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Date : 20121127

Dossier : IMM-856-12

Référence : 2012 CF 1369

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SAMIRE GECAJ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La demanderesse sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 13 janvier 2012, qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse, âgée de 27 ans, est citoyenne du Kosovo. Elle veut obtenir protection au Canada contre son père.

[3]               D’origine ethnique albanaise, la demanderesse vient de Vranoc, au Kosovo. Son père est imam, un ecclésiastique musulman. Elle a grandi dans une famille albanaise très traditionnelle. En septembre 2009, elle a découvert qu’elle était enceinte. Elle est tombée enceinte pendant qu’elle était en vacances avec sa famille en août 2009, et, après avoir appris son état, elle n’a plus jamais entendu parler du père de son enfant.

[4]               Elle a annoncé sa grossesse à sa famille, qui en a été très contrariée. Cette nouvelle était contraire à sa religion et à sa culture. Si les gens l’apprenaient, son père perdrait le respect de sa mosquée. La famille de la demanderesse voulait qu’elle se fasse avorter ou qu’elle cache sa grossesse. La famille a même obtenu la visite d’un médecin à domicile pour qu’il convainque la demanderesse de se faire avorter. La famille a averti la demanderesse que, si elle ne se faisait pas avorter, on lui enlèverait le bébé dès la naissance et le donnerait en adoption. Elle est même allée jusqu’à lui dire qu’on lui trouverait un mari, n’importe qui, et qu’elle n’aurait pas le choix de l’épouser.

[5]               La demanderesse ne croyait pas pouvoir obtenir une protection des autorités au Kosovo. D’après elle, il y a trop de corruption et son père connaît beaucoup de gens qui fréquentent sa mosquée et qui travaillent pour l’administration publique, le système de justice ou la police. La demanderesse est allée chercher de l’aide auprès d’un ami. L’ami s’est arrangé avec un passeur pour qu’il l’emmène au Canada.

[6]               La demanderesse est arrivée au Canada le 26 février 2010 et a demandé l’asile le 10 mars 2010. Une audience a eu lieu le 17 novembre 2011. La SPR a refusé la demande d’asile le 13 janvier 2012 et a notifié sa décision à la demanderesse le 17 janvier 2012.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               La SPR a refusé la demande d’asile parce que, selon elle, la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas prouvé que le Kosovo ne pourrait pas la protéger si elle y retournait. Elle a aussi estimé que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI), de sorte que la demande de protection fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi n’était pas recevable.

[8]               La SPR s’est interrogée sur l’affirmation de la demanderesse selon laquelle son père avait insisté pour qu’elle se fasse avorter au motif que sa grossesse allait jeter l’opprobre sur la famille. La SPR ne l’a pas crue. Le commissaire écrivait qu’« il est bien connu que l’islam interdit l’avortement à moins que la vie de la mère ne soit en danger. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le père de la demandeure d’asile n’exigerait pas que sa fille subisse un avortement simplement pour ne pas perdre la face devant ses voisins et ses proches ».

[9]               La demanderesse prétendait aussi que, si elle retournait au Kosovo, son père lui enlèverait l’enfant et le donnerait en adoption. La SPR a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, le père ne pourrait pas faire ça. La plupart des arguments de la demanderesse avaient trait à la violence familiale, et rien ne donnait à penser qu’on puisse braver la loi au Kosovo en enlevant un enfant pour le donner en adoption. Si la demanderesse retournait au Kosovo, elle pourrait obtenir une protection de l’État et empêcher son père de lui enlever l’enfant. L’enfant est d’ailleurs citoyen canadien, de sorte que sa mère pourrait obtenir l’assistance d’une ambassade ou d’un consulat du Canada. La SPR a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, le père de la demanderesse ne pourrait pas lui enlever l’enfant et le donner en adoption sans sa permission à elle.

[10]           La SPR a conclu aussi que le père de la demanderesse ne pourrait pas la marier à quelqu’un contre son gré. D’après la loi en vigueur au Kosovo, elle ne peut pas être contrainte à accepter un mariage arrangé. Si son père tentait de le lui imposer, elle pourrait recourir à la police ou à l’ombudsman. La SPR écrivait que la police peut rendre une ordonnance restrictive dans les cas d’urgence, et ce serait là une solution pour la demanderesse.

[11]           La SPR a également examiné les arguments de la demanderesse sur les conditions ayant cours au Kosovo. Elle a retenu que l’ordre est maintenu au Kosovo non seulement par les diverses polices locales, mais aussi par la mission EULEX, une force policière internationale. Une force policière internationale ne serait pas influencée par une personnalité locale, par exemple le père de la demanderesse. La SPR écrivait que, bien que la mission EULEX soit d’abord concernée par les crimes contre l’humanité commis durant la guerre, elle exerce aussi une autorité sur la police locale. L’avocate de la demanderesse a beaucoup insisté sur la corruption au sein de la magistrature, mais la SPR a estimé que la première démarche que devrait entreprendre la demanderesse en cas de menaces consisterait à s’adresser à la police. Rien ne donnait à penser que la police ne réagirait pas efficacement à des allégations de violence familiale.

[12]           La demanderesse affirmait que, si elle n’avait pas cherché à obtenir une protection de l’État quand elle était au Kosovo, c’était à cause des relations de son père. La SPR a estimé qu’il n’avait pas été prouvé que des gens influents peuvent entraver le travail de la police lorsque celle-ci est appelée à intervenir dans un conflit familial. Elle a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État.

[13]           La demanderesse avait été priée, au cours de l’audience devant la SPR, de dire si elle pourrait vivre à Pristina, une ville beaucoup plus importante. Elle avait répondu que son père réussirait toujours à la trouver. Selon la SPR, il était encore moins prouvé que le père avait la moindre influence à Pristina. C’est un imam local, et rien ne prouve qu’il est intouchable. La justice est partiale et lente au Kosovo, mais la SPR a conclu que l’État prend des mesures pour corriger la situation. Selon elle, la demanderesse pourrait aller à Pristina et y obtenir une protection de la police.

[14]           La SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. Elle n’avait pas établi qu’elle risquait véritablement d’être victime de persécution ou d’être personnellement la cible de menaces pour sa vie si elle retournait au Kosovo. La SPR a estimé que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, et elle a rejeté la demande fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi.

DISPOSITIONS APPLICABLES

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[...]

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

[...]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

[...]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

[...]

 

POINTS LITIGIEUX

[16]           La demanderesse soulève les points suivants dans cette demande de contrôle judiciaire :

a.                   La conclusion de non-crédibilité tirée par la SPR était-elle raisonnable?

b.                  La conclusion de la SPR sur l’existence d’une protection de l’État était-elle raisonnable?

c.                   La conclusion de la SPR sur l’existence d’une PRI était-elle raisonnable?

 

NORME DE CONTRÔLE

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada écrivait qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de faire une analyse relative à la norme de contrôle. Si la norme de contrôle applicable à une question donnée est déjà fixée par la jurisprudence, alors la juridiction de contrôle peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que si cette quête se révèle infructueuse que la juridiction de contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.

[18]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 732, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à une conclusion touchant la crédibilité est celle de la décision raisonnable. Par ailleurs, dans la décision Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, le juge Max Teitelbaum affirmait que les conclusions touchant la crédibilité sont intimement liées au rôle de juge des faits qui est exercé par la SPR et qu’elles doivent donc être examinées d’après la norme de la décision raisonnable. Finalement, dans la décision Negash c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1164, le juge David Near affirmait au paragraphe 15 que la norme de contrôle applicable à une conclusion touchant la crédibilité est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable au premier point en litige est celle de la décision raisonnable.

[19]           Dans l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale affirmait, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable à une conclusion d’existence d’une protection de l’État est celle de la décision raisonnable. Cette approche a été suivie par le juge Luc Martineau dans la décision Bibby-Jacobs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1176, au paragraphe 2. En outre, dans la décision Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay-Lamer écrivait au paragraphe 11 que la norme de contrôle applicable à une conclusion touchant la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable au deuxième point en litige est celle de la décision raisonnable.

[20]           La question de l’existence d’une PRI est une question mixte de droit et de fait, qui doit être contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable (voir la décision Davila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1116, au paragraphe 26; Nzayisenga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1103, au paragraphe 25; M.A.C.P. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 81, au paragraphe 29). La norme de contrôle applicable au troisième point en litige est celle de la décision raisonnable.

[21]           Dans l’examen d’une décision d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’intervient que si la décision de la SPR est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

ARGUMENTS

La demanderesse

            La conclusion de non-crédibilité

[22]           La demanderesse soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’était pas crédible procédait de conclusions déraisonnables sur la vraisemblance de son récit. La SPR ne s’est prononcée sur la crédibilité de la demanderesse que dans le premier paragraphe de sa décision, affirmant que, parce que l’islam interdit l’avortement, son père ne l’obligerait pas à subir un avortement simplement pour ménager les apparences. Selon la demanderesse, c’est là une conclusion erronée, pour deux raisons : d’abord, la SPR a confondu crédibilité et vraisemblance; ensuite, la conclusion d’invraisemblance procédait d’hypothèses déraisonnables.

[23]           La demanderesse soutient que la crédibilité fait intervenir des éléments tels que le comportement de la demanderesse, la cohérence de son témoignage et l’existence de contradictions ou d’omissions. La vraisemblance requiert d’évaluer ce qui constitue un comportement rationnel compte tenu des circonstances. En affirmant ce que, d’après elle, le père de la demanderesse aurait fait ou n’aurait pas fait, la SPR tirait une conclusion portant sur la vraisemblance; elle n’a pas décelé la moindre incompatibilité, incohérence ou contradiction véritablement susceptible de faire douter de la crédibilité de la demanderesse.

[24]           Puisque la crédibilité de la demanderesse n’a pas clairement été mise en doute, son témoignage est réputé faire partie des conclusions de fait de la SPR (arrêt Addo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 142 NR 170 (CAF)). Un témoignage sous serment est présumé digne de foi à moins qu’il n’existe une raison de douter de sa véracité (arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF)). La SPR doit donc être présumée avoir admis le témoignage de la demanderesse.

[25]           La demanderesse affirme aussi que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR n’avait aucun fondement dans la preuve qui lui avait été soumise. Les conclusions de cette nature appellent la prudence et ne sont permises que dans les cas les plus clairs; des actions qui paraîtront invraisemblables selon les normes canadiennes peuvent être tout à fait vraisemblables dans une autre culture (décision Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653 (C.F. 1re inst.)).

[26]           Lorsqu’il s’agit d’énoncer des présomptions portant sur ce que serait la conduite d’une personne raisonnable dans tel ou tel contexte, la SPR n’est pas mieux placée que la Cour (Ilyas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] ACF n° 1522). Si la SPR tire une conclusion de non-crédibilité à partir de présomptions portant sur la vraisemblance de la preuve, il doit exister dans la preuve un fondement autorisant de telles présomptions (Miral c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF n° 254 (C.F. 1re inst.)). La SPR avait l’obligation d’expliquer pourquoi le témoignage de la demanderesse s’accordait si peu avec ce à quoi l’on s’attendrait logiquement dans le contexte, et de se référer à la preuve pertinente (Badri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CarswellNat 3052 (CF)).

[27]           La SPR a énoncé l’hypothèse subjective selon laquelle un imam n’encouragerait jamais sa fille non mariée à subir un avortement au motif que cet acte est contraire à l’islam. C’est là une hypothèse déraisonnable, et il n’y a rien d’invraisemblable dans le fait que le père de la demanderesse puisse tenir absolument à ce que la grossesse demeure secrète. Sous la pression des circonstances, les gens n’agissent pas toujours selon leurs convictions religieuses; un imam reste un être humain. Ce scénario ne présente rien qui donne à penser qu’« il est impossible que l’événement en question se soit produit », et la demanderesse affirme que la conclusion de la SPR sur ce point ne saurait subsister.

            La protection de l’État

[28]           La demanderesse affirme aussi que la SPR a mal interprété la preuve concernant la police et le système de justice au Kosovo, et qu’elle a fait une lecture sélective de la preuve portant sur l’efficacité de la protection offerte par l’État. Selon le dossier d’information de 2010 du Département d’État des États-Unis concernant le Kosovo, EULEX signifie « mission “État de droit” de l’Union européenne au Kosovo ». On peut lire dans ce dossier que la mission EULEX détient des pouvoirs dans des domaines tels que le crime organisé, la corruption, les crimes de guerre, la protection des témoins, le blanchiment d’argent, le financement d’activités terroristes et la coopération policière internationale. Les pouvoirs qu’elle partage avec la police locale se limitent aux régions du nord, à majorité serbe. La conclusion de la SPR selon laquelle la mission EULEX pourrait apporter une aide à la demanderesse n’a aucun sens. Il est illogique de croire qu’une force policière spécialisée de l’UE puisse s’intéresser de quelque façon à un cas de violence familiale, d’autant qu’il s’agit d’une force dont les pouvoirs sont confinés à une région très restreinte du pays.

[29]           La demanderesse affirme aussi qu’il était déraisonnable pour la SPR de considérer séparément la police et la justice sans reconnaître que l’une et l’autre font partie intégrante d’un système global de protection de l’État. La SPR disait essentiellement que, quand bien même la justice serait-elle corrompue et inefficace, si la demanderesse allait trouver la police et que celle-ci réagissait favorablement, alors elle serait adéquatement protégée. La police ne constitue pas à elle seule toute la protection offerte par un État; une fois terminée l’enquête sur une affaire, celle-ci doit être transmise, pour suite à donner, au ministère public et aux tribunaux.

[30]           Une preuve documentaire a été produite, qui montre que les mécanismes de la protection de l’État qui sont en place au Kosovo pour les victimes de violence familiale ne sont pas efficaces. Selon le dossier d’information de 2010 du Département d’État des États-Unis, les déclarations de culpabilité pour violence familiale sont rares au Kosovo. On peut y lire que [traduction] « les attitudes traditionnelles envers les femmes dans cette société patriarcale contribuaient au niveau élevé des cas de violence familiale et au faible nombre de cas signalés ». Un autre document émanant du Kosova Women’s Network (Réseau des femmes kosovares) mentionne que la culture au Kosovo est une culture qui considère la violence familiale comme une « affaire interne » et que la police hésite à intervenir dans ce qu’elle considère comme un différend d’ordre privé. On peut lire aussi dans ce document que les femmes qui signalent des faits de violence risquent de se voir retirer leurs enfants par les membres de la famille. Ce document mentionne aussi la rareté des refuges pour femmes et la tendance des fonctionnaires à contraindre les femmes violentées à retourner chez elles. La pauvreté joue aussi un grand rôle parce que la précarité économique d’une femme peut l’obliger à retourner chez elle.

[31]           Selon un document intitulé « Life in Kosovo Discusses Violence Against Women » (« La Vie au Kosovo – discussion sur la violence envers les femmes »), rédigé en décembre 2007 par le Balkan Investigative Reporting Network, il existe des dispositions législatives contre la violence familiale, mais elles ne sont pas appliquées. La SPR a conclu qu’une ordonnance restrictive pourrait être délivrée au besoin contre le père de la demanderesse, mais selon le document du Kosova Women’s Network, [traduction] « les tribunaux sont tenus de donner suite à une demande d’ordonnance de protection dans un délai de quinze jours, et à une demande d’ordonnance de protection d’urgence dans un délai de 24 heures, à compter de la date de dépôt de la demande, mais l’OSCE signalait, dans son rapport, quatre cas où les tribunaux avaient rendu leurs décisions entre six semaines et près d’un an après le dépôt de la demande, mettant ainsi les victimes en grand danger ».

[32]           Selon la demanderesse, il est clair, après examen de la preuve documentaire, que l’État au Kosovo est loin de pouvoir offrir une protection aux victimes de violence familiale. La SPR n’a évoqué aucun de ces aspects dans ses motifs. Selon elle, il n’était pas prouvé qu’une personne influente pourrait s’immiscer dans le travail de la police quand celle-ci est appelée à intervenir dans un cas de violence familiale; la demanderesse affirme que la SPR a encore une fois mal interprété la preuve en considérant uniquement la police et non le système de justice. La SPR écrivait d’ailleurs que « les tribunaux locaux manquent d’impartialité, subissent une influence extérieure et [sont] alourdis par les retards ».

[33]           La SPR a aussi estimé que le Kosovo prend des mesures pour s’attaquer à la corruption, mais elle est arrivée à cette conclusion sans faire une véritable analyse. Elle a cité deux cas où des fonctionnaires kosovars avaient été accusés de corruption; c’était là l’étendue de son analyse. Elle n’a rien dit de l’efficacité des mesures, ni précisé en quoi elles pouvaient s’appliquer à la protection offerte à la demanderesse par l’État. La SPR a également cité, dans la note en bas de page 9 de sa décision, trois documents censés appuyer ses conclusions sur la corruption, mais deux des documents ne parlent absolument pas de corruption.

[34]           L’unique document qui parle effectivement de corruption, le rapport du Département d’État des États-Unis, ne permet pas d’affirmer que la demanderesse peut obtenir une protection de l’État adéquate. Ce rapport dit en réalité que le gouvernement au Kosovo s’immisce dans les dossiers des forces de sécurité et dans ceux de la justice, et que l’inefficacité et la corruption sont très problématiques dans le système de justice. On peut y lire que les lois ne sont pas appliquées efficacement et que l’absence de volonté politique et la faiblesse du système de justice sont répandues. En réalité, l’unique document pertinent cité par la SPR appuie la conclusion opposée à celle à laquelle elle est arrivée.

[35]           Il est d’ailleurs erroné de s’attacher aux efforts faits par un État pour offrir sa protection, sans chercher à savoir si les efforts en question donnent des résultats (J.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, aux paragraphes 47 et 49; Bobrik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994) 85 FTR 13 (C.F.1re inst.); Alli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 479; Balogh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809). Selon la demanderesse, la SPR ne s’est pas interrogée sur l’efficacité de la protection offerte par l’État, et elle a donc laissé de côté des éléments de preuve essentiels qui confirmaient que la demanderesse ne pouvait pas obtenir une protection de l’État au Kosovo.

[36]           La demanderesse dit aussi qu’il est troublant que la SPR ait semblé tout ignorer du Kosovo, allant même jusqu’à demander si c’était un pays indépendant. La SPR a même exigé que la demanderesse produise des conclusions écrites sur ce point après l’audience, lesquelles sont jointes comme pièce « D » à l’affidavit de la demanderesse. On ne sait trop si cela a pu influer sur la décision de la SPR, mais, selon la demanderesse, cela montre que la SPR n’était sans doute pas totalement préparée, ni totalement au fait de la situation au Kosovo. En résumé, la demanderesse affirme que la SPR a laissé de côté des éléments de preuve importants sur la situation ayant cours au Kosovo, et cela rend sa décision déraisonnable.

La possibilité de refuge intérieur

[37]           La SPR a aussi estimé qu’il existait pour la demanderesse une PRI viable dans la ville de Pristina. La SPR a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel son père pourrait l’y trouver, affirmant d’une part qu’il n’était pas établi que son père aurait une quelconque influence à Pristina, et, d’autre part, qu’elle pourrait recourir à la police dans cette ville. La demanderesse dit que la conclusion de la SPR sur ce point tenait de la pure conjecture.

[38]           La demanderesse a produit son témoignage sous serment, un témoignage qui n’a pas été contredit et qui doit donc être tenu pour avéré (voir ci-dessus). La SPR n’avait devant elle aucun élément l’autorisant à rejeter son témoignage selon lequel son père pourrait la trouver à Pristina. D’ailleurs, Pristina est une ville de seulement 200 000 habitants, et la SPR ne pouvait donc tout bonnement refuser d’admettre que l’influence du père s’étendrait jusque-là. La conclusion de la SPR n’est qu’une simple assertion non étayée par la preuve.

[39]           En outre, l’analyse de la SPR portant sur l’existence d’une PRI était fondée sur sa conclusion touchant l’existence d’une protection de l’État. La SPR ne s’est pas limitée à dire que le père de la demanderesse ne pourrait pas la trouver à Pristina; elle écrivait aussi que, même s’il l’y trouvait, elle serait protégée par la police. Si la SPR s’est trompée dans son analyse portant sur l’existence d’une protection de l’État, elle s’est également trompée dans son analyse portant sur l’existence d’une PRI. Comme il est indiqué plus haut, la décision de la SPR est déraisonnable sur ces aspects, et la demanderesse demande à la Cour de l’annuler.

Le défendeur

            La conclusion de non-crédibilité

[40]           Le défendeur dit que la SPR pouvait raisonnablement conclure que le père de la demanderesse ne pourrait pas lui enlever son enfant et le mettre en adoption. La SPR peut mesurer la vraisemblance en s’en rapportant au bon sens et à la raison. Le défendeur affirme que la SPR peut récuser une preuve non contredite si cette preuve ne s’accorde pas avec la vraisemblance de la totalité des faits (Kanyai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF n° 1124, au paragraphe 11; Akinlolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF n° 296, au paragraphe 13; Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315 (CAF), au paragraphe 4; Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF n° 415 (CAF), au paragraphe 2).

[41]           La SPR pouvait, se fondant sur sa connaissance générale de la religion musulmane, conclure que l’avortement est interdit par cette religion à moins que la vie de la mère ne soit menacée, et qu’il est improbable qu’un imam insiste pour que sa fille subisse un avortement. Quoi qu’il en soit, ce point est maintenant théorique puisque l’enfant est né. En outre, les conclusions de non-crédibilité tirées par la SPR à ce sujet n’étaient pas déterminantes pour sa décision.

[42]           Selon le défendeur, il était raisonnable pour la SPR de juger improbable que le père de la demanderesse puisse lui enlever son enfant ou la contraindre à épouser quelqu’un contre son gré. Il appartenait à la demanderesse d’établir le bien-fondé de ses affirmations, et elle n’a nullement prouvé que son père est au-dessus des lois au Kosovo. Elle serait donc en mesure d’obtenir une protection de l’État, et c’est là le point sur lequel reposaient les conclusions de la SPR.

La protection de l’État

[43]           Il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse était à même de s’adresser à la police et à d’autres autorités au Kosovo, mais qu’elle s’en était abstenue. Il appartenait à la demanderesse de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État et, pour réfuter cette présomption, elle devait « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer sa protection » (arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux pages 709, 724 et 725). Il n’est pas nécessaire que la protection offerte par l’État soit parfaite, il suffit qu’elle soit adéquate (arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 41, 43 et 44; arrêt Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 18 et 30).

[44]           La SPR a estimé que, si le père de la demanderesse tentait d’enlever son enfant et de le mettre en adoption, elle pourrait appeler la police à l’aide. La demanderesse ne s’est jamais adressée aux autorités pour obtenir de l’aide, prétendant simplement qu’elle ne pouvait pas tenter cette démarche en raison de l’influence qu’avait son père partout au Kosovo. Les affirmations de la demanderesse sur ce point ne suffisent pas à établir que c’est effectivement le cas et, sans cette preuve, elle avait l’obligation de faire des efforts raisonnables pour obtenir une protection de l’État. Il était loisible à la SPR de considérer la vraisemblance de la totalité des faits (par exemple le fait que la demanderesse venait d’un petit village) et de conclure que ses affirmations n’étaient pas étayées par la preuve. La SPR pouvait raisonnablement conclure que rien ne prouvait que le père de la demanderesse avait une influence telle qu’elle serait empêchée d’obtenir partout au Kosovo la protection de l’État.

[45]           La preuve documentaire appuie aussi les conclusions tirées par la SPR sur la situation au Kosovo. L’État du Kosovo a été établi récemment, en 2008, et le pays bénéficie d’un soutien international considérable, notamment la mission EULEX. Il n’y avait rien d’excessif à ce que la SPR voie dans cette mission une autorité d’application de la loi puisque les documents d’information (le rapport du Département d’État des États-Unis; l’Étude exploratoire sur l’étendue de la violence sexiste au Kosovo et sur ses conséquences pour la santé reproductive des femmes) soulignent à maintes reprises que la mission EULEX exerce des fonctions de maintien de l’ordre et prête son appui aux services policiers locaux, en particulier dans le nord du Kosovo, près du lieu où vivait la demanderesse.

[46]           Il n’est pas vraiment établi non plus que la police n’aurait pas aidé la demanderesse en cas de nécessité. Selon la preuve documentaire, la violence familiale est une réalité au Kosovo, mais la police reçoit en la matière un entraînement spécial et aucun cas n’avait été rapporté où son intervention n’avait pas été à la hauteur. En fait, certaines preuves documentaires font l’éloge de la manière dont les policiers du Kosovo ont réagi devant des faits de violence familiale.

[47]           Selon le défendeur, la SPR pouvait aussi conclure que le Kosovo s’attaque au fléau de la corruption, puisque le rapport du Département d’État des États-Unis donnait de nombreux exemples d’arrestations et d’enquêtes se rapportant à la corruption. La SPR n’est pas tenue de faire état de chacune des preuves documentaires qui contredisent ses conclusions (décision Rachewiski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244, au paragraphe 17). La demanderesse voudrait en réalité que la Cour apprécie à nouveau les conclusions de la SPR sur cet aspect. Selon le défendeur, il était loisible à la SPR de conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État, et cette conclusion ne devrait pas être modifiée.

La possibilité de refuge intérieur

[48]           Il appartient à la demanderesse de prouver que son père exerçait une influence partout au Kosovo, car c’était là le fondement de sa demande d’asile. Si son père ne présente pas de risque en dehors de son village, alors elle a la possibilité d’aller vivre dans une autre ville et d’y obtenir la protection de la police. On n’est pas un réfugié si l’on peut obtenir une protection de l’État dans d’autres régions du pays, et il est logique de compter qu’un demandeur d’asile s’installera dans la partie du territoire où il peut obtenir une protection (arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF); arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF)). La SPR a conclu que la demanderesse avait la possibilité de s’installer à Pristina, la plus grande ville du Kosovo, et le défendeur affirme que cette conclusion est raisonnable.

[49]           La demanderesse, se fondant sur sa conviction personnelle, s’est limitée à dire que son père serait capable de la trouver n’importe où dans le pays. La SPR n’était pas tenue de la croire et elle pouvait conclure que cette affirmation n’était pas étayée par la preuve. Elle pouvait aussi conclure que la demanderesse pouvait s’installer à Pristina et que, même si elle a peu d’instruction, les enfants à Pristina peuvent bénéficier de services sociaux et la demanderesse peut accéder à des emplois de premier échelon. Eu égard à la preuve, c’était là une conclusion raisonnable. La décision de la SPR était raisonnable et la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

ANALYSE

[50]           La SPR nous dit dans sa décision que « la présente affaire porte sur la protection de l’État et la crédibilité ». Cependant, l’unique conclusion que tire la SPR en matière de crédibilité concerne la question de l’avortement. Cette question est aujourd’hui entièrement théorique puisque l’enfant est né et qu’il est citoyen canadien.

[51]           On ne trouve dans la décision de la SPR aucune conclusion de non-crédibilité concernant le reste du témoignage de la demanderesse, de sorte que la présomption de véracité joue en sa faveur. Voir l’arrêt Maldonado, précité.

[52]           La demanderesse a dit clairement qu’elle serait exposée aux risques suivants si elle devait retourner au Kosovo :

a.                   elle craint sa famille, en particulier ses parents et ses frères (DCT, page 319);

b.                  si elle retourne au Kosovo, sa famille enlèvera son enfant (DCT, page 322);

c.                   si elle retourne au Kosovo, elle sera contrainte d’épouser quelqu’un contre son gré (DCT, page 322);

d.                  ses parents voudront se venger sur elle de l’opprobre qu’elle a jeté sur la famille, et elle pense qu’ils la tueront (DCT, page 319, ligne 51, page 320, ligne 51, page 321, lignes 6 à 8, page 325, lignes 37 à 41);

e.                   elle serait encore en danger à Pristina parce que, comme elle l’explique, [traduction] « je serais véritablement en danger parce que je serais une mère célibataire avec un enfant en bas âge, une mère non mariée. Oui, les gens peuvent faire n’importe quoi à quelqu’un qui n’est pas protégé » (DCT, page 326, lignes 12 à 14).

 

[53]           Ainsi qu’il ressort de la décision de la SPR, ces risques sont reconnus et admis par la SPR.

[54]           Sachant ces risques, la SPR conclut que, si la demanderesse retourne au Kosovo, elle pourra obtenir une protection de l’État, et qu’elle n’a pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État.

[55]           La demanderesse n’a pas recherché la protection de l’État avant de quitter le Kosovo, mais elle a expliqué pourquoi dans son témoignage :

a.                   son père a de nombreuses relations au sein de la police et du système de justice, et les gens qui travaillent à l’intérieur de ce système sont des musulmans qui [traduction] « se rendent à la mosquée régulièrement, tout comme mon père » (DCT, page 321, lignes 32 à 36) et [traduction] « mon père officie à la mosquée, de sorte qu’on le respecte énormément. Ces gens vont demander à mon père de prier pour eux, de leur offrir des prières. Ils le connaissent et le respectent, ils l’écoutent » (DCT, page 322, lignes 20 à 24);

b.                  elle ne peut pas s’adresser à un commissariat de police plus important parce que [traduction] « le Kosovo est un petit pays où les gens se connaissent » et parce que [traduction] « la violence familiale est répandue au Kosovo, et la police n’intervient pas dans ces cas-là » (DCT, page 321);

c.                   les femmes isolées comme elle ne bénéficient pas de l’aide de la police au Kosovo et elles ne peuvent trouver refuge que temporairement (DCT, page 323, lignes 34 à 38).

 

[56]           S’agissant de la menace d’enlèvement de l’enfant, la SPR écrit que « rien n’indique qu’une personne peut se soustraire à la loi et enlever un enfant pour le donner en adoption ». Telle n’est pas véritablement la question. Dans son témoignage, la demanderesse disait que les femmes qui vivent dans des familles très traditionnelles, comme la sienne, n’ont pas réellement le choix dans les affaires de ce genre et que, si elles se plaignent, personne ne les écoutera ni ne les soutiendra.

[57]           Le milieu culturel et social auquel la demanderesse et sa famille appartiennent n’est nulle part évoqué ni évalué dans la décision de la SPR. Au Canada même, nous avons vu des exemples assez récents de cas où des pères et des frères ont fait des choses horribles aux femmes de leurs familles, des femmes qui, d’après ces hommes, avaient jeté le déshonneur sur leurs familles. La demanderesse a témoigné qu’elle vient d’une famille religieuse traditionnelle et que son père et ses frères se vengeront d’elle, et son témoignage n’est pas mis en doute. Cette vengeance pourrait être l’enlèvement de l’enfant, l’assassinat de sa mère, ou à la fois l’un et l’autre. Selon la preuve non mise en doute, la demanderesse est exposée aux représailles de sa famille et autres personnes, dans un milieu culturel où les femmes sont contrôlées (surtout par les hommes de la famille). La SPR ne dit pas qu’elle ne croit pas la demanderesse quand celle-ci affirme être en danger; elle dit qu’il n’est pas précisé, dans les conclusions de l’avocat de la demanderesse, « qu’une personne peut se soustraire à la loi et enlever un enfant pour le donner en adoption ». La SPR ne mentionne aucune loi en particulier et elle ne dit rien de la réalité que connaissent les femmes au sein de familles traditionnelles qui les ont menacées.

[58]           S’agissant de l’analyse prospective de cette question, la SPR conclut que, si la demanderesse retourne au Kosovo :

a.                   elle pourra obtenir une protection de l’État et empêcher ainsi son père de s’emparer de l’enfant;

b.                  le fils de la demanderesse est citoyen canadien. Si la demanderesse avait des problèmes avec son père, elle pourrait aussi obtenir une protection par l’entremise d’une ambassade ou d’un consulat du Canada.

Aucun fondement n’est invoqué à l’appui de telles affirmations.

 

[59]           La SPR tire des conclusions semblables à propos du risque de subir un mariage forcé :

a.                   le Kanun n’est pas la loi du Kosovo;

b.                  si le père de la demanderesse tente de la forcer à se marier contre son gré, elle peut recourir à la police ou à l’ombudsman;

c.                   la police peut délivrer des ordonnances restrictives dans les cas d’urgence;

d.                  l’ordre au Kosovo est assuré non seulement par la police locale, mais également par la mission EULEX, « une force policière internationale qui ne peut subir l’influence de personnalités locales, y compris le père de la demandeure d’asile, qui est imam »;

e.                   rien ne démontre que la police ne réagit pas comme il convient dans les cas de viol ou de violence familiale;

f.                   rien ne démontre que les gens d’influence peuvent s’immiscer dans le travail de la police lorsque celle-ci est appelée à intervenir dans des cas de violence familiale.

 

[60]           Mon examen de la preuve se rapportant au mandat et au rôle de la mission EULEX montre que :

[traduction]

Les policiers, procureurs et juges internationaux d’EULEX installés dans le pays ont toute latitude d’intervenir dans les affaires criminelles. Cependant, en pratique, la plupart des pouvoirs et fonctions de maintien de l’ordre étaient entre les mains de la police locale. (DCT, page 66) [Non souligné dans l’original.]

 

 

Je crois que la preuve démontre que la mission EULEX n’est pas une possibilité réaliste pour quelqu’un se trouvant dans la position de la demanderesse et qu’il lui faudrait obtenir l’assistance de la police locale.

 

[61]           S’agissant de la situation au niveau local, la SPR avait devant elle une preuve considérable qui contredisait ses conclusions, et elle aurait dû tenir compte de cette preuve. Voir la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 1425, au paragraphe 17.

[62]           Comme le fait observer la demanderesse à propos de la manière dont la police, le ministère public et la justice réagissent globalement aux cas de violence familiale au Kosovo, la preuve documentaire versée dans le dossier se présente ainsi (je souligne les passages qui me semblent pertinents) :

[TRADUCTION]

La loi punit le viol; cependant, le viol conjugal n’est pas explicitement prévu.

 

Les observateurs pensaient que les cas de viol étaient largement sous-estimés à cause des stigmates culturels qui s’attachaient aux victimes et à leurs familles.

 

La violence familiale envers les femmes, y compris la violence conjugale, demeurait un fléau persistant. La loi interdit la violence familiale, qui est punie de peines d’emprisonnement allant de six mois à cinq ans. La loi traite les cas de violence familiale comme des affaires civiles à moins que la victime n’ait subi des lésions corporelles. L’inobservation de la décision d’une juridiction civile portant sur un cas de violence familiale constitue un délit susceptible de poursuites pénales. Quand des victimes portaient plainte, des cellules policières affectées aux cas de violence familiale menaient des enquêtes et transféraient les dossiers au ministère public. Selon le bureau du procureur spécial, la loyauté familiale, la pauvreté et l’accumulation de dossiers devant les juridictions tant civiles que criminelles contribuaient au faible taux de poursuites.

 

En novembre 2009, l’OSCE a présenté une mise à jour de son rapport de 2007 sur la violence familiale. Les observateurs de l’OSCE ont signalé à nouveau des défaillances dans le traitement des cas de violence familiale, notamment délais abusifs dans la mise au rôle des causes à juger ou dans les décisions portant sur des ordonnances de protection, négligence à faire intervenir des représentants du Centre pour le travail social dans les procédures civiles en matière de violence familiale, erreurs dans l’application des lois par les tribunaux, et négligence à poursuivre les auteurs de délits de violence familiale.

 

Les condamnations pour violence familiale étaient rares, et les peines allaient de la réprimande judiciaire à l’emprisonnement. Les attitudes sociales traditionnelles envers les femmes dans la société patriarcale contribuaient au niveau élevé de cas de violence familiale et au faible nombre de cas signalés.

 

Les femmes ont les mêmes droits que les hommes, mais traditionnellement leur statut social est inférieur, ce qui influe sur la manière dont elles sont traitées dans le système de justice.

 

Dossier d’information du Département d’État des États-Unis, 2010, Kosovo, page 138, dans la sous-rubrique intitulée « Femmes ».

 

Les experts ont recensé diverses raisons pouvant expliquer pourquoi la violence familiale est sous-estimée, notamment une culture où la violence familiale est considérée comme une « affaire interne »; les familles élargies et techniques informelles de règlement des conflits; l’hésitation des agents des services sociaux et des policiers à intervenir dans des différends d’ordre privé; et enfin crainte de la femme de jeter « l’opprobre » sur elle-même ou sur sa famille. Les femmes qui dénoncent des faits de violence risquent aussi d’être expulsées de leur domicile, de se faire enlever leurs enfants par leur famille, ou de subir la vengeance de leurs agresseurs.

 

Kosova Women’s Network, Exploratory Research on the Extent of Gender-Based Violence in Kosova and its Impact on Women’s Reproductive Health, 2008, à la page 159, paragraphe 2, dans la sous-rubrique intitulée « Violence familiale ».

 

Pareillement, la violence institutionnalisée (expression employée davantage par les ONG pour femmes que par les institutions) suppose l’inégalité d’accès d’une personne, en raison de son sexe, aux services et programmes publics, par exemple l’éducation, la justice et le soutien social. La violence institutionnalisée fondée sur le sexe au Kosovo pourrait être le fait pour le ministère de l’Éducation de ne pas financer les manuels scolaires, le transport et autres coûts qui permettraient aux filles venant de familles défavorisées sur le plan économique de poursuivre leurs études (à l’heure actuelle les garçons dans la même situation sont envoyés aux études parce qu’ils ont de meilleures chances de trouver un emploi plus tard durant leur vie); le fait pour des institutions publiques de ne pas résolument embaucher davantage de femmes de talent dans la fonction publique; le fait pour des institutions publiques de ne pas adopter et appliquer des politiques de lutte contre le harcèlement sexuel dans le milieu de travail; enfin la lenteur avec laquelle le système judiciaire prononce des ordonnances de protection, ce qui a pour effet d’accroître le risque pour les femmes qui sont déjà victimes de violence;

 

Kosova Women’s Network, Exploratory Research on the Extent of Gender-Based Violence in Kosova and its Impact on Women’s Reproductive Health, 2008, à la page 170, paragraphe 2.

 

Le ministère du Travail et de la Protection sociale (MTPS) agit par l’entremise du Service de la protection sociale (SPS), qui a pour mandat de protéger les enfants; de prévenir et réduire la maltraitance et l’abandon d’enfants; de soutenir les familles aux prises avec des difficultés; et de donner suite aux constats de risque ou de violence afin d’assurer sécurité et soutien. Le SPS coordonne les 32 centres pour le travail social (les CTS) répartis dans les municipalités (il y en a deux à Mitrovica). Le MTPS a pour mandat de surveiller le fonctionnement des CTS. En tant que ministère, le MTPS doit s’assurer de la mise en application du Cadre constitutionnel du Kosovo et des conventions sur les droits de la personne au Kosovo, de même que des déclarations figurant dans telles conventions. Les agents des services sociaux travaillant dans les CTS doivent donc s’assurer de ne pas faire de discrimination envers les femmes dans les cas où il y a eu violence sexiste, y compris violence familiale.

 

Si un agent des services sociaux apprend qu’une personne a commis un délit prévu par le Règlement sur la protection contre la violence familiale et que l’auteur du délit est apparenté à la victime selon le même Règlement, l’agent doit offrir d’aider la victime à demander une ordonnance de protection. Les agents des services sociaux doivent aussi s’assurer que les personnes victimes d’actes de violence comprennent les types de protection qui s’offrent à elles. Si un CTS dirige une femme vers un refuge, l’agent demeure responsable du suivi, du contrôle et des aspects susceptibles de concerner la femme ou ses enfants. Même après qu’un agent a confié une bénéficiaire aux soins d’un refuge, il demeure tenu de contribuer au rétablissement de la bénéficiaire; de collaborer avec le refuge; de développer et appliquer un plan en étroite concertation avec la bénéficiaire; et de communiquer avec le refuge concernant ce plan et les progrès constatés dans sa mise en œuvre. Au cours de procédures judiciaires, le CTS doit fournir « un avis d’expert » dans les cas se rapportant à des divorces ou à des droits de garde.

 

Des responsables de refuges ont dit que les agents des services sociaux s’acquittent rarement de leurs obligations. Les refuges devaient souvent se démener pour obtenir des renseignements de base des agents, surtout en raison d’un manque de ressources humaines et de moyens financiers dans les CTS. L’OSCE a suivi des cas où des responsables de CTS auraient dû comparaître dans des procès pour violence familiale afin de présenter leur avis d’expert concernant des enfants, mais ne comparaissaient pas. La formation dispensée aux agents des services sociaux a permis d’améliorer le rendement de certains d’entre eux, ont affirmé les responsables de refuges, mais de nombreuses difficultés ont persisté en 2007. « Ils ont reçu une formation », a dit un responsable de refuge. « Nous avons suivi la même formation et nous les y avons vus. Mais ils nous ont dit “nous ne croyons pas dans cette histoire de violence sexiste. Nous sommes ici simplement pour nous amuser” ».

 

Selon des responsables de refuges et selon l’UNICEF, certains agents des services sociaux préféraient contraindre les femmes à réintégrer leur environnement familial violent plutôt que de leur donner les moyens de trouver et choisir la meilleure solution pour leur avenir. « À cause d’un manque de moyens et de solutions pour les victimes de violence, on a encore le réflexe de vouloir tenter une réconciliation au sein de la famille », écrivait l’UNICEF.

 

Kosova Women’s Network, Exploratory Research on the Extent of Gender-Based Violence in Kosova and its Impact on Women’s Reproductive Health, 2008, aux pages 196-197, dans la sous-rubrique 1.2.

 

Simultanément, de nombreux agents des services sociaux qu’on a interrogés se sont dits irrités de ne pas disposer de budgets suffisants qui leur permettent de s’acquitter de leurs responsabilités :

 

Nous n’avons pas suffisamment de véhicules. Par exemple, quand la police nous appelle, nous n’avons pas de véhicule pour nous rendre sur place. Un autre problème est le fait qu’il nous est impossible d’aider suffisamment les bénéficiaires. Par exemple, lorsqu’une bénéficiaire doit quitter le refuge, elle n’a nulle part où aller. Très souvent elle doit retourner chez elle et, dans la plupart de ces cas, la situation empire parce que la colère du mari s’est accentuée.

 

Nous leur donnons [aux femmes victimes de violence] des informations sur leurs droits. Mais nous ne pouvons rien faire pour améliorer leur situation économique et, très souvent, c’est ce dont elles ont le plus besoin. Fréquemment, nous n’avons pas d’espace pour les enfants lorsque nous emmenons la victime à une entrevue.

 

Nous n’avons pas non plus de budget pendant la durée de la protection, par exemple pour acheter une bouteille d’eau à la victime ou lui procurer de quoi manger. Elles sont enfermées dans des refuges et, en ce sens, elles sont victimisées par le fait de s’y trouver comme si elles étaient en prison. Parce que les services professionnels sont déficients, les victimes doivent retourner chez elles, vers leur agresseur, et elles seront à nouveau exposées à la violence.

 

L’absence de biens matériels et de moyens de transport est aussi une autre difficulté dans notre travail. Par exemple, quand la bénéficiaire a besoin de quelque chose lorsque nous l’emmenons voir le médecin, nous devons le lui procurer avec notre propre argent. Un autre problème est l’absence d’une approche adéquate des institutions envers les victimes de violence. Par exemple, nous envoyons une cliente consulter un psychiatre, et nous devons attendre avec les autres gens qui s’y trouvent.

 

Le KPS ne dispose pas non plus d’un bureau pour recueillir le témoignage de la femme, de sorte que son anonymat est compromis.

 

Kosova Women’s Network, Exploratory Research on the Extent of Gender-Based Violence in Kosova and its Impact on Women’s Reproductive Health, 2008, à la page 198, paragraphe 1.

 

Vuniqi et Macula ont fait observer qu’il existait des lois, des règlements et des conventions internationales qui protégeaient les femmes et qui avaient été approuvés par le parlement du Kosovo, mais le problème était que les institutions ne les appliquaient pas dans la pratique.

 

« Nous avons un arsenal législatif, mais il n’est pas appliqué », a dit Vuniqi.

 

« Notre gouvernement doit se soucier de la mise en œuvre de nos lois et combler les vides qui s’y trouvent », a dit Macula.

 

Qosaj-Musa était du même avis, affirmant que ce que prévoyaient les lois actuelles ne voulait presque rien dire en pratique. Elle blâmait le parlement de l’époque et le système de justice de ne pas interpréter et appliquer les lois de la bonne façon. Qosaj-Musa a fait observer qu’il y avait des lacunes dans le Code pénal du Kosovo pour ce qui concernait la violence familiale et le trafic d’êtres humains.

 

Balkan Investigative Reporting Network, Life in Kosovo Discusses Violence Against Women, décembre 2007, page 256, paragraphe 2 et suivants.

 

 

[63]           Le commissaire de la SPR concluait qu’une ordonnance restrictive pouvait être délivrée et que le non-respect d’un jugement rendu par une juridiction civile est un délit pouvant donner lieu à des poursuites, mais la preuve montre que c’est rarement le cas en réalité :

[TRADUCTION]

Malgré l’adoption de nouvelles lois et de nouveaux mécanismes tels que le VAAD, les juges et les avocats ne sont pas suffisamment sensibilisés aux violences sexuelles et familiales ni à la manière de considérer la situation des femmes qui ont été victimes de violence. Le système de justice est lent à poursuivre les agresseurs, augmentant ainsi le risque pour les victimes de subir d’autres violences. « Le nombre de cas de violence sexuelle ou familiale portés devant les tribunaux était négligeable par rapport au nombre de victimes », déclarait le FNUAP.

 

En fait, sur les 557 cas de violence familiale signalés de janvier à juin 2007, le KPS n’a recensé que 26 ordonnances de protection et 52 ordonnances de protection d’urgence, c’est-à-dire seulement 14 % des cas signalés. En juillet 2007, la Section de la surveillance des systèmes juridiques, au Département des droits de l’homme, de la décentralisation et des communautés de l’OSCE, disait son inquiétude à propos de la mise en œuvre, par le système de justice, du Règlement sur la protection contre la violence familiale. L’OSCE affirmait que la santé et la sécurité des personnes victimes de violence étaient sans doute compromises par les « délais abusifs » des ordonnances de protection et des audiences s’y rapportant.

 

Les tribunaux sont tenus de donner suite à une demande d’ordonnance de protection dans un délai de quinze jours, et à une demande d’ordonnance de protection d’urgence dans un délai de 24 heures, à compter de la date de dépôt de la demande, mais l’OSCE signalait, dans son rapport, quatre cas où les tribunaux avaient rendu leurs décisions entre six semaines et près d’un an après le dépôt de la demande, mettant ainsi les victimes en grand danger.

 

L’OSCE était également « préoccupée » par « l’inertie des autorités à poursuivre automatiquement, comme l’exige la loi, les auteurs de délits commis dans les cas de violence familiale ». Le CPWC écrivait quant à lui, en 2003, que le système de justice échouait à prévenir la criminalité en relâchant les délinquants sous condition ou en leur imposant des peines minimes. Priées de dire si des mesures avaient été prises contre leur agresseur après les faits de violence les plus récents, seules 12 des 51 femmes interrogées par KWN ont dit que leur agresseur avait été arrêté et, dans neuf cas, s’était vu signifier une citation.

 

Kosova Women’s Network, Exploratory Research on the Extent of Gender-Based Violence in Kosova and its Impact on Women’s Reproductive Health, 2008, à la page 200, paragraphe 1.

 

 

 

[64]           La preuve susmentionnée montre clairement que la protection offerte par l’État aux victimes de violence sexiste au Kosovo est extrêmement problématique. La SPR n’a abordé aucun de ces éléments de preuve dans ses motifs.

[65]           La SPR s’est prononcée sur l’existence d’une PRI, mais sa conclusion est déficiente et, en tout état de cause, elle est rattachée à sa conclusion sur la protection fournie par l’État :

La demandeure d’asile s’est vu demander si elle pourrait vivre à Pristina. Elle a répondu que ce serait impossible parce que son père la retrouverait sûrement. Il y a encore moins d’éléments de preuve que le père de la demandeure d’asile pourrait exercer une certaine influence à Pristina. Il est un imam local et il ne peut se soustraire à la loi. S’il proférait des menaces à la demandeure d’asile à Pristina, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que celle‑ci pourrait s’adresser à la police pour obtenir une protection.

 

 

 

[66]           En premier lieu, l’« influence » du père à Pristina n’est pas la question. La demanderesse a témoigné que sa famille veut l’assassiner pour rétablir l’honneur de la famille. Cette preuve n’est pas mise en doute. La question est donc de savoir si le père et les frères de la demanderesse, qui lui veulent du mal, pourraient la trouver à Pristina, une ville située à environ 50 kilomètres seulement, dont la population est de 200 000 habitants, dans un pays où, selon le témoignage non mis en doute de la demanderesse, [traduction] « le Kosovo est un petit pays où les gens se connaissent ». Cette question n’est examinée nulle part par la SPR.

[67]           La conclusion subsidiaire, selon laquelle la demanderesse pourrait obtenir une protection de l’État à Pristina présente les mêmes déficiences que celles évoquées ci-dessus dans mes propos relatifs à la protection de l’État en général.

[68]           Dans la présente affaire, une jeune femme produit un témoignage non mis en doute selon lequel sa vie est menacée par son père et ses frères dans un pays où, pour des raisons culturelles, les femmes sont très vulnérables, et où il est attesté que l’État n’a ni la volonté ni la capacité de lui apporter la protection dont elle a besoin. En dépit des lourds enjeux, la SPR rend une décision superficielle et ne considère pas la preuve d’une manière juste et approfondie. Cela est extrêmement préoccupant, et la décision de la SPR est donc déraisonnable.

[69]           Les avocats s’accordent à dire qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour partage leur avis.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à la SPR pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-856-12

 

INTITULÉ :                                      SAMIRE GECAJ

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 novembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Chantal Desloges                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Ildikó Erdei                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Desloges                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Société professionnelle

Avocate

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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