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Date : 20121205

Dossier : T-833-12

Référence : 2012 CF 1430

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2012

En présence de M. le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

THE DRIVING ALTERNATIVE INC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

AMANDA JARVIS, faisant affaire sous la raison sociale KEYZ PLEEZZ

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

 

[1]               La présente instance est une action en contrefaçon de brevet, en imitation frauduleuse et en dépréciation d’achalandage par laquelle la demanderesse accuse la défenderesse d’avoir contrefait et de continuer à contrefaire sa marque de commerce enregistrée KEYS PLEASE par suite de l’exploitation, par la défenderesse, d’un service personnalisé de conduite accompagnée en liaison avec la marque de commerce et le nom commercial KEYZ PLEEZZ.

II.        Genèse de l’instance

 

[2]               Une déclaration a été déposée le 24 avril 2012 contre la défenderesse.

 

[3]               Immédiatement après la production de la déclaration, le 24 avril 2012, Canadian Process Serving Ottawa [CPSO], un organisme professionnel chargé de signifier des actes de procédure, a été contacté pour faire signifier par un huissier situé à Oshawa, en Ontario, des documents à la défenderesse, Amanda Jarvis, faisant affaire sous la raison sociale de KEYZ PLEEZZ, à 178, avenue Beatty, à Oshawa (Ontario), L1H 3B2, l’adresse commerciale que la défenderesse avait indiquée au registre d’immatriculation des entreprises.

 

[4]               La demanderesse a eu beaucoup de difficultés à procéder à la signification à personne de sa déclaration à la défenderesse, étant donné que la personne qui a répondu à la porte a refusé d’accepter la signification et a remis la déclaration à l’agent qui tentait de la lui signifier.

 

[5]               Entre le 17 et le 20 mai 2012, une employée de la demanderesse, THE DRIVING ALTERNATIVE, INC., a téléphoné à KEYZ PLEEZZ, à Oshawa à trois reprises au numéro de téléphone indiqué sur le site Web de la défenderesse pour, dans chaque cas, se buter à un message d’accueil enregistré confirmant que le numéro composé était bien celui de Keys Please ou de Keyz Pleezz. L’employée en question a ensuite recherché le numéro de téléphone en question sur le moteur de recherche de son iPhone pour obtenir les renseignements suivants : Keyz Pleezz, 289‑927‑7590, situé au 178, avenue Beatty, Oshawa (Ontario), L1H 3B2.

 

[6]               Le 22 mai 2012, les huissiers ont reçu pour instructions de tenter de nouveau de signifier la déclaration à la défenderesse à Oshawa (Ontario). L’huissier de la CPSO à Oshawa s’est présenté à l’adresse susmentionnée au cours du week-end sans succès. Le 29 mai 2012, une nouvelle tentative de signification a été effectuée au 178, avenue Beatty, à Oshawa (Ontario).

 

[7]               De nouvelles tentatives ont été faites en vue de signifier la déclaration et ce n’est que le 10 juin 2012 que l’huissier a enfin réussi à signifier la déclaration à M. Picton en se présentant au 178, avenue Beatty. Un affidavit de signification a été signé le 21 juin 2012 par Mme Sheila Garnett, de la ville de Courtice, municipalité régionale de Clarington.

 

[8]               Une copie supplémentaire de la déclaration a été adressée par courrier ordinaire à Mme Amanda Jarvis, 178, avenue Beatty, Oshawa (Ontario), L1H 3B2, le 21 juin 2012. Le 26 juillet 2012, l’avocat de la demanderesse a été informé par le greffe de la Cour fédérale que la déclaration qui avait été envoyée par courrier ordinaire à la défenderesse avait été retournée à la Cour fédérale. L’enveloppe originale adressée à Mme Amanda Jarvis avait été ouverte et la mention [traduction] « N’HABITE PAS À CETTE ADRESSE » avait été inscrite à la main à côté de l’adresse au recto de l’enveloppe.

 

[9]               À la suite de ce qui précède, la demanderesse a saisi notre Cour d’une requête présentée en vertu de l’article 147 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, pour faire valider la signification qui avait déjà été effectuée, et, en vertu de l’article 136, en vue d’obtenir une ordonnance autorisant la signification substitutive de la déclaration et des autres documents par courrier recommandé et par courrier ordinaire.

 

[10]           Aux termes d’une ordonnance prononcée par le juge Beaudry de notre Cour, il a été jugé que la défenderesse s’était soustraite à la signification, que le service déjà effectué était valide au sens de l’article 147 des Règles et que d’autres documents pouvaient être valablement signifiés en les adressant par courrier recommandé et par courrier ordinaire à l’adresse que la défenderesse avait indiquée au registre d’immatriculation des entreprises.

 

[11]           La défenderesse a donc reçu valablement signification de la déclaration au moment où la signification a été effectuée par suite de la signification du document à une personne adulte à son domicile et à son adresse commerciale. Ainsi qu’il est déclaré dans l’affidavit de signification souscrit par Mme Sheila Garnett le 21 juin 2012 qui a été déposé devant notre Cour, la signification valide en question a eu lieu le 10 juin 2012.

 

[12]           La défenderesse n’a pas déposé ou signifié de défense ou d’autres documents; elle est par conséquent en défaut par application des dispositions des articles 204 et 210 des Règles des Cours fédérales.

 

[13]           La demanderesse sollicite une ordonnance :

a)                  interdisant à la défenderesse, à ses préposés, mandataires, employés, représentants, distributeurs, titulaires de licence, ainsi que toute autre personne sur laquelle elle exerce une autorité, d’utiliser ou d’annoncer la marque de commerce KEYZ PLEEZE ainsi que toute autre marque de commerce ou nom commercial qui est similaire au point de créer de la confusion, sur le plan visuel ou sonore, avec la marque de commerce déposée KEYS PLEASE de la demanderesse;

b)                  condamnant la défenderesse à remettre à la demanderesse ou à détruire sous serment toute affiche, étiquette, document, annonce publicitaire ou autre objet se trouvant en sa possession ou son contrôle dont l’utilisation pourrait aller à l’encontre de l’injonction énoncée au paragraphe précédent;

c)                  condamnant la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de 70 000 $ (CAN) à titre de dommages-intérêts, ainsi que les intérêts accumulés sur cette somme, calculés à un taux supérieur au taux préférentiel, à compter de la date à laquelle la défenderesse a commencé à utiliser la marque de commerce KEYZ PLEEZE; 

d)                 condamnant la défenderesse à payer à la demanderesse ses dépens à un taux majoré calculé conformément à la colonne 5 du Tarif, y compris la TVH, compte tenu du fait que la défenderesse s’est soustraite à la signification, ce qui a entraîné des frais juridiques et des débours supplémentaires pour la demanderesse; et condamnant la défenderesse à payer les intérêts avant jugement et les intérêts après jugement ainsi que toute taxe applicable sur les dommages-intérêts et les dépens ainsi accordés.

 

III.      Les faits

 

[14]           La demanderesse est la propriétaire de la marque de commerce KEYS PLEASE enregistrée sous le numéro LMC 570390 en liaison avec la « [f]ourniture de services professionnels de conduite accompagnée, nommément rencontre des clients à des endroits prédéterminés et conduite de ces clients à destination avec leurs propres véhicules; [f]ourniture de services de taxi, de limousine et de chauffeur ». Les services de conduite accompagnée de la demanderesse visés par sa marque de commerce déposée sont offerts de façon ininterrompue au Canada depuis le 28 août 1997, ainsi qu’en fait foi la copie certifiée conforme de l’enregistrement nLMC 570390 versée au dossier.

 

[15]           La demanderesse annonce également de façon ininterrompue ses services depuis la création de son entreprise en 1997. La demanderesse annonce ses services au moyen d’affiches et de prospectus, ainsi que sur son site Web. La demanderesse communique également avec ses clients actuels et potentiels par Facebook, et possède également un numéro 1‑866 (ainsi qu’en fait foi l’affidavit souscrit par Mme Greenwood, paragraphes 9 à 14, Dossier de la requête de la demanderesse aux pages 27 et 28).

 

[16]           En plus d’offrir elle-même des services de conduite accompagnée sous la marque de commerce KEYS PLEASE, depuis 1997, la demanderesse a également octroyé des licences relativement à sa marque de commerce et continue à offrir des possibilités de concessions partout au Canada. Depuis qu’elle a commencé à offrir ses services sous la marque KEYS PLEASE, la demanderesse et ses licenciés ont réalisé un chiffre d’affaires de plus de 15 millions de dollars au Canada et ont dépensé d’importantes sommes pour annoncer leurs services sous la marque de commerce KEYS PLEASE (affidavit de Mme Greenwood, paragraphes 3 à 5 et 23, dossier de requête de la demanderesse, à la page 26).

 

[17]           Au cours du mois de février 2012, la demanderesse a appris que la défenderesse avait ouvert une entreprise à Oshawa (Ontario), pour y offrir au public des services de conduite accompagnée sous la marque de commerce KEYZ PLEEZZ (affidavit de Mme Greenwood, paragraphes 15 et 16, dossier de la requête de la demanderesse, à la page 28).

 

[18]           La demanderesse a commencé à enquêter à ce sujet et a découvert que, le 3 février 2012, la défenderesse avait enregistré le nom commercial Keyz Pleezz sous le régime de la Loi sur les noms commerciaux de l’Ontario, LRO 1990, ch B.17. Dans ce document, les activités de la défenderesse sont décrites comme suit : [traduction] « services de conduite accompagnée » (affidavit de M. Allen, paragraphe 3, annexe 1, Dossier de la requête de la demanderesse, onglets F et F1, pages 135, 140 et à 142; affidavit de Mme Greenwood, paragraphes 16 et 17, Dossier de la requête de la demanderesse, onglets D et D6, pages 28 et 91 à 100).

 

[19]           La demanderesse a également découvert que la défenderesse annonçait ses services sur Internet et sur Facebook sous la marque de commerce KEYZ PLEEZZ et qu’elle avait commencé à placer des affiches portant cette marque de commerce dans des magasins de vente au détail, des restaurants, des bars et des établissements de divertissement dans la région d’Oshawa/Durham. Elle a également découvert que, lorsque des clients éventuels téléphonaient au numéro de téléphone d’affaires de la défenderesse, celle-ci identifiait son entreprise sous le nom de KEYZ PLEEZZ, ce qui est l’équivalent phonétique de la marque de commerce déposée KEYS PLEASE de la demanderesse de laquelle elle est indiscernable. La défenderesse qualifie également au téléphone ses services de services personnalisés de conduite accompagnée (affidavit de Mme Greenwood, paragraphes 16 et 17, annexe 6, Dossier de la requête de la demanderesse, onglets D et D6, pages 28 et 91 à 100; affidavit de Mme Philips, paragraphes 1 à 10, annexes 1 et 2, Dossier de la requête de la demanderesse, onglets C, C1 et C2, pages 12 à 24).

 

[20]           Après avoir découvert les activités de la défenderesse, la demanderesse a immédiatement donné pour instructions à son avocat d’envoyer à la défenderesse une mise en demeure lui enjoignant de cesser sur-le-champ de contrefaire sa marque de commerce. Deux mises en demeure ont été envoyées à la défenderesse, qui a refusé de cesser d’utiliser la marque de commerce KEYZ PLEEZZ (affidavit de Mme Greenwood, paragraphes 16 et 17, annexes 7 et 10, Dossier de la requête de la demanderesse, onglets D, D7 et D10, pages 28, 101 à 116, 127 et 128).

 

[21]           Devant le refus de la défenderesse de cesser d’utiliser la marque de commerce contrefaite, la demanderesse a intenté une action le 24 avril 2012. La présente instance est une action en contrefaçon de brevet, en imitation frauduleuse et en dépréciation d’achalandage par laquelle la demanderesse accuse la défenderesse d’avoir contrefait et de continuer à contrefaire sa marque de commerce enregistrée KEYS PLEASE par suite de l’exploitation, par la défenderesse, d’un service de conduite accompagnée en liaison avec la marque de commerce et le nom commercial KEYZ PLEEZZ (Déclaration, Dossier de la requête de la demanderesse, onglet G, pages 163 à 178).

 

IV.       Dispositions législatives applicables

 

[22]           Les dispositions applicables de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T‑13 [Loi sur les marques de commerce] sont annexées à la présente décision.

 

V.        Analyse

 

Article 19 – Droit à l’emploi exclusif de la marque de commerce de la demanderesse

 

[23]           « [L]’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services » (Loi sur les marques de commerce, art. 19).

 

[24]           Étant donné que la marque de commerce de la demanderesse définie précédemment a été valablement enregistrée et qu’elle permet d’offrir des marchandises ainsi que des services professionnels de conduite accompagnée, nommément à rencontrer des clients à des endroits prédéterminés et à les conduire à destination avec leurs propres véhicules, la demanderesse possède le droit exclusif d’employer, partout au Canada, les marchandises et services en question.

 

Article  20 – Contrefaçon

 

[25]           L’article 20 précise que le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la Loi sur les marques de commerce et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.

 

[26]           Dans le cas qui nous occupe, la preuve produite démontre que la défenderesse n’a pas employé la marque de commerce exactement comme elle avait été enregistrée. Elle s’est inspirée de la marque de commerce déposée de la demanderesse et en a modifié légèrement l’orthographe en remplaçant le mot KEYS par KEYZ et le mot PLEASE par PLEEZZ. Toutefois, du point de vue sonore et du point de vue des idées évoquées par les mots employés, les marques respectives des parties sont identiques.

 

[27]           Pour l’application, notamment, de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce ou un nom commercial crée ou est susceptible de créer de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés (Loi sur les marques de commerce, paragraphe 6(1)).

 

[28]           Plus particulièrement, « [l]’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale » (Loi sur les marques de commerce, paragraphe 6(2)).

 

[29]           En outre, en ce qui a trait à l’imitation frauduleuse, l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce interdit à quiconque d’appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre.

 

[30]           Après avoir examiné la preuve produite par la demanderesse et en particulier les affidavits souscrits par Mme Phillips (paragraphes 3 à 9) et par Mme Greenwood (paragraphes 16 et 17), la Cour est convaincue que l’emploi que la défenderesse a fait de la marque KEYZ PLEEZZ, dans les annonces publicitaires, les affiches et les messages diffusés sur Internet dans le marché d’Oshawa/Durham et dans les réponses qu’elle a données au téléphone ont créé de la confusion et étaient susceptibles de faire conclure que les services qui étaient offerts étaient ceux offerts dans le cadre de l’entreprise exploitée par la demanderesse.

 

[31]           Ainsi que notre Cour l’a déclaré à de nombreuses reprises, pour décider si des marques de commerce créent de la confusion, c’est-à-dire si leur emploi concomitant est susceptible de faire croire à un acheteur que les produits y rattachés viennent de la même source, il faut tenir compte des circonstances, et spécialement des cinq principaux facteurs que le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce prescrit de prendre en compte (Re Haw Par Brothers International Ltd. c Registraire des marques de commerce (1979), 48 C.P.R. (2d) 65 (C.F. 1re inst.), à la page 70).

 

[32]           Les cinq principaux facteurs dont la Cour doit tenir compte pour dire si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion sont énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, c’est-à-dire :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

[33]           Il ressort à l’évidence des éléments de preuve présentés à la Cour par la demanderesse que la défenderesse a effectivement créé de la confusion notamment en raison du fait que, phonétiquement, les deux marques sont identiques (Ortho Pharmaceutical Corp. c Mowatt & Moore Ltd et al., (1972), 6 CPR (2d) 161).

 

[34]           Il est important également de signaler qu’en l’espèce, la nature des services rendus par la défenderesse est identique à celle des services offerts par la demanderesse.

 

[35]           Enfin, le fait que la défenderesse s’est soustraite à la signification et qu’elle n’a pas répondu à la mise en demeure que la demanderesse lui avait envoyée et, surtout, le fait qu’elle s’est délibérément annoncée sur une page Facebook démontrent son intention consciente et délibérée de contrefaire la marque de commerce de la demanderesse et l’imiter frauduleusement.

 

[36]           La conduite de la défenderesse est interdite par l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce.

 

[37]           Ainsi que le prévoit la jurisprudence de notre Cour, en ce qui concerne le calcul des dommages-intérêts qu’il convient d’allouer en cas de contrefaçon ou de commercialisation trompeuse, la méthode à suivre est la suivante :

Pour calculer les dommages-intérêts, on considère que le défendeur est responsable de toute perte réellement subie par le demandeur, qui est la conséquence naturelle et directe des actes illégaux du défendeur, y compris toute perte de commerce provenant directement ou indirectement de ces actes ou leur étant imputable, qui constituent une atteinte à la réputation, à l’entreprise, à l’achalandage ou au commerce du demandeur. Il faut supprimer du calcul les dommages-intérêts spéculatifs et non prouvés. Le tribunal estimera les dommages sur la même base que le ferait un jury et son estimation pourra tenir compte du préjudice causé à l’achalandage du demandeur, car le tribunal agissant comme jury et faisant preuve d’une connaissance normale des affaires et de bon sens, a le droit de considérer qu’il ne peut pas y avoir de commerce trompeur sans que l’achalandage en pâtisse dans une certaine mesure. Les difficultés que le calcul des dommages-intérêts présente ne dispensent pas le tribunal de l’obligation d’y procéder du mieux qu’il peut. Il a le droit de déduire des actes accomplis par les parties, leurs résultats probables. S’il ne peut pas calculer avec exactitude les dommages-intérêts, il doit s’en tenir à l’estimation la plus raisonnable ((Ragdoll Productions (UK) Ltd. c Personnes inconnues (2002), 21 C.P.R. (4th) 213 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 40).

 

 

[38]           En l’espèce, les seuls éléments de preuve dont nous disposons au sujet du calcul des dommages-intérêts se trouvent au paragraphe 26 de l’affidavit souscrit par Mme Ginger Greenwood :

                        [traduction] 

                        La conduite accompagnée personnalisée est un domaine d’activités très concurrentiel et la présence de l’entreprise de la défenderesse sur le marché restreint la capacité de la demanderesse d’ouvrir des concessions dans la région d’Oshawa-Durham et dans les collectivités avoisinantes. Si la demanderesse devait concéder une licence relativement à sa marque de commerce dans la région, le coût d’achat d’une concession se chiffrerait, compte tenu de la population d’Oshawa, à environ 32 000 $ [CAN], et les redevances annuelles à 38 000 $ [CAN] en fonction d’un chiffre d’affaires minimum de 5 000 $ par semaine. Par suite des activités de la défenderesse, l’entreprise de la demanderesse serait donc privée de cette possibilité d’affaires (affidavit de Mme Greenwood, au paragraphe 26, Dossier de la requête de la demanderesse, onglet D, page 30).

 

[39]           La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer clairement qu’en Ontario, et plus particulièrement dans la région d’Oshawa/Durham, une concession générerait en moyenne un chiffre d’affaires de 5 000 $ par semaine.

 

[40]           La demanderesse exerce ses activités depuis une quinzaine d’années, c’est‑à‑dire depuis 1997. Pendant toute cette période, elle a généré un chiffre d’affaires de plus de quinze millions de dollars. Elle génère donc des recettes d’un million de dollars par année pour les services qu’elle offre directement ou par l’entremise de ses franchisés en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario. Les revenus générés par chaque franchisé n’ont pas été chiffrés.

 

[41]           Notre Cour évalue donc les dommages subis par la demanderesse à 50 000 $ et non à 70 000 $ comme le prétend la demanderesse, parce que la demanderesse n’a pas soumis d’éléments de preuve démontrant qu’un franchisé de la région d’Oshawa/Durham générerait nécessairement des recettes hebdomadaires de 5 000 $, d’autant plus qu’il existe déjà deux concurrents qui exploitent le même genre d’entreprise dans la région (voir l’affidavit de Mme Greenwood, au paragraphe 16). Ce montant de 50 000 $ comprend également les dommages causés à l’achalandage de la demanderesse.

 

[42]           La demanderesse sollicite également des dépens à un taux majoré calculé conformément à la colonne 5 du tarif, y compris la TVH. La Cour ne croit pas que le fait que la défenderesse s’est soustraite à la signification justifie la prise d’une telle mesure, étant donné que les agissements de la défenderesse n’ont pas rendu l’affaire plus complexe.

 


ORDONNANCE

LA COUR :

1.         Interdit à la défenderesse, à ses préposés, mandataires, employés, représentants, distributeurs, titulaires de licence, ainsi que toute autre personne sur laquelle elle exerce une autorité d’utiliser ou d’annoncer la marque de commerce KEYZ PLEEZE ainsi que toute autre marque de commerce ou nom commercial qui est similaire au point de créer de la confusion, sur le plan visuel ou sonore, avec la marque de commerce déposée KEYS PLEASE de la demanderesse;

2.         Condamne la défenderesse à remettre à la demanderesse ou à détruire sous serment toute affiche, étiquette, document, annonce publicitaire ou autre objet se trouvant en sa possession ou son contrôle dont l’utilisation pourrait aller à l’encontre de l’injonction énoncée au paragraphe précédent;

3.         Condamne la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de 50 000 $ (CAN) à titre de dommages-intérêts, ainsi que les intérêts accumulés sur ce montant calculés à compter de la date à laquelle la défenderesse a commencé à utiliser la marque de commerce KEYZ PLEEZE; 

4.         Condamne la défenderesse à payer à la demanderesse ses dépens, y compris la TVH applicable et les intérêts ainsi que toute taxe applicable sur les dommages-intérêts et les dépens accordés dans le cadre de la présente ordonnance.

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


ANNEXE

 

Paragraphes 6(1), 6(2) et 6(5) et articles 7, 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 :

 

 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 Nul ne peut :

 

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

 

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

 

c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

 

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

 

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

 

(ii) soit leur origine géographique,

 

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution;

 

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

 

 No person shall

 

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

 

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

 

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

 

 

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

 

(i) the character, quality, quantity or composition,

 

 

(ii) the geographical origin, or

 

(iii) the mode of the manufacture, production or performance

 

of the wares or services; or

 

(e) do any other act or adopt any other business practice contrary to honest industrial or commercial usage in Canada.

 

Droits conférés par l’enregistrement
 

 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, /sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

 

Rights conferred by registration
 

 Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

 

 (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

 

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

 

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

 

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

 

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

 

 

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

 

Exception
 

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

 

 

 (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

 

 

 

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

 

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

 

(i) of the geographical name of his place of business, or

 

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

 

 

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

 

Exception
 

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

 

 (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

 

 

Action à cet égard
 

(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

 

 (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

 

 

Action in respect thereof
 

(2) In any action in respect of a use of a trade-mark contrary to subsection (1), the court may decline to order the recovery of damages or profits and may permit the defendant to continue to sell wares marked with the trade-mark that were in his possession or under his control at the time notice was given to him that the owner of the registered trade-mark complained of the use of the trade-mark.

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-833-12

 

INTITULÉ :                                      THE DRIVING ALTERNATIVE INC.

                                                            c

                                                            AMANDA JARVIS faisant affaire sous la raison sociale de KEYZ PLEEZZ

 

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 décembre 2012

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

John S. Macera

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MACERA et JARZYNA, SRL

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Amanda Jarvis

Oshawa (Ontario)

LA DÉFENDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

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