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Date : 20130110

Dossier : IMM‑3224‑12

Référence : 2013 CF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

ZAHIR MOHAMMAD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision [la décision], rendue en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, paragraphe 172(1), par laquelle la déléguée du défendeur (la déléguée du ministre) a rejeté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) concernant un ancien agent de police afghan en activité durant la période communiste.

 

[2]               La décision de la déléguée du ministre fait suite à un avis favorable sur les risques. La décision porte sur la question de savoir si le demandeur ne risque plus d’être soumis à la torture ou d’être exposé à une menace à sa vie au sens des facteurs énoncés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[3]               Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

172. (1) Avant de prendre sa décision accueillant ou rejetant la demande de protection du demandeur visé au paragraphe 112(3) de la Loi, le ministre tient compte des évaluations visées au paragraphe (2) et de toute réplique écrite du demandeur à l’égard de ces évaluations, reçue dans les quinze jours suivant la réception de celles‑ci.

 

(2) Les évaluations suivantes sont fournies au demandeur :

 

a) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi;

 

b) une évaluation écrite au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi, selon le cas.

 

 

(2.1) Malgré le paragraphe (2), aucune évaluation n’est fournie au demandeur qui fait l’objet d’un certificat tant que le juge n’a pas décidé du caractère raisonnable de celui‑ci en vertu de l’article 78 de la Loi.

 

[...]

 

(4) Malgré les paragraphes (1) à (3), si le ministre conclut, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 de la Loi, que le demandeur n’est pas visé par cet article :

 

a) il n’est pas nécessaire de faire d’évaluation au regard des éléments mentionnés aux sous‑alinéas 113d)(i) ou (ii) de la Loi;

 

b) la demande de protection est rejetée.

172. (1) Before making a decision to allow or reject the application of an applicant described in subsection 112(3) of the Act, the Minister shall consider the assessments referred to in subsection (2) and any written response of the applicant to the assessments that is received within 15 days after the applicant is given the assessments.

 

 

(2) The following assessments shall be given to the applicant:

 

(a) a written assessment on the basis of the factors set out in section 97 of the Act; and

 

 

(b) a written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act, as the case may be.

 

(2.1) Despite subsection (2), no assessments shall be given to an applicant who is named in a certificate until a judge under section 78 of the Act determines whether the certificate is reasonable.

 

[...]

 

 

(4) Despite subsections (1) to (3), if the Minister decides on the basis of the factors set out in section 97 of the Act that the applicant is not described in that section,

 

(a) no written assessment on the basis of the factors set out in subparagraph 113(d)(i) or (ii) of the Act need be made; and

 

(b) the application is rejected.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

112. (3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27.

II.        CONTEXTE

[4]               Le demandeur est un homme afghan âgé de 73 ans dont la femme et les deux enfants adultes résident aussi au Canada. Sa demande d’asile présentée en 1992 a été refusée au motif qu’il était agent de police durant le régime communiste et donc exclu en application de la section Fa) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 1951, RT Can no 6 [la Convention sur les réfugiés] (crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité).

Article premier F.        Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a)      Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

[5]               À la suite de l’échec d’un contrôle judiciaire de la décision relative à la demande d’asile, un ERAR effectué en 2006 a permis de constater que, conformément à l’article 97 de la LIPR, selon toute vraisemblance, le demandeur serait exposé au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou exposé à une menace à sa vie s’il était renvoyé en Afghanistan.

 

[6]               La déléguée du ministre a examiné quelle était la situation actuelle en Afghanistan dans la perspective où le demandeur devrait y être renvoyé. La déléguée du ministre a conclu que les caractéristiques personnelles du demandeur ne correspondaient pas aux descriptions des profils à risque du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). D’autres rapports exposant le risque potentiel ont été rejetés parce qu’ils n’étaient étayés par aucune autre preuve documentaire.

 

[7]               La déléguée du ministre a aussi conclu que la situation générale sur le plan de la sécurité en Afghanistan s’était détériorée, notamment dans les régions rurales où la présence des talibans est forte. Elle a également conclu que les personnes associées aux gouvernements précédents ne couraient pas un risque accru d’être torturés ou de faire l’objet de traitements ou de peines cruels ou inusités. Il n’est pas tenu compte de la crainte du demandeur à l’égard d’un M. Sayyaf au motif qu’elle n’est corroborée par aucun autre élément de preuve objectif pertinent.

 

[8]               La déléguée du ministre a en outre rejeté l’affidavit d’une tierce partie selon lequel une personne dans une situation semblable à celle du demandeur avait été kidnappée et assassinée par d’anciens prisonniers, car il reposait sur des preuves documentaires insuffisantes. Les éléments de preuve relatifs aux risques de représailles dont il était question dans la décision favorable prise par l’agent chargé de l’ERAR en 2006 étaient maintenant jugés insuffisants pour qu’il puisse être conclu que de telles représailles continuent d’être exercées.

 

[9]               Fait à noter, à la lumière des éléments de preuve de l’organisation Afghanistan Relief International qui indiquent que la Force internationale d’assistance à la sécurité est incapable d’assurer la sécurité hors de Kaboul, la déléguée du ministre a conclu qu’étant donné que le demandeur est originaire de Kaboul, rien ne permet d’affirmer que le demandeur est à risque à Kaboul.

 

III.       ANALYSE

[10]           Il y a deux véritables questions en litige dans le présent contrôle judiciaire :

a)         La déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne citant pas la disposition adéquate de la LIPR?

b)         La décision était‑elle raisonnable?

 

[11]           En ce qui concerne la première question, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, car elle touche au cœur du fondement juridique de la décision (Polichtchouk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 552, 389 FTR 301).

Quant à la deuxième question, elle est essentiellement factuelle et assujettie à la norme de la raisonnabilité (Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 35, 179 NR 11 (CAF.)). Toutefois, l’examen des faits doit être conforme aux normes de droit ou axé sur le critère juridique juste (Sweet c Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, 2005 CarswellNat 318).

 

[12]           Il est mentionné dans la décision que la demande est fondée sur l’alinéa 112(3)b) de la LIPR, lequel traite de la grande criminalité. Il s’agit manifestement de la mauvaise disposition. La disposition applicable est l’alinéa 112(3)c) qui renvoie à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

 

[13]           En dépit de cette erreur, la décision ne peut être infirmée sur ce chef. Un examen équitable de la décision et des conclusions confirme que la déléguée du ministre a compris que le demandeur avait été exclu conformément à la section Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, et qu’elle s’était fondée sur ce fait. Il y avait certes une erreur, mais elle était négligeable, de sorte que d’infirmer la décision sur ce fondement reviendrait à faire triompher la forme sur le fond.

 

[14]           Ce sont les conclusions de la décision qui font que la décision n’est pas justifiée. Si certaines des conclusions que la déléguée du ministre a tirées à la lumière de la documentation sont probablement équivoques, la déléguée aurait légitimement pu parvenir à ces conclusions si elle s’était fondée sur la disposition applicable.

 

[15]           Pour évaluer les changements dans les circonstances ayant mené à la décision favorable prise dans le cadre de l’ERAR précédent en 2006, le critère est de savoir si les changements observés dans les circonstances actuelles (par rapport à celles de 2006) sont a) importants, b) effectifs et c) durables (Sahiti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 364, 280 FTR 86, une affaire portant sur les changements de circonstances au Kosovo).

 

[16]           La déléguée du ministre a pris note de certains changements de circonstances qui pourraient revêtir un caractère important. Cependant, le caractère ponctuel des programmes d’amnistie à l’intention des membres des anciens gouvernements est relevé sans aucun égard à leur efficacité ou à leur durabilité. Le programme d’amnistie a commencé en 2009 et son efficacité et sa durabilité ne faisaient toutefois l’objet d’aucune évaluation dans la décision du début de 2012.

 

[17]           Le défaut d’examiner l’efficacité ou la durabilité de ce programme d’amnistie revêt un caractère important parce qu’il est question d’un pays où prévaut l’anarchie, comme le reconnaît la déléguée du ministre. Selon un document portant sur l’Afghanistan de l’agence frontalière britannique, daté de mars 2011 et intitulé Operation Guidance Note (le rapport), la protection en Afghanistan est compromise par la corruption, la gouvernance inefficace, le climat d’impunité, le manque de volonté d’appliquer une justice transitionnelle, la fragilité de la règle de droit et le recours aux méthodes traditionnelles de règlement des différends. Le rapport indique ironiquement que ces mécanismes traditionnels [traduction] « ne respectent pas les normes d’application régulière de la loi ».

 

[18]           Il n’est pas raisonnable de conclure, à la lumière de la preuve, que le programme d’amnistie est efficace et durable, et ce, même si la déléguée du ministre avait tenu compte du critère juridique applicable.

 

IV.       CONCLUSION

[19]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre représentant officiel du défendeur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[20]           Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre représentant officiel du défendeur pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra‑Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3224‑12

 

INTITULÉ :                                                  ZAHIR MOHAMMAD

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 5 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 10 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert K. Riley

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Orlagh O’Kelly

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROBERT K. RILEY

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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