (HBZ) a donc été établie.

 

[3]               En 1974, le Pakistan a nationalisé toutes les banques, y compris HBL, sans indemnisation. La famille Habib a perdu le contrôle de HBL, mais elle a conservé le contrôle de HBZ et a poursuivi son expansion internationale à partir de son siège social à Zurich. En 2003, le gouvernement du Pakistan s’est départi de HBL, et c’est ainsi que HBL a été privatisée. À l’heure actuelle, HBL et HBZ fournissent toutes deux des services bancaires à l’échelle internationale en liaison avec le nom Habib, et elles se font concurrence sur bon nombre de marchés.

 

[4]               Chose qui n’a rien d’étonnant, HBL et HBZ ont eu de nombreux différends au sujet de l’emploi du nom Habib. Une entente de règlement globale est intervenue en 1986 (l’entente). HBL a convenu que HBZ et ses filiales et sociétés associées ou affiliées pourraient employer le mot « Habib » à certaines conditions. Les passages pertinents de l’entente stipulaient :

[TRADUCTION]

 

6.1    Il est par les présentes expressément convenu que [Habib Bank Limited] ne devra pas, à l’avenir, s’opposer à l’emploi du mot « Habib » dans le nom de Habib Bank AG Zurich, ni s’opposer si Habib Bank AG Zurich emploie son nom sous cette forme n’importe où dans le monde.

 

6.2    Il est en outre expressément convenu que [Habib Bank AG Zurich] aura le droit d’employer le mot « Habib » dans le nom de ses filiales et sociétés  associées ou affiliées, c.‑à‑d. toute société dans laquelle [Habib Bank AG Zurich] ou un membre de la famille Habib est actionnaire, directement ou  indirectement, et que, ce faisant, les mots « HABIB BANK » ne devront pas être employés ensemble, mais que les mots « Habib » et « Bank »  pourront être employés avec un ou plusieurs autres mots insérés entre eux, sauf pour Habib Bank Zurich International Ltd., qui a déjà été enregistré  aux îles Cayman avant la date du présent accord.

 

         Il est entendu que le mot « Pakistan » ne devra en aucun temps être employé dans le nom de [Habib Bank AG Zurich] ou de ses filiales et sociétés  associées ou affiliées, comme susmentionné.

 

[5]               L’entente était silencieuse sur la question de l’enregistrement de marques de commerce.

 

Les éléments de preuve dont disposait la registraire

 

[6]               Le 18 juin 2004, HBZ a déposé la demande no 1,220,988 aux fins de l’enregistrement de la marque de commerce HABIB CANADIAN BANK & Dessin et la demande no 1,220,990 aux fins de l’enregistrement de la marque de commerce HABIB CANADIAN BANK. HBZ a fait ces demandes sur le fondement de son emploi des marques de commerce au Canada en liaison avec des services bancaires depuis le 22 mars 2001.

 

[7]               HBL a produit des déclarations d’opposition le 10 mars 2006. Les motifs d’opposition en litige dans le présent appel sont les suivants :

(1)           HBZ n’a pas le droit d’enregistrer les marques de commerce eu égard àl’alinéa 16(1)a) de la Loi parce que les marques de commerce créent de la confusion avec les marques de commerce de HBL qui ont été antérieurement révélées au Canada;

(2)           Les marques de commerce ne sont pas distinctives au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elles ne distinguent pas ni ne sont adaptées à distinguer les services de HBZ de ceux de HBL.

 

[8]               Nauman Kramat Dar est le directeur général de la Habib Allied International Bank Plc, une filiale de HBL. Dans l’affidavit qu’il a souscrit pour le compte de HBL, M. Dar a expliqué l’historique de HBL et sa présence internationale. En particulier, il a affirmé ce qui suit :

(1)           HBL emploie les marques de commerce HABIB BANK et HABIB BANK LIMITED & Dessin.

(2)           Le site Web de HBL a été consulté 84 777 fois par des personnes se trouvant au Canada entre novembre 2006 et février 2007

(3)           HBL a exploité un bureau de representation à Mississauga, en Ontario, de juillet 1990 à juin 1991. HBL a annoncé l’ouverture dans [TRADUCTION] « de nombreux journaux » dont l’édition canadienne du journal pakistanais Daily Dawn.

(4)           Le 23 mars 2007, 462 titulaires de comptes détenus auprès de HBL donnaient comme principale adresse une adresse située au Canada.

(5)           HBL a participé à des transactions avec des banques tierces qui mettaient en cause des Canadiens, cinq transactions au cours de l’année 2004

 

[9]               M. Muslim Hassan est le président et chef de la direction de la Habib Canadian Bank (HCB), une filiale de HBZ. Dans l’affidavit qu’il a souscrit pour le compte de HBZ, M. Hassan a expliqué l’historique et les activités de HBZ et HCB. Les passages de cet affidavit qui sont les plus pertinents au regard du présent appel indiquent ce qui suit :

(1)           HCB a ouvert sa première succursale à Mississauga le 22 mars 2001, et elle offre des services bancaires en liaison avec la marque de commerce HABIB CANADIAN BANK et la marque HABIB CANADIAN BANK & Dessin.

(2)           HBZ autorise HCB à employer les marques de commerce en vertu d’une licence, et elle contrôle les caractéristiques et la qualité des services de HCB.

(3)           Un article paru le 2 juin 2002 dans le Toronto Star cite un client de HCB qui affirme qu’il a choisi de faire affaire avec HCB parce que son père avait fait affaire avec [TRADUCTION] « eux » en Inde. En contre-interrogatoire, M. Hassan a affirmé que HCB n’avait jamais offert de services bancaires en Inde.

 

Dispositions législatives

 

[10]           Les dispositions suivantes des articles 2, 5 et 16 de la Loi sont pertinentes relativement au présent appel :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

 

5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada seulement si elle l’emploie dans un pays de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas :

a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec cette marque au Canada;

 

b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec cette marque :

 

(i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,

 

(ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,

et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.

 

 

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

 

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

 

 

b) soit avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

 

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

 

2. In this Act,

 

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

 A trade-mark is deemed to be made known in Canada by a person only if it is used by that person in a country of the Union, other than Canada, in association with wares or services, and

 

(a) the wares are distributed in association with it in Canada, or

 

(b) the wares or services are advertised in association with it in

 

 

 

(i) any printed publication circulated in Canada in the ordinary course of commerce among potential dealers in or users of the wares or services, or

 

 

 

(ii) radio broadcasts ordinarily received in Canada by potential dealers in or users of the wares or services,

 

and it has become well known in Canada by reason of the distribution or advertising.

 

 

 (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

 

 

 

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

 

(b) a trade-mark in respect of which an application for registration had been previously filed in Canada by any other person; or

 

(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person.

 

 

 

 

La décision visée par le présent appel

 

[11]           L’agente Bradbury de la Commission des oppositions des marques de commerce a tenu une audience pour le compte de la registraire. La registraire a rejeté l’opposition de HBL aux termes d’une décision datée du 31 octobre 2011.

 

[12]           La registraire a souligné que HBZ avait le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande satisfaisait aux exigences de la Loi. La registraire a également décrit le fardeau initial incombant à HBL de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition : Proctor & Gamble Inc. c Colgate-Palmolive Canada Inc., 2010 CF 231, au paragraphe 25.

 

[13]           Premièrement, la registraire a rejeté l’opposition de HBL fondée sur l’alinéa 16(1)c) de la Loi puisque cet alinéa vise l’« emploi » antérieur d’un nom commercial au Canada. HBL n’a pas allégué qu’elle avait employé le nom commercial, mais plutôt qu’elle avait antérieurement révélé ce nom. HBL n’a pas présenté d’observations au soutien de ce motif d’appel.

 

[14]           Deuxièmement, la registraire a statué que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait en vertu de l’alinéa 16(1)a) de démontrer qu’elle avait antérieurement révélé la marque de commerce au Canada, avant le 22 mars 2001. Le seul élément de preuve était l’affirmation de M. Dar selon laquelle l’ouverture du bureau de représentation en 1990 avait été largement annoncée [TRADUCTION] « dans plusieurs journaux, dont l’édition canadienne du journal pakistanais Daily Dawn ». La registraire a affirmé qu’« une seule annonce dans une seule publication imprimée, sans aucune preuve de sa mise en circulation » ne pouvait pas permettre de conclure que la marque était bien connue au Canada.

 

[15]           Troisièmement, la registraire a statué que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait en rapport avec son opposition fondée sur le motif du caractère distinctif. Pour que ce motif d’opposition puisse être retenu, il fallait que la marque de commerce de HBL ait été connue jusqu’à un certain point le 10 mars 2006. HBL a invoqué l’existence de son bureau de représentation de 1990 à 1991. Cependant, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant comment la marque de commerce avait été employée en association avec ce bureau à l’exception de l’annonce mentionnée précédemment. HBL a également invoqué la preuve de cinq transactions en 2004 qui mettaient en cause des clients de banques tierces au Canada qui avaient transféré des fonds dans des comptes détenus auprès de HBL. La registraire a conclu que la preuve de HBL sur ce point était à la fois mince et trop éloignée dans le temps.

 

[16]           La registraire a également examiné l’article du Toronto Star dont HBL soutenait qu’il démontrait l’existence d’une confusion réelle. La registraire a considéré que la déclaration citée dans l’article en question était non confirmée, anecdotique et loin de constituer une preuve fiable de confusion. La registraire a également noté qu’au cours de la période mentionnée, HBL et HBZ étaient contrôlées par la même famille.

 

[17]           Quatrièmement, la registraire a refusé d’examiner l’argument de HBL selon lequel les marques de commerce de HBZ n’étaient pas distinctives parce qu’il n’avait pas été démontré que l’emploi de la marque par HCB à titre de licenciée profitait à HBZ, conformément à l’article 50 de la Loi. La registraire a affirmé que cette question n’avait pas été soulevée dans les actes de procédure; par conséquent, elle ne pouvait pas être traitée.

 

[18]           Cinquièmement, la registraire a rejeté l’opposition de HBL au dessin-marque au motif qu’il portait atteinte au droit d’auteur de HBL. HBL n’a produit aucun élément de preuve démontrant qu’elle était titulaire d’un droit d’auteur dans son logo. HBL n’a pas contesté cette conclusion dans son appel.

 

Les questions en litige

 

[19]           Le présent appel soulève quatre questions :

(1)           La norme de contrôle;

(2)           La question de savoir si la registraire a commis une erreur lorsqu’elle a statué que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait en rapport avec son opposition fondée sur une confusion alléguée avec une marque de commerce antérieurement révélée au Canada;

(3)           La question de savoir si la registraire a commis une erreur lorsqu’elle a statué que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait en rapport avec son opposition liée au critère du caractère distinctif;

(4)           La question de savoir si la registraire a commis une erreur lorsqu’elle a refusé d’examiner la question de savoir si les marques de commerce étaient dépourvues de caractère distinctif à cause de leur emploi sans licence par un tiers.

 

 

Analyse

 

            La norme de contrôle

 

[20]           Lorsqu’aucun élément de preuve additionnel n’est produit en appel, comme c’est le cas en l’espèce, les décisions de la registraire qui relèvent de son domaine de compétences spécialisées sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Cela vaut pour les questions de fait comme pour les questions de droit : Molson Breweries c John Labatt Ltd., [2000] ACF no 159 (CAF), au paragraphe 51.

 

[21]           HBL a soutenu que la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte parce qu’il y a une question de droit qui ne relève pas des compétences spécialisées de la registraire et parce que celle-ci a fourni des motifs insuffisants, ce qui soulève une question d’équité procédurale.

 

[22]           HBL soutient que l’application correcte d’un fardeau de preuve est une question de droit qui ne relève pas des compétences spécialisées de la registraire. Je ne souscris pas à cette prétention. Premièrement, l’application d’une norme juridique à des éléments de preuve est nécessairement une question mixte de fait et de droit. C’est seulement lorsqu’une question juridique isolable peut être extraite de la matrice juridique et factuelle qu’une question de droit se pose. Deuxièmement, la registraire a des compétences spécialisées pour déterminer s’il y a des éléments de preuve qui permettent raisonnablement de conclure qu’un motif d’opposition est établi. Je ferai preuve de retenue devant l’exercice des compétences spécialisées de la registraire quant à savoir quelle preuve remplit ce fardeau initial, à condition que cette décision soit raisonnable.

 

[23]           En outre, la Cour suprême du Canada a récemment expliqué que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif autonome de contrôle judiciaire. En effet, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14, 20 et 21.

 

[24]           En somme, puisque ni l’une ni l’autre des parties n’a produit d’élément de preuve nouveau en appel, et puisque la question relative à la preuve est une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

            Confusion avec une marque de commerce antérieurement révélée au Canada

 

[25]           La registraire a estimé que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait en rapport avec l’alinéa 16(1)a) de la Loi. Selon cet alinéa, HBZ n’est pas la personne ayant le droit d’enregistrer une marque de commerce si, à la date à laquelle elle a employé ou révélé pour la première fois la marque de commerce, celle-ci créait de la confusion avec une marque de commerce qui avait été employée et révélée antérieurement au Canada par HBL.

 

[26]           La registraire a affirmé qu’afin de s’acquitter de son fardeau de preuve, HBL devait produire des éléments de preuve indiquant qu’avant le 22 mars 2001, (1) une de ses marques avait été employée dans un pays de l’Union; (2) ses services bancaires étaient annoncés en liaison avec une telle marque au Canada; et (3) une telle marque était devenue bien connue au Canada par suite d’une telle annonce. Ces exigences sont énoncées à l’article 5 de la Loi.

 

[27]           Il est acquis aux débats que HBL satisfait au premier volet de ce critère. HBL fournit des services financiers au Pakistan, un membre de l’Organisation mondiale du commerce et donc un pays de l’Union. Cependant, la registraire a statué que HBL n’avait pas produit des éléments de preuve suffisants permettant raisonnablement de conclure que sa marque de commerce était devenue bien connue au Canada par suite de l’annonce de HBL. 

 

[28]           HBL a donné un seul exemple concret d’annonce au Canada, soit une annonce dans le Daily Dawn du 22 juillet 1990. Elle n’a produit aucune preuve de la mise en circulation de cette publication.

 

[29]           La demanderesse a soutenu que la registraire aurait dû accorder du poids à l’affirmation de M. Dar selon laquelle l’ouverture avait été [TRADUCTION] « largement annoncée dans de nombreux journaux. » Je ne souscris pas à cette affirmation. L’affirmation de M. Dar est vague; elle ne comporte même pas d’énumération des différents journaux en question. Bien que l’expression [TRADUCTION] « de nombreux » signifie, par hypothèse, plus qu’un, elle demeure, même prise au mot, une expression foncièrement subjective et, par conséquent, une preuve mince sur laquelle fonder une prétention. En outre, cette affirmation de M. Dar ne démontre pas que les annonces en question comportaient un emploi de la marque de commerce.

 

[30]           En outre, il était raisonnable que la registraire exige une preuve de mise en circulation. HBL ne peut pas démontrer que sa marque de commerce est devenue « bien connue » au Canada sans produire aucun élément de preuve indiquant que la marque de commerce a été diffusée assez largement.

 

[31]           HBL reproche à la registraire de ne pas avoir mentionné le critère juridique de la confusion et de ne pas avoir tenu compte de toutes les circonstances de l’espèce comme l’exige le paragraphe 6(5) de la Loi. Cependant, étant donné que la marque de commerce de HBL n’a pas été révélée au Canada, l’opposition fondée sur l’alinéa 16(1)a) ne pouvait pas être retenue peu importe qu’il y ait eu confusion ou non. Puisqu’elle a rejeté l’opposition au stade de la question probatoire préliminaire, la registraire n’était pas tenue d’examiner la question de la confusion. 

 

[32]           HBL soutient qu’il y a une preuve de confusion réelle parce qu’un des clients de HCB a affirmé qu’il avait décidé de faire affaire avec HCB à cause de l’expérience positive de son père en Inde.

 

[33]           La registraire a affirmé avec raison que cette preuve était non confirmée, anecdotique et non fiable. Bien que rien n’empêche d’admettre les témoignages personnels, cette preuve était du ouî-dire et ni l’une ni l’autre des parties ne peut exprimer d’avis quant à son exactitude. Chose importante, HBL et HBZ étaient encore des entités liées à l’époque pertinente. Le client a affirmé que son père avait fait affaire avec [TRADUCTION] « eux ». Il pouvait s’agir là d’une allusion à la famille Habib, plutôt qu’à une banque précise, qui contrôlait à la fois HBL et HBZ à cette époque. La famille Habib contrôle encore HBZ. L’article du Toronto Star ne démontre pas l’existence d’une confusion au point de rendre déraisonnable la décision de la registraire sur ce point. 

 

            Le caractère distinctif

 

[34]           HBL soutient que les marques de commerce ne sont pas distinctives en ce qu’elles ne distinguent pas effectivement ni ne sont adaptées à distinguer les services de HBZ des services de HBL en date du 10 mars 2006, soit à la date de production de la déclaration d’opposition. Encore une fois, la registraire a statué que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve initial en ce qui a trait à ce motif d’opposition.

 

[35]           Dans la décision Bojangles' International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657,  au paragraphe 33, le juge Simon Noël a exposé un résumé utile du droit sur cette question :

(1)           La charge de la preuve incombe à la partie qui allègue que la réputation de sa marque empêche la marque de l’autre partie d’être distinctive.

(2)           Toutefois, il incombe encore à l’auteur de la demande d’enregistrement de prouver que sa marque est distinctive.

(3)           Une marque devrait être connue au Canada au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque.

(4)           Subsidiairement, une marque pourrait annuler le caractère distinctif d’une autre marque si elle est bien connue dans une région précise du Canada.

(5)           Le propriétaire d’une marque de commerce étrangère ne peut pas simplement affirmer que sa marque de commerce est connue au Canada; il doit plutôt présenter une preuve claire à ce sujet.

(6)           La réputation de la marque peut être prouvée par n’importe quel moyen; elle n’est pas limitée aux moyens précis mentionnés à l’article 5 de la Loi; il appartient au décideur de soupeser la preuve sur une base individuelle.

 

[36]           En outre, le juge Noël expliquait que connu « au moins jusqu’à un certain point » signifie connu de manière importante, significative ou suffisante. Il n’est pas nécessaire que la marque soit « connue d’un grand nombre ». Le caractère distinctif tient à la question de savoir si la marque de commerce de l’opposante est connue dans « une région précise au Canada ». HBL soutient qu’une population précise au Canada, à savoir les Sud-Asiatiques, devrait également satisfaire au critère. Subsidiairement, HBL demande à la Cour de prendre connaissance d’office du fait qu’il y a une population sud-asiatique importante dans la région du Grand Toronto (RGT). Puisque j’ai conclu que la registraire avait raisonnablement estimé que HBL ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve initial, je n’ai pas besoin de trancher cette question.

 

[37]           La registraire a examiné les éléments de preuve reliés à la question de savoir si la marque était connue au Canada. HBL avait exploité un bureau de représentation à Mississauga, en Ontario, entre juillet 1990 et juin 1991. En outre, il y avait cinq transactions en 2004 qui mettaient en cause une banque canadienne tierce. Dans les deux cas, il n’y avait aucun élément de preuve qui indiquait que la marque de commerce de HBL avait été employée sauf dans l’annonce susmentionnée parue dans le Daily Dawn

 

[38]           À mon avis, il était raisonnable que la registraire conclue que ces exemples ne remplissaient pas le fardeau de preuve initial. La registraire a expliqué que la preuve était mince et trop éloignée dans le temps par rapport à la date pertinente. Le bureau de représentation a fermé 14 ans avant le 10 mars 2006.

 

[39]           HBL invoque également les éléments de preuve qui indiquent que beaucoup de personnes situées au Canada consultent son site Web. Cependant, ses éléments de preuve à cet égard datent de novembre 2006 à février 2008 et sont donc postérieurs à la date pertinente du 10 mars 2006. HBL invoque aussi les éléments de preuve qui indiquent que 460 titulaires de comptes détenus auprès de HBL résident au Canada. Encore une fois, ces éléments de preuve sont datés du 23 mars 2007 et sont donc eux aussi postérieurs à la date pertinente.

 

[40]           HBL invoque le contre-interrogatoire de M. Hassan au soutien de sa prétention selon laquelle HBL jouit d’une solide réputation au sein de la communauté sud-asiatique. M. Hassan a affirmé que [TRADUCTION] « La famille Habib était très éminente au Pakistan […] si vous viviez au Pakistan, vous ne pouviez pas manquer de voir le nom Habib ». M. Hassan a affirmé qu’[TRADUCTION] « il se pouvait » que des Sud-Asiatiques aient fait affaire avec HBL auparavant. 

 

[41]           La registraire n’a pas considéré que ces éléments de preuve pouvaient établir que la marque de commerce de HBL était suffisamment connue au Canada. J’estime que l’analyse de la registraire était raisonnable. Selon le témoignage de M. Hassan, le nom Habib est connu des immigrants sud‑asiatiques. Cela ne prouve pas que la marque de commerce HBL était également connue. M. Hassan n’a pas affirmé que des immigrants sud-asiatiques avaient fait affaire antérieurement avec HBL ni, chose plus importante, qu’ils connaissaient la marque de commerce de HBL.

 

[42]           Il a été soutenu que la registraire avait commis une erreur lorsqu’elle avait exigé que HBL établisse que, selon les critères de la décision Bojangles, sa marque de commerce était soit « connue » généralement au Canada (3e critère de la décision Bojangles) ou « bien connue » dans une région précise du Canada (4e critère de la décision Bojangles). La demanderesse soutient que la preuve d’un marché démographique précis, directement ciblé, pourrait annuler le caractère distinctif d’une autre marque, sans égard à aucune considération d’ordre géographique. En l’espèce, les Sud Asiatiques, dont bon nombre vivent dans la RGT, reconnaîtraient HBL en raison de leur pays d’origine ou de l’expérience passée de leur famille.

 

[43]           La registraire n’a pas rejeté cet argument au motif qu’il n’était pas valable en droit; elle a plutôt affirmé que, bien qu’il soit novateur, il n’était pas étayé par la preuve :

[Traduction]

 

La Requérante soutient que cette approche juridique, qui n’a rien de nouveau, est tout simplement erronée en droit. Je n’ai cependant pas à me prononcer sur ce point puisque j’estime que l’Opposante n’a pas présenté de preuve établissant que ses marques/noms ont acquis une réputation suffisante dans une partie importante de la population canadienne. Il n’y a aucune preuve concernant la taille de la communauté sud-asiatique au Canada ni aucun témoignage de la part de membres de cette communauté concernant leur connaissance de l’emploi à l’étranger des marques/noms de l’Opposante par celle-ci. Comme il est indiqué au paragraphe 33 de la décision Bojangles’, « [l]e propriétaire d’une marque de commerce étrangère ne peut pas simplement affirmer que sa marque de commerce est connue au Canada; il doit plutôt présenter une preuve claire à ce sujet ».

 

[44]           Ces conclusions sont bien ancrées dans la preuve et je ne m’y immiscerai pas. Je n’ai pas trouvé utile la décision Cheung Kong (Holdings) Ltd. c Living Realty Inc., [2000] 2 CF 501, puisque dans cette affaire, la source de confusion, soit l’emploi de caractères chinois dans une marque, ne touchait que la personne ordinaire susceptible de consommer les marchandises ou les services en question, et donc les personnes qui pouvaient lire le chinois.

 

[45]           HBL invoque la décision Motel 6, Inc c No 6 Motel Limited and John Van Edmond Beachcroft Hawthorn, [1982] 1 CF 638, une affaire où le motif d’opposition de l’opposante fondé sur le caractère distinctif de la marque a été accueilli. HBL fait remarquer que :

Le moyen tiré du caractère non distinctif n'est pas limité à l'exécution réelle des services au Canada comme le cas d'une revendication en emploi antérieur sous le régime de l’article 4. Il peut être aussi fondé sur la preuve d'une connaissance ou notoriété de la marque rivale acquise par le bouche à oreille et sur la preuve d'une notoriété et d'une renommée obtenues par voie d'articles de journaux ou de magazines plutôt que par de la publicité. Peuvent être pris en compte tous les éléments de preuve pertinents tendant à établir le caractère non distinctif.

 

 

[46]           Dans cette affaire, « c’[était] précisément à cause de l’existence du nom, de la marque et de la réputation de la demanderesse que la défenderesse [avait] adopté le nom “Motel 6 »

 

[47]           À mon avis, la décision Motel 6 n’est d’aucun secours à HBL. HBZ n’a pas adopté les marques de commerce à cause de l’achalandage développé auparavant par HBL. En effet, HBZ a ses propres liens légitimes avec le nom Habib et la réputation qui s’y rattache. L’entente entre HBL et HBZ le confirme.

 

            Emploi sans licence par un tiers

 

[48]           La registraire a refusé d’examiner la prétention de HBL selon laquelle les marques de commerce de HBZ n’étaient pas distinctives parce qu’il n’avait pas été démontré que l’emploi de la marque par HCB en vertu d’une licence avait profité à HBZ, comme l’exige l’article 50 de la Loi. La registraire a souligné que cette question n’avait pas été formulée expressément dans les actes de procédure de HBL.

 

[49]           HBL soutient que HBZ a soulevé la question de l’emploi en vertu d’une licence et qu’il était donc équitable que HBL l’aborde dans sa plaidoirie. Les actes de procédure n’étayaient pas cet argument. Une simple déclaration identifiant HCB comme utilisatrice autorisée en vertu d’une licence ne permet pas, en l’absence d’une modification de ses motifs d’opposition par HBL, de soulever des questions reliées à l’article 50 pour la première fois à l’audience : McDonald's Corp. c Coffee Hut Stores Ltd. (CF 1re inst), [1994] ACF no 638, paragraphe 17; confirmé par 68 CPR (3d) 168 (CAF).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-4-12

 

INTITULÉ :                                      HABIB BANK LIMITED c HABIB BANK AG ZURICH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 21 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Antonio Turco

Sarah O'Grady

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kelly Gill

Simon Hitchens

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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