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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20130116

Dossier : 12-T-81

Référence : 2013 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2013

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

 

GRANT R WILSON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

         ORDONNANCE

 

            VU la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir [traduction] « une prorogation du délai pour déposer une demande d’autorisation “modifiée” de l’appelant »;

 

            VU que le demandeur a été déclaré plaideur quérulent en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi), par ordonnance du juge Robert L. Barnes datée du 20 décembre 2006 (Wilson c Canada (Agence du revenu), 2006 CF 1535, 305 FTR 250) et qu’il a besoin de l’autorisation de la Cour pour engager toute instance devant la Cour;

 

            VU que, dans la même ordonnance, le juge Barnes a rejeté la requête en prorogation du délai pour interjeter appel à l’égard d’une ordonnance de la protonotaire Milczynski datée du 20 avril 2006, par laquelle elle avait rejeté l’action introduite par le demandeur contre l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) et Sa Majesté la Reine (dossier T‑2149-05);

 

            APRÈS AVOIR lu les dossiers de requête des parties et entendu leur plaidoirie;

 

            VU que le dossier de requête du demandeur et les pièces qu’il a déposées à l’appui de sa requête ne sont pas clairs. Cependant, la Cour croit comprendre, selon les pièces du demandeur et ses observations de vive voix, qu’il demande à la Cour de proroger le délai afin de lui permettre de demander l’autorisation de la Cour pour intenter ou pour continuer une instance visant à annuler ou à autrement écarter l’ordonnance du juge Barnes datée du 20 décembre 2006, et à lui donner la possibilité de faire entendre sur le fond l’action qu’il a introduite dans le dossier T-2149-05;

           

            VU que le demandeur a aussi fait part de son désaccord à l’égard de la partie de l’ordonnance du juge Barnes qui l’empêchait d’engager d’autres instances devant la Cour, sauf avec l’autorisation de celle‑ci, comme le prescrit le paragraphe 40(1) de la Loi;

 

            VU que, en vertu du paragraphe 40(4) de la Loi, « le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation »;

 

            VU que de permettre l’introduction de l’instance proposée par le demandeur constituerait un abus du processus judiciaire, et que l’instance proposée est dénuée de toute chance de succès et que, par conséquent, la Cour n’accordera pas la prorogation du délai;

 

           

Explications

 

            Le demandeur a un différend de longue date avec l’Agence au sujet de la décision par laquelle elle a annulé un remboursement d’impôt de 495 159,06 $ et saisi cette somme de son compte bancaire en 1991.

 

            Le demandeur prétend que, malgré toutes ses tentatives, la Cour n’a jamais entendu questions de fond qu’il soulevait dans les actions qu’il avait intentées contre l’Agence, ni rendu de décision sur leur bien-fondé. Il prétend que la seule chose qu’il demande est l’autorisation de la Cour pour que sa demande contre l’Agence et Sa Majesté la Reine (les défenderesses) dans le dossier T‑2149‑05 soit enfin instruite sur le fond. Il prétend aussi que c’est à tort que le juge Barnes l’a déclaré plaideur quérulent.

 

            Le demandeur a raison lorsqu’il affirme que la Cour n’a jamais entendu les questions de fond liées à son différend avec l’Agence, ni rendu de décision à ce sujet, mais cela ne lui donne pas de droit à la réouverture des jugements définitifs qui tranchaient les actions contre les défenderesses qu’il avait introduites devant la Cour relativement à ce différend.

 

            Le demandeur avait tout d’abord intenté une action contre les défenderesses en 1999 (dossier T‑745‑49). Cette action avait été rejetée par une ordonnance du juge James Hugessen datée du 16 juillet 2003. Dans son ordonnance, le juge Barnes a dressé de la façon suivante les circonstances ayant conduit à l’ordonnance du juge Hugessen et a cité les passages pertinents de cette ordonnance :

[4]        Je n’insisterai pas trop sur l’historique de l’action de 1999 parce que celuici est bien documenté dans les décisions antérieures de la Cour. Il suffit de noter que cette action a été rejetée dans l’ordonnance que le juge James Hugessen a rendue le 16 juillet 2003, au motif que M. Wilson n’avait pas répondu convenablement aux questions ni respecté les engagements qu’il avait pris à l’interrogatoire préalable. En outre, il n’est pas contesté que M. Wilson n’a pas comparu à l’audience devant le juge Hugessen, même si les documents concernant la requête lui avaient été dûment signifiés. Le juge Hugessen a notamment tenu les propos suivants :

 

[TRADUCTION]

Le demandeur a à maintes reprises omis de répondre aux questions appropriées à l’interrogatoire préalable, de fournir des réponses convenables aux engagements et de produire les documents requis; les ordonnances de la Cour semblent ne pas avoir d’effet sur lui. La requête des défendeurs est par conséquent accueillie avec dépens à être taxés et l’action est rejetée avec dépens.

 

 

            Le demandeur a présenté deux requêtes en réexamen de l’ordonnance du juge Hugessen, qui ont été rejetées par la juge Anne Mactavish (par des ordonnances datées du 25 novembre 2004 et du 29 septembre 2005). Le demandeur a ensuite présenté une requête devant la Cour d’appel fédérale, dans laquelle il sollicitait une prorogation du délai pour interjeter appel du rejet de son action. Le 8 décembre 2005, le juge Gilles Létourneau a rejeté la requête du demandeur. Cette ordonnance mettait un terme à l’action intentée dans le dossier T‑745-99.

 

            En novembre 2005, le demandeur a intenté une deuxième action contre les défenderesses (dossier T‑2419-05). Cette deuxième déclaration mettait essentiellement l’accent sur les mêmes questions que celles qui étaient soulevées dans l’action de 1999. Le juge Barnes a analysé, aux paragraphes 9 et 10 de son ordonnance, les similitudes et des différences entre les deux actes de procédure.

 

            Dans cette action, les défenderesses ont présenté une requête en radiation de la déclaration, au motif que les actes de procédures étaient frivoles ou vexatoires, qu’ils constituaient un abus de procédure et qu’ils soulevaient des questions qui avaient antérieurement fait l’objet d’une décision. La protonotaire Milczynski a accueilli la requête et a rejeté l’action du demandeur. La partie essentielle de la conclusion de la protonotaire Milczynski se lit ainsi :

[traduction]

Il ne fait aucun doute, après examen de la déclaration, que le fond de la cause d’action dans la présente instance est identique à celui d’une action déjà introduite par le demandeur et au sujet de laquelle il y a eu une décision définitive. Il n’est pas nécessaire de reproduire ici la chronologie et le contexte factuel liés à la plainte du demandeur, et qui ont donné naissance à la première action ainsi qu’à l’action visée en l’espèce, mais je remarque que cette chronologie et ce contexte factuel sont exposés en détail dans les observations écrites des défenderesses, aux paragraphes 2 à 7 inclusivement, auxquels je souscris. Les questions en litige sont les mêmes, et les faits qui auraient donné naissance à l’action sont les mêmes. Il ne fait aussi aucun doute qu’une grande partie des mesures de redressement sollicitées par le demandeur dans la présente action ne peuvent être accordées.

 

            Le demandeur a cherché à interjeter appel de cette ordonnance et a présenté une requête en prorogation du délai pour interjeter appel de l’ordonnance de la protonotaire Milczynski. Les défenderesses ont répondu en présentant une requête par laquelle elles sollicitaient une ordonnance déclarant que le demandeur est un plaideur quérulent, au titre du paragraphe 40(1) de la Loi. Les deux requêtes ont été entendues par le juge Barnes. Dans son ordonnance, le juge Barnes a statué qu’il n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation du délai, puisque la déclaration du demandeur ne soulevait pas une cause défendable. Le juge Barnes a conclu qu’il ne voyait « rien dans la décision de la protonotaire Milczynski qui pourrait être qualifié d’erreur ». Il a aussi statué que la doctrine de l’abus de procédure pour remise en cause s’appliquait.  

 

            Le demandeur prétend, et a prétendu devant le juge Barnes, que le principe de la chose jugée ne pouvait s’appliquer dans son cas, parce que les questions de fond qu’il avait soulevées dans ses actions antérieures de 1999 n’avaient pas été tranchées. Le juge Barnes a ainsi disposé de cet argument :

[19]      M. Wilson a soutenu qu’il n’a jamais eu droit à une décision sur le fond de sa plainte en justice. Il dit que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique seulement lorsqu’une décision sur le fond a été rendue antérieurement. M. Wilson a raison lorsqu’il affirme qu’il existe une jurisprudence qui limite l’application du principe de la chose jugée à une situation où une décision sur le fond a été rendue dans le passé. Il est toutefois bien établi que la doctrine de l’abus de procédure est une doctrine auxiliaire et complémentaire par rapport au principe de l’autorité de la chose jugée, et qu’elle empêche elle aussi la remise en cause dans certaines circonstances, son but étant de préserver l’intégrité du système judiciaire : voir Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] A.C.S. no 64, 2003 CSC 63, au paragraphe 38.

 

[20]      La question en l’espèce est de savoir s’il devrait simplement être fait abstraction, dans le cadre de la présente action, des inobservations répétées et flagrantes des règles et de la procédure de la Cour par M. Wilson, lesquelles ont entraîné le rejet de l’action de 1999. Il m’apparaît inconcevable que la Cour puisse un jour raisonnablement tolérer pareil aboutissement parce que cela encouragerait le mépris de la notion d’application régulière de la loi et porterait sérieusement atteinte aux intérêts et aux attentes raisonnables de la partie adverse.

 

[21]      Il s’agit d’une situation où la doctrine de l’abus de procédure interdisant la remise en cause s’applique clairement. […]

 

[22]      Je suis convaincu que la déclaration de M. Wilson produite dans le cadre de l’action de 2005 constitue presque essentiellement une tentative de débattre à nouveau de questions qui ont été tranchées de manière définitive par le rejet de l’action de 1999 ou que, comme la protonotaire Milczynski l’a à juste titre affirmé, [TRADUCTION] « le fond de la première action est essentiellement repris dans la présente instance ». Dans la mesure où ces actions se recoupent, les actes de procédure de 2005 constituent, de toute évidence, une remise en cause équivalant à un abus de la procédure de la Cour, et il n’existe donc pas de fondement plausible qui permette de les admettre. En conséquence, j’ai conclu que, dans la mesure où les deux actions se recoupent, l’appel éventuel de M. Wilson à l’encontre de la décision de la protonotaire Milczynski, n’a aucun fondement juridique et absolument aucune chance de succès.

 

            L’ordonnance du juge Barnes ne peut être modifiée, puisqu’il s’agit d’une ordonnance définitive et exécutoire. Le demandeur a épuisé tous les moyens pour contester l’ordonnance du juge Barnes. Premièrement, en juillet 2007, il a présenté une requête en prorogation du délai pour interjeter appel de l’ordonnance du juge Barnes devant la Cour d’appel fédérale. Cette requête a été rejetée par la juge Sharlow, par ordonnance datée du 27 juillet 2007 (dossier 07‑A‑25). Aucun appel n’est permis à l’égard d’une telle ordonnance. Cependant, en novembre 2007, le demandeur a présenté une requête, par laquelle il essayait d’interjeter appel de l’ordonnance de la juge Sharlow. La juge Sharlow a traité la requête présentée par le demandeur comme une requête en réexamen de son ordonnance rendue en juillet 2007 et, dans une ordonnance datée du 20 novembre 2007, elle a rejeté la requête en réexamen (dossier 07-A-25). Ensuite, le 1er mai 2008, la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi à l’égard des deux ordonnances de la juge Sharlow (dossier 32437).

 

            L’ordonnance définitive du juge Barnes mettait un terme aux tentatives du demandeur d’introduire ou de continuer devant la Cour des instances relatives au différend qu’il avait eu avec l’Agence en 1991, et la Cour n’accordera pas au demandeur une prorogation du délai pour déposer des actes de procédures qui conduiraient à une remise en cause d’affaires ayant fait l’objet d’une décision définitive. Cela constituerait manifestement un abus de procédure. 

 

            De plus, le demandeur a soumis à la Cour essentiellement les mêmes arguments qu’il avait soulevés devant le juge Barnes. Le demandeur prétend aussi qu’il a été déclaré à tort plaideur quérulent par le juge Barnes. Comme je l’ai mentionné précédemment, le demandeur ne peut instruire une instance visant à annuler l’ordonnance du juge Barnes.

 

            LA COUR ORDONNE que la requête en [traduction] « prorogation du délai pour déposer une demande d’autorisation “modifiée” de l’appelant » soit rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad

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