Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121221

Dossier : T‑2077‑11

Référence : 2012 CF 1541

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 21 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

 

CEG LICENSE INC.

 

 

 

demanderesse

et

 

 

 

JOEY TOMATO’S (CANADA) INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel, interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce [la Loi], d’une décision datée du 20 octobre 2011 [la Décision] rendue par la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission des oppositions].

 

I.          Le contexte

[2]               Le 30 septembre 2008, Joey Tomato’s (Canada) Inc. [la défenderesse] a produit la demande d’enregistrement no 1412784 concernant la marque de commerce LOCAL [la Marque].

 

[3]               La demande d’enregistrement de la Marque était fondée sur l’emploi projeté de la Marque pour des marchandises décrites de la façon suivante : articles pour boissons y compris verres à vin et autres verres, tasses et grandes tasses; sous‑verres; porte‑bouteilles de vin; articles promotionnels, y compris chaînes porte‑clés, drapeaux, macarons de fantaisie, cartes de souhaits, cartes de correspondance, crayons, stylos, grandes tasses à café et aimants, nommément aimants pour réfrigérateurs. L’emploi projeté visait également les services suivants : services de restaurant, de bar et de bar‑salon; services de comptoir de mets à emporter, y compris services de commande en ligne de mets à emporter; services de traiteur.

 

[4]               La demande a été publiée dans l’édition du 22 juillet 2009 du Journal des marques de commerce. Une déclaration d’opposition a été produite pour le compte de CEG License Inc. [la demanderesse] le 21 septembre 2009. La déclaration d’opposition énonce quatre motifs d’opposition. Durant la procédure d’opposition, la demanderesse a rejeté tous les motifs d’opposition, sauf le suivant :

 

[traduction] La marque de commerce visée par la demande n’est pas distinctive, eu égard aux dispositions de l’alinéa 38(2)d) et de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, parce qu’elle ne permet pas de distinguer les services [de la défenderesse] des services d’autres propriétaires, notamment des services fournis par l’Opposante sous les noms commerciaux LOCAL 522 et LOCAL 510, ni n’est adaptée à distinguer ainsi les noms commerciaux de l’Opposante.

 

 

[5]               Dans une contre‑déclaration produite le 8 décembre 2009, la défenderesse a contesté tous les motifs d’opposition. Pour étayer son opposition, la demanderesse a produit, le 8 avril 2010, l’affidavit de Brian Lee. La défenderesse a déposé, conformément à l’article 42 du Règlement sur les marques de commerce, une déclaration énonçant son désir de ne pas soumettre de preuve.

 

[6]               Dans sa décision rendue le 20 octobre 2011 (référence : 2011 COMC 203), la Commission des oppositions des marques de commerce a rejeté l’opposition de la demanderesse à la demande d’enregistrement de la Marque pour les motifs suivants :

 

A.                la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial permettant d’établir qu’au 21 septembre 2009 un de ses deux noms commerciaux ou les deux noms étaient devenus bien connus dans la région géographique de Calgary, en Alberta;

 

B.                 la demanderesse n’est pas parvenue à démontrer qu’une de ses deux marques de commerce ou les deux marques jouissaient au Canada d’une réputation importante, significative ou suffisante au point d’annuler le caractère distinctif de la marque de commerce LOCAL de la défenderesse dont l’emploi est projeté en liaison avec les services énumérés dans la demande.

 

[7]               Après avoir constaté que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau initial, la Commission des oppositions n’a pas jugé bon d’établir si la Marque était distinctive ou créait de la confusion avec les noms commerciaux de la demanderesse.

 

[8]               Le 21 décembre 2011, la demanderesse a déposé un avis d’appel de la Décision.

 

[9]               Le 11 janvier 2012, la défenderesse a déposé un avis de comparution. La demanderesse a déposé une nouvelle preuve, à savoir l’affidavit de Brian Lee souscrit le 19 janvier 2012. La défenderesse a quant à elle déposé l’affidavit de Sonia Atwell souscrit le 17 février 2012.

 

[10]           Le 7 mars 2012, la défenderesse a contre‑interrogé M. Lee sur son affidavit du 19 janvier 2012. Le 28 mars 2012, M. Lee a été contre‑interrogé sur les engagements pris lors du contre‑interrogatoire du 7 mars 2012.

 

II.        La question en litige

[11]           Le seul motif d’opposition en litige dans le présent appel concerne la question de savoir si la marque de commerce LOCAL, dont l’enregistrement est demandé, n’est pas distinctive eu égard aux dispositions de l’alinéa 38(2)d) et de l’article 2 de la Loi, parce qu’elle ne permet pas de distinguer les services de la défenderesse des services fournis par la demanderesse sous les noms commerciaux LOCAL 522 et LOCAL 510, à la date pertinente.

 

[12]           La demanderesse demande à la Cour de répondre aux questions suivantes :

 

A.                Est‑ce que la Commission des oppositions a commis une erreur en décidant que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau initial d’établir que les noms commerciaux ou marques LOCAL 510 et LOCAL 522 étaient bien connus dans la ville de Calgary en date du 21 septembre 2009?

 

B.                 Est‑ce que la Commission des oppositions a commis une erreur en décidant que la demanderesse n’était pas parvenue à établir la réputation des marques LOCAL 510 et LOCAL 522 en date du 21 septembre 2009?

 

C.                 Dans l’affirmative, est‑ce que la défenderesse a établi que la Marque est distinctive, étant donné l’emploi antérieur des marques et noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 par la demanderesse, qui sont similaires à la Marque au point de créer de la confusion?

 

III.       La date pertinente

[13]           La date pertinente pour décider si la marque de commerce de la défenderesse est distinctive est la date de la production de l’opposition, à savoir le 29 septembre 2009.

 

IV.       La norme de contrôle

[14]           Étant donné que, dans la présente affaire, la demanderesse a déposé de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à la Commission des oppositions, la Cour possède un pouvoir discrétionnaire absolu d’apprécier l’affaire et de tirer sa propre conclusion quant au bien‑fondé de la décision de la Commission des oppositions, si les nouveaux éléments de preuve sont importants au point d’avoir une incidence réelle sur la décision initiale (Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 [Bojangles]; Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, aux paragraphes 35 et 37).

 

[15]           Toutefois, lorsque de nouveaux éléments de preuve importants sont ajoutés en appel, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter (Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] ACF no 159, [2000] 3 CF 145; Novopharm Ltd c AstraZeneca AB, 2001 CAF 296).

 

[16]           Ainsi, la question concrète pour la Cour est d’apprécier la nature et la qualité des nouveaux éléments de preuve et de déterminer s’ils ont une incidence prépondérante dans le présent appel, auquel cas la norme de contrôle est la décision correcte, ou s’ils ne sont pas importants et n’ont pas d’effet sur la décision visée par l’appel, auquel cas la norme de contrôle est la raisonnabilité et il convient de faire preuve d’une déférence considérable à l’égard de la décision visée par l’appel (Telus Corp c Orange Personal Communications Services Ltd, 2005 CF 590, au paragraphe 397; confirmé par 2006 CAF 6 (CAF)).

 

V.        Le fardeau incombant aux parties

[17]           Bien que le fardeau de preuve initial pour le seul motif de l’opposition en litige incombe à l’opposante, la charge ou le fardeau ultime de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la marque de commerce est enregistrable repose sur les épaules de la requérante (John Labatt Ltd c Molson Co, [1990] ACF, no 533, 30 CPR (3d) 293, confirmé par [1992] ACF no 525, 42 CPR (3d) 495 (CAF)).

 

VI.       La preuve présentée à la Commission des oppositions

[18]           La demanderesse ne conteste pas que la Commission des oppositions était justifiée de conclure, vu le peu d’éléments de preuve dont elle disposait, que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau initial.

 

[19]           La membre de la Commission des oppositions a examiné soigneusement les éléments de preuve déposés par la demanderesse (opposante), et a correctement indiqué ce qui suit :

 

M. Lee déclare que l’Opposante emploie les noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 en liaison avec des services de boîte de nuit, de bar, de taverne, de restaurant et de bar‑salon depuis au moins le 31 mai 2009. Bien que M. Lee en ait fourni plusieurs, les seules pièces considérées comme datant d’avant la date pertinente du 21 septembre 2009 sont les suivantes :

 

1. [traduction] « une copie d’une affiche publiée dans le magazine Beatroute du Calgary Herald en avril 2009 annonçant l’ouverture du LOCAL 510 et du LOCAL 522 » (pièce J) – cependant, je ne vois ni LOCAL 510 ni LOCAL 522 figurer dans cette publicité;

 

2. [traduction] « des copies des affiches publiées dans le magazine Beatroute du Calgary Herald en juin, juillet, août, septembre [...] 2009, respectivement, annonçant le LOCAL 510 » – je vois bel et bien LOCAL 510 figurer dans ces publicités (pièces K à N);

 

3. [traduction] « une copie d’une critique en ligne du LOCAL 510 tirée du magazine Fast Forward Weekly datée du 30 juillet 2009 » (pièce S).

 

M. Lee a fourni les chiffres de ventes se rapportant à chaque nom commercial pour 2009 (pièce T), mais ces chiffres ne sont d’aucune utilité parce qu’ils n’ont pas été ventilés de manière à faire état des ventes antérieures au 21 septembre 2009.

 

Il ressort clairement de ce qui précède que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial en ce qui concerne le nom commercial LOCAL 522. Il reste à savoir si elle s’est acquittée de son fardeau de preuve en ce qui concerne le nom commercial LOCAL 510. Certains éléments de preuve indiquent que ce nom commercial a fait l’objet d’une promotion avant le 21 septembre 2009; il s’agit donc maintenant de savoir si la réputation qui a été établie est suffisante pour annuler le caractère distinctif de la Marque.

 

En l’absence de preuve de l’existence d’un lectorat canadien à l’égard de la critique en ligne du 20 juillet 2009, je ne peux accorder qu’un poids minime à celle‑ci. Il reste la preuve se composant de quatre annonces parues dans un magazine du Calgary Herald peu de temps avant la date pertinente.

 

Je ne suis pas convaincue que la parution de quatre annonces dans un magazine du Calgary Herald suffit à affaiblir le caractère distinctif de la Marque que la Requérante projette d’employer. À cet égard, je cite la première partie du paragraphe 33 de la décision Bojangles :

 

Les propositions qui suivent résument la jurisprudence pertinente portant sur le caractère distinctif lorsqu’il est allégué que la réputation d’une marque annule le caractère distinctif d’une autre marque, selon l’article 2 et l’alinéa 38(2)d) de la Loi :

 

-          La charge de la preuve incombe à la partie qui allègue que la réputation de sa marque empêche la marque de l’autre partie d’être distinctive;

 

-          Toutefois, il incombe encore à l’auteur de la demande d’enregistrement de prouver que sa marque est distinctive;

 

-          Une marque devrait être connue au Canada au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque;

 

-          Subsidiairement, une marque pourrait annuler le caractère distinctif d’une autre marque si elle est bien connue dans une région précise du Canada;

 

-          Le propriétaire d’une marque de commerce étrangère ne peut pas simplement affirmer que sa marque de commerce est connue au Canada; il doit plutôt présenter une preuve claire à ce sujet;

 

-          La réputation de la marque peut être prouvée par n’importe quel moyen; elle n’est pas limitée aux moyens précis mentionnés à l’article 5 de la Loi; il appartient au décideur de soupeser la preuve sur une base individuelle.

 

V.        La nouvelle preuve

[20]           La demanderesse se fonde sur la preuve produite antérieurement et dont disposait la Commission des oppositions, de même que sur un nouvel affidavit souscrit par Brian Lee le 19 janvier 2012. La défenderesse a quant à elle déposé l’affidavit de Sonia Atwell, souscrit le 17 février 2012. M. Lee a été contre‑interrogé sur son affidavit du 19 janvier 2012 et sur les engagements pris lors de son contre‑interrogatoire initial sur cet affidavit. Les parties ont convenu que lorsqu’une nouvelle preuve est présentée, il est nécessaire que la Cour apprécie son importance et sa valeur probante (Bojangles).

 

[21]           La demanderesse fait valoir que la nouvelle preuve présentée par M. Lee est suffisamment importante et probante pour avoir une réelle incidence sur les conclusions de fait de la Commission des oppositions et sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et que, par conséquent, je devrais réviser la décision selon la norme de la décision correcte.

 

[22]           La défenderesse avance que la nouvelle preuve et le contre‑interrogatoire sur celle‑ci prouvent que les noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 de la demanderesse n’étaient pas très connus à Calgary à la période pertinente, et que l’emploi restreint des noms commerciaux de la demanderesse n’a pas annulé le caractère distinctif de la marque de commerce LOCAL de la défenderesse dont l’enregistrement est demandé pour un emploi en liaison avec les services énumérés dans la demande de la défenderesse. Par conséquent, dans le cadre de sa révision, la Cour devrait faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission des oppositions en appliquant la norme de raisonnabilité.

 

[23]           Les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Lee comprennent :

 

a.)                des copies d’annonces et de documents promotionnels publiés ou imprimés entre le 21 avril 2009 et le 20 septembre 2009 sur lesquelles figure le nom LOCAL 510;

b.)                des copies d’annonces et de documents promotionnels publiés ou imprimés entre le 14 mai 2009 et le 6 septembre 2009 sur lesquelles figure le nom LOCAL 522;

c.)                de l’information diffusée pour le magazine Best Route à Calgary et de l’information concernant de la publicité achetée par la demanderesse en juin 2009;

d.)               de l’information de l’éditeur concernant la diffusion du Fast Forward Weekly à Calgary du 1er juin 2009 à septembre 2009;

e.)                de l’information sur l’emploi du nom LOCAL 510 au Calgary Folk Music Festival en 2009;

f.)                 une analyse du chiffre d’affaires brut relatif aux noms LOCAL 510 et LOCAL 522, de leur ouverture jusqu’au 29 septembre 2009;

g.)                des copies de factures, d’avis et de reçus de fournisseurs, vendeurs et fournisseurs de services relatifs aux noms LOCAL 510 et LOCAL 522, avant la date d’opposition.

 

[24]           La thèse de la demanderesse est que, lorsque l’on combine le menu, les factures, le matériel promotionnel, le chiffre d’affaires avant la date d’opposition et le nombre probable de gens qui ont fréquenté les établissements LOCAL 510 et LOCAL 522 au cours des trois mois et demi précédant la date d’opposition, on peut conclure que les noms commerciaux et marques de commerce LOCAL 510 et LOCAL 522 jouissaient d’une réputation importante et qu’ils étaient bien connus, rendant ainsi la marque de commerce LOCAL de la défenderesse non distinctive en date du 21 septembre 2009.

 

[25]           La défenderesse invite la Cour à accorder peu de poids aux nouveaux éléments de preuve de la demanderesse pour les raisons suivantes :

 

a.)                les nouveaux éléments de preuve ne sont ni fiables ni probants, en ce sens qu’ils ne réussissent pas à établir le lien nécessaire entre, d’une part, les noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 de la demanderesse et, d’autre part, une quelconque notoriété réelle de ces noms, sur le fondement du matériel promotionnel et publicitaire, des factures et de l’information sur le chiffre d’affaires fournis dans les affidavits de M. Lee;

 

b.)                les éléments de preuve présentés par M. Lee sont peu crédibles et ont peu de valeur probante pour les raisons suivantes :

 

i.                    il n’y a pas de preuve d’enseigne à l’un ou l’autre des établissements LOCAL 510 ou LOCAL 522, si ce n’est une référence maculée sur une ardoise pour l’établissement LOCAL 522;

 

ii.                  comme il a été confirmé au cours du contre‑interrogatoire de M. Lee, les chiffres d’affaires donnés dans son affidavit correspondent au chiffre d’affaires « combiné » de l’établissement LOCAL 522 et du Wildhorse Saloon, exploités pendant 10 jours durant le Stampede de Calgary en juillet 2009, de telle sorte qu’on ne peut quantifier le chiffre d’affaires associé aux noms commerciaux LOCAL 522 ou LOCAL 510. La plupart des ventes citées dans la pièce K produite par M. Lee ont été réalisées durant le mois du Stampede de Calgary. De plus, la pièce J produite par M. Lee ne fait état d’aucun revenu pour l’établissement 510 avant le 14 juillet 2009, soit moins de deux (2) mois avant la date d’opposition, et la pièce K ne fait état d’aucun revenu pour l’établissement 522 avant le 23 juin 2009, soit moins de trois (3) mois avant la production de la demande d’opposition. En outre, il y a des erreurs dans le tableau des chiffres d’affaires;

 

iii.                les critiques publiées en ligne, dans la mesure où elles sont recevables, indiquent que les auteurs connaissent les deux restaurants de la demanderesse uniquement par leur numéro, à savoir 510 ou 522 (ou n’en ont jamais su le nom), et non par le mot LOCAL, pendant toute la période pertinente;

 

iv.                la preuve de nature promotionnelle ne précise pas si les annonces visées étaient « publiées » ou « imprimées », et il ne s’agit que de maquettes de ces annonces; la présentation d’« épreuves » n’indique pas le contexte dans lequel les annonces ont été publiées, en supposant qu’elles l’aient effectivement été. De plus, plusieurs des pièces jointes à l’affidavit de M. Lee sont des preuves par ouï‑dire auxquelles on ne devrait accorder que peu ou pas d’importance;

 

v.                  lors du contre‑interrogatoire, M. Lee a confirmé qu’il n’avait demandé à personne de présenter une preuve originale concernant les publications ou les annonces auxquelles il renvoie dans son affidavit – une preuve par ouï‑dire n’est ni recevable ni fiable;

 

vi.                la preuve fournie par Mme Atwell pour le compte de la défenderesse a confirmé qu’avant et même après la date d’opposition pertinente, le public ne connaissait généralement pas les noms commerciaux LOCAL 510 ou LOCAL 522, ou quelque marque de commerce que ce soit utilisant le mot LOCAL, à l’un ou l’autre des établissements de la demanderesse;

 

vii.              le site Web de CEG utilisant le nom de domaine local tavern.ca (pièce I produite par M. Lee) n’était exploité à aucun moment pendant la période pertinente, point que M. Lee n’a pas mentionné.

 

VI.             Analyse et motifs

[26]           La pierre angulaire d’une marque réside dans son caractère distinctif, car seule une marque distinctive permet aux consommateurs de connaître la source des marchandises : Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65, au paragraphe 39.

 

[27]           Le facteur crucial à considérer est le message que la marque de commerce véhicule auprès du public. Si la demanderesse peut démontrer qu’un large segment du marché canadien associe la marque de commerce LOCAL de la défenderesse à la demanderesse, plutôt qu’à la défenderesse, à l’époque pertinente, la marque LOCAL ne serait pas alors distinctive et ne serait pas enregistrable. Toutefois, compte tenu de l’absence de preuve d’une grande notoriété des noms commerciaux et marques de commerce LOCAL 510 ou LOCAL 522 de la demanderesse, à l’époque pertinente, particulièrement eu égard au fait que l’emploi qu’en fait la demanderesse se limite à la ville de Calgary et ne vise aucun autre marché au Canada, la demanderesse n’a pas établi une quelconque absence de caractère distinctif de la marque de commerce LOCAL de la défenderesse en raison de l’emploi des noms LOCAL 510 ou LOCAL 522 par la demanderesse dans ce marché : Bousquet c Barmish Inc (1991) 37 CPR 3(d) 516 à 525, 528 et 529 (CF 1re inst); confirmé par (1993) 46 CPR (3d) 510 et 511 (CAF); Bojangles’ International, LLC c Bojangles Café Ltd (2006) 48 CPR (4th) 427, aux paragraphes 26 et 33 (CF 1re inst.) [Bojangles].

 

[28]           Comme l’a déclaré la Commission dans sa décision :

 

[…] lorsque la réputation de l’opposant se limite à une région précise du Canada, celui‑ci s’acquitte de son fardeau de preuve initial si sa marque de commerce (ou son nom commercial) est bien connue dans cette région précise. La preuve dont je dispose ne me permet cependant pas de conclure que le nom commercial de l’Opposante était bien connu dans la région de Calgary ou qu’il jouissait au Canada d’une réputation importante, significative ou suffisante au point d’annuler le caractère distinctif de la Marque de la Requérante. J’estime donc que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial, de sorte que le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est rejeté.

 

[29]           Au paragraphe 33 de la décision Bojangles, précitée, le juge Noël énonce également les principes jurisprudentiels pertinents concernant le caractère distinctif lorsqu’il est allégué que la réputation d’une marque annule le caractère distinctif d’une autre marque, selon l’article 2 et l’alinéa 38(2)d) de la Loi :

 

-          La charge de la preuve incombe à la partie qui allègue que la réputation de sa marque empêche la marque de l’autre partie d’être distinctive;

 

-          Toutefois, il incombe encore à l’auteur de la demande d’enregistrement de prouver que sa marque est distinctive;

 

-          Une marque devrait être connue au Canada au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque;

 

-          Subsidiairement, une marque pourrait annuler le caractère distinctif d’une autre marque si elle est bien connue dans une région précise du Canada;

 

-          Le propriétaire d’une marque de commerce étrangère ne peut pas simplement affirmer que sa marque de commerce est connue au Canada; il doit plutôt présenter une preuve claire à ce sujet;

 

-          La réputation de la marque peut être prouvée par n’importe quel moyen; elle n’est pas limitée aux moyens précis mentionnés à l’article 5 de la Loi; il appartient au décideur de soupeser la preuve sur une base individuelle.

 

[30]           Par conséquent, pour que la demanderesse obtienne gain de cause, il faut établir que les noms commerciaux LOCAL 510 et/ou LOCAL 522 étaient connus dans la mesure nécessaire pour annuler le caractère distinctif de l’emploi projeté de la marque LOCAL par la demanderesse; pour ce faire, la réputation des noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 de la demanderesse devrait être importante, significative ou suffisante.

 

[31]           Or, la demanderesse a eu deux occasions de présenter une preuve pour démontrer une réputation « importante, significative ou suffisante » de ses noms commerciaux LOCAL 510 et/ou LOCAL 522, mais elle n’y est pas parvenue. Bien qu’il y ait une certaine preuve de l’utilisation des noms LOCAL 510 et LOCAL 522, cette utilisation a une portée limitée, elle s’étend sur une période relativement courte et on peut se demander dans quelle mesure elle établit une quelconque réputation autre que celle d’un établissement numéroté d’après les emplacements des deux restaurants de la demanderesse, à savoir l’établissement « 510 » ou « 522 ». Je suis dans l’ensemble d’accord avec les observations faites par les avocats de la défenderesse pour ce qui est de la fiabilité et de la valeur probante (ou l’absence de fiabilité ou de valeur probante) des nouveaux éléments de preuve déposés au moyen du second affidavit de M. Lee. L’absence de lien clair entre l’emploi des noms commerciaux LOCAL 510 ou LOCAL 522 et les chiffres d’affaires fournis par la demanderesse font qu’il est difficile d’accorder beaucoup d’importance non seulement aux chiffres associés à l’un ou l’autre des établissements, compte tenu en particulier des chiffres combinés à ceux du Wildhorse Saloon, mais aussi de trancher la question de savoir si une notoriété suffisante ou significative est associée à ces chiffres et aux noms commerciaux sur lesquels se fonde la demanderesse. En outre, la publication des diverses annonces et documents promotionnels n’est pas concluante au regard de ce qui a été réellement publié et à la diffusion du matériel utilisant les noms LOCAL 510 et LOCAL 522 dans la région de Calgary. L’ensemble de la preuve manque certainement de clarté et ne permet pas d’établir que l’emploi du nom commercial LOCAL 510 ou LOCAL 522 de la demanderesse a rendu non distinctive la marque de la défenderesse à la date d’opposition. Que l’on se fonde sur la norme de la décision raisonnable ou sur celle de la décision correcte, j’estime que la demanderesse ne répond pas à la norme applicable en appel.

 

[32]           Lorsqu’on examine les commentaires jusqu’à la date d’opposition et par la suite en ce qui a trait à l’information en ligne présentée en preuve, ils ne justifient pas non plus que l’on conclue qu’il y a eu emploi important et suffisant de l’un ou l’autre des noms commerciaux LOCAL 510 ou LOCAL 522 à Calgary, lequel emploi annulerait le caractère distinctif de la marque de commerce de la défenderesse, que j’estime distinctive eu égard aux critères énoncés dans la décision Bojangles.

 

[33]           Bien que je ne voie pas la nécessité de répondre au point soulevé par la défenderesse concernant l’existence ou non d’un contrôle suffisant du nom commercial LOCAL 510 ou LOCAL 522 par la demanderesse, étant donné la conclusion à laquelle je viens d’arriver, compte tenu de l’examen des contrats de licence aux pièces O et P jointes à l’affidavit de M. Lee, du fait que Victor Choy est l’unique administrateur, actionnaire et âme dirigeante des sociétés de la demanderesse et de la période très courte d’emploi des noms par la demanderesse en l’espèce, j’estime que la demanderesse exerçait un degré suffisant de contrôle, de sorte que les noms commerciaux LOCAL 510 et LOCAL 522 ne peuvent pas être déclarés invalides en raison d’un contrôle insuffisant.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel de la demanderesse est rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2077‑11

 

 

INTITULÉ :                                                  CEG LICENSE INC. c.
JOEY TOMATO’S CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 décembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT                         LE JUGE MANSON

ET JUGEMENT     

 

DATE :                                                          Le 21 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kent Jesse

Shannon McGinty

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel G.C. Glover

Beth MacDonald

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McLennan Ross LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

McCarthy Tétrault LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.