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Date : 20121206

Dossier : […]

Référence : 2012 CF 1437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

 

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par

 […] visant la délivrance de mandats en application des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, c. C‑23

 

 

ET AFFAIRE INTÉRESSANT […]

 

 

 

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs concernent une demande visant la délivrance de […] mandats[1] présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) en application des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, c. C‑25.

 

[2]               La nouvelle question soulevée par la présente demande est celle de savoir si la Cour fédérale a le pouvoir de décerner un mandat autorisant le Service à intercepter les communications de [un citoyen canadien, un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou une personne morale constituée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale] ou à utiliser d’autres techniques d’enquête intrusives à l’égard de cette personne.

 

[3]               Le Service fait valoir que le paragraphe 16(2) de la Loi n’empêche pas de nommer [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] à titre de […] dont les communications peuvent être interceptées, dans un mandat décerné en application des articles 16 et 21 de la Loi. Il affirme que le paragraphe 16(2) de la Loi interdit que l’assistance qu’il peut prêter à un ministre en matière de renseignements étrangers vise les activités [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne]. Selon le Service, la demande d’assistance en l’espèce vise [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers], de sorte que l’interdiction prévue au paragraphe 16(2) ne s’applique pas. 

 

[4]               […] J’ai statué sur la question dans une ordonnance délivrée le […]. J’ai rejeté la demande du Service dans la mesure où elle visait [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne]. Voici les motifs de cette décision.

 

[5]               Comme je l’expliquerai plus loin, j’ai conclu que, interprété correctement, le paragraphe 16(2) interdit l’interception des communications de […], en cause dans la présente affaire, sauf dans la mesure où ces communications peuvent être interceptées accidentellement dans le cadre de l’exercice des pouvoirs conférés par mandat quant aux communications [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers].

 

Contexte

[6]               […]

 

[7]               […]

 

[8]               […]

 

[9]               […]

 

[10]           […]

 

[11]           […]

 

[12]           […]

 

La demande de mandats

 

[13]           Le […] le Service a présenté une demande visant la délivrance de […] mandats en application de l’article 16 de la Loi […].

 

[14]           L’article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoit :

 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités :

 

a) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers;

 

b) d’une personne qui n’est ni un citoyen canadien, ni un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ni une personne morale constituée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale.

 

 

 

 

 

 

(2) L’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées aux sous‑alinéas (1)b)(i), (ii) ou (iii).

 

(3) L’exercice par le Service des fonctions visées au paragraphe (1) est subordonné :

 

a) à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères;

 

b) au consentement personnel du ministre.

 (1) Subject to this section, the Service may, in relation to the defence of Canada or the conduct of the international affairs of Canada, assist the Minister of National Defence or the Minister of Foreign Affairs, within Canada, in the collection of information or intelligence relating to the capabilities, intentions or activities of

 

 

 

 

(a) any foreign state or group of foreign states; or

 

(b) any person other than

 

(i) a Canadian citizen,

 

(ii) a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, or

 

(iii) a corporation incorporated by or under an Act of Parliament or of the legislature of a province.

 

(2) The assistance provided pursuant to subsection (1) shall not be directed at any person referred to in subparagraph (1)(b)(i), (ii) or (iii).

 

 

 

(3) The Service shall not perform its duties and functions under subsection (1) unless it does so

 

(a) on the personal request in writing of the Minister of National Defence or the Minister of Foreign Affairs; and

 

(b) with the personal consent in writing of the Minister.

 

 

[15]           Conformément aux exigences du paragraphe 16(1) de la Loi, la demande comportait une demande d’assistance relativement à la collecte d’informations et de renseignements sur les moyens, les intentions et les activités [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers]. Cette demande émanait du ministre de […] et était adressée au ministre de la Sécurité publique.

 

[16]           La demande contenait également le consentement personnel du ministre de la Sécurité publique à ce que le SCRS prête son assistance à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers].

 

[17]           La demande et les projets de mandat étaient intitulés « Affaire intéressant [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers] ». Cependant, les dispositions essentielles des mandats portaient expressément sur l’interception des communications de certains […] nommément désignés.

 

[18]           À titre d’exemple, à la partie III de la section 1 du mandat général d’interception et de perquisition, on peut lire : [traduction] « J’autorise le directeur et tout employé du Service agissant sous son autorité à intercepter toute communication orale ou télécommunication destinée à, reçue par, ou émanant de … » […]

 

[19]           Les mandats prévoient également l’interception des communications de […].

 

[20]           Ils contiennent en outre une liste de […] dont les communications peuvent être interceptées accidentellement dans le cadre de l’exercice des pouvoirs conférés par les mandats. […]

 

Les audiences relatives aux mandats

 

[21]           La demande de mandat a fait l’objet d’une audience ex parte, qui s’est tenue dans la matinée du […]. À la demande de la Cour, l’auteur de l’affidavit déposé à l’appui de la demande s’est présenté à la barre et a été interrogé sous serment par la Cour. L’avocat du Service a également formulé des observations écrites et verbales.

 

[22]           Au terme de l’audience, j’ai informé l’avocat que j’étais disposée à signer les mandats, en ce qui concernait […], mais que je n’étais pas disposée à signer les mandats concernant […] sans un examen plus poussé et sans les observations d’un ami de la cour.

 

[23]           […] Les […] mandats ont alors été signés dans leur forme modifiée.

 

[24]           Après discussion à l’audience avec l’avocat du Service, M. Colin Baxter a été nommé à titre d’ami de la cour. Une réunion de gestion de l’instance a par la suite eu lieu avec l’avocat du SCRS et M. Baxter, dans l’après‑midi du […].

 

[25]           Au cours de cette réunion, un échéancier des procédures à suivre dans la présente affaire a été établi, […]. L’affaire a alors été remise au […] pour une audience sur la question de la compétence. L’audition s’est tenue le […], en présence de l’avocat du SCRS et de l’ami de la cour.

 

Les conséquences découlant de la désignation [d’une personne physique ou morale] à la partie III d’un mandat

 

[26]           L’alinéa 21(2)d) de la Loi sur le SCRS prévoit que la demande de mandat présentée à un juge est faite par écrit et précise l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir.

 

[27]           De par la nature intrusive de l’écoute électronique et d’autres techniques d’enquête, les communications de tiers innocents peuvent être interceptées accidentellement en même temps que les communications de la personne ou de l’entité ciblée par l’enquête. Il en est ainsi à cause du lien entre le tiers innocent et [la personne physique ou morale] nommée dans le mandat, ou à cause de la nature et du lieu de l’interception […].

 

[28]           En conséquence, une demande de mandat doit identifier [la personne physique ou morale] dont les communications sont à intercepter, et doit aussi décrire soigneusement l’endroit ou les endroits où l’interception aura lieu, de manière à limiter autant que possible l’atteinte à la vie privée. Dans la mesure du possible, l’autorisation doit tenter de réduire au minimum les intrusions dans la vie privée de tiers innocents.

 

[29]           La Cour exige habituellement du Service qu’il inclue dans ses demandes de mandat la liste complète des […] dont le Service sait que les communications pourraient être interceptées accidentellement dans l’exercice des pouvoirs conférés par le mandat. Ces […] sont appelés familièrement les « Vanweenans », nom tiré de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Lorelei Vanweenan et John Chesson, appelants c. Sa Majesté la Reine, intimée, répertorié sous l’intitulé R. c. Chesson, (1988) 2 R.C.S. 148.

 

[30]           Avant de nous pencher sur la question de la compétence, il serait utile de commencer par relever les conséquences pratiques qui découlent du fait que […] soit nommé à la partie III d’un mandat à titre de […] dont les communications pourraient être interceptées intentionnellement. Il serait intéressant de comparer ensuite ces conséquences avec le degré d’atteinte à la vie privée de […] qui pourrait découler du fait que […] soit nommé à titre de […] dont les communications ne peuvent être interceptées qu’accidentellement dans le cadre de l’exercice des pouvoirs conférés par les mandats.

 

[31]           Comme nous le verrons dans l’analyse qui suit, le degré d’atteinte potentielle au droit à la vie privée de […] nommé à la partie III d’un mandat est nettement plus élevé que le degré d’atteinte potentielle au droit à la vie privée de […] dont les communications ne peuvent être interceptées qu’accidentellement.

 

[32]           Lorsqu’un juge désigné autorise l’interception des communications de […] désigné nommément à la partie III d’un mandat, ces communications peuvent alors être interceptées intentionnellement. Selon les pouvoirs accordés par la Cour, l’interception peut porter sur les communications provenant de [divers endroits]. Le mandat peut également autoriser [la personne à qui il s’adresse à intercepter toute communication ou à acquérir toute information, document ou objet].

 

[33]           En revanche, lorsque […] est nommé dans un mandat au titre de Vanweenan, le degré d’atteinte possible à la vie privée de […] est nettement limité.

 

[34]           Par exemple, les communications de […] nommé au titre de « Vanweenan », ne peuvent pas être interceptées intentionnellement. Ces communications de […] ne peuvent être interceptées que [dans certaines circonstances limitées].

 

[35]           […]

 

[36]           En conséquence, il est évident que le degré d’atteinte potentielle au droit à la vie privée de […], nommé à la partie III d’un mandat, est nettement plus élevé que celui auquel s’exposent les […] dont les communications ne peuvent être interceptées qu’accidentellement dans le cadre de l’exercice des pouvoirs conférés par les mandats.

 

[37]           […]

 

[38]           […]

 

[39]           […]

 

[40]           […]

 

[41]           Plus fondamentalement, […] ne saurait conférer à la Cour le pouvoir de décerner le mandat alors que ce pouvoir n’est pas autrement conféré par la loi habilitante.

[42]           Avant de passer à une autre question, il convient de mentionner que, bien que l’on ne sache pas vraiment si [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] peut être nommé à la partie III d’un mandat autorisé en application des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS au titre de [personne physique ou morale] dont les communications sont à intercepter, il n’est pas contesté que les communications privées [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne] peuvent être interceptées accidentellement dans le cadre de l’interception dûment autorisée des communications [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers].

 

[43]           Il n’est pas non plus contesté que les communications privées [de citoyens canadiens, de résidents permanents au Canada ou de personnes morales canadiennes] peuvent être interceptées en toute légalité si le mandat a été obtenu en vertu de l’article 12 de la Loi parce qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que ces communications sont liées à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada.

 

[44]           Les conséquences qui découlent du fait de nommer [une personne physique ou morale] à la partie III d’un mandat étant bien comprises, je passe maintenant à la question de compétence que soulève la présente demande. Pour ce faire, il me faut examiner en détail le libellé et l’historique législatif de l’article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et appliquer à cette disposition les principes d’interprétation législative reconnus.

 

Principes d’interprétation législative

 

[45]           Pour interpréter l’article 16 de la Loi, la Cour doit tenir compte des principes d’interprétation législative reconnus.

 

[46]           Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a décrit l’approche à privilégier en matière d’interprétation législative : « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : au paragraphe 21. Voir aussi Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, au paragraphe 27.

 

[47]           Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour suprême a indiqué que « [l]’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » : au paragraphe 10.

 

[48]           Toujours dans Trustco Canada, au même paragraphe, la Cour suprême a ajouté que « [l]orsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation ». Or, la Cour a aussi dit que « lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important ». Dans un tel cas, « [l]’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux ».

 

[49]           Dans l’arrêt Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, la Cour suprême a observé que « plus le texte choisi par le législateur sera général, plus le contexte sera important ». La Cour a poursuivi en signalant les limites de la méthode contextuelle d’interprétation des lois, à savoir que « [l]e tribunal n’endosse son rôle d’interprète que lorsque les deux éléments de la communication convergent vers une même direction : le texte s’y prête et l’intention du législateur se dégage clairement du contexte » : les deux citations se trouvent au paragraphe 15.

 

[50]           La Cour d’appel fédérale a récemment présenté un résumé utile des principes d’interprétation législative dans l’arrêt Felipa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2011] A.C.F. no 1355. À cette occasion, les juges majoritaires ont observé que, pour déterminer ce que le législateur a voulu dire en employant certains mots, il faut tenir compte de l’ensemble du contexte de la disposition en question afin de dégager son intention, et ils ont souligné que cette intention est « [l]’élément le plus important de cette analyse », citant R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26.

 

[51]           Enfin, dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, la Cour suprême a précisé que, bien que les tribunaux doivent être conscients des lacunes associées à son utilisation, l’historique des débats parlementaires n’en est pas moins une source d’aide légitime dans les affaires d’interprétation des lois : voir le paragraphe 35.

 

L’article 16 interdit‑il de nommer [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] à la partie III d’un mandat?

 

[52]           Ce qui nous amène au cœur du litige, à savoir si l’article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité interdit de nommer [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] dans un mandat en tant que [personne physique ou morale] dont les communications sont à intercepter, lorsque le mandat fait suite à une demande d’assistance du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères quant à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers].

 

[53]           Le SCRS avance que le paragraphe 16(2) de la Loi n’interdit pas de nommer [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] dans de telles circonstances. Le SCRS affirme que le paragraphe 16(2) de la Loi lui interdit de prêter assistance à la collecte de renseignements étrangers, si cette assistance vise [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes]. Il estime qu’en l’espèce la demande d’assistance vise [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers], et non [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne]. C’est pourquoi l’interdiction prévue au paragraphe 16(2) ne s’applique pas.

 

[54]           Le Service soutient que si le paragraphe 16(2) est interprété de manière à interdire l’assistance à la collecte de renseignements étrangers envisagée par la présente demande, l’objet du régime de renseignement étranger de la Loi sur le SCRS serait alors compromis. Le législateur n’a pas pu vouloir que […]. Au contraire, affirme le SCRS, le législateur ne voulait pas que ce dernier puisse mener des enquêtes de renseignement étranger sur [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes].

 

[55]           Le Service soutient en outre que si le législateur avait voulu créer, à l’article 16, une interdiction absolue relativement à l’interception des communications [de citoyens canadiens, de résidents permanents au Canada ou de personnes morales canadiennes], il l’aurait fait. Il a plutôt adopté une approche plus « nuancée » en interdisant simplement que l’assistance dont il est question vise [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes]. Ce faisant, affirme le SCRS, il reconnaît la [traduction] « réalité concrète » de la collecte de renseignements, tout en protégeant les Canadiens, comme les professeurs et les journalistes, contre le risque d’être visés par une collecte de renseignements étrangers.

 

[56]           Le SCRS soutient que les observations présentées par le gouvernement du Canada au cours des audiences du Sénat qui ont précédé l’adoption de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité démontrent que l’interdiction prévue au paragraphe 16(2) ne devait pas s’appliquer dans un cas comme celui de l’espèce.

 

[57]           […]

 

[58]           […]

 

[59]           Autrement dit, le Service soutient qu’un mandat décerné en vertu de l’article 16 vise [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers et] ne saurait être assimilé à une « assistance qui vise » [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] en violation du paragraphe 16(2) de la Loi.

 

[60]           Pour étayer son point de vue, le SCRS nous rappelle les observations faites par l’honorable Jean‑Luc Pepin, alors ministre d’État aux Relations extérieures, lors de sa comparution en 1983 devant le Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

 

[61]           Pour expliquer l’objet visé par l’interdiction de collecter des renseignements étrangers auprès de [Canadiens] dans le cadre du mandat proposé du Service en matière de renseignement étranger, le ministre avait déclaré :

(…) cette agence ne pourra pas intervenir et entreprendre des enquêtes sur les Canadiens.

 

(…) Elle ne peut pas viser les Canadiens. Elle ne peut qu’enquêter sur des étrangers, gouvernement (sic) et individus (à la page 11:23).

 

 

[62]           […]

 

[63]           […] Le ministre Pepin a déclaré :

Je crois que vous confondez. Prenons l’exemple de Carghill. Les renseignements concernant un employé de Carghill sont des renseignements touchant une société; il ne s’agit pas de renseignements personnels. Le fait est qu’il y a une exemption – je l’ai dit dans mon mémoire et je le répète : « Les Canadiens, tant les particuliers que les sociétés, ne pourraient faire l’objet d’une enquête qu’en vertu du mandat premier [lié aux menaces][2] du service. » Ainsi nous n’avons pas tenté d’obtenir directement des renseignements étrangers, d’entreprises ou de citoyens canadiens (à la page 11:31).

 

 

[64]           Le Service soutient que […] est du renseignement étranger légitime pour l’application de la Loi.

 

[65]           Il est cependant nécessaire de comprendre l’historique législatif de l’article 16 de la Loi afin de pouvoir replacer les observations du ministre Pepin dans leur contexte.

 

[66]           Dans la foulée du rapport de la commission McDonald, le gouvernement canadien a décidé de mettre sur pied un service de la sécurité civile. À cette fin, le projet de loi C‑157 a été déposé à la Chambre des communes en mai 1983. Ce projet de loi aurait créé le Service canadien du renseignement de sécurité.

 

[67]           Entre autres choses, le projet de loi C‑157 contenait une disposition semblable, mais non identique, à ce qui est devenu le paragraphe 16(1) de la Loi sur le SCRS de 1985. Il importe cependant de souligner qu’il ne contenait aucune disposition comparable au paragraphe 16(2).

 

[68]           Selon un document publié par la Bibliothèque du Parlement en 1984, « [p]resque tout de suite, [le projet de loi C‑157][3] est devenu la cible de critiques. On l’accusait de brimer les libertés civiles, d’accorder au nouveau Service des pouvoirs extrêmement vastes, de soustraire le gouvernement à sa responsabilité et de ne pas instituer de mandat précis ou de système de surveillance fonctionnel » : Le Service canadien du renseignement de sécurité, Bibliothèque du Parlement, 18 septembre 1984, à la page 8.

 

[69]           La disposition qui a précédé l’actuel paragraphe 16(1) de la Loi sur le SCRS a été particulièrement la cible des critiques.

 

[70]           Le rapport de la Bibliothèque du Parlement souligne également que l’opposition au projet de loi C‑157 a été d’une telle véhémence que le gouvernement a décidé de ne pas procéder à sa deuxième lecture et de plutôt le renvoyer à un comité sénatorial spécial. Ce dernier a tenu des audiences au cours de l’été 1983. À cette occasion, certains se sont inquiétés de la possibilité que le mandat confié au Service en matière de collecte de renseignements étrangers ne serve à enquêter sur [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes].

 

[71]           Dans un rapport publié par la suite, le Comité sénatorial spécial a recommandé qu’on apporte à la loi des modifications substantielles afin d’assurer « un meilleur équilibre des besoins en matière de sécurité collective et individuelle » : Équilibre délicat : un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique, au paragraphe 26.

 

[72]           Le gouvernement a alors laissé le projet de loi C‑157 mourir au Feuilleton. Au cours de la session parlementaire suivante, un nouveau projet de loi – le projet de loi C‑9 – a été déposé. Le projet de loi C‑9 incorporait à toutes fins utiles toutes les modifications recommandées dans le rapport du Comité sénatorial spécial. Après avoir franchi pratiquement sans aucun changement les étapes du processus législatif, le projet de loi C‑9 est entré en vigueur par proclamation en 1984.

 

[73]           Comme je l’ai mentionné, le Service se fonde sur des déclarations du ministre Pepin […]. Il importe cependant de comprendre que ces déclarations ont été faites dans le contexte des audiences du Comité sénatorial spécial sur le projet de loi C‑157 et qu’elles ne portaient pas sur la loi dans sa version modifiée qu’était le projet de loi C‑9.

 

[74]           Il est vrai que l’article 18 du projet de loi C‑157 était semblable au paragraphe 16(1) de la Loi actuelle, mais le projet de loi C‑157 ne contenait pas de disposition semblable au paragraphe 16(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Rappelons que le paragraphe 16(2) prévoit que « [l]’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées aux sous‑alinéas (1)b)(i), (ii) ou (iii) ». […] C’est donc dans cette perspective qu’il faut considérer les observations du ministre Pepin que le Service a invoquées.

 

[75]           Comme le souligne le Service, le rapport du Comité sénatorial spécial fait état de la crainte que des Canadiens, comme les professeurs d’université ayant des connaissances sur un État étranger, puissent être la cible d’une enquête en matière de renseignements étrangers. Estimant que cette préoccupation « se défend », les auteurs du rapport recommandaient de modifier la version antérieure de l’actuel article 16 « de façon à interdire formellement au Service de prendre pour cible des citoyens canadiens ou des résidents permanents au Canada » : au paragraphe 52.

 

[76]           Selon le Service, en adoptant la formulation « assistance visant » au paragraphe 16(2) de la Loi, le législateur a donné suite à l’essentiel de cette préoccupation, sans compromettre la collecte légitime de renseignements étrangers concernant [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers] au Canada.

 

[77]           Il importe toutefois de souligner que, dans le paragraphe de son rapport précédant immédiatement celui sur lequel s’appuie le Service, le Comité sénatorial spécial affirme :

Selon le ministre, l’article 18 [la version antérieure de l’actuel paragraphe 16(1) de la Loi][4] vise à donner au nouveau Service les possibilités de recueillir, au Canada, des informations sur l’étranger. À l’heure actuelle, le gouvernement ne dispose pas de moyens suffisants à cet effet. L’article 18 règlerait ce problème en permettant au SCRS de prêter son assistance aux ministères appropriés. Contrairement à ce qui se passerait dans le cas du renseignement de sécurité, le Service ne pourrait enquêter à cette fin que sur les ressortissants étrangers et uniquement à la demande d’un ministre de la Couronne (au paragraphe 51, non souligné dans l’original).

 

[78]           […] Comme il ressort du paragraphe 51 du rapport, le Comité sénatorial spécial estimait de toute évidence que, bien que les demandes d’assistance puissent avoir pour objet la collecte de renseignements étrangers concernant [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers], « le Service ne pourrait enquêter (…) que sur les ressortissants étrangers » dans l’exercice des pouvoirs conférés par un mandat fondé sur l’article 16.

 

[79]           Il semble que le Comité sénatorial n’ait nullement envisagé la possibilité que [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes] puissent être « ciblés » par un mandat obtenu en vertu de l’actuel article 16 de la Loi.

 

[80]           Je rappelle que le Service soutient maintenant qu’aucun [citoyen canadien, résident permanent au Canada ou personne morale canadienne] ne serait « ciblé » par les mandats demandés dans la présente affaire, et que les mandats « ciblent » […].

 

[81]           De même, au paragraphe 18 des observations écrites du Service, il est question de […]

 

[82]           Le Service affirme maintenant que le terme « cibler » est un terme technique utilisé dans le monde du renseignement, et que le choix terminologique qu’il a fait dans ses observations écrites était « malencontreux ». Je ne crois pas qu’il s’agissait d’un choix malencontreux. Il me semble que le paragraphe 7 des observations écrites du Service décrit avec exactitude ce qui se produit quand [une personne physique ou morale] est nommée à la partie III d’un mandat.

 

[83]           Bien qu’une demande d’assistance puisse être faite à l’égard des moyens, des intentions ou des activités [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers], l’assistance obtenue vise ou prend pour cible […] au moyen de techniques d’enquête intrusives. Si […] sont [des citoyens canadiens, des résidents permanents au Canada ou des personnes morales canadiennes], c’est précisément [ce] que le paragraphe 16(2) cherche à interdire.

 

[84]           Le paragraphe 16(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité interdit clairement au Service de prêter assistance en réponse à une demande ministérielle, si cette demande vise [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne]. [Un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] est visé par les mandats demandés en l’espèce. Par conséquent, j’estime que je n’ai pas le pouvoir de décerner des mandats autorisant le Service à intercepter intentionnellement les communications [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne], y compris […], ou à utiliser d’autres techniques d’enquête intrusive à son endroit.

 

[85]           Mon interprétation du paragraphe 16(2) est confirmée par la version française de la disposition, qui prévoit que « [l]’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées aux sous‑alinéas (1)b)(i), (ii) ou (iii) » (les italiques sont de moi).

 

[86]           Les versions anglaise et française des lois ont également force de loi et aucune n’est préférable à l’autre : voir la Loi sur les langues officielles, 1985, c. 31 (4e suppl.), article 13, et Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, au paragraphe 125. Les deux versions faisant pareillement autorité, il convient de les examiner toutes les deux afin de dégager l’intention du législateur : voir Nouveau‑Brunswick c. Estabrooks Pontiac Buick Ltd., [1982] A.N.‑B. no 397, le juge La Forest.

 

[87]           Je conviens avec l’ami de la cour que l’emploi du verbe « viser » dans la version française du paragraphe 16(2) est instructif et qu’il corrobore l’idée que l’interception directe des communications [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne] est interdite par la Loi.

 

[88]           Selon le Harrap’s New Standard French and English Dictionary, « viser » signifie [traduction] « en vue de », « relativement à », « faire allusion à » ou « touché par ». Ce mot englobe également les notions de « regarder attentivement », « s’appliquer à » et « diriger attentivement son regard vers le but, la cible à atteindre » : Le Petit Robert – Nouvelle Édition du Petit Robert de Paul Robert.

 

[89]           À mon avis, les activités envisagées dans les […] mandats à l’égard d’[un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] sont des enquêtes concernant [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] qui correspondent à ces sens.

 

[90]           J’estime en outre qu’il y a lieu de rejeter l’interprétation du paragraphe 16(2) proposée par le Service, car elle aurait pour effet de le vider de son sens véritable en ce qui concerne la protection offerte [aux citoyens canadiens, aux résidents permanents au Canada ou aux personnes morales canadiennes].

 

[91]           Je rappelle que le SCRS fait valoir que le paragraphe 16(2) de la Loi lui interdit uniquement de prêter, en matière de renseignements étrangers, une assistance visant [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne], mais qu’il ne lui interdit pas de nommer [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] dans un mandat au titre de […] dont les communications sont à intercepter si la demande d’assistance vise [une personne, une personne morale ou un État étranger, ou un groupe d’États étrangers] conformément au paragraphe 16(1) de la Loi. 

 

[92]           Cependant, le paragraphe 16(1) limite déjà la capacité du Service à prêter son assistance aux ministres à la collecte de renseignements étrangers. La collecte d’informations ou de renseignements peut porter sur les moyens, les intentions ou les activités [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers], tant que […] n’est pas un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne. Ainsi, toute l’assistance prêtée aux ministres en application du paragraphe 16(1) « vise », par définition, des personnes, des personnes morales ou des États étrangers.

 

[93]           Le paragraphe 16(2) contient une autre interdiction de prêter assistance. En effet, « [l]’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas … [un citoyen canadien, un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou une personne morale constituée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale] ». Si l’interprétation du paragraphe 16(2) proposée par le Service était retenue, cette disposition serait alors superflue, puisque l’assistance fournie en application du paragraphe 16(1) « viserait » toujours exclusivement des personnes, des personnes morales ou des États étrangers.

 

[94]           Autrement dit, le paragraphe 16(2) n’aurait jamais la moindre application pratique. […] nommé dans les mandats au titre de […] dont les communications sont à intercepter ne pourrait jamais être la personne ou l’entité visée par la demande d’assistance, en raison de la restriction prévue au paragraphe 16(1). Cette interprétation doit manifestement être rejetée.

 

[95]           Lorsqu’il s’agit d’interpréter des dispositions législatives, chaque mot est présumé [traduction] « jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » : voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, (5e éd.), à la page 210. De plus, [traduction] « [l]orsque le législateur insère une expression dans une loi, il faut présumer qu’il dit quelque chose qui n’avait pas encore été dit juste avant » et que ces mots [traduction] « ajoutent quelque chose qui n’existerait pas s’ils n’y étaient pas » : Hill v. William Hill (Park Lane) Ltd. [1949] A.C. 530 (H.L.), à la page 546, cité dans Sullivan, précité.

 

[96]           Ma conclusion selon laquelle le paragraphe 16(2) a pour objet d’empêcher qu’[un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] soit nommé au titre de […] dont les communications sont à intercepter en vertu de mandats obtenus conformément à l’article 16 de la Loi sur le SCRS est en outre étayée par l’historique législatif du projet de loi C‑9.

 

[97]           Comme je l’ai déjà mentionné, en raison des préoccupations sérieuses soulevées à l’égard du projet de loi C‑157, celui‑ci est mort au Feuilleton. En 1984, le projet de loi C‑9 a été déposé; il incorporait presque toutes les modifications qui avaient été recommandées dans le rapport du Comité sénatorial spécial. On y recommandait entre autres d’ajouter l’interdiction contenue dans l’actuel paragraphe 16(2).

 

[98]           Dans son « livre noir », le ministre explique les raisons pour lesquelles le paragraphe 16(2) a été ajouté au projet de loi C‑9; il écrit que la disposition antérieure à l’article 16(1) [traduction] « était considérée par plusieurs critiques comme ayant un “objectif caché” qui permettrait au Service de dépasser largement les limites du renseignement de sécurité. On considérait qu’il autorisait une collecte quasi illimitée et qu’il permettait au Service de faire indirectement ce qu’il ne pouvait faire directement … » Le ministre poursuit en précisant que les ajouts à la loi visaient [traduction] « à mieux refléter l’interdiction de cibler des Canadiens ».

 

[99]           Il est également question de l’effet de cette modification dans les Procès‑verbaux du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques de la Chambre des communes. Les des audiences du Comité ont donné lieu à un débat sur l’application de l’article 16 aux entreprises, et la question suivante a été posée au ministre de la Justice :

Nous avons déjà discuté de l’article et j’ai parlé, à ce moment‑là, des entreprises canadiennes, car vous cherchez à exclure les citoyens canadiens, les résidents permanents et les sociétés commerciales constituées au Canada. J’ai signalé que des étrangers peuvent venir au Canada et constituer une société, à condition de respecter les exigences en ce qui concerne le nombre de directeurs canadiens, etc. J’ai vu une échappatoire. Je voudrais savoir si vous en convenez ou non.

 

[100]       Le Solliciteur général du Canada de l’époque, l’honorable Robert Kaplan, a répondu comme suit :

Quand (sic) à votre première question, vous vous demandez si des étrangers peuvent exempter une société en en faisant une personne morale canadienne. Je reconnais avec vous que c’est possible, mais nous voulions nous assurer que les sociétés canadiennes étaient protégées, qu’elles avaient un peu de latitude, et si nous avions les autorisations nécessaires pour faire enquête sur un étranger, nous nous adresserions aux gens qui dans la société peuvent faire l’objet d’enquête en vertu de cette disposition. (Non souligné dans l’original.)

 

[101]       Il est donc évident que, pour le ministre Kaplan, il serait possible de contourner l’interdiction de cibler des entreprises canadiennes prévue à l’article 16 de la Loi en interceptant les communications des administrateurs, dirigeants et employés de l’entreprise, pourvu, cependant, que ces personnes puissent faire l’objet d’enquête en vertu de l’article 16. Cet énoncé signifie implicitement que certaines personnes pourraient ne pas faire l’objet d’enquête en vertu de l’article 16. Qui sont ces personnes? Le paragraphe 16(2) nous indique que ce sont les citoyens canadiens, les résidents permanents au Canada et les personnes morales canadiennes.

 

[102]       Autrement dit, le Solliciteur général de l’époque estimait que la cour pouvait autoriser, en vertu de l’article 16 de la Loi, l’interception des communications des représentants d’une société canadienne, pourvu que ces personnes soient des étrangers et non des Canadiens.

 

[103]       Dans l’exemple dont parlait le ministre, il était question d’obtenir de l’information concernant une entité canadienne (laquelle ne pouvait pas elle‑même faire l’objet d’un mandat décerné en vertu de l’article 16) par l’interception des communications de ses employés. Selon le ministre, cette façon de faire serait acceptable dans la mesure où l’employé n’est pas un Canadien.

 

[104]       […]

 

[105]       […]

 

Conclusion

 

[106]       Comme je l’ai expliqué dans l’analyse qui précède, j’ai conclu que, interprété correctement, le paragraphe 16(2) interdit l’interception des communications [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne], y compris […], sauf dans la mesure où ces communications pourraient être interceptées accidentellement dans l’exercice des pouvoirs conférés par mandat à l’égard des communications [d’une personne, d’une personne morale ou d’un État étranger, ou d’un groupe d’États étrangers]. En conséquence, j’ai rejeté la demande du Service visant la délivrance de […] mandats dans la mesure où elle concerne [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne].

 

[107]       Je tiens à remercier les deux avocats de leurs observations courtoises et utiles, qui ont été réunies de façon très compétente malgré d’importantes contraintes de temps.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    […]

 

INTITULÉ :                                                  AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par […] visant la délivrance de mandats en application des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, c. C‑23

 

                                                                        ET AFFAIRE INTÉRESSANT […]

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LA JUGE MACTAVISH

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles Murray

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Colin Baxter

 

AMI DE LA COUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cavanagh Williams Conway Baxter LLP

Ottawa (Ontario)

 

À TITRE D’AMI DE LA COUR

 

 



[1]               Les mots et points de suspension entre crochets ont été insérés par la Cour; ils représentent soit des parties expurgées des motifs de l’ordonnance et ordonnance très secrets, soit un résumé de parties expurgées des motifs de l’ordonnance et ordonnance très secrets ou des mots substitués à ceux des motifs de l’ordonnance et ordonnance très secrets dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada. La longueur des parties entre crochets ne correspond pas à la longueur réelle des parties expurgées des motifs de l’ordonnance et ordonnance très secrets.

[2]               Le texte entre crochets figure dans la version non expurgée de la décision.

[3]               Le texte entre crochets figure dans la version non expurgée de la décision.

[4]               Le texte entre crochets figure dans la version non expurgée de la décision.

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