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Date : 20121221

Dossier : T‑1645‑11

Référence : 2012 CF 1539

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

 

ENTRE :

 

HAWKE & COMPANY OUTFITTERS LLC

 

 

 

demanderesse

 

ET

 

 

 

RETAIL ROYALTY COMPANY et AMERICAN EAGLE OUTFITTERS, INC.

 

 

 

défenderesses

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel, interjeté conformément à l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC, 1985, ch T‑13 (la Loi), de la décision, en date du 10 août 2011, par laquelle Mme Céline Tremblay (la membre), de la Commission des oppositions des marques de commerce (la COMC ou la Commission), qui agissait au nom du registraire des marques de commerce (le registraire), a refusé la demande d’enregistrement présentée par la demanderesse fondée sur l’emploi projeté de sa marque de commerce « HAWKE & CO. OUTFITTER & dessin d’oiseau » (la marque demandée ou la marque, reproduite ci‑dessous) sur le fondement de l’opposition produite par les défenderesses à cette demande. La membre a rejeté la demande d’enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse au motif que cette dernière n’avait pas démontré qu’il existait une probabilité raisonnable de confusion entre la marque demandée et l’emploi et la révélation antérieurs au Canada de la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & dessin des défenderesses (la marque AEO & dessin) en liaison avec des vêtements et services de vente au détail de vêtements.

HAWKE & CO. OUTFITTER & Bird Design

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que le présent appel doit être rejeté.

 

1. Contexte

[3]               Hawke & Company Outfitters LLC (la demanderesse) est une société œuvrant dans la fabrication, l’importation, la vente et la distribution de vêtements d’extérieur et accessoires pour adultes et pour enfants et dont le siège social se trouve dans l’État de New York, aux États‑Unis. Elle a été constituée en personne morale en 2006.

 

[4]               Retail Royalty Company (RRC) est une filiale en propriété exclusive d’American Eagle Outfitters, Inc. (AEO). RRC est la propriétaire de plusieurs marques de commerce qui ont été employées et enregistrées, ou qui ont fait l’objet d’une demande d’enregistrement, tant au Canada que sur le plan international, en liaison avec une vaste gamme de vêtements, d’articles chaussants, et d’accessoires et de services de vente au détail de vêtements. Ces deux sociétés constituent les opposantes et les défenderesses dans le présent appel.

 

[5]               Le 26 avril 2007, la demanderesse a produit la demande no 1345073 en vue d’obtenir l’enregistrement de la marque « HAWKE & CO. OUTFITTER & dessin d’oiseau », sur le fondement d’un emploi projeté en liaison avec des vêtements, nommément vêtements tout‑aller, vêtements d’entraînement, costumes, vêtements pour enfants, tenues de cérémonie, vêtements de détente, vêtements de nuit, vêtements d’extérieur d’été, de printemps, d’automne et d’hiver, vêtements imperméables, vêtements de dessous, vêtements de bain, vêtements de plage, chaussettes, gants, ceintures; articles chaussants, nommément bottes, chaussures, sandales et pantoufles.

 

[6]               La demande d’enregistrement de la marque de commerce a été annoncée le 2 avril 2008 et les défenderesses ont produit une déclaration d’opposition le 2 septembre 2008 en invoquant chacun des motifs d’opposition prévus au paragraphe 38(3) de la Loi. Plus précisément, les motifs d’opposition invoqués étaient les suivants :

i.                    Alinéa 38(2)a) : La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi étant donné que la demanderesse n’a pas en fait l’intention d’employer la marque au Canada en liaison avec la totalité des marchandises;

ii.                  Alinéa 38(2)b) : La marque n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS appartenant à RRC employée en liaison avec des vêtements et des accessoires et des services de vente au détail de vêtements et d’accessoires;

iii.                Alinéa 38(2)c) : La demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque en vertu de l’alinéa 16(3)b) de la Loi du fait que sa marque crée de la confusion avec la marque AEO & dessin des défenderesses qui avait été antérieurement employée et révélée au Canada en liaison avec des vêtements et des services de vente au détail de vêtements. De plus, la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque aux termes des alinéas 16(3)a) et b) de la Loi car celle‑ci crée de la confusion avec les marques de commerce de RRC indiquées au paragraphe 7 de la déclaration d’opposition, qui avaient été antérieurement employées ou révélées au Canada et qui font toutes l’objet de demandes d’enregistrement présentées par les défenderesses (et dont aucune n’avait fait l’objet d’un désistement à la date à laquelle la demande d’enregistrement de la marque de commerce a été annoncée). Parmi les marques enregistrées des défenderesses et celles faisant l’objet d’une demande d’enregistrement, mentionnons deux marques composées du dessin d’un aigle (1285941 et 1303172, dont une seule se rapporte à des vêtements), trois autres comportant un dessin d’oiseau (1341663, 1336782 et 1336780, qui se rapportent toutes à des vêtements) et quatre marques verbales AMERICAN EAGLE OUTFITTERS (1003280, 1303171, 1233960 et 1226094, dont une seule se rapporte à des vêtements).

iv.                Alinéa 38(2)d) : la marque n’est pas distinctive et elle n’est pas non plus adaptée à distinguer les marchandises de la demanderesse des marchandises et services des défenderesses, compte tenu en particulier de l’emploi, de la promotion et de la publicité depuis de nombreuses années, de façon soutenue et à grande échelle que les défenderesses ont faites de leurs marques de commerce susmentionnées, lesquelles auraient acquis une solide réputation et un achalande appréciable au Canada.

 

[7]               Le 15 décembre 2008, la demanderesse a déposé une contre‑déclaration dans laquelle elle nie chacun des motifs d’opposition articulés aux paragraphes 3 à 8 de la déclaration d’opposition des défenderesses. 

 

[8]               À l’appui de leur opposition, les défenderesses ont produit l’affidavit souscrit par Mme Rebecca Gibbs, avocate en chef – Propriété intellectuelle d’AEO. Dans son affidavit, au sujet duquel elle n’a pas été contre‑interrogée, Mme Gibbs affirme ce qui suit :

•     Depuis l’ouverture du premier magasin de vente au détail d’AEO au Canada, la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS a continuellement été employée, comme en font foi les affiches internes, le matériel de promotion sur le lieu de vente, les photographies, les extraits de sites Web et les échantillons de publicités (notamment le publipostage, la publicité interne et la publicité imprimée) qui ont été produits en tant que pièces annexées à l’affidavit de Mme Gibbs;

•     Les cinq versions pertinentes de leurs marques de commerce ont chacune été produites, employées ou enregistrées avant le dépôt de la marque de la demanderesse;

•     Une abondante preuve d’usage a également été présentée au sujet de la marque AEO et dessin depuis bien avant la production de la demande de marque de la demanderesse;

•     Le dessin‑marque individuel EAGLE et la marque verbale AMERICAN EAGLE OUTFITTERS ont fait l’objet d’un emploi abondant, fréquent et répandu au Canada en étroite proximité l’une de l’autre, dans des publicités, des vêtements, des chaussures et des accessoires, depuis longtemps avant la production de la demande de marque de la demanderesse;

•     À la date de l’affidavit de Mme Gibbs, les magasins d’AEO exerçaient leurs activités au Canada depuis plus de huit ans (depuis 2000) et il existait 75 magasins de vente au détail d’AEO en activité dans neuf provinces canadiennes, qui étaient tous exploités par l’entremise d’une seule filiale (American Eagle Outfitters Canada Corporation, AEO Canada) qui détient une licence de RRC pour employer les marques de commerce de cette dernière;

•     RRC exerce un strict contrôle sur l’emploi, la publicité et l’affichage de chacune des marques de commerce faisant l’objet d’une licence accordée à AEO Canada;

•     Le chiffre de ventes annuel des magasins d’AEO au Canada a oscillé entre plus de 129 millions de dollars américains et plus de 280 millions de dollars américains entre 2004 et 2008;

•     Les Canadiens achètent des vêtements, des chaussures et des accessoires en ligne depuis au moins 2003 et le site Internet d’AEO.COM des défenderesses, qui a été lancé en 1998, a attiré plus de 16 millions d’appels de fichiers de Canadiens entre le 17 novembre 2006 et le 14 mars 2009;

•     Les dépenses totales de publicité engagées par les défenderesses en rapport avec leurs activités canadiennes auraient dépassé trois millions de dollars américains chaque année pour les cinq années précédant celles où l’affidavit a été souscrit.

 

[9]               Parmi les éléments de preuve présentés par la demanderesse devant la COMC, mentionnons l’affidavit souscrit par M. Aron Rosenberg. M. Rosenberg est le président de la demanderesse et l’on peut résumer comme suit son témoignage :

•     La demanderesse exerce ses activités dans la fabrication et l’importation de vêtements depuis mars 2006. Elle a lancé sa propre ligne de vêtements sous l’étiquette HAWKE & CO. OUTFITTERS et dessin, qui est devenue bien connue aux États‑Unis et qui est maintenant connue au Canada, et elle vend ses produits de façon continue au Canada depuis au moins l’automne 2007;

•     La demanderesse est une compagnie qui œuvre dans la fabrication, l’importation, la vente et la distribution de vêtements d’extérieur et d’accessoires pour adultes et pour enfants;

•     Les bureaux de la demanderesse sont situés dans la ville de New York et à Rahway, au New Jersey et elle emploie une vingtaine d’employés;

•     Des copies des factures envoyées à des magasins Winners, des copies de bons de travail de Winners pour les marchandises de la demanderesse, un extrait du catalogue de la demanderesse où l’on voit six articles différents portant la marque de la demanderesse et ainsi que des copies des photographies de vêtements vendus à Winners arborant la marque de la demanderesse sur l’étiquette apposée sur chacun des articles, constituent les éléments de preuve démontrant l’emploi de la marque demandée;

•     La marque demandée fait l’objet d’une licence accordée à Daron Fashions Inc. et Daron Fashions Group, entreprises associées à « Hawke Company » et autorisées à vendre les produits de cette dernière, y compris celles arborant la marque demandée;

•     Les ventes approximatives de vêtements de la demanderesse au Canada se sont élevées à 11 220 $US en 2007, 54 335 $ en 2008 et 100 000 $US en 2009.

 

[10]           Après la production des plaidoyers écrits de la demanderesse et des défenderesses le 18 novembre 2009 et le 20 novembre 2009 respectivement, une audience à laquelle les représentants des deux parties ont participé a eu lieu par téléphone le 11 avril 2011. Comme nous l’avons déjà signalé, la décision par laquelle la membre a fait droit à l’opposition des défenderesses et a refusé la demande présentée par la demanderesse a été rendue le 10 août 2011.

 

2. La décision contestée

[11]           La membre a d’abord examiné la charge de la preuve qui s’applique en cas d’opposition à un enregistrement. Elle a expliqué que l’opposante a la charge initiale de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour appuyer les faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition. Par la suite, la demanderesse a le fardeau ultime de démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que la demande d’enregistrement est conforme aux exigences de la loi et que les motifs d’opposition invoqués ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de sa marque.

 

[12]           La membre a ensuite examiné le motif d’opposition fondé sur la non‑conformité à l’alinéa 30e) de la Loi. Elle a rejeté sommairement ce premier motif d’opposition en expliquant que l’opposante ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait à cet égard.

 

[13]           Elle a ensuite examiné les autres motifs d’opposition, qui portaient tous sur la question de la confusion entre les marques des parties. Pour ce faire, la membre a d’abord examiné les deux motifs fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement aux termes de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, le premier fondé sur l’emploi et la révélation antérieurs au Canada de la marque AEO & dessin de RRC en liaison avec des vêtements et des services de vente au détail de vêtements, et le deuxième fondé sur l’emploi et la révélation antérieurs des marques de commerce de RRC au Canada qui figuraient à l’annexe A de la décision de la membre. Elle a axé sa première analyse sur la marque AEO & dessin et a tiré les conclusions suivantes dans ce contexte.

 

[14]           En premier lieu, la membre a conclu, selon une interprétation raisonnable de l’ensemble de l’affidavit de Mme Gibbs, que les opposantes s’étaient acquittées de leur fardeau de démontrer que la marque AEO & dessin avait été antérieurement employée et n’avait pas été abandonnée au Canada en liaison avec des vêtements et des magasins de vente au détail de vêtements (en se fondant sur des étiquettes fixes et des étiquettes mobiles apposées sur les vêtements, les photographies et des spécimens de publicité). La membre a fait observer que, même si Mme Gibbs ne faisait pas expressément référence à la marque de commerce AEO & dessin, elle était convaincue que les éléments de preuve relatifs à l’emploi du dessin de l’aigle en combinaison avec les mots AMERICAN EAGLE OUTFITTERS, dans la plupart des cas superposés l’un au‑dessus de l’autre, équivalaient à l’emploi de la marque AEO & dessin comme il était affirmé dans le motif d’opposition.

 

[15]           Comme les opposantes s’étaient acquittées de leur fardeau preuve initial, la membre s’est ensuite demandé si la demanderesse s’était acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, s’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion. Suivant l’alinéa 38(2)c) et le paragraphe 16(3) de la Loi, la date de référence à cet égard était celle de la production, c’est‑à‑dire le 26 avril 2007. La membre a résumé le critère applicable en matière de confusion en expliquant qu’il reposait sur la première impression et le souvenir imparfait. Pour appliquer ce critère, le registraire doit tenir compte de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui sont expressément énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi. Le poids qu’il convient d’accorder à ces facteurs n’est pas forcément le même. Ainsi qu’elle l’a fait observer, le risque probable de confusion est une question de probabilités et de circonstances, eu égard aux faits particuliers de l’espèce.

 

[16]           La membre a ensuite passé en revue chacun des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. En ce qui concerne le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues al. 6(5)a)), la membre a donné gain de cause aux opposantes. Malgré le fait qu’elle avait conclu que le mot anglais « outfitter » était un mot générique et qu’elle était d’avis que le caractère distinctif inhérent des marques respectives des parties était à peu près équivalent, la membre s’est laissé infléchir par le caractère distinctif acquis de la marque de RRC (comme en faisaient foi les ventes annuelles canadiennes et les frais de publicité, ainsi que les ventes annuelles au Canada et les dépenses de publicité, les spécimens relatifs à l’emploi qui avaient été versés en preuve et l’absence de caractère distinctif de la marque demandée à la date pertinente).

 

[17]           La membre a également conclu que le facteur de la période de temps pendant laquelle les marques de commerce des parties avaient été en usage à la date pertinente (al. 6(5)b)) favorisait les opposantes.

 

[18]           Les parties ne contestent pas qu’il y a un chevauchement entre les marchandises associées à leurs marques de commerce (al. 6(5)c)). Quant à la nature du commerce (al. 6(5)d)), la demanderesse soutenait toutefois qu’il n’y avait pas de chevauchement étant donné que les marchandises des défenderesses étaient vendues que dans des magasins de vente au détail AMERICAN EAGLE OUTFITTERS. Malgré le fait qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve en ce sens, la membre était disposée à conclure, à partir de la preuve des défenderesses, que leurs marchandises étaient vendues uniquement dans des magasins exploités par le titulaire de licence des défenderesses (ainsi que sur Internet), même si elle a reconnu qu’il n’était pas interdit aux défenderesses de vendre les marchandises en question dans d’autres magasins. Quoi qu’il en soit, elle a conclu au chevauchement quant à la nature du commerce étant donné que les deux parties fournissaient leurs marchandises par le biais de magasins de vêtements.

 

[19]           Enfin, pour ce qui est du degré de ressemblance dans la présentation ou le son ou dans les idées suggérées (al. 6(5)e)), la membre a fait observer que ce facteur était souvent celui qui était le plus déterminant des cinq. Elle a conclu qu’il existait un degré de ressemblance assez marqué entre les dessins d’oiseau et entre les idées que les marques des parties suggéraient. Pour arriver à cette conclusion, la membre a conclu ce qui suit :

•     Les éléments de similitude entre les marques des parties se trouvent dans le mot « OUTFITTER » et dans le dessin d’un oiseau;

•     Bien qu’on ne puisse pas dire que le mot « OUTFITTER » soit un élément hautement distinctif, il s’agit néanmoins du dernier élément des deux marques en cause et « il n’existe aucun élément de preuve permettant de conclure que ce mot avait été, à la date pertinente, communément adopté en tant que composante des marques de commerce employées en liaison avec des vêtements et des accessoires » (au paragraphe 44 de la décision);

•     La membre a souscrit à l’argument de la demanderesse suivant lequel il existait d’importantes différentes entre les marques lorsqu’on les entendait, mais elle a expliqué qu’elle n’était pas d’accord qu’il existait également de telles différences entre les marques lorsqu’on les voyait. Elle écrit :

D’abord, lorsqu’on considère la Marque dans son ensemble, j’estime que le dessin d’oiseau est tout aussi frappant que les mots « HAWKE & CO ». En d’autres mots, je ne suis pas d’accord avec la Requérante pour dire que les mots « HAWKE & CO » occupent une place prédominante dans la Marque. En outre, je conclus que les dessins de l’oiseau dans les marques des parties montrent une ressemblance assez marquée en ce qu’ils illustrent tous les deux la silhouette d’un oiseau de proie dont les ailes sont déployées. J’estime également qu’il existe un degré de ressemblance assez marquée entre les idées que les marques des parties suggèrent.

 

(Décision, au paragraphe 46)

 

[20]           La membre a également tenu compte d’autres circonstances pour déterminer les risques de confusion. Elle s’est tout d’abord attaquée à l’argument de la demanderesse suivant lequel on avait autorisé dans les industries de la mode la coexistence de dessins d’oiseau similaires de sorte que de petites différences suffisaient pour distinguer les marques. La membre a rejeté cet argument au motif qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour tirer quelque inférence que ce soit au sujet de l’état du marché. La demanderesse avait produit quelques exemples de marques qui avaient été autorisées à coexister dans le registre, mais la membre ne les a pas retenus au motif que les éléments de preuve relatifs à l’état du registre auraient dû être produits au moyen d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle et que, dans une procédure d’opposition, le registraire n’exerce son pouvoir discrétionnaire concernant ce qui figure au registre qu’à l’égard de ce qui est valablement prouvé. Il ne resterait donc que des imprimés de deux enregistrements appartenant à des tiers qui avaient été annexés à l’affidavit de M. Rosenberg.

 

[21]           La demanderesse a également fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve de ne serait-ce qu’un seul cas de confusion entre les marques des parties. La membre a estimé qu’aucune conclusion défavorable quant à la probabilité de confusion ne pouvait être tirée de l’absence de preuve d’incident de confusion étant donné qu’il n’y avait aucune preuve que la marque dont l’enregistrement était demandé avait été employée au Canada avant la date pertinente, de sorte que rien n’obligeait les opposantes à faire la preuve de cas concrets de confusion.

 

[22]           Enfin, la membre a examiné l’argument des défenderesses suivant lequel la famille d’autres marques de commerce avec dessins d’oiseau de RRC constituait une circonstance particulière qui augmentait les probabilités de confusion entre les marques de commerce en cause. La membre a écarté cet argument au motif que : (i) les marques avec dessins d’oiseau de RRC ne formaient pas une famille de marques, étant donné qu’il n’y avait aucune preuve d’emploi des trois autres marques avec un dessin d’oiseau autre qu’un aigle (exception faite de l’emploi au bas de certaines pages du site Web); (ii) les autres marques avec dessin autre qu’un aigle diffèrent substantiellement de la marque figurative EAGLE; (iii) en tout état de cause, une famille se compose généralement de plus de deux marques.

 

[23]           Compte tenu de ce qui précède, la membre a conclu :

[52] Dans l’application du test en matière de confusion, j’ai considéré qu’il s’agissait d’une question de première impression et de souvenir imparfait. Après examen de l’ensemble des facteurs et de leur importance relative, je suis d’avis que les probabilités de confusion entre les marques en cause se répartissent également entre une conclusion voulant qu’il y ait confusion et une conclusion voulant qu’il y ait absence de confusion. Comme il appartient à la Requérante de s’acquitter de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée aucune confusion avec la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & Dessin à la date de production de la demande, je retiens le premier motif d’opposition fondé sur l’absence de droit, au titre de l’al. 16(3)a) de la Loi.

 

[53] Étant donné que je retiens le premier motif d’opposition fondé sur l’al. 16(3)a), je ne vois pas la nécessité d’aborder le second motif d’opposition fondé sur l’emploi ou la révélation antérieurs au Canada des marques de commerce figurant à l’annexe A.

 

 

[24]           La membre s’est ensuite penchée sur le dernier motif d’opposition tiré de l’absence de caractère distinctif de la marque dont l’enregistrement était demandé. Pour satisfaire au fardeau de preuve qui leur incombait, les défenderesses devaient démontrer que les marques en cause étaient devenues suffisamment connues à la date à laquelle elles avaient déposé leur déclaration d’opposition (c.‑à‑d. le 2 septembre 2008) pour enlever à la marque demandée tout caractère distinctif. La membre a conclu que les défenderesses ne s’étaient pas acquittées de ce fardeau initial relativement aux trois marques avec dessin d’oiseau autre qu’un aigle parce qu’elles avaient omis de prouver l’emploi de ces marques. Elle s’est toutefois dite convaincue que la marque AEO & dessin était devenue suffisamment connue à la date pertinente pour enlever à la marque dont l’enregistrement était demandé tout caractère distinctif.

 

[25]           Comme les défenderesses s’étaient acquittées de leur fardeau initial en ce qui concerne la marque AEO & dessin, il revenait à la demanderesse de démontrer qu’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion, selon la norme de la prépondérance des probabilités. Étant donné que l’écart entre les dates pertinentes n’avait pas d’incidence importante sur l’analyse à laquelle elle avait procédé au sujet de la confusion en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a), la membre a estimé que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la marque demandée ne créerait pas de confusion avec la marque AEO & dessin. Étant donné qu’elle faisait droit au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif relativement à la marque AEO & dessin, la membre a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif pour ce qui était de la marque AMERICAN EAGLE OUTFITTERS et la marque figurative EAGLE de RRC.

 

[26]           Ayant donné gain de cause aux défenderesses relativement aux deux motifs d’opposition, la membre n’a pas abordé les autres motifs d’opposition et a, par conséquent, repoussé la demande d’enregistrement conformément au paragraphe 38(3) de la Loi.

 

3. Questions en litige

[27]           À l’appui de son avis de demande, la demanderesse a produit des éléments de preuve supplémentaires sous forme de deux affidavits. La première question à trancher est donc celle de savoir si ces éléments de preuve sont suffisamment importants et probants pour influencer sensiblement les conclusions de fait tirées par la Commission ou la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire. Dans l’affirmative, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Dans la négative, la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[28]           La seconde question à trancher est, évidemment, celle de savoir si la décision de la membre était raisonnable ou correcte, selon la norme de contrôle applicable.

 

4. Analyse de la norme de contrôle

            a) La norme de contrôle

[29]           D’aucuns ont fait observer que l’article 56 de la Loi n’est pas une disposition d’appel ordinaire en vertu de laquelle une cour d’appel tranche l’appel dont elle est saisie en fonction du dossier dont disposait le tribunal d’instance inférieure. Le paragraphe 56(5) permet en effet de soumettre des éléments de preuve supplémentaires à la Cour fédérale. En revanche, il ne s’agit pas pour autant d’un appel de novo dans lequel l’affaire serait décidée exclusivement sur le fondement d’un nouveau dossier et sans tenir compte des éléments de preuve présentés en première instance. Dans le cas d’un appel interjeté à la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi, les parties peuvent soumettre à la Cour des éléments de preuve dont ne disposait pas le registraire, mais la Cour ne peut pas écarter le dossier constitué devant le registraire.

 

[30]           Les parties s’entendent dans l’ensemble pour dire que, lorsqu’aucune preuve additionnelle n’est présentée, dans le cas d’un appel interjeté conformément à l’article 56, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique. Elles s’entendent également pour dire que, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont produits, il est nécessaire d’en évaluer l’importance et, s’ils sont susceptibles d’influencer sensiblement les conclusions de fait du membre ou la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. Cette norme de contrôle a été analysée et résumée par le juge Rothstein, qui s’exprimait au nom de la majorité dans l’arrêt Brasserie Molson c John Labatt Ltd, [2000] 3 CF 145, 5 CPR (4th) au paragraphe 29 :

Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

 

[31]           Il est bien établi que, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés, le critère « est un critère de qualité et non de quantité » (Conseil canadien des ingénieurs professionnels c APA – The Engineered Wood Assn, [2000] ACF no 1027 (QL), 7 CPR (4th) 239 (CF) au paragraphe 36; Wrangler Apparel Corp c Timberland Co, 2005 CF 722 au paragraphe 7). Une preuve qui ne fait que compléter ou confirmer des conclusions antérieures ou qui se rapporte à des faits postérieurs à la date pertinente ne suffit pas pour écarter la norme déférente de la décision raisonnable.

 

[32]           Comme nous l’avons déjà mentionné, la demanderesse a déposé deux affidavits supplémentaires à l’appui de son avis de demande. Le premier a été souscrit par Mme Celine Wong, secrétaire juridique travaillant au cabinet d’avocats Robinson Sheppard Shapiro LLP, le cabinet d’avocats de la demanderesse. Le second a été souscrit par M. Rosenberg, président de la demanderesse. Il vise à offrir des éclaircissements au sujet du premier affidavit.

 

[33]           Mme Wong a effectué une recherche dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes. Voici ce qu’elle a trouvé :

•     On trouve le mot « OUTFITTERS » dans la base de données en rapport avec 113 marques de commerce, dont 42 sont des marques de commerce actives portant sur des marchandises, et plus précisément [traduction] « des vêtements, des chaussures et des services de vente au détail et de commerce de gros en rapport avec des vêtements et des chaussures »;

•     On trouve le mot « OUTFITTER » dans la base de données en rapport avec 21 marques de commerce, dont six sont des marques de commerce actives portant sur [traduction] « des vêtements, des chaussures et des services de vente au détail et de commerce de gros en rapport avec des vêtements et des chaussures »;

•     On trouve dans la base de données (au moins) 378 marques de commerce inscrites comportant comme élément un dessin d’oiseau, dont 42 sont des marques de commerce actives portant sur [traduction] « des vêtements, des chaussures et des services de vente au détail et de commerce de gros en rapport avec des vêtements et des chaussures »;

•     On trouve dans la base de données (au moins) 215 marques de commerce inscrites contenant comme élément le dessin d’un aigle, dont 30 sont des marques actives portant sur [traduction] « des vêtements, des chaussures et des services de vente au détail et de commerce de gros en rapport avec des vêtements et des chaussures ».

 

[34]           Mme Wong a également effectué une recherche dans la base de données de Corporations Canada qui lui a permis d’obtenir une liste de 45 personnes morales constituées en société (actives ou dissoutes) dont la dénomination sociale comprenait le mot « OUTFITTERS », et dont 17 étaient des sociétés de régime fédéral actives, ainsi que dix entreprises constituées en personne morale (actives ou dissoutes) dont la dénomination sociale comprenait le mot « OUTFITTER » et dont quatre étaient identifiées comme étant des sociétés de régime fédéral actives.

 

[35]           Mme Wong a également effectué une recherche dans le registre des entreprises du Québec (qui fournit des renseignements sur toutes les personnes physiques ou morales exploitant une entreprise au Québec, indépendamment de leur forme juridique). Elle a trouvé 147 entités qui comportaient le mot « OUTFITTERS », dont six étaient toujours actives et qui exerçaient des activités se rapportant aux vêtements et aux chaussures.

 

[36]           Enfin, Mme Wong a fourni la définition du mot « OUTFITTER » tirée de quatre dictionnaires. 

 

[37]           Quant au second affidavit souscrit par M. Rosenberg, on y trouve les éléments de preuve supplémentaires et les éclaircissements suivants au sujet de son premier affidavit :

•     Daron Fashions Inc. et Daron Fashions Group désignent la même entité, en l’occurrence la société mère de la demanderesse; il s’agit, à toutes les dates pertinentes, de la distributrice des vêtements arborant la marque demandée par la demanderesse;

•     De 2007 à 2009, seuls les vêtements pour hommes arborant la marque demandée ont été vendus à Winners par Daron Fashions Inc. pour le compte de la demanderesse;

•     Les factures qui ont été envoyées à Winners par Daron Fashions Inc. et qui sont annexées au second affidavit de M. Rosenberg portaient sur des pulls tricotés en laine pour hommes, des pulls à glissières pleine longueur pour hommes, des kangourous pour hommes, des blousons tricotés en poly pour hommes, des blousons tissés en poly pour hommes, des blousons en laine tissés pour hommes, des blousons légers MMF pour hommes, des pulls en tricot de coton pour hommes et des blousons à col montant à glissière pleine longueur pour hommes, qui avaient été vendus et livrés à Winners et qui arboraient tous une étiquette tissée sur laquelle figurait la marque de commerce demandée ainsi qu’on peut le constater à la lecture des copies des photographies produites à titre de pièces supplémentaires annexées au second affidavit en question;

•     La pièce 14 contient des copies de sept factures qui ont été adressées à Winners par Daron Fashions Inc. en 2009 et qui constateraient des ventes de vêtements pour hommes totalisant 150 675 $US jusqu’au 22 octobre 2009;

•     M. Rosenberg allègue que toutes les marchandises qui ont été livrées à Winners en rapport avec les sept factures en question portaient une étiquette tissée arborant la marque demandée. Il précise également que seuls des vêtements arborant la marque demandée ont été vendus à Winners par Daron Fashions Inc. de 2007 à 2009, contrairement à ce qu’il avait auparavant prétendu en affirmant que la demanderesse vendait également des vêtements pour femmes et pour enfants.

 

[38]           Je ne crois pas que les renseignements contenus dans le second affidavit de M. Rosenberg soient suffisamment importants ou probants pour modifier sensiblement les conclusions tirées par la membre, et ce, pour deux raisons principales. En premier lieu, le seul élément de preuve véritablement nouveau que l’on retrouve dans les documents joints à l’affidavit en question est la liasse de sept factures regroupées à la pièce 14, qui se rapportent toutes à l’année 2009, c’est‑à‑dire après les dates pertinentes à retenir pour l’examen des questions de confusion et de caractère distinctif auquel il faut procéder en vertu des articles 2 et 16 de la Loi. En second lieu, les derniers éclaircissements offerts par M. Rosenberg dans son second affidavit servent soit à corriger les déclarations inexactes qu’il avait faites dans son premier affidavit (lesquelles, si elles n’avaient pas été rectifiées, auraient probablement favorisé la demanderesse, notamment son affirmation qu’entre 2007 et 2009, la demanderesse n’avait vendu à Winners que des vêtements pour hommes arborant la marque demandée), soit à clarifier les éléments de preuve portant sur l’usage de la marque demandée au Canada, ce qui n’était pas nécessaire compte tenu du fait que la membre s’est dite convaincue « après avoir procédé à une interprétation objective de l’ensemble de l’affidavit de M. Rosenberg » que le premier affidavit permettait de conclure à l’emploi de la marque demandée au Canada depuis novembre 2007 en liaison avec des vêtements (paragraphe 29 de la décision).

 

[39]           Je suis également d’avis que l’abondante preuve contenue dans les annexes de l’affidavit de Mme Wong n’est pas d’une qualité et d’une importance suffisantes pour modifier sensiblement la décision de la membre. L’avocat de la demanderesse a soutenu que cet affidavit répond à certaines des préoccupations de la membre, en l’occurrence : (i)  il n’existe aucun élément de preuve permettant de conclure que le mot « OUTFITTER » est couramment adopté en tant que composante des marques de commerce employées en liaison avec des vêtements et des accessoires à la date pertinente; (ii)  la demanderesse n’avait soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer que des marques de commerce composées de dessins d’oiseaux sont couramment adoptées et employées au Canada en liaison avec des vêtements et des accessoires; (iii) les observations de la demanderesse suivant lesquelles on a permis à des dessins semblables d’oiseau de coexister dans l’industrie de la mode ne sont corroborées par aucun élément de preuve acceptable. Malheureusement, les éléments de preuve complémentaires que l’on retrouve dans l’affidavit souscrit par Mme Wong sont insuffisants pour répondre aux préoccupations exprimées par la membre et n’abordent pas sa conclusion la plus importante.

 

[40]           Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’une recherche dans le registre du bureau des marques de commerce ne constitue pas la meilleure façon de s’enquérir de l’état du marché ou de l’usage réel d’une marque. Le fait qu’une marque figure au registre ne constitue pas une preuve qu’elle est présentement employée, qu’elle était en usage aux dates pertinentes, qu’elle est employée en rapport avec les marchandises ou des services semblables à ceux des parties, ou encore de connaître l’ampleur de cet usage (Equinox Entertainment Ltd. c 54th Street Holdings Sarl, 2011 COMC 233, [2011] COMC no 5233, 98 CPR (4th) 14 [Equinox Entertainment] au paragraphe 35 (COMC).

 

[41]           Quant aux renseignements obtenus par la demanderesse à la suite de la consultation des registres des entreprises, ils sont encore moins utiles, surtout si l’on tient compte du défaut de la demanderesse d’établir un lien entre les éléments de preuve portant sur la nature des marchandises ou des services offerts par les parties et son omission de produire des éléments de preuve portant sur leur usage actuel sur le marché. Pour tirer une conclusion sur l’état du marché, il est nécessaire de soumettre des éléments de preuve plus concrets tels que l’achat de vêtements qui coexistent, la présentation d’échantillons de publicité actuelle, de chiffres portant sur les ventes annuelles de marchandises associées avec la marque, etc.

 

[42]           De plus, bon nombre des marques énumérées dans l’affidavit de Mme Wong comportent diverses lacunes et ne répondent pas à l’objet pour lequel elles ont été annexées à cet affidavit. Ainsi, l’affidavit exagère le nombre de présumées marques coexistantes qui incorporent le mot « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS » étant donné que certaines ne sont pas enregistrées ou que d’autres ne sont pas pertinentes, soit parce qu’elles n’appartiennent pas aux défenderesses, qu’elles se rapportent uniquement ou principalement à des services de pourvoirie et qu’elles ne semblent pas se rapporter à des marchandises du type de celles que vendent les parties. Il en va de même pour les marques de commerce qui incorporent un dessin d’oiseau ou d’aigle, dont bien peu pourraient être considérés comme créant un risque de confusion avec les dessins des parties et dont bon nombre ne sont pas enregistrés en rapport avec des marchandises semblables à celles des parties.

 

[43]           D’ailleurs, il ressort d’un examen attentif de l’affidavit souscrit par Mme Wong que la combinaison du dessin d’un oiseau (sans parler du dessin d’un aigle) et des mots « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS » est inhabituelle. Il semble qu’il n’existe que trois ou quatre marques (voir les pièces 10, 13, 17 et 45 annexées à l’affidavit de Mme Wong) qui comportent une combinaison d’un oiseau et du mot « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS » et aucun élément de preuve n’a été soumis pour démontrer que ces marques de commerce étaient employées au Canada à la date pertinente ou pour établir l’ampleur de cet usage. Les marques des parties sont les seules qui combinent la silhouette d’un oiseau avec les ailes et les serres déployées et le mot « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS ».

 

[44]           Le nombre exact de marques similaires nécessaires pour démontrer que l’élément d’une marque a été couramment adopté comme composante des marques employées en liaison avec les marchandises ou les services pertinents à la date de référence n’est pas absolu; tout dépend des faits de l’espèce. Dans Groupe Procycle Inc c Chrysler Group LLC, 2010 CF 918, 87 CPR (4th) 123 (CF) [Procycle], la Cour a estimé que la conclusion du registraire suivant laquelle dix enregistrements pertinents n’étaient pas suffisants pour tirer des conclusions reposait sur de la jurisprudence et n’était « aucunement déraisonnable » (au paragraphe 46). La Cour a également jugé pertinent l’arrêt Park Avenue Furniture Corp c Wickes/Simmons Bedding Ltd, [1991] ACF no 546, 37 CPR (3d) 413 (CAF), suivant lequel « il ne suffisait que de sept marques pertinentes enregistrées pour pouvoir tirer des conclusions sur l’état du marché » (Procycle au paragraphe 46), sans toutefois formuler d’observation au sujet de la conclusion du registraire suivant laquelle cinq enregistrements étaient insuffisants pour tirer des conclusions au sujet de l’état du marché en ce qui concerne une marque distincte (Procycle, au paragraphe 19).

 

[45]           Dans la décision Equinox Entertainment, précitée, au paragraphe 45, la COMC a conclu que la coexistence au registre de six marques de commerce appartenant à l’opposante (qui, à l’exclusion de deux, appartenaient toutes à des entités différentes) suffisait en soi pour limiter la portée de la protection à laquelle chacune des six marques avait droit et diminuerait d’autant le risque de confusion entre la marque de la demanderesse et les autres marques. Toutefois, dans Nature’s Source Inc c Natursource Inc, 2012 CF 917, 104 CPR (4th) 1, la présente Cour a confirmé la décision par laquelle la Commission avait estimé que les seules marques de commerce de tierces parties qui étaient pertinentes pour l’analyse étaient celles qui étaient phonétiquement équivalentes et que les quatre marques produites en preuve qui satisfaisaient à cette condition ne permettaient pas de conclure que « les consommateurs seraient habitués à voir ces marques de commerce sur le marché et à les distinguer » (au paragraphe 66).

 

[46]           Vu ce qui précède, il m’est impossible de conclure que les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de Mme Wong auraient sensiblement influencé les conclusions de la membre. La conclusion de la membre suivant laquelle « les probabilités de confusion entre les marques en cause se répartissent également entre une conclusion voulant qu’il y ait confusion et une conclusion voulant qu’il y ait absence de confusion » (au paragraphe 52 de la décision) laisse incontestablement penser que la présentation de tout autre élément de preuve par la demanderesse devrait être attentivement examinée si tant est qu’il pouvait faire pencher la balance en sa faveur. Les rares marques inscrites au registre qui pourraient être considérées pertinentes en vue d’établir un risque de confusion sont toutefois insuffisantes pour pouvoir conclure que les éléments semblables des marques des parties ont été couramment adoptés en tant que composantes des marques de commerce employées en liaison avec des vêtements et des accessoires à la date pertinente. Bien qu’il existe un certain nombre de marques qui utilisent en combinaison les éléments individuels que sont le dessin d’un oiseau et le mot « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS », il semble qu’il n’existe aucune autre marque de commerce qui comporte la combinaison de la silhouette d’un oiseau aux ailes déployées et les mêmes mots (à l’exception, peut‑être, à l’onglet 13, d’une marque qui illustre clairement un pélican en vol plutôt qu’un oiseau de proie).

 

[47]           Dans ces conditions, la décision de la Commission est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Lorsque c’est cette norme qui s’applique, ainsi que la Cour suprême nous le rappelle dans Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 [Mattel], la question à laquelle il convient de répondre est celle de savoir si la décision de la Commission peut résister à un examen « assez poussé » et si elle n’est pas « manifestement erronée » (au paragraphe 40). Compte tenu de l’expertise que possèdent les membres de la Commission, qui sont appelés chaque jour à décider si les marques de commerce dont l’enregistrement est demandé créent ou non de la confusion, il convient de ne pas modifier à la légère les décisions qu’ils rendent. Voici comment a été décrit, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, le rôle que joue la Cour lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

            b) Le caractère raisonnable de la décision de la membre

[48]           Ainsi que les défenderesses l’affirment, il importe de se rappeler le rôle que jouent les marques de commerce sur le marché lorsqu’on procède à l’examen d’une décision d’un membre :

Au Canada, les marques de commerce sont un outil très utile aux consommateurs et aux entreprises. Ainsi, toute entreprise appose une marque sur les marchandises ou les services qu’elle vend afin d’en indiquer la provenance, ce qui permet aux consommateurs d’en connaître l’origine. Les marques de commerce font donc en quelque sorte « office de raccourci qui dirige les consommateurs vers leur objectif », comme l’a dit le juge Binnie dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, par. 21. Dans les cas où les marques de commerce de différentes entreprises sont similaires, le consommateur peut ne pas savoir quelle société offre les marchandises ou les services qui l’intéressent. La confusion entre les marques de commerce nuit à l’objectif qui consiste à fournir aux consommateurs une indication fiable de l’origine des marchandises ou des services […]

 

Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece Inc] au paragraphe 1.

 

 

[49]           Les motifs d’opposition à partir desquels la membre a donné gain de cause aux défenderesses portaient tous sur la question de la confusion entre les marques des parties. Les parties s’entendent dans l’ensemble sur les principes à appliquer lorsqu’on examine l’existence d’une confusion à la lumière des motifs d’opposition invoqués par les défenderesses et elles n’affirment pas que la membre s’est méprise quant à ces principes. Elles divergent seulement d’opinion sur la façon dont les règles de droit devraient être appliquées à la présente affaire.

 

[50]           La Cour suprême a confirmé que le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque, alors qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur pas plus que pour examiner de près les vraisemblances et les différences entre les marques (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutique Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, 49 CPR (4th) 401 [Veuve Clicquot] au paragraphe 20.

 

[51]           Lorsqu’il applique le critère de la confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris de celles qui sont expressément énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période durant laquelle les marques de commerce ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

 

[52]           La liste des facteurs énumérés n’est pas exhaustive et il n’est pas nécessaire d’attribuer à chacun de ces facteurs la même valeur (arrêt Mattel, précité, au paragraphe 54; arrêt Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 21). Malgré le fait que le degré de ressemblance soit le dernier facteur énuméré au paragraphe 6(5), il s’agit souvent du facteur qui est susceptible d’avoir la plus grande influence lors de l’analyse de la question de la confusion (arrêt Masterpiece Inc, précité, au paragraphe 49). D’ailleurs, la Cour suprême est même allée jusqu’à dire que les autres facteurs prévus au paragraphe 6(5) ne deviennent importants que si les marques respectives sont jugées identiques ou très similaires :

Comme le souligne le professeur Vaver, si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire. En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires (Vaver, p. 532). En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion

 

Masterpiece Inc, au paragraphe 49.

 

 

[53]           Après examen attentif des motifs de la membre, il m’est impossible de conclure qu’elle a tiré une conclusion au sujet des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) qui n’appartient manifestement pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Bien qu’il ne s’agisse pas de la seule conclusion possible qui pouvait être tirée au vu des faits, la décision de la membre est justifiable, transparente et intelligible.

 

[54]           Malgré l’affirmation contraire de la demanderesse, il m’est impossible de conclure que la marque dont elle demande l’enregistrement est intrinsèquement plus distinctive que les marques AEO des défenderesses. Bien que l’on puisse affirmer que le mot « OUTFITTERS » est descriptif et a été à juste titre considéré comme un mot générique par la membre, on ne saurait sérieusement affirmer que le mot « AMERICAN » est plus descriptif des vêtements que le mot « HAWKE ». Lorsqu’on fait abstraction du mot « OUTFITTERS », aucune des deux marques n’est descriptive de vêtements et on ne peut donc prétendre que l’une des marques est intrinsèquement plus distinctive que l’autre. Étant donné que la marque dont la demanderesse demande l’enregistrement est fondée sur son usage proposé, elle ne peut de toute évidence avoir acquis un caractère distinctif plus grand à la date pertinente, alors que l’affidavit de Mme Gibbs démontre clairement que la marque de commerce AEO & dessin fait l’objet d’un usage répandu au Canada. La membre pouvait donc raisonnablement arriver à la conclusion que le facteur mentionné à l’alinéa 6(5)a) de la Loi favorisait les défenderesses.

 

[55]           Pour ce qui est de la période pendant laquelle la marque AEO & dessin a été en usage, il est vrai, comme le signale la demanderesse, que rien dans l’affidavit de Mme Gibbs ne permet de savoir à partir de quand cette marque de commerce a été employée pour la première fois en liaison avec des marchandises ou des services. Il est toutefois également évident que son usage au Canada a commencé avant que la demanderesse ne produise sa demande pour la marque de commerce proposée. Dans cette mesure, la conclusion de la membre suivant laquelle ce facteur favorise également les défenderesses était raisonnable.

 

[56]           L’avocat de la demanderesse a tenté de faire valoir qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la marque de commerce AEO & dessin était devenue relativement connue à la date pertinente. Il a fait observer, par exemple, qu’il était impossible de déterminer quelle proportion des ventes ou des frais de publicité mentionnés dans l’affidavit de Mme Gibbs se rapportait aux vêtements, chaussures ou accessoires arborant la marque de commerce AEO & dessin par opposition à la marque « AMERICAN EAGLE OUTFITTERS » et/ou à la marque figurative EAGLE.

 

[57]           L’avocat de la demanderesse a également renvoyé aux photographies des magasins de vente au détail des défenderesses situées au Canada qui démontrent que la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS est employée sur des affiches extérieures, ce qui n’est pas le cas de la marque AEO & dessin. Il en irait de même des affiches internes et du matériel de promotion sur les lieux de vente figurant dans chacun des magasins qui démontrent que la marque figurative EAGLE se trouve dans le coin droit et que la marque AMERICAN EAGLE OUTFITTERS se trouve pour sa part dans le coin inférieur gauche.

 

[58]           La membre était de toute évidence consciente de ces lacunes, mais elle a néanmoins conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence de la marque AEO & dessin. Voici ce qu’elle déclare au paragraphe 35 de ces motifs :

Bien que Mme Gibbs ne fasse pas expressément référence à la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & Dessin, je note que les étiquettes mobiles, les étiquettes fixes et les photographies des vêtements produites avec son affidavit affichent le dessin de l’aigle en combinaison avec les mots AMERICAN EAGLE OUTFITTERS, tout comme les spécimens du matériel de publipostage et des pages Web. Dans la plupart des cas, le dessin de l’aigle figure au‑dessus des mots AMERICAN EAGLE et le mot OUTFITTERS figure tout juste en‑dessous. Je suis convaincue que cet affichage équivaut à l’emploi de la marque de commerce AMERICAN EAGLE OUTFITTERS & Dessin comme il est prétendu dans le motif d’opposition […]

 

 

[59]           La membre a attentivement examiné et accepté les éléments de preuve fournis par les défenderesses au sujet de l’usage antérieur de la marque AEO & dessin. Mme Gibbs n’a pas été contre‑interrogée et la demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve supplémentaires sur ce point dans le cadre du présent appel. Après avoir attentivement examiné les pièces jointes à l’affidavit de Mme Gibbs, je suis convaincu que la conclusion tirée par la membre au sujet de ce facteur n’était pas déraisonnable.

 

[60]           Pour ce qui est de la nature des marchandises (al. 6(5)c)), il est acquis aux débats qu’il y a un chevauchement entre les marchandises associées aux marques de commerce respectives des parties. Il est projeté d’employer la marque demandée en liaison avec des vêtements et des chaussures. L’affidavit de Mme Gibbs établissait que les défenderesses ont également employé leurs marques de commerce en liaison avec des vêtements, des chaussures et des accessoires ainsi que des services connexes et des services de vente au détail connexes. D’ailleurs, ce fait n’a pas été contesté par la demanderesse, ainsi que la membre l’a fait observer. Il n’était donc pas raisonnable de sa part de conclure que ce facteur militait également en faveur des défenderesses.

 

[61]           Il y avait également de toute évidence un chevauchement en ce qui concerne la nature du commerce des parties. La membre a conclu, sur le fondement de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, qu’il était raisonnable d’inférer que les marchandises des défenderesses étaient vendues uniquement dans des magasins exploités par le titulaire de la licence des défenderesses (à l’exception des ventes effectuées sur Internet); cela n’enlève toutefois rien au fait que rien n’empêchait les défenderesses de vendre leurs marchandises dans d’autres magasins. Qui plus est, les marchandises des parties sont vendues par les mêmes circuits, c’est‑à‑dire dans des magasins de vente au détail de vêtements, et le fait qu’elles ne sont pas présentement vendues dans les mêmes magasins est sans intérêt lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a un chevauchement quant à la nature du commerce des deux parties.

 

[62]           Cela m’amène à la question du degré de ressemblance entre les marques de commerce. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, le degré de ressemblance dans la présentation ou le son ou dans les idées suggérées est le facteur qui joue le rôle le plus important dans l’analyse de la confusion (arrêt Masterpiece Inc, précité, au paragraphe 49; Home Hardware Stores Ltd c Ames True Temper Properties, Inc., 2010 COMC 213, [2010] COMC no 5213, 89 CPR (4th) 442, au paragraphe 34).

 

[63]           L’avocat de la demanderesse soutient que le mot anglais « outfitter » est un mot courant du dictionnaire qui est fréquemment employé en liaison avec des vêtements et des accessoires, de sorte que la membre a commis une erreur en accordant de l’importance au fait que ce mot constituait un élément commun dans le cas des marques en cause. Dans le même ordre d’idées, l’avocat de la demanderesse affirme que les dessins d’oiseaux et les dessins d’aigles constituent des éléments courants dans les marques de commerce employées au Canada en liaison avec des vêtements et des accessoires et que, par conséquent, le fait qu’un dessin d’oiseau se retrouve comme élément constitutif des marques des deux parties ne rend pas pour autant ces marques semblables. Par conséquent, la demanderesse affirme que les aspects frappants des marques respectives des parties (« HAWKE & CO. » et « AMERICAN EAGLE ») n’offrent aucune ressemblance l’une avec l’autre et qu’elles ne sont donc pas similaires au point de créer de la confusion.

 

[64]           Bien que séduisant à première vue, le raisonnement de la demanderesse est vicié et n’est pas conforme à la jurisprudence. Il est bien établi, ainsi que la membre l’a fait observer, que, lorsqu’on apprécie le degré de ressemblance entre deux marques, il faut les examiner comme un tout et éviter de les décomposer selon leurs éléments constitutifs, mais qu’il faut plutôt insister sur les éléments qui sont communs aux deux marques (British Drug Houses, Ltd c Battle Pharmaceuticals, [1944] R.C. de l’Éch. 239, 4 CPR 48, à la p. 60; Ultravite Laboratories Ltd c Whitehall Laboratories Ltd, [1965] RCS 734, 44 CPR 189, aux pages 191 et 192). Cela étant dit, il ne faut pas faire abstraction d’une composante dominante d’une marque qui aurait une incidence sur l’impression générale du consommateur moyen (arrêt Masterpiece Inc, précité, au paragraphe 84).

 

[65]           La membre pouvait raisonnablement écarter l’argument de la demanderesse suivant lequel les aspects dominants ou les plus frappants des marques respectives étaient « HAWKE & CO » et « AMERICAN EAGLE », et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, la membre a conclu que rien ne permettait de penser que le mot « OUTFITTER » ou le dessin d’un oiseau étaient couramment utilisés dans des marques de commerce en liaison avec des vêtements et des accessoires. Si l’on tient compte des éléments de preuve dont elle disposait, force est de reconnaître qu’il s’agissait là d’une conclusion que la membre valablement tirer. D’ailleurs, j’ai déjà expliqué que l’affidavit complémentaire que la demanderesse a soumis à notre Cour n’aurait eu aucune influence sensible sur la décision de la registraire. L’affidavit souscrit par Mme Wong établit que la combinaison du dessin d’un oiseau et des mots « OUTFITTER/OUTFITTERS » n’est pas courante et que les seules marques qui combinent la silhouette d’un oiseau de proie dont les ailes sont déployées et les mots « OUTFITTER » ou « OUTFITTERS » sont des marques respectives de la demanderesse et des défenderesses.

 

[66]           De plus, la Cour suprême a reconnu, dans l’arrêt Masterpiece Inc (précité, au paragraphe 84), qu’un mot courant qui est fréquemment employé pour décrire des marchandises et des services peut parfois être l’élément le plus distinctif et le plus dominant de la marque lorsqu’il traduit le contenu et l’aspect « le plus frappant » de la marque de commerce. Pour cette raison, la membre pouvait raisonnablement se concentrer sur le mot « OUTFITTER », étant donné qu’il s’agissait du dernier élément des deux marques, ainsi que sur les dessins d’oiseau, parce qu’ils présentaient un certain degré de ressemblance en ce sens qu’ils illustraient tous les deux la silhouette d’un oiseau de proie aux ailes déployées. Bien que la membre se soit dite d’accord pour affirmer qu’il existait des différences significatives entre les marques de commerce sous leur forme sonore, elle a néanmoins estimé que les marques présentaient un certain degré de ressemblance sur le plan visuel tant lorsqu’on les examinait dans leur ensemble que lorsqu’on l’on s’arrêtait à leurs aspects les plus frappants. Vu l’expertise de la Commission sur ces questions et la grande retenue dont il convient de faire preuve envers ses décisions, j’estime que l’appréciation que la Commission a faite du degré de ressemblance entre les deux marques ne devrait pas être modifiée dans le cadre de l’appel dont la Cour est saisie.

 

Conclusion

[67]           La Commission s’est appuyée sur la jurisprudence pertinente, a motivé sa décision de façon solide et intelligible et a rendu une décision qui appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Par conséquent, le présent appel est rejeté avec dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE l’appel avec dépens.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1645‑11

 

INTITULÉ :                                                  HAWKE & COMPANY OUTFITTERS LLC c
RETAIL ROYALTY COMPANY et autre

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 20 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 décembre 2012

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Richard Uditsky

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Mark Evans

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robinson Sheppard Shapiro S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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