Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20121214

Dossier : T-1336-12

Référence : 2012 CF 1478

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

 

TERRANCE ("TERRY") TEW

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La défenderesse, Sa Majesté la Reine, représentée par le ministère de la Justice, a présenté une requête sollicitant la radiation de la déclaration visée aux présentes, sans autorisation de la modifier, et ce, avec dépens.

 

[2]               Le demandeur se représente lui‑même. Il est détenu à l’Établissement Warkworth, un pénitencier à sécurité moyenne administré par le Service correctionnel du Canada. Il a intenté une action, au moyen d’une déclaration datée du 1er juillet 2012, en vue d’obtenir un jugement déclaratoire quant à ce qu’il qualifie de « budget de plusieurs milliards de dollars » alloué actuellement au Service correctionnel du Canada, à l’adjudication des dépens sur une base avocat‑client ou à une mesure de redressement semblable ou autre. Dans une déclaration modifiée, il sollicite une réparation semblable ainsi qu’une opinion au sujet de l’unité 5 de l’Établissement Warkworth et une reddition de comptes concernant le « budget de plusieurs milliards de dollars alloué actuellement (à) l’Établissement Warkworth » et les retenues pour frais de pension effectuées par la défenderesse. La déclaration modifiée a été déposée le 1er août 2012. Je considérerai que la présente requête vise la déclaration modifiée.

 

[3]               La requête est présentée en vertu des alinéas 221(1)a), c) et f). L’affidavit de Rachel Doran a été déposé à l’appui de la requête. Je ne tiendrai pas compte de cet affidavit, premièrement parce qu’on ne peut produire d’affidavit relativement à l’alinéa 221(1)a); deuxièmement, parce que Mme Doran comparaît comme avocate inscrite au dossier de la défenderesse, que l’article 82 interdit le recours à un tel affidavit sans autorisation et que rien ne justifie d’accorder cette autorisation; troisièmement, l’affidavit ne fait qu’apporter une preuve par ouï‑dire. On n’a donné aucune raison expliquant pourquoi la personne ayant connaissance des renseignements qu’il contient ne pouvait fournir les fournir directement.

 

[4]               L’action et le redressement demandé, pour reprendre les termes du demandeur au paragraphe 126 de son mémoire, portent directement sur la question de la double occupation des cellules. Il semble que le demandeur ait dû – du moins pendant un certain temps – partager une cellule avec un autre détenu.

 

[5]               En ce qui concerne le jugement déclaratoire sollicité, l’alinéa 18(1)a) et le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c. F-7, ainsi que l’article 300 et suivants des Règles des Cours fédérales, exigent que les procédures visant à obtenir un jugement déclaratoire soient engagées par voie de demande et non d’action. Selon l’article 18.4(2), la Cour peut ordonner qu’une demande soit instruite comme s’il s’agissait d’une action, mais non l’inverse. La demande doit être introduite par un avis de demande et être appuyée d’une preuve par affidavit. Le défendeur peut comparaître et déposer en réponse sa preuve par affidavit. Il peut y avoir un contre‑interrogatoire. Il y a échange des mémoires et l’affaire est mise au rôle pour audition. La procédure est beaucoup plus simple et plus rapide qu’une action. Par conséquent, le demandeur qui sollicite un jugement déclaratoire doit procéder par voie de demande. Je ne causerais pas préjudice au demandeur s’il devait déposer une demande à la date d’introduction de l’instance; je considère que la date de la déclaration initiale serait le 1er juillet 2012, si la demande est déposée sans délai. La demande devrait être dûment constituée et solliciter une réparation appropriée.

 

[6]               Pour ce qui est des autres réparations demandées – diverses mesures comptables – le demandeur a formulé de simples affirmations sur des budgets de plusieurs millions de dollars alloués au Service correctionnel du Canada et à l’Établissement Warkworth. Ces affirmations ne sont pas étayées. Le demandeur n’a pas fait valoir qu’il existait à son égard une obligation de rendre des comptes, et il n’est pas non plus parvenu à établir qu’il est dans l’intérêt du public, représenté par lui, qu’il y ait reddition de comptes.

 

[7]               En ce qui a trait à la reddition de comptes relative aux retenues pour frais de pension effectuées par la défenderesse, le demandeur n’a pas établi qu’il y avait droit; s’il y avait droit, il n’a pas démontré qu’il avait fait une demande à cet égard, et que, sans motif valable, on n’avait pas accédé à sa demande. Il en va de même de la demande d’opinion au sujet de certains locaux de l’Établissement Warkworth.

 

[8]               La plaidoirie et l’argumentation présentées par le demandeur dans le cadre de la présente requête indiquent qu’il a étudié certaines règles de droit applicables à ce domaine, mais il ne s’est pas exprimé de manière posée, dépourvue de rhétorique, de critiques ou d’attaques personnelles injustifiées contre les avocats du gouvernement. Je reprends ce que j’ai écrit récemment dans Brazeau et al c Sa Majesté la Reine, 2012 CF 1300, aux paragraphes 7, 12 et 13 :

 

7     Rappelons qu’aucun des demandeurs n’est avocat. Au paragraphe 6 de leur exposé des arguments, ils précisent qu’ils [traduction] « […] n’ont aucune formation juridique, et doivent par conséquent préparer et soutenir leur cause sans l’aide ou les conseils d’un avocat […] ». Il ressort, cependant, de la déclaration et des autres documents déposés par les demandeurs, que l’un ou plusieurs d’entre eux ont consacré un temps et des efforts considérables à l’étude des questions de droit soulevées en l’espèce. C’est un des problèmes éprouvés par les plaideurs qui, comme les demandeurs, se représentent eux‑mêmes en justice. Une formation juridique ne repose pas, en effet, seulement sur la lecture de documents et la recherche de précédents. Une telle formation exige en outre une connaissance approfondie du droit et de son exercice, ainsi qu’une capacité de réflexion fondée sur l’expérience et permettant, par exemple, de savoir si une demande doit être portée devant la Cour, ou devant quelque autre instance. Il s’agit, par ailleurs, de savoir précisément où la demande s’insère parmi les principes de droit applicables, et comment la formuler correctement dans les documents nécessaires. Nombreux sont ceux qui savent se servir d’un couteau, mais cela n’en fait pas des chirurgiens. Bien des gens peuvent prendre connaissance des règles de procédure et des textes juridiques, mais ils ne sont pas tous des avocats. Pour faire les choses correctement, il faut non seulement des connaissances, mais des connaissances approfondies appliquées avec le discernement qu’apporte l’expérience.

 

[. . .]

 

12     Selon les Règles de la Cour, notamment l’article 174, tout acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels. Il ne suffit pas, par exemple, de conclure que l’on n’a pas accès aux services d’un coiffeur, que les services de bibliothèque sont insuffisants ou que l’on est privé de soleil. Il convient, en effet, d’exposer de manière claire et précise ce qui s’est passé, quand cela s’est passé et où. Quelle est la norme prescrite par la loi? Dans quelle mesure les agents de la défenderesse ont‑ils manqué à cette norme? Tout cela doit être décrit dans un acte de procédure approprié.

 

13     La Cour devrait‑elle intervenir à ce moment‑ci? Il y a des voies de recours mieux adaptées à l’expression de tels sentiments de colère et de frustration. Il y a des voies de recours qui permettent d’identifier et de corriger les carences dans les services. Il s’agit notamment de mécanismes de médiation et de règlement des griefs. Dans leur dossier modifié, au paragraphe 17, les demandeurs dressent une longue liste de numéros de référence, correspondant vraisemblablement aux procédures de règlement de griefs qu’ils ont engagées. Si la Cour a, dans certains cas, accueilli une action malgré l’existence d’une procédure de règlement des griefs, il est, avant de porter une affaire devant la Cour, habituel et souhaitable de déposer un grief et d’attendre qu’il soit tranché.

 

 

[9]               Le demandeur devrait demander l’aide d’un avocat compétent. S’il n’a pas les moyens d’engager un avocat, il peut recourir au programme d’aide juridique ou à d’autres services qui sont offerts. Il est dangereux pour une partie de se représenter elle‑même dans ce genre d’affaire. Les ressources de la Cour sont limitées et l’on ne devrait y recourir qu’après y avoir mûrement réfléchi et avoir obtenu les conseils d’un professionnel du droit. Les tribunaux ne sauraient servir de tribune à ceux qui veulent donner libre cours à leur colère ou à leur frustration, ni de terrain de jeu à ceux qui veulent exercer leurs compétences juridiques nouvellement acquises.

 

[10]           Par conséquent, je radierai la déclaration modifiée sans autorisation de la modifier, sous réserve toutefois de l’introduction d’une demande limitée à un jugement déclaratoire. Si elle est introduite dans un délai de quarante‑cinq (45) jours, la demande pourra, à des fins de prescription, être réputée avoir été déposée le 1er juillet 2012. Il ne s’agit pas d’empêcher une contestation du bien‑fondé de toute demande déposée. Le demandeur devrait obtenir et suivre les conseils d’un avocat compétent.

 

[11]           Je n’adjugerai de dépens à aucune des parties.

 


ORDONNANCE

 

 

POUR CES MOTIFS :

LA COUR ORDONNE :

 

1.                                          La requête est accueillie. La déclaration modifiée est radiée sans autorisation de la modifier, sous réserve toutefois de l’introduction d’une demande selon les conditions prévues dans les présents motifs.

 

2.                                          Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1336-12

 

INTITULÉ :                                                  TERRANCE (« TERRY ») TEW c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À TORONTO (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                       Le 14 décembre 2012

 

 

 

CONCLUSIONS ÉCRITES :

 

Terrance Tew

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Karen Watt

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Terrance Tew (se représentant lui‑même)

Campbellford (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.