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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20121127

Dossier : IMM-316-12

Référence : 2012 CF 1368

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SOORIYATHAS BALASINGAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant à faire contrôler judiciairement la décision, en date du 17 octobre 2011 (la décision), par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de visa de résidence permanente présentée par Salvarajani Sooriyathas dans le cadre d’une demande de parrainage d’un époux au titre du regroupement familial.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est né au Sri Lanka. Il a acquis la nationalité canadienne en 1992 après avoir revendiqué le statut de réfugié. Le demandeur, qui a été marié de 1994 à 2007, a trois enfants issus de ce mariage.

[3]               Le demandeur a épousé Salvarajani Sooriyathas, son actuelle épouse, le 3 mars 2008. Celle-ci a présenté une demande de résidence permanente le 27 juillet 2009. Elle a, à Colombo (Sri Lanka), été interrogée par un agent des visas qui a, le 25 août 2009, rejeté sa demande, estimant que sa relation et son mariage n’étaient pas authentiques.

[4]               Le 23 septembre 2009, le demandeur a déposé auprès de la SAI un avis d’appel visant le rejet de sa demande de parrainage. Il n’a pas retenu les services d’un conseil. Dans un affidavit qui se trouve aux pages 21 à 23 de son dossier, le demandeur affirme avoir recouru aux services d’un conseiller en immigration non accrédité qui devait l’aider à préparer son appel devant la SAI. Le demandeur qualifie ce conseiller de [traduction] « conseiller fantôme », puisqu’il n’a jamais révélé son identité. Ce conseiller a dit au demandeur avoir [traduction] « tout préparé » et qu’il n’y avait par conséquent aucun besoin pour un appel devant la SAI de recourir aux services d’un conseiller juridique.

[5]               Le 17 octobre 2011, le demandeur, assurant sa propre représentation, a comparu devant la SAI. Il n’a pas sollicité l’ajournement de l’audience et n’a pas non plus fait état du fait qu’il assurait sa propre représentation. À l’audience, personne n’a dit au demandeur que le fait de ne pas être représenté par un conseil risquait de lui porter préjudice, et la question d’un éventuel ajournement n’a pas non plus été soulevée. Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il [traduction] « n’[a] pas très bien saisi la teneur de cette discussion, ni les nuances qui ont pu être apportées », n’ayant pas non plus l’impression d’avoir pu y participer. Il affirme qu’à l’audience son épouse a, elle aussi, éprouvé des difficultés, et qu’ils ont senti qu’ils n’étaient ni l’un ni l’autre préparés à répondre aux questions qui leur étaient posées.

[6]               La SAI a estimé que le mariage du demandeur n’était pas un mariage authentique et qu’il avait été contracté à des fins d’immigration. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

DÉCISION EN CAUSE

[7]               Les motifs de décision ont été exposés oralement le 17 octobre 2011, et remis par écrit le 5 décembre 2011. La SAI a passé en revue toutes les étapes de la procédure d’appel, notant que le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), s’appliquait à l’appel. Cette disposition exclut de la catégorie du regroupement familial toute relation entachée de mauvaise foi. Selon la SAI, « l’appelant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, les deux volets du critère dans le cadre d’une nouvelle audience [...] ».

[8]               La SAI s’est référée à l’argument invoqué par le conseil du ministre, selon qui, d’après Kahlon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 104 (CAF), la loi doit être appliquée dans sa version en vigueur à l’époque de la décision. La SAI a également cité l’arrêt de la Cour suprême du Canada FH c McDougall, 2008 CSC 53, selon lequel, pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités, la preuve doit être « [...] claire et convaincante. [...] [P]lus l’événement est improbable, plus la preuve doit être solide [...] » La SAI s’est ensuite penchée sur les divers indices permettant d’apprécier l’authenticité d’une relation. Elle a par ailleurs indiqué que les témoignages sous serment bénéficient d’une présomption de véracité et que la crédibilité peut être évaluée à l’aune de la rationalité et du bon sens.

[9]               La SAI a relevé que le demandeur assurait sa propre représentation, et que son épouse et lui témoigneraient. À l’audience, le demandeur a produit des éléments de preuve qui contrairement aux règles de la SAI, n’avaient pas été remis 20 jours à l’avance. La SAI n’a pas admis ces éléments de preuve, ni elle ni le ministre n’en ayant reçu copie.

[10]           La SAI a évoqué la tentative qu’avait faite avant cela l’épouse du demandeur pour être admise au Canada. Son oncle lui avait frauduleusement procuré un visa de visiteur, mais elle s’était fait prendre lorsqu’elle avait essayé de l’utiliser. Elle a été, du 26 décembre 2007 au 14 février 2008, incarcérée pour emploi frauduleux d’un visa, et c’est à cette époque, vers le 10 janvier 2008, que le mariage en question a été arrangé. Selon la SAI, la tentative faite par l’épouse du demandeur pour s’introduire au Canada munie d’un faux visa, et l’époque à laquelle le mariage a été arrangé, alors qu’elle se trouvait en prison, donnent fortement à penser qu’elle a contracté ce mariage afin d’obtenir le statut de résidente permanente au Canada.

[11]           L’épouse du demandeur a témoigné que si sa famille lui avait procuré un faux visa, c’est parce qu’elle s’inquiétait des difficultés que pourraient lui causer, en tant que femme non mariée, les troubles qui avaient lieu à l’époque au Sri Lanka. Selon la SAI, l’épouse du demandeur et la famille de celle-ci souhaitaient clairement qu’elle quitte le Sri Lanka. Elle n’a guère fait d’études, n’a aucune expérience de travail et ne parle pas couramment l’anglais. Il est peu probable qu’elle ait pu entrer au Canada par ses propres moyens. La SAI a en outre relevé que lorsqu’on lui a demandé si elle avait de la famille au Canada, l’épouse du demandeur a initialement répondu que non, revenant après cela sur son témoignage pour déclarer que son mari se trouve au Canada. La SAI a noté que son mariage au demandeur facilitait son entrée au Canada.

[12]           La SAI a également relevé que le mariage avait eu lieu très rapidement, et que la cérémonie religieuse avait été célébrée avant que le demandeur ne soit divorcé légalement. Les documents relatifs au divorce n’indiquent pas la date de séparation, cette date n’étant pas non plus indiquée dans le questionnaire du répondant. Prié par le conseil du ministre de dire à la demande de qui le divorce avait été prononcé, le demandeur a répondu que c’est son ancienne épouse qui avait demandé le divorce par le truchement d’un avocat. Le conseil du ministre lui a alors demandé s’il en était certain, et il a répondu que oui. Le conseil du ministre lui a ensuite fait remarquer que, selon le certificat de divorce, ce serait lui qui aurait demandé le divorce. Le demandeur est alors revenu sur son témoignage, disant que son ancienne épouse avait demandé la séparation, mais que c’est lui qui avait demandé le divorce. Selon la SAI, le demandeur s’est montré évasif au sujet des circonstances aboutissant au divorce, et elle a rejeté son explication quant à la question de savoir qui avait effectivement demandé le divorce.

[13]           La SAI a également relevé que l’adresse de l’ancienne épouse du demandeur ne figurait pas sur le certificat de divorce. Prié par le conseil du ministre de dire s’il connaissait l’adresse de son ancienne épouse, le demandeur a cependant répondu que oui, précisant qu’elle vivait à Burlington. Le demandeur a ajouté qu’un avocat avait signifié le certificat de divorce à son ancienne épouse, mais que l’adresse de celle-ci ne figurait pas sur le certificat étant donné qu’il ne connaissait pas son adresse. La SAI a d’autant moins retenu cette explication, que le demandeur avait eu, avec son ancienne épouse, trois enfants. Le demandeur affirme espérer pouvoir un jour amener ses enfants vivre avec lui de nouveau, expliquant que c’est pour cela qu’il ne peut pas actuellement rejoindre son épouse au Sri Lanka. Cela étant, on pourrait s’attendre à ce que le demandeur ait su où ses enfants vivaient à l’époque.

[14]           Interrogé au sujet des modalités de garde de ses enfants, le demandeur a répondu que c’est son ancienne épouse qui en avait la garde. Lorsque le conseil du ministre lui a demandé pourquoi il n’en avait pas la garde conjointe, le demandeur a répondu qu’il avait, avec son ancienne épouse, exploité un dépanneur et qu’il a renoncé à la garde de ses enfants, son ancienne épouse renonçant pour sa part au dépanneur. La SAI a plus tard relevé que lorsqu’on lui a demandé s’il possédait encore ce magasin, le demandeur a répondu qu’il l’avait vendu en 2007, son ancienne épouse et lui ayant chacun reçu une part du produit de la vente. Lorsqu’on lui a demandé de clarifier le lien entre le magasin et ses enfants, le demandeur a répondu que son ancienne épouse avait refusé de lui céder le magasin, s’il ne renonçait pas à la garde des enfants. La SAI a dit avoir du mal à comprendre que le demandeur ait à la fois renoncé à la garde de ses enfants et à une participation dans le magasin, se demandant si la dissolution de son premier mariage ne serait peut-être elle-même pas authentique. La SAI a estimé que selon la prépondérance des probabilités le divorce du demandeur était un divorce de complaisance.

[15]           La SAI a noté que le demandeur n’avait guère fourni de détails concernant sa relation avec son actuelle épouse. Il a précisé la date de certains de ses déplacements au Sri Lanka, évoquant à de nombreuses reprises le fait que son épouse avait été enceinte, mais qu’elle avait perdu l’enfant. Le demandeur a témoigné s’être à trois reprises rendu au Sri Lanka pour voir son épouse, mais ne pas y être retourné depuis 2009. La SAI a jugé cela surprenant « compte tenu des déclarations des époux selon lesquelles ils souhaitaient avoir un enfant et essayaient d’en concevoir un, et du fait qu’elle était devenue enceinte et avait perdu l’enfant ». Selon la SAI, si les intentions ainsi manifestées avaient été authentiques, on s’attendrait à ce que le demandeur ait rendu plus récemment visite à son épouse.

[16]           Selon le demandeur, il s’entretient chaque soir par téléphone avec son épouse pendant 15 à 30 minutes. Il a fourni à l’appui de sa déclaration à cet effet, des copies de cartes d’appel. La SAI a fait remarquer que l’on ne pouvait pas savoir si le demandeur avait utilisé ces cartes d’appel pour téléphoner à son épouse. Selon la SAI, même si ces cartes d’appel ont servi à cela, les témoignages du demandeur et de son épouse ne donnaient pas l’impression qu’ils se téléphonaient tous les jours.

[17]           Selon la SAI, le témoignage du demandeur et celui de son épouse « comportaient peu de détails ». Elle a fait remarquer que lorsqu’on a demandé à chacun ce qu’ils entendaient faire dans l’hypothèse où l’épouse ne serait pas admise au Canada, ils ne semblaient pas avoir évoqué la question. Selon la SAI, on pourrait pourtant raisonnablement s’attendre à ce qu’un couple authentique parle de cela, et le fait qu’ils n’en aient pas discuté porte à penser qu’il ne s’agit pas d’un mariage authentique. La SAI a également relevé que le témoignage livré par l’épouse du demandeur montre qu’elle ne sait pas grand-chose du mariage antérieur de son mari.

[18]           Comme preuve de l’authenticité du mariage, le demandeur a insisté sur le fait que son épouse avait été enceinte, mais qu’elle avait perdu le bébé. La SAI a fait remarquer que, selon l’épouse, sa grossesse avait pris fin le 12 août 2008. Elle a été interrogée par le premier agent des visas en 2009, et lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas fait part à celui-ci de sa grossesse, elle a répondu que c’était vraisemblablement parce que la question ne s’était pas posée et qu’elle n’avait pas éprouvé le besoin d’en parler à l’agent. Des certificats médicaux ont été fournis concernant cette grossesse, mais lorsque l’agent des visas l’a interrogée sur l’authenticité de son mariage, lui demandant pourquoi un mariage avait été arrangé entre elle et son mari étant donné l’écart de 13 ans entre leurs âges, elle n’en a pas parlé. La SAI n’a pas admis la réponse donnée par l’épouse du demandeur pour expliquer pourquoi elle n’avait pas fait état de sa grossesse devant l’agent des visas; la SAI se serait attendue à ce qu’elle évoque un événement d’une telle importance. La SAI a précisé que c’est pour cela qu’elle n’a accordé que peu de poids aux éléments de preuve concernant une grossesse.

[19]           La SAI a relevé que le demandeur avait produit des éléments de preuve de transferts d’argent envoyés à son épouse, estimant cependant que « [l]e fait qu’il lui envoie de l’argent n’est pas déterminant pour établir qu’il s’agit d’un mariage authentique ». La SAI a également fait remarquer que le demandeur et son épouse ont tous deux témoigné que l’ancienne épouse du demandeur a la garde des enfants, mais l’épouse du demandeur n’en savait pas plus sur les modalités de la garde. Sur ce point, la SAI s’est exprimée en ces termes : « À vrai dire, l’appelant n’a pas été beaucoup plus bavard à propos de ses enfants et donc je ne suis pas surprise que la demandeure n’ait pas parlé en détail des enfants de l’appelant. »

 

[20]           En ce qui concerne ce que chacun des époux pouvait savoir de la famille élargie de l’autre, et des contacts entretenus avec elle, la SAI a estimé que les témoignages ne démontraient guère l’authenticité du mariage. Les époux ne semblaient pas savoir grand-chose de la famille élargie de l’autre, et leurs familles respectives n’ont pas assisté à la cérémonie de mariage. La SAI était également d’avis que l’épouse du demandeur n’avait pas, lors de son témoignage, montré qu’elle savait grand-chose de l’existence quotidienne du demandeur au Canada. Les détails qu’elle a fournis à cet égard collaient de près au contenu de la preuve documentaire. Selon la SAI, l’épouse du demandeur aurait dû pouvoir, dans son témoignage, démontrer une plus grande connaissance de la vie du demandeur.

[21]           La SAI a également relevé que les copies de la correspondance échangée entre le demandeur et son épouse consistaient essentiellement de cartes de vœux contenant une formule de courtoisie et une signature. Selon la SAI on s’attendrait, de la part d’un couple authentique, à une correspondance plus fournie. La SAI n’a pas trouvé ces éléments de correspondance très convaincants.

[22]           Selon la SAI, le demandeur n’est ni crédible ni digne de confiance. Compte tenu des tentatives faites par l’épouse du demandeur pour s’introduire au Canada, sa situation au Sri Lanka, l’époque de leur mariage, le manque de crédibilité du demandeur au sujet de son divorce et des modalités de garde de ses enfants, et le manque de détails concernant son mariage actuel, la SAI a estimé que ce mariage avait été principalement contracté dans le but d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi. La SAI a estimé que le demandeur n’avait pas, selon la prépondérance des probabilités, démontré l’authenticité de son mariage. Ayant conclu que le mariage avait été principalement contracté à des fins d’immigration et qu’il ne s’agissait pas d’un mariage authentique, la SAI a rejeté l’appel.

QUESTIONS EN LITIGE

[23]           Le demandeur soulève en l’espèce la question suivante :

1.                  La SAI a-t-elle manqué à l’équité procédurale en laissant l’audience se dérouler sans que le demandeur bénéficie des services d’un conseil, et en n’évoquant même pas la question afin de s’assurer que le demandeur était conscient des conséquences pouvant résulter du fait d’assurer sa propre représentation?

NORME DE CONTRÔLE

[24]           Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, il n’est pas nécessaire dans tous les cas de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui lui est soumise est bien établie par la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

[25]           La question soulevée concerne l’équité procédurale. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada affirme, au paragraphe 100, qu’« [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale ». Pour sa part, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes au paragraphe 53 de Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 : « La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation. » La norme de contrôle applicable à cette question est en l’espèce celle de la décision correcte.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[26]           Voici les dispositions du Règlement applicables en l’espèce :

Mauvaise foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

...

Catégorie

 

116. Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

 

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

 

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

 

 

[...]

 

Bad faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

...

Family class

 

116. For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

 

 

 

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

 

 

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

 

[...]

 

 

ARGUMENTS

Le demandeur

 

[27]           Le demandeur affirme avoir retenu les services d’un conseiller en immigration non accrédité qui devait l’aider à porter devant la SAI l’appel concernant sa demande de parrainage d’époux. Ce conseiller avait aidé le demandeur à rédiger ses observations écrites, mais refusé de donner aux parties son nom et autres détails le concernant. Ce conseiller a engagé le demandeur à comparaître seul devant la SAI, lui disant qu’il n’y avait pas lieu pour lui de se faire représenter par un conseiller juridique.

[28]           Selon le demandeur, les appels devant la SAI constituent un examen de novo, l’appelant étant par conséquent en droit de présenter de nouveaux éléments de preuve. Ce type d’appel soulève en outre de complexes questions de droit. C’est ainsi, par exemple, qu’une jurisprudence abondante a dégagé toute une série de facteurs devant être pris en compte par la SAI pour décider de l’authenticité d’un mariage.

[29]           La décision rend compte des discussions qui ont eu lieu entre la SAI et le conseil du ministre au sujet du critère juridique applicable en l’occurrence, et des difficultés que posaient les observations écrites du demandeur. La décision en cause relève que le demandeur a assuré sa propre représentation devant la SAI, mais ne fait état, entre la SAI et le demandeur, d’aucune autre discussion concernant la procédure à suivre, les règles de droit applicables, les rôles respectifs des parties, etc. Faute d’une discussion de ce que pouvait entraîner le fait d’assurer sa propre représentation, le demandeur n’était pas au courant de la procédure et n’était guère préparé à défendre sa cause. Cela étant, il n’a pas bénéficié d’une audition aussi équitable de sa cause que celle à laquelle il avait droit.

[30]           Le demandeur invoque la décision Edison c R, 2001 CFPI 734 (CF), dans lequel le juge Edmond Blanchard affirme, aux paragraphes 21 à 24 :

Toutefois, avant d’analyser la procédure qui a donné lieu aux décisions, la présente Cour doit se demander si la procédure d’examen créait pour les demandeurs des attentes légitimes. Il est de droit constant au Canada que la doctrine des attentes légitimes ne crée pas de droits matériels, mais qu’elle peut créer des droits procéduraux. Dans l’arrêt Renvoi relatif au Régime d’assistance du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 557, Monsieur le juge Sopinka a établi comme suit les limites de cette doctrine en droit canadien :

 

La théorie de l’expectative légitime est traitée dans les motifs des juges formant la majorité dans l’affaire Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170. Dans ces motifs, on cite sept causes portant sur cette théorie et on ajoute ensuite (à la p. 1204) :

 

Le principe élaboré dans cette jurisprudence n’est que le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale. Il accorde à une personne touchée par la décision d’un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, autrement, elle n’aurait pas cette possibilité. La cour supplée à l’omission dans un cas où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu’un qu’on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter.

 

Cet avis a été confirmé comme suit par Madame le juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26 :

 

[...] Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure: [...] De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés: [...] Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

 

Enfin, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), A-922-96, paragraphe 123, Monsieur le juge Evans a particulièrement bien illustré l’applicabilité de la doctrine des attentes légitimes existant en droit canadien et dans le système de procédure créé par l’obligation d’équité. Dans cette décision, le juge Evans a dit que la personne qui se fonde sur des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées peut avoir une attente légitime :

 

Les droits sous-tendant la théorie de l’expectative légitime se rapportent à l’application non discriminatoire, au sein de l’administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l’individu contre l’abus de pouvoir résultant de la violation d’un engagement. Telles sont les préoccupations traditionnelles fondamentales qui existent en droit public. Ce sont également les éléments essentiels d’une administration publique saine. Dans ces conditions, la consultation cesse d’être uniquement une question de processus politique ne relevant donc pas du droit, et entre dans la sphère du contrôle judiciaire.

 

La doctrine des attentes légitimes peut donc créer des droits procéduraux qui sont régis par la norme de l’équité procédurale.

 

[31]           Selon le demandeur, dès qu’elle s’est aperçue qu’il entendait assurer sa propre représentation, la SAI était tenue de procéder avec prudence, et de lui exposer les avantages et les inconvénients que cela comportait. Le demandeur estime par ailleurs que la SAI aurait dû éviter de se prononcer sur le bien-fondé de sa cause et ajourner l’audience. La SAI n’a tenu aucun compte du fait que le demandeur comparaissait à l’audience sans être représenté. Ce n’était pas, selon le demandeur, comme cela que la SAI aurait dû réagir.

[32]           Le demandeur reconnaît avoir été informé de son droit de recourir aux services d’un conseil, et que c’est à lui qu’il appartenait d’exercer ce droit. Cela dit, sans que la SAI soit mise au courant de cela, c’est un conseiller non accrédité qui avait préparé le dossier du demandeur. Le demandeur soutient que, dans certaines circonstances, lorsqu’un demandeur a été aussi mal conseillé, la Cour peut, à juste titre, intervenir. C’est, selon lui, le cas lorsque l’avocat n’a pas fait quelque chose qu’il aurait dû faire (Medawatte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1374). Le demandeur soutient que cette décision est applicable en l’espèce étant donné que son ancien conseiller n’a pour ainsi dire rien fait.

[33]           Le demandeur soutient qu’il n’a pas pu participer utilement à l’audience, et que cela porte atteinte au droit fondamental qu’il a à une audition équitable de sa cause (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Fast, 2001 CFPI 1269 (CF), au paragraphe 47). La Cour a également eu l’occasion d’affirmer que l’absence de conseil peut entraîner un préjudice de nature à invalider la décision (Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, au paragraphe 17 [Mervilus]).

[34]           Le demandeur affirme que son appel était fondé et qu’on ne peut pas dire comment ses éléments de preuve auraient été présentés s’il avait bénéficié des services d’un conseil compétent. Il fait par ailleurs valoir qu’étant donné qu’il ne comprenait pas suffisamment le droit applicable et que les éléments de preuve dont il entendait faire état n’ont pas pu être correctement présentés, il s’est vu refuser le droit de présenter correctement ses arguments. Cela étant, le demandeur sollicite l’annulation de la décision.

Le défendeur

[35]           Le défendeur fait pour sa part valoir que la SAI n’avait envers le demandeur aucune obligation d’envisager d’ajourner l’audience puisqu’aucune demande d’ajournement ne lui avait été faite, et qu’elle n’avait pas non plus l’obligation de lui donner des conseils quant à savoir s’il devrait effectivement assurer sa propre représentation.

[36]           Le demandeur affirme que, dans la préparation de son dossier, il a été aidé par un conseiller en immigration non accrédité qui l’avait prévenu qu’il ne comparaîtrait pas à l’audience. Le demandeur a donc choisi de ne pas se faire représenter. Le demandeur n’a pas demandé l’ajournement de l’audience, et n’a manifesté aucune inquiétude à l’idée qu’il ne serait pas représenté à l’audience. Il fait pourtant état d’un manquement à l’équité procédurale.

[37]           Le défendeur estime que la SAI n’est pas tenue d’envisager l’ajournement de l’audience en l’absence d’une demande en ce sens (voir N.A.Y.T. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 225 [N.A.Y.T.]; Concepcion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 410; Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1001). La Cour a, dans Abrams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1222 [Abrams], eu l’occasion de se pencher sur une situation analogue. Dans cette décision, la Cour a opéré une distinction par rapport à la décision Mervilus invoquée par le demandeur, se basant notamment sur le fait que dans l’affaire Mervilus, le demandeur avait sollicité un ajournement, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Abrams.

[38]           Il n’appartient pas à la SAI de tenir auprès du demandeur le rôle d’un conseil, ou de le conseiller quant à la possibilité de demander un ajournement ou quant aux conséquences que peut entraîner le fait de procéder dans de telles circonstances. La jurisprudence invoquée par le demandeur concernant la théorie des attentes légitimes ne s’applique pas. Le demandeur n’a produit aucune preuve du fait qu’il se serait basé sur une pratique antérieure ou sur la publication de lignes directrices pouvant légitimement le porter à s’attendre à ce que la SAI lui offre des conseils quant aux avantages et inconvénients qu’il y a à se passer des services d’un conseil, ou à s’attendre à ce que la SAI ajourne l’audition de sa cause.

[39]           Le demandeur reconnaît avoir été conscient du droit qu’il avait de recourir aux services d’un conseil, et que c’est à lui qu’il appartenait d’exercer ce droit. Il a également reconnu que ce droit d’être représenté par un conseil n’a rien d’absolu. Selon la jurisprudence qu’il invoque, lorsqu’un client pâtit d’une erreur commise par son conseil, l’erreur en question peut être corrigée par la Cour. Le demandeur n’a, cependant, produit aucune preuve du fait que son ancien conseiller ait commis une « erreur ». Le demandeur fait valoir que son ancien conseiller n’a rien fait. Pourtant, les observations qu’il entendait faire valoir devant la SAI ont été préparées et déposées. Il est donc évident que son ancien conseiller a dû faire quelque chose puisque, aux dires mêmes du demandeur, le conseiller en question l’a effectivement aidé à préparer ses observations.

[40]           Selon le défendeur, la décision en cause est fondée sur un examen de multiples éléments de preuve portant à penser que le mariage du demandeur n’est pas authentique et qu’il a été contracté afin d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi. Aucune preuve ne démontre que le demandeur ait été privé d’une audition équitable de sa cause, et, en l’absence d’une demande dans ce sens, la SAI n’a commis aucune erreur en n’envisageant pas d’ajourner l’audience. Il n’appartient d’ailleurs pas à la SAI de donner au demandeur des conseils quant à l’opportunité de participer à l’audience sans être représenté (N.A.Y.T., précitée). Le défendeur sollicite le rejet de la demande.

ANALYSE

[41]           On relève une certaine différence entre les questions soulevées dans le cadre des observations écrites du demandeur, et ce sur quoi il insiste dans le cadre des arguments avancés à l’audience. J’examinerai en premier lieu les observations écrites.

[42]           Le demandeur invoque le fait qu’il s’est présenté seul devant la SAI, faisant valoir que c’était la première fois qu’il prenait part à ce genre de procédure. Il estime que la présidente de l’audience devait faire preuve d’une prudence particulière, qu’elle était tenue de lui expliquer les « avantages » et les « inconvénients » de l’autoreprésentation, d’éviter de faire des commentaires sur le bien-fondé de l’affaire, et d’ajourner l’audience.

[43]           Le demandeur reconnaît avoir été avisé de son droit aux services d’un conseiller juridique, et reconnaît aussi que c’est [traduction] « aux personnes comparaissant devant un tribunal d’exercer le droit qui leur est reconnu de se faire représenter par un tel conseiller ».

[44]           Le demandeur affirme qu’il a recouru aux services d’un conseiller non accrédité, qui s’est comporté en coulisse comme un conseiller [traduction] « fantôme » ou [traduction] « fourbe », et que la question est de savoir [traduction] « quel est le redressement et/ou le recours qui devrait être accordé par la Cour à de tels demandeurs, qui par les décisions qu’ils ont prises et les choix qu’ils ont faits se sont eux-mêmes mis dans une situation aussi délicate ».

[45]           La plainte dont est saisie la Cour est essentiellement fondée sur le fait que [traduction] « à l’audience, et je dis cela en toute déférence, la présidente a choisi de ne rien faire à cet égard alors que cela créait de toute évidence un problème ».

[46]           En ce qui concerne le comportement de son conseiller, le demandeur affirme :

[traduction]
Il ne s’agit pas uniquement de la négligence de son ancien conseiller. La question qui se pose est que, sans qu’il s’en aperçoive, rien n’a été fait pour défendre sa cause.

 

 

[47]           Il n’a été produit devant la Cour aucun élément étayant pareille assertion. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le simple fait d’invoquer l’incompétence d’un ancien conseil (y compris d’un conseiller) ne suffit pas à fonder une plainte pour manquement à l’équité procédurale. Encore faut-il que le conseil ait été avisé de la plainte et qu’il ait eu la possibilité d’y répondre. Voir, par exemple, Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1196; et Shakiban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1177. En l’espèce, rien ne démontre qu’il en a effectivement été ainsi, ou même qu’une plainte ait été déposée devant l’instance disciplinaire compétente.

[48]           Au sujet de l’audience devant la SAI, le demandeur soutient que son appel était fondé et qu’[traduction] « on ne peut pas dire comment ses éléments de preuve auraient été présentés s’il avait été représenté par un conseil compétent ».

[49]           La Cour n’est pas appelée à dire si la demande du demandeur est fondée ou non (deux instances ont déjà décidé qu’elle ne l’était pas), mais une telle affirmation est purement conjecturale. Il n’a été produit devant la Cour aucun élément donnant à penser que la cause du demandeur aurait, avec l’aide d’un conseil compétent, pu être mieux défendue. Le demandeur ne conteste d’ailleurs pas le bien-fondé de la décision. Il soutient simplement que la décision lui a été défavorable et qu’il en aurait peut-être été autrement s’il avait été représenté par un conseil.

[50]           Le demandeur avait déjà pris part à une audience au cours de laquelle il avait assuré sa propre représentation. Il reconnaît avoir été avisé de son droit à un conseiller juridique, mais il a choisi d’assurer sa propre représentation. Maintenant, il soutient que cette décision, prise en toute liberté, a entraîné une inégalité procédurale puisque la décision rendue lui est défavorable.

[51]           Aucun élément produit devant la Cour ne porte à penser que le demandeur n’a pas été à même de faire correctement valoir ses arguments devant la SAI. Même s’il estime maintenant qu’un conseiller juridique aurait pu l’aider à mieux défendre sa cause, il a fait son choix librement et ne saurait maintenant affirmer que ce choix a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs ont le droit de s’autoreprésenter. Ils ne peuvent pas être contraints de se faire représenter à l’audience d’un tribunal. Si l’on retenait l’argument du demandeur qui soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’[traduction] « on ne peut pas dire » quelle aurait été l’issue de la cause si elle avait été défendue par un conseil, il faudrait déclarer contraires à l’équité procédurale toutes les décisions visant des parties ayant assuré leur propre représentation, à moins que la décision rendue ne leur soit favorable.

[52]           Le demandeur fait par ailleurs valoir qu’il y avait en l’espèce « une attente légitime » à laquelle il n’a pas été répondu, et que la décision en cause est par conséquent contraire à l’équité procédurale. Selon lui :

[traduction]
La SAI a enfreint les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale en entendant l’appel alors que le demandeur n’était pas représenté par un conseiller juridique; et en manquant de se pencher sur la question afin de s’assurer que le demandeur était parfaitement conscient de ce que suppose le fait d’assurer sa propre représentation, et des conséquences que cela peut entraîner.

 

 

[53]           En premier lieu, n’a été porté devant la Cour aucun élément de preuve donnant à penser que le demandeur ne savait pas ce que supposait le fait de s’autoreprésenter, et ne connaissait pas les conséquences que cela pouvait entraîner.

[54]           Dans son affidavit, souscrit pour les besoins de la présente demande, le demandeur déclare aux paragraphes 9 à 12 ainsi qu’au paragraphe 15 :

[traduction]
J’ai retenu les services de ce que je reconnais maintenant être un conseiller fantôme non accrédité. Il m’a préparé et a préparé aussi la documentation dont j’entendais faire état; mais il n’a révélé à la SAI ni son nom ni son identité. Vous trouverez ci-joint, à titre de pièce « A », une copie certifiée de la documentation que j’entends invoquer.

 

Mon appel a été entendu par la SAI le 17 octobre 2011. J’y ai comparu seul, assurant ma propre représentation, car mon « conseiller » m’avait dit avoir « tout préparé » et que, devant la SAI, je n’avais pas besoin d’être représenté par un conseiller juridique.

 

La présidente de l’audience de la SAI n’a pas évoqué la question de l’autoreprésentation; n’a rien dit du fait qu’il pourrait être porté atteinte à mes droits; n’a pas offert d’ajourner l’audience afin de me donner une dernière occasion de réfléchir à la possibilité de me faire représenter par un conseiller juridique.

 

Au début de l’audience, il y a eu, entre la présidente et le conseil du ministre, une discussion concernant les questions et les règles de droit applicables en cette affaire. Je n’ai pas très bien saisi la teneur de cette discussion, ni les nuances qui ont pu être apportées, et n’y ai pas participé.

 

[...]

 

Cette audience a été une épreuve à la fois pour moi et pour mon épouse. Nous avons senti que nous n’étions ni l’un ni l’autre préparés à répondre aux questions qui nous étaient posées, y compris lors du contre-interrogatoire par le conseil du ministre.

 

[55]           Il ne m’a pas été expliqué pourquoi le demandeur considère que la documentation produite à l’appui de sa cause est inexacte, ou pourquoi il conviendrait de considérer comme insuffisante la préparation assurée par le conseiller. Il ne m’a pas été dit non plus si le demandeur a été avisé des avantages et des inconvénients que comporte l’autoreprésentation. Le demandeur n’affirme aucunement avoir souhaité une représentation juridique, mais s’en être vu refuser la possibilité.

 

[56]           Il est révélateur qu’au paragraphe 11 de son affidavit, le demandeur fasse valoir qu’on ne lui a pas donné [traduction] « une dernière occasion de réfléchir à la possibilité de [s]e faire représenter par un conseiller juridique ». Le demandeur estime manifestement avoir eu d’autres occasions de réfléchir à la question de la représentation juridique, mais avoir décidé de se représenter lui‑même. Si le demandeur a décidé d’assurer sa propre représentation, rien n’indique qu’il ait demandé un ajournement, ou qu’il en ait eu besoin. Il aurait pu, à l’audience, attirer l’attention de la SAI sur les difficultés qu’il éprouvait, mais il ne l’a pas fait.

[57]           La discussion entre la présidente de l’audience et le conseil du ministre s’est manifestement déroulée en présence du demandeur. Rien n’indique que le demandeur ait signalé à la présidente qu’il avait du mal à saisir ce qui se disait. Le demandeur avait choisi d’assurer lui‑même sa représentation, et faute d’indications contraires, la présidente de l’audience avait toute raison de supposer que le demandeur était à l’aise de procéder comme il avait choisi de le faire.

[58]           En ce qui concerne maintenant les questions posées dans le cadre du contre‑interrogatoire, le but de l’exercice est, justement, d’éprouver les éléments de preuve produits par le demandeur, non de le préparer afin de lui permettre d’apporter aux questions qui lui sont posées la réponse qui lui convient le mieux. Dans son affidavit, le demandeur ne précise pas ce qu’on lui aurait empêché de dire.

[59]           Ainsi que le juge Blanchard a eu l’occasion de le rappeler dans la décision Edison, précitée, invoquée par le demandeur à l’appui de sa thèse, la théorie des attentes légitimes ne crée pas de droits matériels, mais elle peut créer des droits procéduraux. Dans Unetelle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 284, le juge Near a lui aussi eu l’occasion de se pencher, au paragraphe 15 de la décision, sur les principes généraux qui sous‑tendent cette théorie :

La règle de l’expectative légitime a récemment été abordée par la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29. Au paragraphe 131, le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité, expose comme suit la règle :

 

131 La règle de l’expectative légitime est « le prolongement des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557. Elle s’attache à la conduite d’un ministre ou d’une autre autorité publique dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire — y compris les pratiques établies, la conduite ou les affirmations qui peuvent être qualifiées de claires, nettes et explicites — qui a fait naître chez les plaignants (en l’espèce, les syndicats) l’expectative raisonnable qu’ils conserveront un avantage ou qu’ils seront consultés avant que soit rendue une décision contraire. Pour être « légitime », une telle expectative ne doit pas être incompatible avec une obligation imposée par la loi.  Voir : Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; Baker, précité; Mont‑Sinaï, précité, par. 29; Brown et Evans, op. cit., par. 7:2431. Lorsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la cour peut accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative « légitime ».

 

[60]           En l’espèce, le demandeur n’a pas démontré que la conduite du ministre ou de la SAI – y compris une pratique établie, une conduite ou une affirmation qui peut être qualifiée de claire, nette et explicite – a fait naître chez le demandeur une expectative raisonnable à laquelle il n’a pas été répondu et qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale.

[61]           Cela ressort encore plus clairement lorsqu’on examine ce qui constitue en fait le fondement de la plainte déposée par le demandeur – ainsi qu’il l’a lui-même exposé de vive voix à l’audience.

[62]           Dans sa plaidoirie, le demandeur a révélé que pour alléguer un manquement à l’équité procédurale, il se fondait essentiellement sur l’idée que son comportement à l’audience et les propos qu’il y a tenus montrent bien qu’il était dépassé et qu’il ne savait pas comment faire valoir ses arguments. Selon lui, il appartenait donc à la SAI de tenir compte de cela afin de lui assurer une audition équitable de sa cause. Il affirme que la SAI aurait dû reconnaître les difficultés qu’il éprouvait, et lui dire quels étaient les avantages et les inconvénients de ne pas recourir aux services d’un conseil. Selon lui, on aurait dû lui expliquer en outre que l’audience pouvait éventuellement être ajournée, et lui dire les conséquences pouvant découler d’une audience dans le cadre de laquelle il ne savait pas ce qu’il lui appartenait de démontrer au moyen des éléments de preuve qu’il entendait faire valoir, quelles étaient les questions qu’il devait poser à son épouse, les témoins qu’il devait convoquer et la manière dont il devait formuler ses arguments. Afin de démontrer les lacunes qu’ont marqué sa défense, le demandeur cite le paragraphe 9 de la décision Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, rendue par la juge Danièle Tremblay-Lamer :

J’estime en outre que la Commission a pris les précautions nécessaires pour que le demandeur puisse participer utilement à l’instance et que l’audience s’est déroulée équitablement. En effet, un interprète était présent. Le président de l’audience a expliqué en termes fort simples et directs la manière de procéder, le fardeau de la preuve, les cinq motifs prévus par la Convention et la définition d’une personne à protéger, de même que l’importance de la crédibilité. À l’audience, la Commission a pris le temps qu’il fallait pour s’assurer que le demandeur comprenait les documents, comme son formulaire de renseignements personnels. La Commission a pris note des éléments de preuve que l’avocat précédent du demandeur avait soumis antérieurement. Elle a également donné au demandeur la possibilité d’introduire ses propres preuves documentaires. Enfin, à plus d’une occasion, elle a demandé au demandeur s’il comprenait ce qu’on lui demandait, ce à quoi il a systématiquement répondu par l’affirmative

 

 

[traduction] 

 

         Président de l’audience : [...] Avez-vous donc des questions en ce qui concerne le statut de réfugié ou la personne à protéger?

 

         Demandeur : Je ne crois pas.

 

         Président de l’audience : [...] Êtes-vous donc prêt à procéder?

 

         Demandeur : Oui.

 

         Président de l’audience : Comprenez‑vous bien ce que vous avez à faire aujourd’hui?

 

         Demandeur : Oui.

 

         [...]

 

         Président de l’audience : Très bien. Dans ce cas, vous sentez‑vous à l’aise pour procéder?

 

         Demandeur : Oui

 

 

[63]           L’examen du dossier certifié du tribunal fait ressortir que :

                     une objection a été formulée au départ concernant certains documents du demandeur qui n’avaient pas été traduits. Le demandeur n’a pas compris l’objection, mais, quoi qu’il en soit, les documents ont été admis en preuve;

                     la documentation du demandeur n’ayant pas été déposée avant l’expiration du délai de 20 jours, la commissaire ne les a pas pris en compte étant donné que le demandeur n’en avait pas fait de copie pour elle et pour le ministre;

                     il ressort de la transcription de l’audience que les documents que le demandeur entendait produire en preuve concernaient la grossesse de son épouse. Il demande [traduction] « Puis-je vous montrer ce document? Il atteste qu’elle était enceinte et a subi un avortement. »;

                     un peu plus tard, il a fait savoir qu’il souhaitait présenter des photos de sa femme enceinte. La commissaire lui a répondu que cela ne serait pas possible;

                     la commissaire a exposé de manière précise les doutes qu’elle éprouvait au sujet du mariage. Elle a notamment fait état de doutes concernant la légitimité de son divorce, la différence d’âge entre lui et son épouse, l’époque où est intervenue la demande en mariage, la minceur de la preuve concernant les échanges entre époux, etc. (autant de questions dont il est fait état dans la décision). Puis, la commissaire a expliqué comment l’audience allait se dérouler, ainsi que ce qu’il appartenait au demandeur de démontrer;

                     le ministre a invoqué un motif supplémentaire de refus, se basant sur l’époque à laquelle a eu lieu le divorce, et le choix d’une cérémonie religieuse plutôt que d’une cérémonie civile. Le ministre a plaidé l’invalidité du mariage du demandeur. Le demandeur a fait valoir qu’il ne comprenait pas. La question ne trouve d’ailleurs pas place dans la décision;

                     à la page 290, la commissaire décide de ne pas retenir, comme motif de rejet, la validité ou non du mariage. Elle affirme qu’elle aurait retenu ce motif si le demandeur avait été représenté par un conseiller juridique, mais cela n’étant pas le cas, il lui fallait tenir compte du fait qu’il ne comprend peut-être pas ce qu’il en est, ce qui, d’après elle, est effectivement le cas. Elle demande alors au demandeur s’il comprend ce qu’elle vient de dire, et il répond que oui;

                     interrogée, l’épouse du demandeur déclare parfois ne pas comprendre certaines des questions qui lui sont posées. Ce qu’elle veut dire par cela, cependant, c’est qu’elle n’a pas entendu la question en raison d’une mauvaise liaison téléphonique, ou de difficultés d’interprétation. Les questions qui lui étaient posées n’avaient rien de compliqué; elles concernaient le moment où certains des événements s’étaient produits.

[64]           En résumé, la seule question que le demandeur ait dit ne pas comprendre concernait le motif supplémentaire de refus invoqué par le ministre, motif qui n’a pas été retenu dans le cadre de la décision. L’incompréhension du demandeur à cet égard a été notée par la commissaire de la SAI et elle n’a tenu aucun compte de cette question. Il y a également l’observation que le demandeur a faite au sujet des documents qui n’avaient pas été traduits, mais il n’a rien dit d’autre pour indiquer qu’il ne s’y retrouvait pas. J’estime que la commissaire de la SAI l’a suffisamment orienté, et compte tenu de la manière dont elle a traité la question supplémentaire soulevée par le ministre, je considère qu’elle a veillé à ce que le demandeur ait effectivement la possibilité de faire valoir ses arguments, s’assurant qu’il comprenait bien ce qui était dit.

 

[65]           Le demandeur ne m’a guère convaincu qu’il y avait effectivement eu en l’espèce un manquement à l’équité procédurale.

 

[66]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, ce qui est également l’avis de la Cour.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

    «  James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-316-12

 

INTITULÉ :                                      SOORIYATHAS BALASINGAM

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 octobre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Israel Blanshay                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Rachel Hepburn Craig                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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