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Date : 20121206

Dossier : T-1418-11

Référence : 2012 CF 1440

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

MICHAEL AARON SPIDEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Michael Aaron Spidel [le demandeur] introduit la présente demande de contrôle judiciaire [la demande] en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7. Le litige porte sur une décision relative à un grief au troisième palier par laquelle un délégué du commissaire du Service correctionnel du Canada [le commissaire et le SCC] a, le 25 juillet 2011, rejeté le grief du demandeur. Le demandeur se représente lui-même et il a comparu en personne pour faire valoir ses arguments.

 

[2]               La Directive du commissaire [la directive] 566‑1 intitulée Contrôle des entrées et sorties des établissements est la directive du SCC qui définit les normes régissant l’entrée et la sortie d’objets des établissements du SCC. La disposition pertinente de la Directive 566‑1 énonce :

 

39. Les visiteurs et les bénévoles normalement ne doivent pas sortir des articles de l’établissement durant leur activité sociale ou réunion de groupe. Si des articles doivent être sortis, il faut obtenir l’autorisation préalable du directeur de l’établissement ou de son remplaçant.

 

 

CONTEXTE

[3]               Le 30 juin 2010, des fonctionnaires de l’Établissement Ferndale du SCC [Ferndale] ont publié un communiqué à l’intention des détenus [la Politique] dont voici un extrait :

                        [traduction] 

Pour assurer le respect de la Directive 566‑1 Contrôle des entrées et sorties des établissements, sachez qu’à compter d’aujourd’hui, les visiteurs des détenus devront désormais respecter les heures de visites familiales prescrites. Par ailleurs, aucun article ne peut entrer dans l’établissement ou en sortir qu’avec l’autorisation écrite préalable du directeur. Il ne s’agit pas d’une modification, mais d’une mise en application de la politique déjà existante. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[4]               Le demandeur était détenu à Ferndale lorsque la Politique a été publiée. Toutefois, le 13 août 2010, il a été transféré à l’établissement de Mission. Par la suite, il a été transféré au village de guérison à sécurité minimale Kwìckwèxwelhp à Harrison Mills, en Colombie‑Britannique [Kwìckwèxwelhp]. Au moment de l’instruction de la demande, en juillet 2012, le demandeur n’était plus détenu, mais était en libération conditionnelle au sein de la collectivité.

 

[5]               Le 16 juillet 2010, alors qu’il se trouvait à Kwìckwèxwelhp, le demandeur a déposé un grief auquel il a joint des lettres et d’autres documents dans lesquels il soutenait que la Politique avait été appliquée de telle manière qu’elle avait eu pour effet de modifier l’usage existant à Ferndale consistant à permettre aux détenus de faire parvenir des documents juridiques à leur avocat ou aux tribunaux par l’intermédiaire d’une personne-ressource de la collectivité, par exemple un conjoint. Ces personnes pouvaient passer à Ferndale prendre les documents en question pour ensuite les remettre au destinataire ou les télécopier au destinataire. Dans son grief, le demandeur affirmait que, depuis la publication de la Politique en question, il était interdit aux détenus de transmettre des documents juridiques par l’intermédiaire d’une personne-ressource de la collectivité. Suivant le demandeur, à cause de cette politique, en pratique, les détenus étaient obligés de recourir à des moyens moins commodes ou plus coûteux télécopieur, messager ou courrier pour envoyer des documents juridiques.

 

[6]               Le grief du demandeur a été rejeté au premier palier par le directeur de l’Établissement Bill Thompson le 24 août 2010. Le 24 février 2011, son grief a été rejeté au deuxième palier par le sous-commissaire adjoint, Opérations en établissement.

 

[7]               Le grief du demandeur a également été rejeté au troisième palier. Cette décision est celle qui fait l’objet de la présente demande [la décision]. Elle a été rendue le 25 juillet 2011 par le sous-commissaire principal par intérim Ross Toller [le SCPPI].

 

LA DÉCISION

[8]               Après avoir passé en revue le contexte du grief du demandeur, le SCPPI a fait observer que le SCC a l’obligation d’assurer aux détenus un accès raisonnable aux services d’un avocat et aux tribunaux, aux termes du paragraphe 1 de la Directive 084 du commissaire intitulée Accès des détenus aux services juridiques et à la police. Il a déclaré que des membres du personnel de Ferndale avaient été consultés et qu’ils avaient confirmé que, par le passé, on permettait aux personnes-ressources de la collectivité de passer à l’établissement après les heures de visite pour prendre des colis laissés par les détenus et que la Politique avait été établie pour régler cette question.

 

[9]               Le SCPPI a poursuivi en déclarant que [traduction] « bien que votre femme ne soit plus autorisée à passer à l’Établissement prendre des documents pour les poster à l’extérieur, vous disposez quand même d’un accès raisonnable aux tribunaux ». Il a précisé que les détenus de Ferndale disposaient de trois moyens différents pour faire parvenir des documents juridiques à des « correspondants privilégiés » notamment, les juges des tribunaux canadiens, les greffiers des tribunaux et les avocats. Suivant le SCPPI, les détenus peuvent envoyer leurs documents par la poste ou par messager ou, dans des circonstances exceptionnelles, le personnel de l’établissement peut faciliter l’envoi des documents par télécopieur.

 

[10]           Il semble que la conclusion du SCPPI suivant laquelle l’épouse du demandeur n’était plus autorisée à passer prendre des documents à Ferndale était inexacte. La politique n’empêche pas le recours à des personnes-ressources de la collectivité et précise simplement : [traduction] « aucun article ne peut entrer dans l’établissement ou en sortir qu’avec l’autorisation écrite préalable du directeur ». Dans ses observations orales, l’avocat du défendeur a confirmé que les épouses des détenus pouvaient sortir des documents juridiques de Ferndale si elles obtenaient l’autorisation du directeur de l’Établissement.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           Le défendeur a soulevé la question préliminaire suivante :

1.         La demande devrait-elle être rejetée au motif que les questions soulevées par le demandeur sont théoriques?

 

 

[12]           Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.      La décision est-elle déraisonnable?

 

2.      Le SCPPI a‑t‑il violé les droits que la Charte reconnaît au demandeur en agissant d’une manière contraire à la loi?

 

 

ANALYSE

Première question     La demande devrait-elle être rejetée au motif que les questions soulevées par le demandeur sont théoriques?

 

[13]           Le défendeur affirme que la raison d’être de la demande n’existe plus parce que la Politique concerne uniquement les détenus de Ferndale. Le défendeur soutient que, comme le demandeur n’est plus détenu à Ferndale, l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire n’aura aucun effet pratique sur le demandeur et que la présente demande devrait donc être rejetée.

 

[14]           Le demandeur n’a formulé aucun argument écrit au sujet de la question du caractère théorique. Toutefois, à l’audience, le demandeur a expliqué que la question n’était pas théorique parce qu’il était susceptible d’être réincarcéré à Ferndale. Par ailleurs, il a laissé entendre que c’était la qualité pour agir et non le caractère théorique qui était la question importante en litige. Toutefois, aucune des parties n’a formulé d’argument au sujet de la qualité pour agir.

 

ANALYSE

[15]           La Cour suprême du Canada a formulé le critère à deux volets suivant au sujet du caractère théorique dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 42 :

a)      Le différend « concret et tangible » entre les parties a‑t‑il disparu?

b)      La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire et instruire quand même l’affaire?

 

[16]           Il est clair que la question centrale soulevée par le demandeur au cours du processus de règlement du grief – en l’occurrence les conséquences de la Politique sur son accès aux services juridiques et aux tribunaux – ne représente plus un différend concret et tangible entre les parties. La politique, qui ne s’applique qu’aux visiteurs et aux détenus de Ferndale, ne s’applique pas au demandeur parce qu’il n’est plus incarcéré à cet établissement. Par conséquent, la demande est théorique.

 

[17]           La question suivante à trancher est celle de savoir si je devrais néanmoins exercer mon pouvoir discrétionnaire et décider d’instruire l’affaire.

 

[18]           Lors de l’examen de la présente demande, le demandeur a mentionné le litige suivant dans lequel lui et d’autres détenus de Ferndale étaient en cause au moment où la Politique a été publiée :

i.      Moniseur Spidel était devant la Cour fédérale parce qu’il s’était vu refuser la permission de se présenter à des élections pour un poste au sein du comité des détenus.

ii.    Messieurs Mapara et Spidel s’étaient adressés à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en vue d’obtenir un bref d’habeas corpus. Monsieur Mapara s’était chargé de cette procédure.

iii.  Monsieur McDougall avait saisi la Cour fédérale d’une demande par laquelle il contestait la Politique nationale des Services correctionnels du Canada en matière de visite des détenus.

 

[19]           L’allégation formulée par M. Spidel en l’espèce soulève une question d’accès à la justice. Il reconnaît que la Politique en cause ne refuse pas aux détenus l’accès aux tribunaux, mais affirme qu’elle entrave cet accès. Toutefois, pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivée à la conclusion que la preuve présentée n’est pas suffisante pour appuyer cette allégation.

 

[20]           Le seul élément de preuve qui a été présenté au sujet de l’application de la Politique est une demande d’accès à la barrière présentée le 4 juillet 2010 par M. Mapara relativement à des documents juridiques portant la mention « reçu » le 5 juillet 2010. Le directeur était absent pour le long congé du 1er juillet et la demande a par conséquent été examinée par Tannis Kinney, le directeur adjoint.

 

[21]           La demande était ainsi libellée :

                  [traduction] 

J’aimerais prendre des dispositions pour que ma femme, qui est ma mandataire juridique autorisée pour tout ce qui concerne mes questions judiciaires devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, puisse passer prendre des documents pour moi. Ces documents pourraient être prêts pour être cueillis au plus tard le 12 juillet 2010 en vue d’être déposés devant les tribunaux au plus tard le 13 juillet 2010. Je vous remercie à l’avance.

 

[22]           La réponse était ainsi rédigée :

                  [traduction]

Monsieur Mapara,

Je vous réponds au nom du directeur, qui est présentement absent. Ainsi que j’en ai parlé avec M. Spidel lors de la rencontre à laquelle vous n’avez pas pu participer, une procédure est prévue en ce qui concerne l’envoi de documents juridiques. Les documents peuvent être envoyés par la poste ou par messager. Dans certaines circonstances exceptionnelles, les documents peuvent également être envoyés par télécopieur. Le personnel est au courant des délais à respecter en ce qui concerne les documents juridiques et vous aidera à accélérer le processus de transfert de fonds pour garantir que les documents soient remis à temps. À la suite de notre conversation de ce jour, j’ai parlé avec Me Sokhansarj [une avocate du ministère de la Justice] qui m’a informé qu’il n’y avait aucun autre document à son avis qui était nécessaire une fois que l’affidavit du défendeur serait reçu. En ce qui concerne les dates, veuillez consulter votre avocat pour tout éclaircissement.

 

[23]           Malheureusement, nous ne disposons d’aucun élément de preuve nous permettant de savoir si, à son retour, le directeur a donné son consentement et s’il a autorisé l’épouse de M. Mapara à passer prendre les documents en question à Ferndale. De plus, nous ne disposons d’aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir si et, dans l’affirmative de quelle manière et à quel moment, les documents de M. Mapara ont finalement été déposés devant la Cour.

 

[24]           Il est également important de signaler que le demandeur a déposé son grief à titre personnel plutôt que sous forme de grief collectif, ce qui aurait pu laisser penser que d’autres détenus de Ferndale étaient victimes d’une entrave à leur accès à la justice. Ni M. Mapara ni M. McDougall ne se sont joints au demandeur dans la présente instance. L’article 45 de la Directive 81 du commissaire intitulée Plaintes ou griefs collectifs dispose :

 

45. Une plainte ou un grief portant sur un ou plusieurs problèmes communs peut être présenté par un groupe de plaignants. La plainte ou le grief doit être signé par tous les membres du groupe. L’un d’eux doit être désigné pour recevoir la réponse au nom du groupe.

 

[25]           À défaut de grief collectif, rien ne permet de penser que la Politique cause des problèmes aux détenus qui sont toujours incarcérés à Ferndale.

 

[26]           Pour tous ces motifs, et malgré l’hypothèse avancée par le demandeur suivant laquelle il pourrait un jour se retrouver à Ferndale, j’en suis arrivée à la conclusion que je ne devais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à me prononcer sur le bien-fondé de la présente demande.

 

[27]           Dans ces conditions, il est inutile d’aborder les questions soulevées par le demandeur.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1418-11

 

 

INTITULÉ :                                      Michael Aaron Spidel c. Canada (Procureur général)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 juillet 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE SIMPSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Aaron Spidel

 

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Liliane Bantourakis

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Aaron Spidel

 

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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