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Date : 20130108

Dossier : IMM-8494-11

Référence : 2012 CF 1523

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

JAMES JOSEPH LAWRENCE

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur s’est vu refuser le statut de résident permanent au Canada au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) en raison de la maladie dont souffre son fils. Il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[2]               Lorsque le demandeur et sa famille ont subi leur examen médical obligatoire, le médecin a constaté que le fils du demandeur présentait un retard de développement et des difficultés d’apprentissage modérées. Ces renseignements ayant été consignés au dossier du demandeur, l’unité d’évaluation des dossiers médicaux du Haut-commissariat du Canada à Londres a demandé plus de détails. Ceux-ci ont été fournis. Le 26 avril 2010, le Dr Sylvain Bertrand, médecin agréé à Londres, a fait part de son opinion selon laquelle le garçon, alors âgé de 15 ans, était interdit de territoire pour motifs sanitaires.

 

[3]               La limite du coût moyen des services sociaux pour un enfant canadien moyen était alors de 5 143 $ par année. Le Dr Bertrand a estimé que le garçon nécessiterait des services dont le coût varierait de 98 500 $ à 126 500 $ sur cinq ans, au lieu des 25 715 $ moyens correspondant à la même période. Ces chiffres ont été communiqués au demandeur dans une lettre du 29 avril 2010 rédigée par l’agente des visas à Londres, Mme Valerie Feldman.

 

[4]               Le demandeur a fourni en réponse un plan d’atténuation incluant des renseignements financiers personnels, des lettres de soutien promettant une aide pécuniaire ou du même ordre, et la preuve de communications avec deux écoles privées de la région de Toronto. Il n’a pas contesté le diagnostic médical ni l’évaluation des coûts associés aux services requis.

 

[5]               L’agente des visas n’a pas transmis le plan du demandeur au médecin agréé pour qu’il l’examine, mais l’a évalué elle-même. Elle a déclaré dans ses motifs que [traduction] « les renseignements contenus dans la proposition ne sont pas de nature médicale (ils ne visent pas à contester le diagnostic médical), il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit examinée par le médecin agréé ». Le 14 septembre 2011, la demande a été refusée.

 

[6]               Le 31 mai 2012, le médecin agréé a signé un affidavit dans lequel il déclarait ce qui suit : [traduction] « Ayant à présent pris connaissance de la réponse du demandeur à la lettre d’équité de Mme Feldman, je confirme que mon opinion médicale reste inchangée. »

 

[7]               Le demandeur a soulevé plusieurs questions au sujet de la décision de l’agente des visas, entre autres si son évaluation du caractère adéquat de son plan était raisonnable. L’argument des motifs spéciaux justifiant l’adjudication des dépens en l’espèce a été abandonné à l’audience. Ayant conclu que l’agente avait commis une erreur de droit en ne transmettant pas au médecin agréé la réponse du demandeur à la lettre d’équité pour qu’il l’examine, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur le caractère raisonnable de la décision de l’agente au regard du plan proposé par le demandeur pour répondre aux besoins de son enfant.

 

[8]               Dans Sapru c Canada (MCI), 2010 CF 240 [Sapru] conf par 2011 CAF 35 [Sapru CAF], aux paragraphes 12 à 17, la Cour fédérale a appliqué la norme de la décision correcte à des décisions d’agents des visas qui portaient clairement sur des questions de droit, s’appuyant en cela sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 RCS 706 [Hilewitz]. En l’occurrence, la question de savoir si l’agente des visas devait transmettre le dossier au médecin agréé est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

 

[9]               Dans l’arrêt Hilewitz, la Cour suprême donne des indications sur le traitement des demandes de visa présentées par des immigrants qui souffrent d’une affection susceptible de créer un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada. Les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable et tenir compte de critères médicaux et non médicaux. En réponse à cet arrêt, le ministre a publié deux bulletins opérationnels exposant la politique en la matière.

 

[10]           Le Bulletin opérationnel 63 (« Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 24 septembre 2008) [BO 63] prévoit que les agents doivent tenir compte de la capacité propre aux demandeurs et de leur intention de réduire ou d’éliminer le fardeau excessif anticipé. Il exige des demandeurs qu’ils démontrent que l’achat privé des services nécessaires est effectivement possible dans la province où ils ont l’intention de résider, et qu’ils ont les moyens d’acheter ces services. Le BO 63 ne laisse pas entendre que l’agent des visas peut choisir à sa discrétion de consulter ou non le médecin agréé.

                                                                   

[11]           Une version révisée du bulletin publiée le 29 juillet 2009 [le BO 63B] prévoit que l’agent des visas « devra demander l’avis du médecin agréé si le demandeur conteste le diagnostic ou le traitement requis; et pourrait, s’il y a lieu, demander l’avis du médecin agréé sur la nature du plan et sur l’acceptabilité ou non des services proposés, dans le contexte canadien, étant donné la maladie en question ». Ce libellé visait manifestement à donner aux agents des visas le pouvoir discrétionnaire de demander ou non l’avis du médecin agréé sur les aspects non médicaux du plan du demandeur. La question de savoir s’il peut avoir cet effet eu égard à la jurisprudence est au cœur du litige qui oppose les parties.

 

[12]           Au paragraphe 23 de la décision Sapru, précitée, je mentionnais que la Cour suprême avait réglé la question en disant expressément, au paragraphe 70 de l’arrêt Hilewitz, que les médecins agréés avaient l’obligation de tenir compte de tous les éléments pertinents, tant de nature médicale que non médicale, par exemple la disponibilité des services et les besoins prévus à cet égard. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion, au paragraphe 36 de l’arrêt Sapru CAF, tout en annulant la décision pour un autre motif.

 

[13]           Le défendeur soutient que l’arrêt Sapru CAF n’impose pas aux agents des visas une obligation universelle d’envoyer la lettre d’équité et les réponses au médecin agréé lorsque celles-ci ne concernent pas des questions médicales. L’agent des visas, fait-on valoir, peut examiner les observations non médicales et s’assurer de la crédibilité ou du caractère suffisant du plan d’atténuation, de la capacité financière et de l’intention du demandeur de payer lui-même les services sociaux requis.

 

[14]           Le défendeur avance que la portée des exigences en matière d’équité procédurale ne devrait pas être étendue au point où celles‑ci perdraient toute utilité pratique. Les plans d’atténuation du fardeau excessif pour les systèmes sociaux canadiens doivent être davantage que des déclarations d’intention vagues, insuffisantes ou incomplètes. En l’occurrence, l’essentiel de la réponse du demandeur à la lettre d’équité consistait en des renseignements sur ses actifs et sur les ressources additionnelles dont dispose la famille. Ni le diagnostic ni le coût estimé des services requis n’étaient contestés.

 

[15]           L’agente des visas a estimé que le plan du demandeur était inadéquat, entre autres parce qu’il ne donnait aucun renseignement sur la nature des écoles en question et ne permettait pas de savoir si l’une d’elles ou les deux avaient accepté l’enfant. Comme l’a estimé la Cour suprême dans l’arrêt Hilewitz aux paragraphes 54, 55 et 70, les médecins agréés sont censés être les experts du fonctionnement des services sociaux dans les provinces. Le médecin agréé en l’espèce aurait su que les écoles mentionnées étaient entièrement privées et que l’enfant devait être évalué par les écoles au Canada avant de pouvoir être admis. La responsabilité qu’a le médecin agréé de fournir un avis en ces matières découle du BO 63 : l’agente des visas l’a reconnu dans son affidavit, tout en précisant qu’elle n’avait pas jugé nécessaire en l’espèce de consulter le médecin agréé sur la foi du libellé du Bulletin opérationnel 63B.

 

[16]           Les affidavits des agents peuvent aider la Cour à comprendre le contexte dans lequel une décision a été prise, mais ne peuvent servir à étayer les motifs de leurs décisions, comme le précise l’arrêt Sapru CAF, au paragraphe 53. En l’occurrence, il appert clairement des notes de l’agente des visas au dossier qui constituent ses motifs, comme de la lettre de décision, qu’il ne lui a pas semblé nécessaire d’informer le médecin agréé de tous les éléments non médicaux liés aux services sociaux. À mon avis, c’était là une erreur de droit que ne pouvait corriger l’examen subséquent et la déclaration du médecin agréé selon laquelle il s’en tenait à son avis précédent.

 

[17]           Le demandeur s’est opposé à la certification d’une question au motif que le droit en la matière était clair, mais, advenant qu’une question soit certifiée, il a proposé la formulation suivante :

Lorsqu’en réponse à une lettre d’équité, un demandeur principal ne conteste pas le diagnostic ou le pronostic médical ou l’estimation des coûts liés à la prestation de services sociaux, l’agent d’immigration est-il tenu de transmettre la réponse au médecin agréé pour examen et décision?

 

[18]           Le défendeur a fait valoir que cette question ne paraît pas encore avoir été directement abordée par la jurisprudence. Pour ces motifs et en admettant qu’elle permettrait de trancher un appel en la matière, je certifierai la question.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour réexamen;

2.      aucuns dépens ne sont adjugés;

3.      la question suivante est certifiée, s’agissant d’une question grave de portée générale :

Lorsqu’en réponse à une lettre d’équité, un demandeur principal ne conteste pas le diagnostic ou le pronostic médical ou l’estimation des coûts liés à la prestation de services sociaux, l’agent d’immigration est-il tenu de transmettre la réponse au médecin agréé pour examen et décision?

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-8494-11

 

INTITULÉ :                                                  JAMES JOSEPH LAWRENCE

 

                                                                        ET

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 8 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marie Louise Wcislo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARIO BELLISSIMO

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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