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Date : 20121210

Dossier : IMM-2114-12

Référence : 2012 CF 1452

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

DAMALIE NUNDWE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               En 2010, Mme Damalie Nundwe a fui l’Éthiopie pour se rendre au Canada, par crainte d’un mari violent. Elle a présenté une demande d’asile, mais un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande. La Commission a conclu que Mme Nundwe, qui est native de l’Ouganda, était admissible à la citoyenneté ougandaise et qu’elle n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles d’une crainte fondée de persécution dans ce pays.

 

[2]               Mme Nundwe affirme que la décision de la Commission est déraisonnable parce que celle‑ci a négligé certains éléments de preuve importants qu’elle a produits à l’audience, et n’a pas tenu compte d’éléments de preuve documentaire montrant qu’en Ouganda, les femmes qui signalent la violence conjugale peuvent rarement se prévaloir de la protection de l’État. Mme Nundwe me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à un autre tribunal de réexaminer sa demande.

 

[3]               Je conviens du fait que la décision de la Commission était déraisonnable et je me dois, par conséquent, d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Au départ, Mme Nundwe contestait la conclusion de la Commission selon laquelle elle pourrait obtenir la citoyenneté ougandaise. Toutefois, elle reconnaît à présent que c’est le cas. Par conséquent, la seule question dont je suis saisi est de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

 

II.        La décision de la Commission

[5]               Étant donné que Mme Nundwe a acquis la citoyenneté malawite par mariage et qu’elle a dû renoncer à sa citoyenneté ougandaise au moment où elle s’est mariée, la Commission, lors de l’audience, s’est d’abord concentrée sur le bien‑fondé de la demande de Mme Nundwe à l’égard du Malawi. Mme Nundwe n’avait pas insisté sur l’Ouganda dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[6]               Toutefois, une fois qu’elle a pris conscience du fait que Mme Nundwe était admissible à la citoyenneté ougandaise, la Commission a ajourné l’audience afin de lui permettre de présenter des éléments de preuve relativement à sa crainte de subir un préjudice en Ouganda.

 

[7]               La Commission a accepté que Mme Nundwe était victime de violence conjugale. Toutefois, elle n’était pas convaincue que Mme Nundwe était exposée à des risques en Ouganda. La famille de Mme Nundwe habitait dans ce pays et pouvait lui offrir son soutien. Même si Mme Nundwe a déclaré dans son témoignage que sa famille ne voulait pas qu’elle quitte son mari, la Commission a conclu que cette affirmation était démentie par le fait que Mme Nundwe avait laissé son mari à Addis‑Abeba pour rendre visite à sa famille à deux reprises en 2008 et en 2009, et ce, pendant plusieurs semaines. Si sa famille s’opposait à sa décision, elle ne serait pas retournée la voir. Quoi qu’il en soit, le fait qu’il était possible que sa famille désapprouve sa conduite ne constituait pas de la persécution.

 

[8]               De plus, la Commission a souligné que Mme Nundwe n’avait pas essayé d’obtenir le divorce pendant qu’elle se trouvait en Ouganda. Au lieu de cela, elle était retournée auprès de son mari en Éthiopie.

 

[9]               Même si Mme Nundwe a témoigné que son mari pourrait se mettre à sa recherche et lui faire du mal en Ouganda, elle n’a fourni aucun élément de preuve montrant que le cas échéant, il serait à l’abri de conséquences pénales.

 

[10]           Pour finir, la Commission a conclu que Mme Nundwe pourrait demander la protection de l’État en Ouganda si son mari lui faisait du mal. L’Ouganda a adopté la Domestic Violence Act, qui criminalise la violence familiale. La protection offerte par l’État n’est pas parfaite, mais elle est adéquate.

 

[11]           Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’asile de Mme Nundwe.

 

III.       La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

[12]           La preuve produite par Mme Nundwe quant au risque auquel elle serait exposée en Ouganda faisait état des renseignements suivants :

            •           Elle est née en Ouganda et, jusqu’en 2008, elle avait la nationalité ougandaise et détenait un passeport ougandais.

 

            •           Quand elle a rendu visite à sa famille à deux occasions en 2008 et en 2009, ses proches lui ont demandé avec insistance de retourner auprès de son mari, en partie parce que ce dernier avait versé une dot pour elle. Cela avait créé une obligation pour elle de rester aux côtés de son mari, même s’il lui infligeait de mauvais traitements. Sa famille a l’impression d’avoir été déshonorée parce qu’elle a quitté son mari. Sa famille entretient les mêmes sentiments à l’égard de son fils, qui se trouve toujours en Ouganda.

 

            •           Elle ne pouvait pas obtenir le divorce en Ouganda pendant que son mari se trouvait en Éthiopie.

 

            •           Son mari a des liens étroits avec l’Ouganda, y compris avec sa propre famille à elle. Il s’y rend souvent pour des réunions. En fait, il a rendu visite à sa famille en 2011, et il était à sa recherche. Il va continuer de la chercher parce qu’elle l’a déshonoré.

 

            •           Elle ne pouvait pas s’adresser à la police parce que celle‑ci est corrompue et considère la violence conjugale comme une affaire de famille. La police aurait contacté sa famille pour connaître les raisons pour lesquelles elle avait quitté son mari. Mme Nundwe connaît d’autres femmes qui sont allées voir la police dans des circonstances semblables. La police se contente de parler au mari et d’inciter l’épouse à rentrer chez elle.

 

            •           Elle ne pouvait pas déménager ailleurs en Ouganda parce qu’elle aurait eu à faire face à des difficultés d’ordre linguistique.

[13]           En outre, la preuve documentaire dont la Commission disposait montrait ce qui suit :

 

            •           la violence contre les femmes est répandue en Ouganda;

            •           dans la plupart des cas, l’auteur de cette violence est un conjoint;

            •           les deux tiers des ménages sont touchés par la violence conjugale;

            •          compte tenu de l’insensibilité dont la police fait preuve, peu de femmes signalent les actes de violence fondés sur le sexe;

            •           les agents d’application de la loi interviennent rarement dans les affaires de violence conjugale parce qu’on considère que le fait de battre sa femme est la prérogative du mari.

 

[14]           La Commission n’a fait référence à aucun de ces éléments de preuve documentaire.

 

[15]           Le ministre fait valoir que la décision de la Commission était raisonnable. Celle‑ci a reconnu à juste titre que Mme Nundwe n’avait pas montré qu’elle éprouvait une crainte subjective de persécution en Ouganda étant donné qu’elle y était allée pour rendre visite à sa famille. Mme Nundwe n’a pas présenté d’éléments de preuve montrant que son mari la poursuivrait en Ouganda. Il ne l’a pas suivie dans ce pays en 2008 et en 2009, quand elle y est allée pour rendre visite à sa famille. En outre, la Commission a raisonnablement conclu que l’État ougandais offrait une protection adéquate aux victimes de violence familiale. En fait, Mme Nundwe n’est jamais allée voir la police; elle n’est donc pas produit de preuve claire et convaincante du fait que la protection de l’État n’était pas disponible.

 

[16]           Je ne souscris pas à la position du ministre.

 

[17]           En 2008 et en 2009, Mme Nundwe a simplement rendu visite à sa famille en Ouganda. Son mari n’avait aucune raison de l’y suivre. Le fait qu’il ne l’ait pas suivie ne signifie pas qu’il ne la poursuivrait pas si elle le quittait. Selon la preuve produite par Mme Nundwe, il pouvait facilement se rendre en Ouganda, il y avait de nombreux contacts, et il savait manifestement où sa famille habitait. C’est bien là qu’il était allé la chercher en 2011. En fait, si Mme Nundwe se trouvait en Ouganda, son mari pourrait vraisemblablement compter sur sa belle‑famille pour l’aider à la retrouver et à la ramener en Éthiopie.

 

[18]           Au chapitre de la protection de l’État, Mme Nundwe a témoigné au sujet de la façon dont des femmes qui se trouvaient dans des situations semblables à la sienne avaient été traitées par la police. Son témoignage sur ce point était appuyé par la preuve documentaire dont la Commission disposait. La Commission n’a pas analysé cette preuve. À mon avis, la Commission n’a pas examiné si Mme Nundwe s’était acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait de présenter une preuve claire et convaincante de l’absence de protection de l’État.

 

[19]           Par conséquent, je conclus que la Commission ne justifie pas la conclusion tirée dans sa décision. La conclusion de la Commission ne constitue pas une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle était déraisonnable.

 

IV.       Conclusion et dispositif

 

[20]           La Commission n’a pas examiné la preuve relative à la crainte de Mme Nundwe d’être maltraitée par son mari en Ouganda. Elle n’a pas non plus tenu compte de la preuve documentaire à l’appui de cette crainte. Par conséquent, la Commission a rendu une décision déraisonnable. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

[21]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il tienne une nouvelle audience.

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2114-12

 

INTITULÉ :                                      DAMALIE NUNDWE

                                                            c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

                                                                                                                                          

 

 

 

 

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