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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20121220

Dossier : IMM-1497-12

Référence : 2012 CF 1517

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

Entre :

 

MERISSA ROXANNE THOMAS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

 

 

 

 défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             La Cour est saisie d’une demande, fondée sur  l’article 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), visant à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 janvier 2012 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse. La décision reposait sur la conclusion de l’agent suivant laquelle les motifs d’ordre humanitaire invoqués n’étaient pas suffisants pour justifier une exception autorisant la demanderesse à présenter sa demande de résidence permanente depuis le Canada.  

 

[2]             La demanderesse sollicite l’annulation de la décision rendue par l’agent ainsi que le renvoi de sa demande à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent.

 

Les faits

[3]             La demanderesse et son fils sont des citoyens de la Grenade. Ils vivent au Canada depuis qu’ils sont arrivés en avril 2006 munis d’un permis de séjour temporaire. Ils considèrent le Canada comme leur pays d’adoption. Le fils de la demanderesse vit au Canada depuis l’âge de trois ans. Il fréquente l’école et la demanderesse occupe un emploi rémunéré lui permettant de subvenir à leurs besoins.

 

[4]             La demanderesse affirme que si elle et son fils devaient quitter le Canada, il serait difficile pour son fils de s’adapter au système scolaire et au mode de vie à la Grenade, ce qui pourrait provoquer des souffrances psychologiques et émotionnelles inutiles.

 

[5]             La demanderesse a présenté une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire le 8 juillet 2011.

 

Décision de l’agent

 

[6]             Dans une lettre datée du 23 janvier 2011, l’agent a informé la demanderesse que sa demande fondée sur des raisons humanitaires avait été rejetée. Un document de plusieurs pages contenant les renseignements tenant lieu de motifs y était joint.  

 

[7]             Dans le formulaire joint à la décision, l’agent a inscrit les renseignements relatifs au dossier d’immigration de la demanderesse et des membres de sa famille. Il a résumé la demande et a ensuite indiqué les facteurs d’établissement invoqués par la demanderesse ainsi que les arguments relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[8]             L’agent a précisé que la demanderesse cherchait à obtenir une dispense de l’exigence de présenter une demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. L’agent a examiné les facteurs relatifs aux difficultés mentionnés par la demanderesse, tels que la pauvreté et le chômage à la Grenade. Il a jugé que la demanderesse n’avait pas indiqué avec suffisamment de précision de quelle manière son renvoi du Canada entraînerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives étant donné qu’elle n’avait pas démontré que la pauvreté à la Grenade serait un obstacle pour trouver du travail ni que les compétences qu’elle avait acquises au Canada ne l’aideraient pas dans sa recherche d’emploi là-bas. De plus, elle n’avais pas soumis assez de renseignements pour démontrer que la rupture des liens sociaux pourrait constituer des difficultés de nature à justifier sa demande. Elle a déjà vécu à la Grenade avant sa venue au Canada et elle y a quatre frères et sœurs.

 

[9]             L’agent a ensuite examiné la situation du fils de la demanderesse. Il a constaté que l’enfant vit au Canada depuis cinq ans où l’une de ses grand-mères s’occupe de lui. Cette dernière a présenté une lettre témoignant de son attachement à sa fille et à son petit-fils. L’agent a reconnu que le fils de la demanderesse pourrait avoir du mal à s’adapter à la vie à la Grenade, et que sa grand-mère lui manquerait. Cependant, l’agent a conclu qu’il n’avait pas été démontré que l’adaptation serait si pénible qu’elle causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Par conséquent, l'agent a rejeté la demande.

 

 

Questions en litige

 

[10]         La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         L’agent a-t-il négligé d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant?

            2.         L’agent a-t-il tiré ses conclusions de manière déraisonnable sans prendre en compte les éléments de preuve?

            3.         L’agent a-t-il omis d’évaluer le degré d’établissement de la demanderesse et de son fils au Canada?

 

[11]         Je reformulerais ainsi les questions à trancher :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant la demande?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[12]         La demanderesse soutient que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

 

[13]         La demanderesse fait valoir que la demande qu’elle a présentée pour des motifs d’ordre humanitaire repose principalement sur l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’agent devait être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de son fils. L’agent doit déterminer de façon claire cet intérêt supérieur, le définir et l’examiner avec beaucoup d’attention et il doit lui accorder un poids considérable.

 

[14]         La demanderesse soutient que les motifs justifiant le rejet de la demande montrent que l’agent n’a pas été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Sur le plan de la forme, l’agent a appliqué à tort le critère « des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » lors de l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui constitue une erreur. De plus, l’agent n’a fait aucune mention de l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa conclusion. Sur le plan du fond, l’agent a aussi omis de prendre en compte cet aspect en ne reconnaissant pas qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il ne vive pas dans la pauvreté. Il a aussi affirmé de façon erronée que la demanderesse avait deux frères et sœurs à la Grenade plutôt que quatre comme elle l’avait indiqué dans sa demande. 

 

[15]         De plus, la demanderesse affirme qu’en lui demandant de démontrer avec certitude qu’elle ne pourrait pas trouver du travail à la Grenade, l’agent a appliqué la mauvaise norme de la preuve en ce qui a trait à la question des difficultés. La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse pourrait trouver un emploi convenable était déraisonnable étant donné les observations non contredites concernant la pauvreté à la Grenade. L’agent n’a pas véritablement évalué les difficultés que la demanderesse devrait surmonter par suite de la rupture des liens avec sa mère, écartant simplement cette thèse faute de preuve suffisante.

 

[16]         Enfin, la demanderesse soutient que l’agent a omis d’évaluer correctement la preuve d’établissement de la demanderesse. En effet, par sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a démontré qu’elle répond aux critères énumérés dans le Guide IP 5. L’agent n’a aucunement évalué le degré d’établissement et n'a donc pu l’apprécier de façon favorable. Cette erreur rend la décision déraisonnable.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[17]         Le défendeur convient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Le refus d’accorder à la demanderesse une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire ne constitue pas une privation de droits; il s’agit tout simplement d’un refus d’autoriser la demanderesse à présenter sa demande de résidence permanente en dérogeant aux exigences habituelles. C’est à la personne qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il incombe d’établir qu’elle se heurterait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle devait présenter sa demande depuis l’étranger.

 

[18]         Le défendeur convient que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être considéré comme un élément important, mais il est d’avis qu’il ne devrait pas toujours l’emporter sur les autres éléments. L’agent a raisonnablement considéré tous les points soulevés par la demanderesse, notamment que l’enfant entretient une relation étroite avec sa grand-mère. L’agent n’était pas tenu de faire mention de tous les documents, et il est réputé avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve. Tous les points soulevés par la demanderesse dans le cadre du présent contrôle judiciaire ont été examinés par l’agent.

 

[19]         Le défendeur soutient que le fait que le Canada soit un pays où les gens désirent vivre et élever leurs enfants n’est pas un argument décisif dans l’analyse d’une demande fondée sur des considérations humanitaire. Autrement, toute personne ayant des enfants et vivant illégalement au Canada se verrait accorder le statut de résident permanent pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a correctement examiné les facteurs se rapportant au fils de la demanderesse.

 

[20]         Le défendeur soutient que l’agent n’a pas demandé à la demanderesse de démontrer qu’elle ne pourrait pas trouver d’emploi à la Grenade. L’agent a plutôt indiqué que ce n’était pas parce qu’il y avait la pauvreté à la Grenade qu’elle ne pourrait pas y trouver du travail.

 

 

[21]         Le défendeur estime que, par son argument relatif au degré d’établissement, la demanderesse conteste en fait l’appréciation que l’agent a faite de la preuve. Le degré d’établissement n’est en soi ni un facteur déterminant, ni une preuve de difficultés à surmonter. 

 

Analyse et décision

 

[22]         Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, le tribunal chargé du contrôle peut adopter cette norme. (Voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190).

 

[23]         Il est bien établi qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable pour évaluer la décision d’un agent portant sur une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaires présentée depuis le Canada (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, [2009] ACF no 713; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 14, [2009] ACJ no 1489; et De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, au paragraphe 13, [2010] FCJ no. 868).

 

[24]         Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, elle ne devrait intervenir que si la conclusion tirée par l’agent n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des preuves fournies. (Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Comme l’a conclu la Cour Suprême dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne doit pas substituer l’issue qui serait à son avis préférable, ni apprécier à nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[25]         Question 2

L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant la demande présentée par la demanderesse?

            Notre Cour a statué que le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives n’était pas approprié pour l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Voir Beharry c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110, [2011] ACF no 134, au paragraphe 11).

 

[26]         Le simple fait d’invoquer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ne rend pas systématiquement déraisonnable une décision portant sur une demande pour motifs humanitaires (voir Beharry, précité, au paragraphe 12). Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire d’une décision, la Cour doit déterminer si l’agent a correctement évalué le degré de difficulté pouvant résulter du renvoi de l’enfant du Canada, puis elle doit mettre en balance les difficultés invoquées et d’autres facteurs qui pourraient atténuer les conséquences de ce renvoi (voir Beharry, précité, au paragraphe 14).

 

[27]         Dans la présente affaire, non seulement l’agent semble avoir appliqué le mauvais critère, mais il semble aussi avoir fait complètement abstraction du critère approprié, celui de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[28]         De plus, l’agent a jugé qu’[traduction] « il n’a pas été démontré que cela causerait à la demanderesse des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » (je souligne). Étant donné que l’agent a utilisé le terme [traduction] « le fils de la demanderesse » ailleurs dans le même paragraphe, le libellé de cette phrase pourrait donner l’impression que l’agent faisait allusion aux difficultés qu’entraîneraient pour la demanderesse les difficultés de son fils. Cependant, les motifs de l’agent ne me permettent pas de déterminer ce qu’il voulait dire. Si l’agent s’intéressait aux difficultés auxquelles la demanderesse se heurterait, alors il n’a ni évalué ni analysé l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[29]         Bien que l’agent ait dressé la liste des points soulevés par la demanderesse concernant l’intérêt supérieur de l’enfant (les liens avec sa grand-mère, son établissement et la pauvreté à la Grenade), il est très difficile de dire qu’il ressort de ses motifs qu’il était réceptif, attentif et sensible à cet intérêt .

 

[30]         En outre, rien dans les motifs n’indique que l’agent a mis en balance l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autres facteurs, comme il était tenu de le faire  (voir Beharry,  précité, au paragraphe 14). Au contraire, il a simplement écarté cet intérêt, le jugeant insuffisant.

 

[31]      La cour de révision ne doit pas apprécier à nouveau la preuve. Dans la présente affaire, toutefois, il me paraît plutôt évident que l’agent a apprécié la preuve en appliquant le mauvais critère juridique, et même en examinant la décision avec toute la déférence qui s’impose, j’estime qu’elle est erronée.

 

[32]         Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur cette question, il n’est pas nécessaire que j’examine les observations de la demanderesse concernant les autres conclusions de l’agent.

 

[33]         Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et je renverrais la demande à un autre agent pour qu’elle soit réexaminée.

 

[34]         Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu’elle soit certifiée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

 

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

 

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1497-12

 

INTITULÉ :                                      MERISSA ROXANNE THOMAS

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 décembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :    LE JUGE O’KEEFE J.

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ildiko Erdei

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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