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Date : 20121213

Dossier : IMM-7340-11

Référence : 2012 CF 1472

[traduction FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

MOHAMMED HANIF SHOEB CHOWDHURY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Chowdhury sollicite l’annulation de la décision d’un agent des visas (l’agent) du haut‑commissariat du Canada à Singapour, datée du 14 septembre 2011, par laquelle l’agent a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada. Selon l’agent, la fille de M. Chowdhury, Suraiya, qui souffrait d’une grave déficience visuelle, était interdite de territoire en raison du fait qu’elle « risqua[it] d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, paragraphe 38(1).

 

[2]               En octobre 2008, M. Chowdhury avait présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des investisseurs. Le 23 juillet 2009, l’agent avait envoyé à M. Chowdhury une lettre relative à l’équité qui soulignait les éléments suivants :

  • sa compréhension de l’état de santé de Suraiya et le fait qu’on s’attendait à ce qu’il perdure pour le reste de sa vie;
  • le fait que Suraiya aurait besoin d’une éducation spécialisée et qu’elle tirerait avantage d’un programme intégré sous la supervision d’une équipe de spécialistes, afin d’optimiser son développement et son potentiel;
  • le fait que lui et sa femme seraient admissibles à des soins de relève, lesquels sont en forte demande;
  • le fait que, selon des renseignements obtenus du ministère de l’Éducation du Québec, les coûts liés aux services susmentionnés totaliseraient au moins 126 139 $ au cours des dix prochaines années;
  • le fait que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ces coûts excèdent les coûts moyens par personne au Canada sur une période de cinq à dix ans;
  • le fait que, par conséquent, Suraiya [traduction] « risqua[it] d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ».

 

[3]               Dans la lettre relative à l’équité, on avait également demandé à M. Chowdhury de :

[traduction]

 

[…] présenter des renseignements additionnels portant sur une partie ou la totalité des points suivants :

 

                     l’état de santé diagnostiqué;

                     les services sociaux nécessaires au Canada pour la période déjà mentionnée;

                     [le] plan personnalisé pour garantir que les services sociaux canadiens ne se verront pas imposer un fardeau excessif pour toute la période susmentionnée ainsi que la Déclaration de capacité et d’intention que vous aurez signée.

 

 

[4]               Enfin, dans la lettre relative à l’équité, on faisait remarquer que [traduction] « dans le but de démontrer que le membre de votre famille n’entraînera pas un fardeau excessif pour les services sociaux […] vous devez établir, à la satisfaction de l’agent d’évaluation, que vous disposez d’un plan raisonnable et viable, de même que des ressources financières et de l’intention requise pour l’exécution du plan, afin de compenser le fardeau excessif […] ».

 

[5]               Dans une lettre datée du 8 octobre 2009, M. Chowdhury avait répondu ce qui suit à la lettre relative à l’équité :

                     que Suraiya était suivie par le Dr Trese, au Michigan, aux États‑Unis, qui continuerait de la suivre aussi longtemps que cela serait nécessaire, et ce, entièrement aux frais de M. Chowdhury;

                     qu’il avait trouvé, en ce qui avait trait à [traduction] « l’intervention précoce/l’ergothérapie », [traduction] « plusieurs options » pour des fournisseurs de soins de santé privés dans le but de compléter les soins que sa femme prodiguait à temps plein, pour un coût d’environ 5 000 $ à 10 000 $ par année, et qu’il chercherait à obtenir une référence d’un médecin spécialiste à son arrivée au Canada;

                     que, du fait que, pour lui, l’éducation de Suraiya était la priorité, elle fréquenterait une école privée et serait placée dans une classe ayant un ratio professeur‑élèves peu élevé, qu’il avait [traduction] « considéré plusieurs écoles de la région de Montréal et [que] le meilleur choix sembl[ait] être l’École St. George’s ».

                     que l’École St. George’s offrait des plans d’apprentissage personnalisés ainsi que des services adaptés comme ceux dont Suraiya aurait besoin, que les droits de scolarité coûteraient entre 13 500 $ et 15 000 $ par année, et que l’aide à l’éducation, les soins de relève et l’évaluation psychologique (pour lesquels il retiendrait les services d’un fournisseur de soins de santé privé) représenteraient des coûts additionnels de 40 000 $ à 60 000 $ [traduction] « pendant cette période »;

                     qu’il était [traduction] « très bien capable et désireux d’assumer tous les coûts et les frais relatifs à tout service fourni à [sa] fille (veuillez consulter la Déclaration de capacité et d’intention qui a été signée) » et qu’il comprenait que, selon la lettre de l’agent, cela pourrait dépasser les 127 000 $;

                     que la valeur nette de ses avoirs dépassait 1 170 000 $CAN, dont la plus grande partie était constituée de biens et d’actions qu’il planifiait de liquider en vue de l’installation de sa famille au Canada;

                     que sa société commerciale prospère continuerait à assumer l’ensemble des frais de subsistance de sa famille, y compris ceux liés à l’état de santé de Suraiya.

 

[6]               Le 7 juin 2011, l’agent a consigné une brève note dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI), dans laquelle il faisait un compte rendu de l’historique de la demande de Mr. Chowdhury, y compris la lettre relative à l’équité et la réponse à celle‑ci, et il soulignait plusieurs préoccupations qui subsistaient quant à la demande.

 

[7]               Premièrement, dans sa réponse à la lettre relative à l’équité, M. Chowdhury avait affirmé que Suraiya était, et continuerait d’être, sous les soins du Dr Trese, au Michigan. Selon les renseignements qu’avait obtenus l’agent, le prochain rendez‑vous de Suraiya était en novembre 2009, mais M. Chowdhury n’avait pas fourni de renseignements additionnels pour démontrer qu’elle était retournée voir le médecin à ce moment‑là ou par la suite.

 

[8]               Deuxièmement, M. Chowdhury a affirmé que sa femme prenait soin, et prendrait soin de Suraiya à temps plein, mais il avait aussi déjà mentionné qu’elle occupait un poste de directrice dans sa société depuis 2003. Il en ressort que, pour l’agent, il n’était pas clair que sa femme pourrait offrir à l’enfant, ou qu’elle lui offrirait, un soutien à temps plein au Canada.

 

[9]               Troisièmement, bien que M. Chowdhury ait déclaré qu’il utiliserait les services de fournisseurs de soins privés, il n’était [traduction] « pas clair comment et où il rechercherait de tels services ». De plus, il n’avait [traduction] « pas démontré […] que de tels services privés étaient disponibles au Québec ni qu’ils n’étaient pas subventionnés ou financés par le gouvernement ».

 

[10]           Quatrièmement, quoique M. Chowdhury ait déclaré qu’il avait considéré plusieurs écoles à Montréal et qu’il avait trouvé que St. George’s était la meilleure, il n’a fourni aucun élément de preuve établissant qu’il avait communiqué avec cette école pour se renseigner quant à savoir si on y accepterait sa fille et, le cas échéant, à quelles conditions. L’agent a aussi fait remarquer que l’École St. George’s n’était [traduction] « PAS équipée pour recevoir des élèves handicapés (il y a des escaliers, mais pas d’ascenseur, ni d’équipement spécialisé) » et qu’on ne pouvait pas y confirmer qu’on avait parlé avec M. Chowdhury concernant son enfant.

 

[11]           Se fondant sur ces préoccupations, l’agent a conclu que le plan de M. Chowdhury était [traduction] « au mieux, basé sur des suppositions, et […] tout à fait insuffisant » : il n’était ni détaillé ni personnalisé, et rien dans la preuve ne démontrait que M. Chowdhury avait effectué des recherches appropriées quant aux services sociaux auxquels Suraiya aurait droit et s’il pouvait les rembourser. Cependant, l’agent a également mentionné ce qui suit dans ces notes : [traduction] « une entrevue est nécessaire afin de donner [à M. Chowdhury] une autre occasion de répondre en personne à ces préoccupations ».

 

[12]           Une entrée dans le STIDI en date du 26 juin 2011 démontre qu’on a téléphoné à M. Chowdhury et qu’on lui a demandé de se présenter à une entrevue le 11 juillet 2011. Rien dans la preuve n’indique que la personne qui l’a appelé lui a fait part des préoccupations susmentionnées avant l’entrevue.

 

[13]           Le 11 juillet 2011, l’entrevue a eu lieu, et, le 14 septembre 2011, l’agent a envoyé à M. Chowdhury une lettre dans laquelle il rejetait sa demande de résidence permanente, au motif de l’interdiction de territoire de sa fille.

 

[14]           M. Chowdhury soulève trois questions : est‑ce que la décision est raisonnable; l’agent a‑t‑il manqué à son devoir d’équité procédurale en n’informant pas M. Chowdhury de ses préoccupations avant ou durant l’entrevue; l’agent a‑t‑il fait preuve de partialité, du fait qu’il a conclu que M. Chowdhury était interdit de territoire avant l’entrevue.

 

[15]           À mon avis, la seule question qui mérite qu’on s’y attarde est celle de l’équité procédurale. Selon les renseignements fournis par M. Chowdhury dans sa réponse à la lettre relative à l’équité et lors de l’entrevue, la décision de l’agent était raisonnable, et il n’y a pas de preuve de partialité.

 

[16]           Cependant, l’agent a estimé que M. Chowdhury devait avoir [traduction] « une autre occasion de répondre en personne [aux préoccupations relatives au fardeau excessif] » et il a décidé de tenir une entrevue. Le défendeur soutient que l’entrevue n’était qu’une suite de la première lettre relative à l’équité et que, par conséquent, le demandeur avait été averti au sujet des questions auxquelles il devait répondre à l’entrevue. Ce n’est qu’avec du recul qu’il est possible de constater que l’entrevue découlait des mêmes questions que celles soulevées dans la première lettre relative à l’équité. Est‑ce que le demandeur, n’ayant pas été avisé de l’objectif de l’entrevue, aurait raisonnablement dû savoir cela? Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne le savait pas. Il n’avait aucune raison de présumer que l’entrevue découlait de la lettre antérieure ou de sa réponse à celle‑ci. Il a bel et bien dit que son conseil avait tenté de connaître à l’avance ce sur quoi porterait l’entrevue, et j’en déduis qu’il n’a pas été en mesure de le faire. Cela appuie la conclusion que le demandeur n’était pas au courant de l’objectif de l’entrevue. Par conséquent, je conclus qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale et que la décision de l’agent doit être annulée.

 

[17]           Aucune des parties n’a proposé de question en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent est annulée et que la demande de résidence permanente au Canada du demandeur doit faire l’objet d’une nouvelle décision par un autre agent.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7340-11

 

INTITULÉ :                                      MOHAMMED HANIF SHOEB CHOWDHURY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 13 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

 

                           POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield  

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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