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Date : 20121206

Dossier : IMM‑1008‑12

Référence : 2012 CF 1439

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

TAJ ALDIN EL THAHER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 16 novembre 2011 (la décision) par laquelle un agent d’immigration (l’agent), a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Soudan âgé de 42 ans qui vit actuellement à Toronto. Il est arrivé au Canada et y a déposé une demande d’asile le 24 juin 2003. Sa demande a été rejetée le 20 avril 2005.

 

[3]               Le demandeur a déposé le 4 décembre 2007 une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a invoqué son établissement au Canada et les risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé au Soudan. À l’appui de sa demande, le demandeur a fourni plusieurs lettres de référence et de soutien de la part d’amis, d’employeurs et de collègues à Toronto de même que des reçus de dons de charité et la preuve qu’il avait poursuivi ses études pendant qu’il se trouvait au Canada. Les auteurs de ces lettres faisaient ressortir l’engagement du demandeur dans le domaine du bénévolat, sa solide éthique du travail et son empathie naturelle.

 

[4]               Dans une lettre rédigée par l’employeur du demandeur, Forensic Support Services Inc., datée du 30 octobre 2007, son président, Dennis Brooks, déclarait que le demandeur possédait une [traduction] « solide éthique de travail » et qu’il avait « mérité à maintes reprises sa confiance ». Monsieur Brooks poursuivait aussi en soulignant ce qui suit : [traduction] « ... [I]l a contribué à combler les besoins de nombreuses personnes aux prises avec des problèmes d’itinérance, de santé mentale et de toxicomanie. Taj a toujours relevé ce défi grâce à un esprit compréhensif, à d’excellentes aptitudes en relations interpersonnelles et à un très bon sens de l’humour. »

 

[5]               Ont aussi été incorporées au dossier une lettre de la Scott Mission, exposant le rôle du demandeur dans son programme de popote roulante [Meals on Wheels], une seconde de l’Arab Community Centre de Toronto qui décrit le travail administratif bénévole effectué par le demandeur, de même qu’une troisième du St. Felix Centre qui mentionne le travail du demandeur dans la cuisine de l’organisme. Selon le directeur exécutif du St. Felix Centre, [traduction] « Taj est un bénévole à l’esprit positif, travaillant, ponctuel et dévoué dont nous reconnaissons la très grande valeur ».

 

[6]               Grâce à son emploi, le demandeur a participé aux activités d’une organisation appelée Lawyers Feed the Hungry. Voici un extrait de la lettre de soutien rédigée par Jay Brecher, le coordonnateur bénévole, à l’appui du demandeur. Il y expliquait que ce dernier avait travaillé [traduction] « avec des dizaines de préposés à la sécurité et [qu’il était] nettement ressorti comme le plus appliqué, le plus fiable et le plus travaillant entre eux ». Voici d’autres explications fournies par M. Brecher :

[traduction]

Taj arrive habituellement avant 6 h et travaille activement à la préparation de sacs à lunch avec les bénévoles pour les invités, même si cela ne fait pas partie de ses tâches de gardien de sécurité [...] Taj a aussi une attitude extrêmement positive. À mon avis, le Canada a besoin de plus de personnes comme Taj, des gens travaillants, empathiques et optimistes. Par conséquent, j’appuie sans réserve sa demande en vue de l’obtention de la résidence permanente et j’espère qu’il obtiendra finalement la citoyenneté canadienne...

 

 

Le demandeur a aussi fourni une lettre de la Sudanese Community Association de l’Ontario datée du 7 novembre 2007 selon laquelle le demandeur est un [traduction] « membre très actif et très utile ». L’auteur de la lettre poursuivait en soulignant que le demandeur [traduction] « avait toujours fait preuve d’initiative pour aider la collectivité et ses membres et qu’il n’avait jamais reculé devant les efforts pour venir en aide à la collectivité, sans lésiner sur les moyens ».

 

[7]               Des amis et des membres de la collectivité ont aussi rédigé des lettres faisant état des liens entre le demandeur et cette dernière. Dans une lettre datée du 26 novembre 2007, Yasir Elsayid, un ami du demandeur, déclarait que le demandeur avait joué un rôle très actif et très utile dans le groupe communautaire local envers lequel ils sont engagés et qu’il avait déjà préparé et distribué un repas à plus de 25 personnes pendant la période du ramadan. De l’avis d’Earl Babb, ami et ex‑propriétaire du demandeur, le demandeur est [traduction] « sérieux, honnête, fiable et ponctuel ». Selon un autre ami, George Vincze, le demandeur est [traduction] « une personne exceptionnelle, loyale et affable » et, une amie, Lauren Bailey, jugeait le demandeur [traduction] « honnête, agréable à vivre et digne de confiance ». Gary Blaize, ami et collègue de travail, a écrit dans sa lettre qu’il demandait souvent des conseils au demandeur et que les deux hommes avaient tissé de solides liens d’amitié. Il y affirmait aimer chez le demandeur [traduction] « le sens de l’honneur, la maturité, la vision positive de la vie, l’amour du travail et le respect à l’égard de notre mode de vie ».

 

[8]               Le demandeur a aussi soumis des certificats du George Brown College of Applied Arts and Technology démontrant qu’il a réussi des cours d’anglais, de mathématiques et d’initiation à l’ordinateur ainsi qu’une lettre de son professeur d’anglais langue seconde qui confirmait ses nombreuses qualités positives, comme son intérêt à l’égard des autres cultures et des autres religions. Il a aussi soumis des lettres attestant ses dons à des organisations comme le Sick Kids Children Hospital, la Police Association of Ontario et l’Association canadienne des chefs de pompiers.

 

[9]               Le demandeur a aussi déposé des documents relatifs à la situation au Soudan. Les documents proviennent de sources différentes, comme Amnesty International, Human Rights Watch et des articles de journaux; la plupart d’entre eux datent de 2010 et de 2011. Le demandeur a mis à jour en octobre 2010 et en septembre 2011 les documents présentés.

 

[10]           L’agent a tenu compte des observations du demandeur et a rejeté sa demande le 9 septembre 2011. L’agent a informé le demandeur de la décision dans une lettre datée du 21 septembre 2011 (la lettre de refus).

 

Décision faisant l’objet du contrôle

 

[11]           La décision en l’espèce est composée à la fois de la lettre de refus et des motifs de la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (les motifs) que l’agent a signés le 16 novembre 2011.

 

[12]           L’agent a passé en revue les données biographiques du demandeur et ses antécédents en matière d’immigration. La demande était fondée sur l’établissement du demandeur au Canada et les risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé au Soudan. L’agent a précisé qu’il incombait au demandeur de démontrer que les difficultés qu’il devrait surmonter pour obtenir un visa de résident permanent à partir de l’étranger seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Établissement au Canada

 

[13]           L’agent a tiré une inférence défavorable de la période de chômage du demandeur entre son arrivée au Canada et le mois d’avril 2005. Le demandeur n’avait pas fourni de renseignements sur ses moyens de subsistance au cours de cette période. L’agent a cependant accordé une attention particulière à l’emploi que le demandeur a trouvé et à sa capacité de subvenir financièrement à ses besoins de même qu’à la lettre de référence de son employeur actuel.

 

[14]           L’agent a tenu compte des lettres d’appui provenant de membres de la collectivité et il a accordé une attention particulière à ses activités de bénévolat. L’agent a souligné la participation du demandeur aux activités de l’organisation Lawyers Feed the Hungry et le fait qu’il avait préparé des sandwichs et donné de son temps au projet. L’agent a précisé que les lettres de recommandation figuraient au dossier.

 

Situation dans le pays

 

[15]           L’agent a rappelé que, selon les conclusions tirées par la SPR après l’audience relative à la demande d’asile du demandeur, les allégations de participation à des activités politiques de ce dernier n’étaient pas vraisemblables. Il a aussi conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit persécuté du fait de son origine ethnique étant donné que la preuve ne démontrait pas que des personnes étaient persécutées uniquement parce qu’elles appartenaient en partie à l’ethnie Nuba et en partie à l’Ethnie Zandé. L’agent a aussi établi qu’une lettre rédigée par le frère du demandeur selon laquelle des fonctionnaires s’étaient rendus à son domicile pour s’informer au sujet des allées et venues du demandeur était vague et floue. L’agent souligne que le frère du demandeur a le même profil ethnique, mais qu’il n’a pas déclaré avoir été exposé à des difficultés à cet égard.

 

[16]           L’agent a aussi tenu compte de documents sur la situation dans le pays qu’il a trouvés dans le cadre de sa propre recherche à même des sources publiques. Il a pris connaissance de l’historique de la guerre civile au Soudan et a cité des documents de 2006 et de 2007 selon lesquels le Soudan était doté de l’une des économies africaines dont la croissance était la plus rapide. L’agent a indiqué que les violations des droits de la personne survenaient principalement dans le sud du Soudan et dans la région du Darfour; or, aucun des endroits où le demandeur serait susceptible d’habiter, soit Khartoum ou Port‑Soudan, ne se trouve dans ces régions.

 

[17]           L’agent a également souligné que, selon une lettre de la Nuba Mountain International Association du Canada, les demandeurs d’asile courent des risques s’ils sont renvoyés au Soudan, mais l’Association ne fournissait pas de données objectives pour justifier cette affirmation. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré de quelle façon la situation au Soudan était liée aux difficultés personnelles auxquelles il serait exposé.

 

[18]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il demandait la résidence permanente à partir de l’étranger. Le demandeur avait acquis des compétences transférables pendant qu’il était au Canada, qu’il était né au Soudan et y avait été élevé et que sa famille y vivait encore. La décision du demandeur de demeurer au Canada après le rejet de sa demande d’asile en avril 2005 n’était pas indépendante de sa volonté et il lui incombait de s’établir au Canada pendant cette période. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui justifieraient une exemption de l’application des exigences de la Loi.

 

Questions en LITIGE

 

[19]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande :

                    i.                        L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui démontraient l’établissement du demandeur au Canada?

                  ii.                        L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour de révision est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs dont est composée l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[21]           Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a statué que, dans les cas de contrôle d’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (au paragraphe 62). Le juge John O’Keefe a suivi ce principe dans Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1133, au paragraphe 41. La norme de contrôle applicable à ces deux questions est celle de la décision raisonnable.

 

[22]           Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, l’analyse porte sur « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait intervenir seulement si la décision n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[23]           La disposition suivante de la Loi s’applique en l’espèce.

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

ARGUMENTS

Le demandeur

Établissement au Canada

 

[24]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas effectué une analyse raisonnable de son établissement au Canada. Comme le juge Michael Kelen le soulignait au paragraphe 5 de la décision Kaybaki c Canada (Procureur général du Canada), 2004 CF 32, « la présomption selon laquelle le décideur a tenu compte de tous les faits est une présomption réfutable et, lorsque la valeur probante des faits en question est significative, la Cour peut considérer défavorablement l’absence de mention des faits en question dans les motifs du décideur ».

 

[25]           Le demandeur invoque aussi la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 15 à 17 :

La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

 

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut‑être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[26]           L’agent a déclaré que les activités de bénévolat du demandeur de même que sa capacité d’être autonome sur le plan financier avaient reçu une [traduction] « attention particulière », mais il a poursuivi en soulignant [traduction] « qu’il est prévu que les personnes qui cherchent à bénéficier des programmes d’immigration et de protection des réfugiés du Canada démontrent un certain degré d’établissement pendant cette période... ». Le demandeur soutient que le simple fait qu’il soit demeuré au Canada après le rejet de sa demande d’asile n’enlève rien à la preuve qu’il a établie au sujet des difficultés auxquelles il serait exposé s’il était renvoyé au Soudan.

 

[27]           Le demandeur a fourni de nombreux éléments de preuve pour établir les difficultés auxquelles il serait exposé s’il était déraciné de sa collectivité au Canada. L’agent a rejeté ces éléments de preuve, sans tenir compte des nombreuses observations et lettres d’appui du demandeur, ce qui était déraisonnable. Les lettres soumises par le demandeur avaient un ton extrêmement positif et militaient fortement en faveur de sa demande. Le demandeur énumère les exemples ci‑après qui ne sont pas mentionnés dans la décision :

 

                     Une lettre de la Sudanese Community Association of Ontario, décrivant le demandeur comme un [traduction] « membre très actif et très utile » et précisant que son apport avait été [traduction] « vraiment substantiel ».

 

                     Une lettre de l’employeur du demandeur décrivant favorablement son travail auprès de personnes itinérantes et de personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie.

 

                     Une lettre du directeur général du Felix Community Centre décrivant comme suit le demandeur : « [U]n bénévole à l’esprit positif, travaillant, ponctuel et dévoué dont nous reconnaissons la très grande valeur. »

 

                     Une lettre du professeur du demandeur, qui vantait sa capacité d’apprécier à leur juste valeur les diverses cultures et croyances religieuses qui forment le tissu de la ville de Toronto.

 

                     Une lettre de Jay Brecher, coordonnateur des bénévoles à l’organisation Lawyers Feed the Hungry, dont voici un extrait : [traduction] « ... [L]e Canada a besoin de plus de personnes comme Taj, des gens travaillants, empathiques et optimistes... Le simple fait de savoir que le Canada ouvre ses portes à des personnes qui possèdent des qualités exceptionnelles comme Taj Eltaher me rend très fier d’être Canadien. »

 

                     Voici un extrait d’une lettre d’un collègue du demandeur : [traduction] « [L]’absence de Taj dans nos vies serait une grande perte pour moi‑même et bien d’autres personnes. »

 

                     Bien d’autres lettres d’amis et collègues du demandeur exprimant leur soutien à son égard et confirmant les liens solides qui le rattachent à la collectivité.

 

[28]           Selon le demandeur, ces lettres ne montrent pas simplement qu’il a occupé un emploi rémunéré et qu’il a fait du bénévolat dans la collectivité; elles démontrent que l’intégration du demandeur à la collectivité est telle que son déracinement l’exposerait à des difficultés excessives. L’agent n’a pas tenu compte de cet élément et a simplement mentionné avoir accordé une [traduction] « attention particulière » à ces observations; il ne s’est pas livré à une analyse des difficultés qu’entrainerait le déracinement du demandeur de la collectivité.

 

[29]           L’agent a pris note des antécédents de travail et des activités de bénévolat du demandeur et a ajouté que [traduction] « les observations comprennent des références et des lettres d’appui de collègues et d’amis de la collectivité ». C’est la seule mention qu’a faite l’agent de ces relations. Or, les observations du demandeur étaient nombreuses et couvraient une période de quatre ans; malgré cela, l’agent n’en a pas tenu compte. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas saisi l’essence même des lettres, soit démontrer, étant donné l’intégration du demandeur à la société canadienne, que son renvoi entrainerait des difficultés importantes pour lui‑même et d’autres membres de la collectivité.

 

[30]           Le demandeur soutient qu’il a explicitement déclaré dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il avait établi des liens importants avec la collectivité; or, cet élément important des difficultés auxquelles il serait exposé en cas de renvoi n’a pas du tout été abordé par l’agent. Le demandeur a aussi mentionné spécifiquement ses dons de charité et les cours de langue qu’il a suivis, mais ces éléments ont été simplement cités de façon accessoire dans la décision.

 

[31]           Selon le demandeur, il est vrai que l’agent n’est pas tenu de mentionner chaque document qui fait partie du dossier de la preuve mais, en l’espèce, il a omis d’évaluer un élément essentiel de la demande et a laissé de côté une grande partie des éléments de preuve pertinents. Le degré élevé d’intégration du demandeur au Canada était un élément important des observations du demandeur quant aux difficultés auxquelles il serait exposé et rien ne permet de conclure que cet élément essentiel a été abordé. Le demandeur estime donc que, pour cette raison, la décision est déraisonnable.

 

[32]           Le demandeur soutient aussi que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que le demandeur n’était pas mieux établi au Canada que le serait toute personne y ayant vécu pendant la même période, sans prendre en compte de quelque façon que ce soit la situation particulière du demandeur. La Cour fédérale a déjà statué que le défaut de tenir compte de la situation personnelle des demandeurs constituait une erreur susceptible de contrôle (voir Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CPPI 804; Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CPPI 385).

 

[33]           De plus, le demandeur souligne qu’il a déposé sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 2007. Il allègue que sa situation est semblable à celle qui est visée dans l’affaire Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 316 [Lin], où la Cour énonçait notamment ce qui suit au paragraphe 3 : « [L]a demanderesse et le défendeur ont une responsabilité partagée à l’égard du statut de l’intéressée au Canada. » Le demandeur ajoute que le défaut du défendeur de rendre une décision pendant une période de près de quatre ans est déraisonnable en soi; de plus, ce délai ne peut être invoqué pour réduire la valeur du degré élevé d’intégration à la société que le demandeur a réussi à atteindre.

 

[34]           Le demandeur allègue que sa situation ne correspond pas à la définition que présente le manuel IP‑5 de Citoyenneté et Immigration Canada de ce que constituent « des circonstances indépendantes de [la] volonté » d’un demandeur. Rien ne démontre que le demandeur n’a pas collaboré avec les fonctionnaires de l’immigration; de plus, il a tenté de régulariser sa situation. Il a produit ses déclarations de revenus à l’Agence du revenu du Canada. Comme il est mentionné au paragraphe 3 de la décision Lin, « la demanderesse a naturellement continué pendant ce temps à s’enraciner au Canada; elle n’a pas accepté un risque en agissant ainsi, elle a simplement tenté de continuer à vivre normalement en attendant ».

 

Situation dans le pays

 

[35]           Le demandeur allègue de plus que l’agent a lu de façon sélective les données sur la situation dans le pays et qu’il n’a pas accordé d’attention aux éléments négatifs liés à cette situation qui ont été soumis par le demandeur. L’agent a souligné que des éléments de preuve démontrent l’existence de violations des droits de la personne au Soudan [traduction] « relativement aux conflits qui ont surgi dans les États du sud du pays et au Darfour ». Étant donné que le demandeur ne retournera vraisemblablement pas dans l’un de ces endroits, l’agent a simplement rejeté toutes les données négatives sur la situation dans le pays, ce qui n’était pas raisonnable.

 

[36]           Les observations du demandeur comprenaient de nombreux documents sur la situation au Soudan et il les a mis à jour périodiquement. La dernière mise à jour, qui datait de septembre 2011, contenait de nombreux articles de sources fiables. L’agent n’a mentionné aucun de ces documents, mais il a effectué sa propre recherche sur la situation dans le pays.

 

[37]           Dans tous les documents qui ont été pris en compte, l’agent n’a choisi que certains éléments. Ces articles portaient sur le Kordofan‑Sud et le Darfour, mais contenaient aussi des renseignements sur le nord du Soudan. Par exemple, l’organisme Human Rights Watch, dans une lettre adressée au Conseil de sécurité des Nations Unies datée du 12 mai 2011, se disait [traduction] « très inquiète et appelait les autorités compétentes à faire cesser l’utilisation accrue de la détention arbitraire, de la torture et d’autres formes de mauvais traitements ainsi que de l’usage excessif de la force pour réprimer les droits civils et politiques fondamentaux d’expression et de réunion dans tout le nord du Soudan ». Selon un autre article de Human Rights Watch, daté du 6 juin 2011, des personnes déplacées étaient détenues au Darfour et à Khartoum. Or, l’agent avait désigné Khartoum comme un lieu de résidence potentiel du demandeur.

 

[38]           Lorsqu’il a affirmé que l’économie du Soudan était prospère, l’agent a aussi cité des sources de 2006 et de 2007. Il avait à sa disposition des documents comme le rapport du Département d’État des États‑Unis sur les droits de la personne au Soudan en 2011 [US Department of State Report on Human Rights : Sudan for 2011] [Rapport du Département d’État américain], de sorte qu’il n’était pas raisonnable d’accorder autant de valeur à des documents datant de 2006 et de 2007. En fait, le Rapport du Département d’État américain précise nommément que des incidents impliquant l’arrestation et la torture de militants à Khartoum s’étaient déroulés et cite de nombreux rapports sur les assassinats arbitraires perpétrés par des agents de l’État.

 

[39]           Le demandeur soutient que la décision est erronée de la même façon que celle qui avait été prise dans Vallenilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 433 :

13.       Je suis également d’accord avec les demandeurs pour dire que le tribunal semble avoir négligé des éléments de preuve importants qui contredisent ses conclusions sur la question de la protection de l’État et qu’il a donc commis une erreur susceptible de contrôle (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264). Il a cité de longs passages du rapport du Département d’État sur le Venezuela à l’appui de ses conclusions selon lesquelles le Venezuela est un pays démocratique en mesure de protéger ses citoyens, mais il a omis de mentionner d’autres passages plus pertinents. Le rapport du Département d’État déclare que la [traduction] « [p]olitisation de la magistrature et le harcèlement exercé par les autorités [...] auprès des opposants politiques ont continué à définir la situation des droits de la personne » dans ce pays. Il a également expressément mentionné les troubles violents lors des marches et des manifestations d’opposition – lesquels troubles avaient été causés par les partisans du gouvernement et les forces de sécurité – au cours desquelles des centaines de personnes ont été blessées.

 

14.       Comme l’a déclaré le juge John Evans au paragraphe 17 de la décision Cepeda‑Gutierrez, précitée, « quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait ».Une telle inférence est justifiée en l’espèce.

 

15.       En effet, dans une affaire récente dans laquelle, comme en l’espèce, la preuve contradictoire négligée par le décideur se trouvait dans le même document sur lequel il s’est fondé pour étayer sa conclusion, le juge James Russell a conclu qu’« [u]ne analyse de la preuve dont disposait la Commission révèle le caractère extrêmement sélectif de la Commission dans le choix de la preuve sur laquelle elle s’est fondée pour étayer ses conclusions, lesquelles pourraient bien être contredites par la preuve dans son ensemble ». (Prekaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1047, 85 Imm. L.R. (3d) 124, paragraphe 26; voir aussi Sinnasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 67, 68 Imm. L.R. (3d) 246, paragraphe 33).

 

[40]           En résumé, le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents relatifs à la situation au Soudan qui étaient contraires à ses conclusions. L’agent a aussi, de façon déraisonnable, accordé de la valeur à des documents de 2006 et 2007 alors que de nombreux documents récents et fiables existaient. L’agent n’a pas évalué de façon raisonnable les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé à son retour au Soudan et ce dernier demande que, pour ce motif, la décision soit annulée.

 

Le défendeur

 

[41]           Le défendeur soutient que les arguments du demandeur doivent être examinés dans le contexte particulier des dispositions législatives qui régissent les décisions relatives à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur nous rappelle qu’un examen fondé sur ces motifs permet à l’intéressé de bénéficier d’une évaluation particulière et supplémentaire en vue d’une exemption de l’application des lois canadiennes sur l’immigration et qu’une décision défavorable n’enlève à l’intéressé aucun des droits qu’il possède déjà (Vidal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 13 Imm LR (2d) 123; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 457 (CAF). Une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a un caractère exceptionnel et nettement discrétionnaire (Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 10 Imm LR (3d) 206 (FCTD) [Irimie]) et, en l’espèce, le demandeur n’a tout simplement pas convaincu l’agent qu’il serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait faire sa demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

 

Établissement

 

[42]           Une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne concerne pas la question de l’établissement. En effet, ce dernier est simplement l’un des nombreux facteurs à prendre en compte (Irimie, précitée). Voici le paragraphe 20 de la décision Irimie :

Il serait possible de considérer que ces lignes directrices limitent le pouvoir discrétionnaire que possède le décideur au sujet des circonstances dans lesquelles l’établissement peut être considéré comme un facteur aux fins de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire. En l’absence d’un élément autre que les lignes directrices elles‑mêmes, je ne puis être d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils disent que l’agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était tenue d’accorder une certaine importance au degré d’établissement au Canada. Il s’agit d’un facteur dont il faut tenir compte, mais ce n’est pas et cela ne peut pas être le facteur déterminant qui l’emporte sur tous les autres. Le degré d’attachement se rapporte à la question de savoir si la difficulté découlant du fait qu’une personne doit quitter le Canada est inhabituelle ou excessive. Il n’a pas pour effet de régler ces questions.

 

Le défendeur soutient que la question de l’établissement n’est pas suffisante pour disposer de la demande.

 

[43]           De plus, le poids relatif d’un facteur donné, en l’espèce l’établissement au Canada, relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent (Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1391). C’est une question à l’égard de laquelle il faut faire preuve de déférence (Khosa, précité).

 

[44]           En réponse au demandeur qui laisse entendre que l’agent a probablement commis une erreur en n’accueillant pas une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée par une personne possédant des caractéristiques aussi admirables, le défendeur cite les paragraphes 25 et 26 de la décision Davoudifar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 316 :

... lorsque la Cour est invitée à revoir une décision se rapportant à des considérations humanitaires, elle est souvent informée que la personne dont le sort est entre ses mains est un être humain méritant qui a le soutien de la population canadienne à laquelle elle s’est jointe. Je suis sûr que, de l’avis de la population, toute décision obligeant la personne en question à partir doit souvent sembler perverse. Mais, s’il en est ainsi, c’est parce que les lois du Canada ne disent pas qu’il vous est possible de rester au Canada dès lors que vous êtes une personne méritante et un membre apprécié de votre collectivité. Les circonstances de la présente affaire sont assez communes, en ce sens que Mme Davoudifar a développé des liens personnels et des liens avec la collectivité et qu’elle a gagné le respect de beaucoup de gens, et il est évident pour quiconque qu’elle serait beaucoup plus heureuse et se sentirait mieux au Canada et que ceux qu’elle aime et soutient seraient eux aussi plus heureux et se sentiraient mieux si elle restait au Canada.

 

Mais dans cette affaire, comme dans toutes les affaires portant sur l’existence de considérations humanitaires, l’agente devait accomplir une tâche particulière. Il lui incombait de rendre une décision conforme à la jurisprudence applicable...

 

 

[45]           Le demandeur a laissé entendre qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de déclarer que le degré d’établissement résultait en partie des tentatives du demandeur de demeurer au Canada après avoir fait l’objet d’une décision défavorable de la SPR en 2005. Cependant, le demandeur a décidé en toute connaissance de cause de demeurer au Canada, malgré le fait qu’une ordonnance de renvoi valide avait été rendue contre lui. Le juge Yves de Montigny a abordé un argument semblable dans la décision Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 [Serda], aux paragraphes 19, 22 et 23 :

D’un autre côté, le fait qu’il soit sursis à une ordonnance de renvoi jusqu’à l’issue de la demande d’ERAR n’affecte pas la validité de cette mesure de renvoi. Les demandeurs, sachant très bien que plus longtemps ils resteraient au Canada dans l’attente que le processus judiciaire arrive à son terme, plus il serait difficile de retourner dans leur pays d’origine, et sachant qu’il leur avait été ordonné de quitter le pays, ont choisi de rester malgré tout. Cette situation ne s’apparente pas à une « incapacité prolongée à quitter le Canada », l’une des situations où le niveau d’établissement du demandeur au Canada peut être pris en compte, comme le prévoit la section 11.2 du chapitre IP5 du Guide.

 

[...]

 

Les demandeurs s’appuient sur la section 11.2 du chapitre IP5 du Guide, selon lequel le degré d’établissement du demandeur au Canada « peut être un facteur à considérer dans certains cas », notamment dans un cas d’« incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement ». Dans une note figurant dans la même section, il est précisé ce qui suit : « On peut tenir compte de l’établissement du demandeur jusqu’au moment de la décision CH ». L’avocat des demandeurs soutient qu’en l’absence d’un examen approprié et raisonnable de l’établissement, l’agente d’immigration ne pouvait pas raisonnablement évaluer si la famille subirait une difficulté inhabituelle ou injustifiée ou des difficultés démesurées advenant son renvoi en Argentine.

 

Il y a plusieurs manières de répondre à cet argument. Premièrement, le facteur d’intérêt public dont il est question dans le Guide de l’immigration ne lie pas le ministre et ses mandataires (voir Maple Lodge Farms Limited c Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2). Plus important encore, on ne peut pas dire que l’exercice de tous les recours prévus par la LIPR corresponde à des circonstances échappant au contrôle du demandeur. Le demandeur qui se voit refuser le statut de réfugié est parfaitement en droit d’épuiser tous les recours mis à sa disposition par la loi mais il doit savoir que ce faisant, son éventuel renvoi en sera d’autant plus pénible...

 

Le défendeur soutient que le raisonnement tenu dans Serda s’applique en l’espèce.

 

Situation dans le pays

 

[46]           L’agent n’était pas tenu de mentionner dans sa décision tous les éléments de preuve documentaires (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 147 NR 317 (CA)). De plus, il n’est pas nécessaire que les motifs d’un agent administratif soient aussi détaillés que ceux d’un tribunal administratif qui rend sa décision après des audiences en règle (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331; Fabian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527).

 

[47]           Par contre, le défendeur soutient que l’agent a tenu compte des éléments essentiels de la crainte du demandeur d’être renvoyé au Soudan. Plus précisément, l’agent a souligné que la SPR avait jugé non vraisemblables les activités politiques alléguées du demandeur et que ce dernier n’avait pas montré de quelle façon les violations des droits de la personne au Soudan, confirmées par la preuve documentaire, s’appliquaient à sa situation personnelle.

 

[48]           Le défendeur cite l’extrait suivant de la décision Nazim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 125 : « C’est au demandeur qu’il appartient de prouver à l’agent qu’il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l’exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire. » Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas réussi à faire cette preuve en l’espèce et sollicite par conséquent le rejet de la demande.

 

ANALYSE

 

[49]           Le demandeur formule une série d’allégations au sujet des éléments que l’agent a écartés, mais dont il aurait dû tenir compte pour évaluer les difficultés auxquelles il serait exposé. Certaines de ces allégations ont un certain fondement, d’autres non. La Cour doit se demander si les lacunes de la décision dont l’existence peut être démontrée sont suffisantes pour la rendre déraisonnable.

 

[50]           À mon avis, l’argument le plus solide du demandeur tient au fait que le facteur de l’établissement n’a pas été correctement abordé.

 

[51]           Voici de quelle façon l’agent expose ce qu’il a fait :

[traduction]

J’ai lu et pris en compte dans leur totalité la demande d’exemption de l’exigence d’un visa de résident permanent de même que les observations qui l’accompagnaient, sa demande d’ERAR et les observations qui l’accompagnaient de même que les motifs de la décision de la SPR. De plus, j’ai tenu compte de la preuve documentaire que j’ai réunie par ma propre recherche à même des sources publiques.

 

 

[52]           Cependant, la lecture de la décision dans son ensemble me donne à penser que même si l’agent a pu lire les éléments de preuve sur l’établissement, rien n’indique qu’il a bien saisi l’importance de l’établissement du demandeur en l’espèce et, par conséquent, l’ampleur des difficultés auxquelles le demandeur serait vraisemblablement exposé s’il est maintenant tenu de quitter le Canada. Je reconnais avec le défendeur que l’établissement n’est qu’un des facteurs à prendre en compte et à évaluer pour statuer sur la question des difficultés. Je suis aussi d’accord avec le défendeur selon qui le processus d’évaluation de la preuve relève tout à fait de la compétence et du pouvoir discrétionnaire de l’agent et que la Cour doit hésiter beaucoup à intervenir. Cependant, en l’espèce, l’établissement était de toute évidence un aspect très important de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, par conséquent, il exigeait une analyse appropriée. Or, nous n’avons en l’espèce qu’une reconnaissance superficielle de l’établissement auquel une [traduction] « attention particulière » est accordée. Je constate toutefois l’absence d’une évaluation complète du degré d’établissement et des difficultés auxquelles le renvoi est susceptible de donner lieu dans ce contexte.

 

[53]           Le demandeur soutient que ses références et les lettres d’appui étaient extrêmement positives et qu’elles venaient étayer solidement sa demande parce qu’elles révélaient son intégration dans la collectivité à un point tel que son déracinement entrainerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il allègue que l’agent n’a pas tenu compte de cet élément. Je suis d’accord.

 

[54]           Voici le résumé de l’agent sur cette question :

[traduction]

J’ai tenu compte des facteurs mentionnés par le demandeur, tant séparément que cumulativement. Je suis convaincu que les difficultés auxquelles le demandeur pourrait être exposé en quittant le Canada découlent du fonctionnement normal et prévisible de la loi. L’objet de la loi et des politiques publiques n’est pas d’alléger toutes les difficultés; il consiste plutôt à atténuer les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

S’il est vrai que j’ai accordé une attention particulière à certains aspects de la présente demande, je ne suis pas convaincu qu’il s’y trouve des motifs suffisants pour justifier l’intervention exceptionnelle qu’aimerait obtenir le demandeur. Étant donné la preuve dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu que les facteurs en cause équivalent à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui justifieraient une exemption des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

[55]           La décision révèle aussi que l’agent savait qu’il devait soupeser les difficultés qui pourraient résulter de l’établissement du demandeur au Canada comparativement à celles qui l’attendraient au Soudan :

[traduction]

Le retour au Soudan est possible. Les compétences et la formation que le demandeur a pu acquérir au cours de son séjour au Canada (comme sa connaissance de la langue anglaise) se transfèrent assez bien. Le demandeur est né au Soudan et y a été élevé. Il en connaît la langue et la culture. Le demandeur a au Soudan de la famille avec les membres de laquelle il est demeuré en communication. Il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils facilitent sa réintégration, ne serait‑ce que sur le plan émotif.

 

 

[56]           L’analyse du degré d’établissement est absente en l’espèce. Le demandeur estime que ce degré d’établissement est exceptionnel et qu’il entrainerait des difficultés exceptionnelles s’il était renvoyé. Il s’agissait d’un aspect extrêmement important de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent n’était pas tenu d’être d’accord avec le demandeur mais, en ce qui concerne ces faits, je pense qu’il devait expliquer pour quels motifs il était en désaccord.

 

[57]           Le même problème s’est produit dans l’affaire visée par la décision Sebbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 813, dans laquelle l’agent n’avait pas évalué le degré et l’ampleur de l’établissement et n’avait pas dûment tenu compte des difficultés liées à cet établissement. Au paragraphe 21 de la décision Sebbe, le juge Zinn faisait la mise en garde suivante : « [L]a présente affaire commande une analyse et une évaluation du degré d’établissement... et de la mesure dans laquelle cet élément joue en faveur de l’octroi d’une dispense. » Je ne pense pas que ce fut vraiment le cas dans le cadre de la décision que j’examine. Cependant, cela ne signifie pas que je suis d’accord avec les autres motifs invoqués par le demandeur.

 

[58]           Le demandeur affirme aussi que l’agent a commis une erreur en laissant de côté les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays ou en se montrant sélectif à leur sujet. Cependant, en l’espèce, le demandeur ne tient pas compte de la conclusion de l’agent :

[traduction]

Le demandeur a déposé de nombreux articles relatifs à la situation générale au Soudan. Il n’est pas nommé dans les articles et il ne s’est pas informé au sujet de la façon dont la situation dans le pays influence les difficultés auxquelles il disait craindre d’être exposé seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[59]           L’agent prenait en compte les autres éléments de preuve documentaires et reconnaissait que [traduction] « l’existence de violations généralisées des droits de la personne [était] bien étayée » dans les États du sud du pays et au Darfour. Cependant, le problème vient du fait que [traduction] « le demandeur n’a pas indiqué de quelle façon ces violations étaient liées à sa situation personnelle ».

 

[60]           L’agent dit seulement que les articles [traduction] « accordent une attention particulière aux conflits qui se sont déroulés dans les États du sud du pays et au Darfour ». Cela ne signifie pas que l’agent n’a pas tenu compte de la situation à Khartoum, qu’il mentionne pourtant explicitement :

[traduction]

Le demandeur a déjà habité Khartoum et des membres de sa famille habitent encore cette ville; son ex‑épouse a déjà vécu à Port‑Soudan.

 

 

[61]           Comme le souligne le défendeur, l’agent aborde aussi les risques réels auxquels le demandeur dit être exposé s’il était renvoyé au Soudan :

[traduction]

L’allégation du demandeur selon laquelle il aurait participé à des activités politiques a été jugée invraisemblable par la SPR. La preuve qui m’a été présentée ne me permet pas de conclure que la participation du demandeur à des activités politiques au Soudan au cours de la décennie 1990 est telle que son retour dans ce pays l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. La preuve ne permet pas non plus de conclure que l’origine ethnique du demandeur ferait en sorte que son retour au Soudan entrainerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[62]           En d’autres termes, même s’il existe des risques et des violations des droits de la personne à Khartoum, le demandeur n’a pas démontré de quelle façon il serait lui‑même exposé à des risques dans cette ville non plus que l’existence des difficultés qui résulteraient de son obligation d’y retourner. La SPR et un agent chargé de l’ERAR avaient déjà établi qu’il n’était pas exposé à des risques.

 

[63]           À mon avis, la question des difficultés liées aux risques auxquels il serait exposé a été bien abordée par l’agent et je ne pense pas que ce dernier ait laissé de côté ou consulté sélectivement les éléments de preuve pertinents pour le demandeur de même que sa situation ou ses caractéristiques personnelles relativement à cette question.

 

[64]           Le demandeur ajoute que dans son évaluation de la situation au Soudan, l’agent n’a pas tenu compte de documents plus récents. Cependant, il ne dit pas, compte tenu des conclusions de la SPR et de l’agent chargé de l’ERAR, de quelle façon ces documents plus récents montrent qu’il est exposé à des risques ou font état de difficultés qui n’ont pas été prises en compte par l’agent.

 

[65]           Lors de l’audience relative au contrôle judiciaire, le demandeur a affirmé que le traitement qu’a fait l’agent de la lettre de la Nuba Mountain International Association of Canada était déraisonnable. Il allègue que l’agent est passé à côté de la question et qu’il n’a pas tenu compte des risques auxquels il serait exposé lors de son retour au pays en tant que demandeur d’asile débouté.

 

[66]           L’agent a précisément indiqué que l’Association [traduction] « est d’avis que les demandeurs d’asile sont exposés à des risques s’ils sont renvoyés au Soudan »; l’assertion relative à ce risque a donc été pleinement prise en compte.

 

[67]           Selon la position exprimée par l’Association dans sa lettre, le demandeur risque d’être soumis à de mauvais traitements ainsi qu’à [traduction] « la persécution et la torture » parce que « le gouvernement tient tous les demandeurs d’asile et tous les militants soudanais responsables de la décision de la CPI qui a lancé un mandat d’arrestation contre le président soudanais Omar Elbashir ». La lettre invoque aussi [traduction] « la situation actuelle au Soudan et l’arrestation illégale de militants et de citoyens des régions marginalisées ainsi que les mauvais traitements qui leur sont infligés... ».

 

[68]           Selon l’agent, l’opinion de l’Association ne fournit pas [traduction] « un fondement objectif » qui confirme l’existence des risques qu’elle évoque. Je pense que cette affirmation n’est pas déraisonnable et ce, pour plusieurs motifs. D’abord, l’Association n’explique pas de quelle façon elle a pris connaissance de ces renseignements et ce qu’elle a fait pour effectuer le suivi de la situation. De plus, elle formule des hypothèses inspirées des expériences antérieures du demandeur, dont le compte rendu provient de toute évidence du demandeur, et qui ne tiennent pas compte des décisions défavorables de la SPR et de l’agent chargé de l’ERAR à l’égard du demandeur; c’est ce à quoi l’agent, à mon avis, fait allusion dans le passage suivant : « [L]a lettre ne fournit pas de renseignements sur la situation personnelle du demandeur au Soudan... »

 

[69]           Il est clair que l’Association appuie le demandeur – qui est un de ses membres – et qu’elle accepte sa version de ce qu’il a vécu au Soudan.

 

[70]           En dernière analyse, je ne peux pas dire que l’agent a agi de façon déraisonnable en exigeant des éléments de preuve objectifs pour étayer l’assertion selon laquelle le gouvernement du Soudan [traduction« tient tous les demandeurs d’asile et tous les militants soudanais responsables... ».

 

[71]           En conclusion, je pense que le seul motif de contrôle que le demandeur a étayé est le défaut de l’agent d’évaluer raisonnablement toute l’ampleur de son établissement et le degré de difficulté susceptible de résulter de cet aspect du dossier du demandeur. Cependant, étant donné qu’il s’agissait d’un élément tellement important de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, je pense que cette erreur rend la décision déraisonnable et que l’affaire doit faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[72]           L’agent était tenu d’évaluer les éléments de preuve relatifs à l’établissement personnel du demandeur. Comme la juge Elizabeth Heneghan l’a souligné dans la décision Amer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 713 aux paragraphes 11 à 13 :

11 La demanderesse soutient que l’agent a omis de tenir compte de son degré d’établissement au Canada et a commis une erreur en concluant que son établissement n’était pas supérieur à ce qu’on pourrait s’attendre d’une personne qui vit au Canada sans statut depuis plusieurs années. L’agent a mentionné ce qui suit :

 

[traduction]

[...] son degré d’établissement ne dépasse pas le degré normal d’établissement auquel on s’attendrait de la part de demandeurs dans leur situation. Par conséquent, je conclus que l’établissement des demandeurs au Canada n’est pas d’un tel degré que l’obligation de présenter leur demande de résidence permanente de l’étranger constituerait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

[12] Sur le fondement des décisions Raudales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385 (C.F. 1re inst.), et Jamrich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 29 Imm. L.R. (3d) 253 (C.F. 1re inst.), la demanderesse soutient que cette conclusion, tirée sans aucune analyse de sa situation particulière, est erronée. Dans la décision Jamrich, le juge Blais a mentionné ce qui suit au paragraphe 29 :

 

[29] J’estime que la CI en est arrivée à une conclusion de fait qui n’est pas raisonnable : les conclusions de la CI selon laquelle « leur degré d’établissement n’est pas supérieur à celui auquel on peut s’attendre à l’égard d’un réfugié qui aurait eu les mêmes possibilités au Canada » et selon laquelle elle n’est pas convaincue que dans leur cas, « leur degré d’établissement est suffisamment différent ou important pour que l’on puisse dire que la famille Jamrich est mieux établie que toute autre famille qui réside au Canada en attendant que se déroule le processus de détermination du statut de réfugié » sont manifestement déraisonnables, compte tenu des circonstances de l’espèce.

 

[13] La décision Jamrich a été rendue en application de la Loi et du Guide de l’immigration : Traitement des demandes au Canada –5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Je ne vois aucun motif pour ne pas souscrire à l’approche prise par la Cour dans la décision Jamrich et je suis convaincue que la demanderesse a établi que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle dans la façon dont il avait traité la question de l’établissement.

 

 

[73]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier. La Cour est aussi de cet avis.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑1008‑12

 

INTITULÉ :                                                  TAJ ALDIN EL THAHER

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        Le Ministre de la Citoyenneté
et de l’Immigration

 

 

Lieu de l’audience :                          Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                         Le 15 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Et jugement :                                        MONSIEUR le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 6 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

Pour le demandeur

 

Michael Butterfiled

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wazana Law

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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