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Date : 20130109

Dossier: T-537-12

Référence : 2013 CF 15

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

RENÉ BELLEAU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du Comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal d’appel) rendue le 9 novembre 2011 en vertu de l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (Révision et appel), LC 1995, c 18 [LTAC]. Dans cette décision, le Tribunal d’appel a refusé pour une deuxième fois de réexaminer sa décision datée du 16 octobre 2007, dans laquelle le demandeur, M. Belleau, s’est vu accorder le droit à une pleine pension pour un service effectué durant la Seconde Guerre mondiale, avec une date d’entrée en vigueur rétroactive au 25 janvier 2006, soit la date de la présentation de sa demande pour une affection de dysthymie chronique. M. Belleau soutenait que la date d’entrée en vigueur de son droit à la pension devrait rétroagir au 17 mars 1989, date à laquelle il a fait une demande de pension au motif qu’il était atteint d’une affection nerveuse (aussi connue sous l’appellation névrose d’angoisse), puisque cette affection serait équivalente à la dysthymie chronique.

 

[2]               Après avoir soigneusement pris connaissance du dossier ainsi que des représentations de M. Belleau (qui se représentait seul) et de l’avocat du procureur général, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

I.          Les faits

[3]               Le demandeur a servi en vertu de la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, SC 1940, c 13, du 9 janvier au 12 février 1945. Il s’est ensuite enrôlé dans l’armée active canadienne à Montréal le 13 février 1945 et a servi jusqu’au 9 avril 1946, au Canada.

 

[4]               Le 17 mars 1989, le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité pour l’affection de névrose d’angoisse à la Commission canadienne des pensions. Cette demande a été refusée le 24 août 1989, au motif que la névrose d’angoisse n’avait pas de lien avec le service militaire. Cette décision a été confirmée par un comité d’examen de la Commission canadienne des pensions le 5 décembre 1989. Le 22 novembre 1990, le Tribunal d’appel a conclu que l’affection de névrose d’angoisse n’ouvrait pas droit à pension parce qu’aucune plainte n’avait été déposée et qu’aucun diagnostic de névrose d’angoisse n’avait été posé pendant le service de l’appelant dans les forces actives, et ce jusqu’à la fin des années 1980.

[5]               Le 10 août 2005, le demandeur a présenté une demande de réexamen de la décision du 22 novembre 1990 au Tribunal d’appel. Le demandeur a présenté une nouvelle preuve faisant état d’un problème de dysthymie chronique relié à son service militaire. Le 1er novembre 2005, le Tribunal d’appel a refusé de réexaminer sa décision, au motif que la nouvelle preuve n’était pas pertinente dans la mesure où elle traitait de dysthymie et non de l’affection qui était à la source de la demande initiale, soit l’affection de névrose d’angoisse. Se référant au DSM-IV Manuel diagnostic et statique des troubles mentaux, le Tribunal d’appel a conclu que ces deux affections étaient différentes.

 

[6]               Le 25 janvier 2006, le demandeur a donc fait une demande de prestation d’invalidité pour l’affection de dysthymie chronique. Cette demande a été rejetée par le ministre le 26 avril 2006, notamment parce que les éléments de preuve ne permettaient pas de relier l’affection à son service militaire. Puis, le 3 octobre 2006, le Tribunal de révision des Anciens combattants a refusé de faire droit à la demande de pension reliée au diagnostic de dysthymie chronique du fait que la preuve était incomplète et peu probante.

 

[7]               Le 10 juillet 2007, le demandeur a porté cette dernière décision en appel devant le Tribunal d’appel. Le 16 octobre 2007, le Tribunal d’appel a donné gain de cause au demandeur et lui a accordé une pleine pension en raison du diagnostic de dysthymie chronique, en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6. Le droit à cette pension rétroagissait au 25 janvier 2006, date à laquelle la demande de pension pour dysthymie chronique avait été soumise, conformément à l’article 39 de la Loi sur les pensions. Le 22 mars 2010, le demandeur a présenté une demande de réexamen au Tribunal d’appel. Il soutenait que son droit à une pension a pris naissance le 17 mars 1989, date de sa première demande pour névrose d’angoisse. Le 4 août 2010, le Tribunal d’appel a rendu sa décision et a refusé de réexaminer sa décision du 16 octobre 2007. Selon le Tribunal d’appel, un réexamen n’était pas indiqué parce que la nouvelle preuve présentée par le demandeur n’était pas pertinente. Pour que le demandeur puisse avoir droit à une pension rétroactive à la date de sa première demande en 1989, il lui aurait fallu établir que l’affection de dysthymie est la même que celle de névrose d’angoisse. Selon le Tribunal d’appel, les rapports médicaux ne permettaient pas de trancher favorablement cette question.

 

[8]               Le 28 juin 2011, le demandeur a soumis une deuxième demande de réexamen au Tribunal d’appel. À cette occasion, le demandeur a soumis comme nouveaux éléments de preuve le rapport du Dr Gil, médecin psychiatre, daté du 16 mai 2011, la lettre de son avocat adressée au Dr Gil datée du 24 mars 2011, et sa propre déclaration datée du 15 juillet 2011. Dans une première évaluation effectuée le 27 février 2008, le Dr Gil avait diagnostiqué une dysthymie chronique d’intensité légère. Puis, lors d’un deuxième examen le 20 novembre 2009, le Dr Gil avait retenu un diagnostic de dysthymie chronique avec trouble d’adaptation et avec humeur anxieuse de type anxiété généralisée, d’évolution chronique, et de trouble de personnalité obsessive compulsive. Dans son rapport du 16 mai 2011, le Dr Gil répond à la question de savoir s’il y a une différence entre les affections de névrose d’angoisse et la dysthymie de la façon suivante :

En ce qui a trait à la nosologie, il m’apparaît que le diagnostic original de 1988, celui de névrose d’angoisse s’apparente, selon les classifications actuelles, aux troubles d’anxiété généralisée. Monsieur a de plus été reconnu comme souffrant d’une dysthymie chronique, pathologie pouvant être fréquemment associée à un trouble anxieux chronique, mais s’intéressant plus à une problématique d’évolution plus lente et d’intensité moins marquée de dépression.

 

Pour finaliser mon opinion, et à défaut d’information clinique autre, je suis donc d’avis que monsieur est aux prises avec une problématique de comorbidité, soit celle d’un trouble de l’anxiété généralisée et une de dysthymie, mais également et de manière prémorbide et constitutionnelle, un trouble de personnalité obsessionnel le conduisant à être particulièrement rigide, de manquer de souplesse adaptative, caractéristiques contribuant à exacerber les symptômes dysthymiques et anxieux dans son cheminement personnel.

 

Dossier du demandeur, p 52.

 

 

[9]               Dans une décision datée du 9 novembre 2012, le Tribunal d’appel a conclu que sa décision du 16 octobre 2007 n’était entachée d’aucune erreur de droit ou de fait. Le Tribunal d’appel s’est également dit d’avis que la nouvelle preuve présentée par le demandeur n’était pas pertinente, puisqu’elle ne permettait pas de conclure que l’affection de dysthymie chronique est la même que celle de névrose d’angoisse.

 

II.        Questions en litige

[10]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement deux questions :

-          Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal d’appel refusant une demande de réexamen ?

-          Le Tribunal d’appel pouvait-il validement conclure que le demandeur n’a présenté aucune nouvelle preuve donnant ouverture à un réexamen ?

 

III.       Analyse

A.        Le régime législatif applicable

[11]           Les pensions d’invalidité d’anciens combattants sont payées en vertu de la Loi sur les pensions. Elles sont accordées en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci, pour le service accompli pendant la Première Guerre mondiale ou la Seconde Guerre mondiale, le service accompli durant la guerre de Corée, le service accompli à titre de membre du contingent spécial et le service spécial. Un ancien combattant peut également obtenir une pension d’invalidité en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie – ou son aggravation – consécutive ou rattachée directement au service militaire, pour le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix (Loi sur les pensions, paragraphes 21(1) et (2)).

 

[12]           Une demande de compensation doit être présentée au ministre des Anciens Combattants, qui peut faire droit à la demande ou la refuser (article 81). Si le requérant n’est pas satisfait de la décision initiale, il peut faire une demande de réexamen ministériel (révision ministérielle) (article 82) ou interjeter appel de la décision au Tribunal des anciens combattants (article 84), constitué par la LTAC.

 

[13]           Le mécanisme d’appel au Tribunal des anciens combattants comporte deux étapes. La première consiste en une audience complète devant un comité du Tribunal, habituellement composé de deux membres (LTAC, article 19). Le requérant peut adresser une déclaration écrite au comité ou choisir de comparaître en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant pour y présenter ses arguments et des éléments de preuve (article 20).

 

[14]           Le requérant qui n’est pas satisfait de la décision du comité peut interjeter appel au Tribunal d’appel (article 25). Ce dernier a compétence exclusive pour statuer sur tout appel visant une décision du comité de révision du Tribunal (article 26). Le Tribunal d’appel est toujours composé d’au moins trois membres, et tient des auditions pour permettre au requérant de présenter des éléments de preuve et ses arguments oraux. Seuls des éléments de preuve documentés peuvent être soumis dans le cadre de l’appel (article 28). Le Tribunal d’appel a le pouvoir de confirmer, modifier, infirmer ou renvoyer pour réexamen, complément d’enquête ou nouvelle audition, la décision portée en appel (article 29). Toute décision du Tribunal d’appel est définitive et exécutoire (article 31).

 

[15]           En vertu du paragraphe 32(1) de la LTAC, le Tribunal d’appel peut réexaminer une décision qu’il a rendue, si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés, ou si la décision contenait des erreurs de fait ou de droit :

 

Nouvel examen

 

32. (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

 

Reconsideration of decisions

 

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

 

 

[16]           Afin de déterminer si des documents constituent de « nouveaux éléments de preuve », un document doit remplir certains critères dégagés par la jurisprudence et qui ont été repris par cette Cour dans l’arrêt MacKay c Canada (Procureur général), 129 FTR 286 au para 26, ACWS (3d) 270 :

                                   i.              On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de matière [sic] aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles; voir McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.

                                 ii.              La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

                               iii.              La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

                               iv.              elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

 

 

[17]           Il convient d’ajouter que le décideur doit interpréter largement la LTAC ainsi que les autres dispositions fédérales en cause au profit des membres des forces devenus invalides par suite de leur service militaire (article 3). L’article 2 de la Loi sur les pensions est au même effet. Cette règle d’interprétation se traduit de la façon suivante en matière de preuve à l’article 39 de la LTAC :

 

Règles régissant la preuve

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Rules of evidence

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case

and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

B.        La norme de contrôle

[18]           Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable dans le cas présent, puisqu’elle a déjà été précisée par la jurisprudence. En effet, cette Cour a déjà déterminé que les décisions du Tribunal d’appel refusant de faire droit à une demande de réexamen sont soumises à la norme de la raisonnabilité. Dans une décision rendue l’an dernier, mon collègue le juge Scott a passé en revue les décisions pertinentes de cette Cour et les a résumées comme suit :

11. La Norme de contrôle applicable à la décision d’un comité d’appel du Tribunal des anciens combattants est la norme de la décision raisonnable, tel que le précisait le Juge Mosley dans l’arrêt Bullock c Canada (Procureur général), 2008 CF 1117, aux para 11 à 13 :

 

Conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), lorsque la jurisprudence a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à une certaine catégorie de questions, on n’a pas besoin de procéder à ce qui est maintenant connu comme étant "l’analyse relative à la norme de contrôle"; voir MacDonald c. Canada (Procureur général), 2008 CF 796.

 

En général, les décisions du comité d’appel du TACRA ont été examinées selon la décision manifestement déraisonnable ou la décision raisonnable, selon la nature de la question en litige. Depuis l’arrêt Dunsmuir, la décision manifestement déraisonnable est disparue au profit d’une norme plus large, la raisonnabilité : Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991.

 

Mes collègues, la juge Heneghan dans Lenzen c. Canada (Procureur général), 2008 CF 520, le juge Blanchard dans Pierre Dugré c. Canada (Procureur général), 2008 CF 682, et la juge Layden-Stevenson dans Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991, ont conclu que la norme de contrôle applicable, dans le cas des décisions du comité d’appel du TACRA relatives aux réexamens, est la raisonnabilité. Sur la foi de cette jurisprudence, je suis convaincu qu’il est inutile que je procède à une analyse plus approfondie de la norme de contrôle.

 

12. L’arrêt Armstrong c Canada (Procureur général), 2010 CF 91, au para 33, a réitéré l’analyse de la norme du Juge Mosley et confirmé l’application de la raisonnabilité à un refus de réexamen d’une décision d’un Comité d’appel. Il s’agissait plus précisément du refus d’admettre de nouveaux éléments de preuve, en l’occurrence, des lettres d’un expert médical, tout comme c’est le cas en l’espèce.

 

Cossette c Canada (Procureur général), 2011 CF 416, 388 FTR 181.

 

 

[19]           Le caractère raisonnable d’une décision, tel que l’a précisé la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (para 47).

 

C.        La raisonnabilité de la décision du Tribunal d’appel

[20]           Tel que mentionné précédemment, le Tribunal d’appel a refusé de réviser sa décision du 16 octobre 2007, au motif que cette décision n’était entachée d’aucune erreur de droit ou de fait. Le Tribunal d’appel a estimé que la nouvelle preuve présentée par le demandeur n’était pas pertinente, dans la mesure où elle ne permettait pas de conclure que l’affection de dysthymie chronique est la même que celle de névrose d’angoisse.

 

[21]           Le demandeur a soutenu que le Tribunal d’appel avait erré en ne se posant pas la bonne question. Selon M. Belleau, la question en litige n’était pas celle de savoir si les affections de dysthymie et de névrose d’angoisse sont identiques, mais bien plutôt de savoir si le Tribunal d’appel aurait dû accepter de faire rétroagir la pension qui lui a été accordée en 2007 au moment de sa première demande en 1989 puisque le diagnostic posé par le Dr Gil le 20 novembre 2009 faisait état non seulement de dysthymie chronique, mais également d’anxiété généralisée, affection qui s’apparente selon les classifications actuelles à la névrose d’angoisse invoquée en 1989, tel que l’indique le Dr Gil dans son rapport daté du 16 mai 2011.

 

[22]           Malheureusement, je ne peux souscrire à cette argumentation, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on ne peut reprocher au Tribunal d’appel d’avoir posé la question en litige comme il l’a fait, dans la mesure où c’est précisément la question qui avait été posée par l’avocat du demandeur au Dr Gil dans sa lettre du 24 mars 2011. Dans cette lettre, Me Duguay écrivait :

La question qu’on se pose est celle à savoir si effectivement, du point de vue médical, les affections de névrose d’angoisse et de dysthymie sont les mêmes affections ou s’il s’agit de deux affections différentes?

 

Dossier du Tribunal, p 149.

 

[23]           Dans cette perspective, le Tribunal d’appel était fondé de conclure que le rapport du Dr Gil en date du 16 mai 2011 ne constituait pas une nouvelle preuve dans la mesure où elle n’était pas pertinente. En effet, une lecture attentive de son rapport (dont les points saillants sont reproduits au paragraphe 9 des présents motifs) ne permet pas de conclure que le diagnostic de névrose d’angoisse et le diagnostic de dysthymie chronique sont équivalents. Même en appliquant les règles prévues à l’article 39 de la LTAC et en tirant de ce rapport les conclusions les plus favorables possibles au demandeur, je ne vois pas comment on peut qualifier de déraisonnable la décision du Tribunal d’appel. Au contraire, le Dr Gil écrit dans son rapport du 16 mai 2011 que la dysthymie et l’anxiété généralisée (ou la névrose d’angoisse) sont des pathologies fréquemment associées, et il les distingue clairement en précisant que M. Belleau a « de plus » été reconnu comme souffrant d’une dysthymie chronique et qu’il est « aux prises avec une problématique de comorbidité, soit celle d’un trouble de l’anxiété généralisée et une de dysthymie ». Une telle formulation laisse clairement supposer qu’il s’agit de deux pathologies distinctes et, par conséquent, ce rapport ne peut être considéré comme pertinent pour établir que ces deux affections doivent être assimilées.

 

[24]           Il m’apparaît donc que les deux rapports du Dr Gil en date du 20 novembre 2009 et du 16 mai 2011 établissent que M. Belleau souffre de deux affections psychologiques, à savoir une dysthymie chronique et un trouble d’anxiété généralisé. Or, le Tribunal d’appel ne pouvait manifestement pas s’appuyer sur ce que M. Belleau qualifie de « diagnostic élargi » pour conclure que son droit à la pension lié à sa dysthymie chronique doit rétroagir au moment du dépôt de sa première demande, en 1989, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le Tribunal d’appel ne peut réviser la décision rendue le 16 octobre 2007 et modifier la date d’entrée en vigueur d’une pension accordée pour dysthymie chronique en s’appuyant sur le diagnostic d’une autre affection sur laquelle ne repose pas la pension accordée dans cette décision. Au surplus, le Tribunal d’appel a refusé à deux occasions (le 22 novembre 1990 et le 1er novembre 2005) d’accorder une pension à M. Belleau pour trouble d’anxiété généralisé (ou névrose d’angoisse) et ne pouvait donc pas revenir indirectement sur ces décisions dans le cadre d’une demande de révision portant sur la date d’entrée en vigueur d’une pension accordée pour une autre affection.

 

[25]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Belleau doit donc être rejetée. Malgré la sympathie qu’éprouve la Cour pour les difficultés qu’a rencontrées M. Belleau suite aux événements qu’il a vécus en 1945-46, et malgré l’aplomb avec lequel il s’est représenté, il n’a pas réussi à démontrer que la décision du Tribunal d’appel était déraisonnable et ne relève pas des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-537-12

 

INTITULÉ :                                      RENÉ BELLEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             19 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     9 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

René Belleau

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Stéphanie Lauriault

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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