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Date : 20121204

Dossier : IMM-2409-12

Référence : 2012 CF 1417

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

JESUS RODRIGUEZ HERNANDEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Peut-on parler de « passage de clandestins » quand l’opération ne vise pas l’obtention d’un avantage financier ou matériel, mais qu’elle est plutôt motivée par des considérations humanitaires? Il s’agit de la question dont la Cour est saisie.

 

[2]               Le demandeur soutient que la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SI] a commis une erreur dans son interprétation de l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en faisant abstraction de la condition voulant que le passeur exécute ses activités afin d’en tirer, « directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel » [l’élément de profit], aux termes du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [le Protocole].

 

[3]               La Cour a récemment examiné cette question précise dans B010 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 569, [B010] et B072 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 899 [B072]. Dans ces décisions, la Cour a jugé raisonnable la conclusion de la SI selon laquelle l’interprétation de l’expression « passage de clandestins » devait concorder avec l’interprétation de l’expression « organisation d’entrée illégale au Canada », infraction visée au paragraphe 117(1) de la Loi qui ne requiert pas l’élément de profit[1].

 

[4]               Le demandeur soutient que ces deux décisions antérieures ne doivent pas être suivies parce qu’elles ne tiennent pas compte de l’arrêt De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436 [De Guzman], en ce qui concerne l’application de l’alinéa 3(3)f) de la Loi et l’intégration des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme au droit de l’immigration du Canada. Le demandeur ajoute que l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi faite par la SI doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte, et non celle de la décision raisonnable comme la Cour l’a conclu dans ces décisions, et que la bonne interprétation de l’expression « passage de clandestins » figurant au paragraphe 37(1)b) comprend l’élément de profit.

 

Contexte

[5]               Le demandeur est citoyen de Cuba. Il affirme avoir été persécuté et emprisonné pour avoir parlé contre le gouvernement et s’être joint à d’autres opposants. En 2001, il s’est envolé vers la Floride, où l’asile lui a été accordé. En Floride, il a continué à s’opposer publiquement au gouvernement de Cuba.

 

[6]               En novembre 2003, le demandeur et deux autres personnes ont quitté la Floride à bord d’une petite embarcation pour aller chercher des membres de leur famille à Cuba et les amener aux États-Unis. Ils n’étaient pas motivés par le profit – il s’agissait, semble‑t‑il, d’une mission humanitaire. Ces trois personnes et 48 membres de leur famille élargie ont été interceptés et détenus par la garde côtière américaine lors du voyage de retour aux États‑Unis. Le demandeur a été inculpé de deux chefs de passage de clandestins aux termes du titre 1324(a)(2)(A) du United States Code, qui définit l’infraction comme suit :

[traduction] (2) Quiconque sachant qu’un étranger n’a pas reçu d’autorisation officielle préalable pour venir, entrer ou résider aux États-Unis, ou décidant d’en faire fi, fait entrer ou tente de faire entrer cet étranger aux États‑Unis, de quelque façon que ce soit et peu importe les mesures officielles qui pourraient ensuite être prises à l’égard dudit étranger, sera, pour chaque étranger à l’égard de qui il y a violation du présent paragraphe —

 

(A) visé par une sanction pécuniaire conformément au titre 18 ou condamné à une peine d’emprisonnement d’au plus un an, ou les deux;

 

ou

 

(B) dans le cas –

 

(i) d’une infraction commise quand l’auteur de l’infraction sait, ou quand il y a des raisons de croire qu’il sait, que l’étranger amené illégalement aux États-Unis commettra, contre une loi des États‑Unis ou de tout État, une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement de plus d’un an,

 

(ii) d’une infraction commise en vue d’en tirer un avantage commercial ou un gain financier personnel,

 

(iii) d’une infraction par laquelle l’étranger, à son arrivée, n’est pas immédiatement amené et présenté à un agent d’immigration compétent à un point d’entrée désigné,

 

visé par une sanction pécuniaire en vertu du titre 18 et condamné à une peine d’emprisonnement d’au plus dix ans, dans le cas d’une première ou d’une deuxième violation du sous‑alinéa (B)(iii), d’au moins trois ans et d’au plus dix ans, dans le cas d’une première ou d’une deuxième violation du sous‑alinéa B)(i) ou (B)(ii), d’au moins cinq ans et d’au plus quinze ans, dans le cas de toute autre violation.

 

[7]               Le demandeur a plaidé coupable et a été condamné à une peine d’emprisonnement de douze mois et un jour. Il a donc perdu son statut de réfugié aux États‑Unis et devait être expulsé à Cuba. Plutôt que de retourner à Cuba, où il aurait été menacé de persécution, il est venu au Canada et a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Sa demande d’asile a été suspendue le temps qu’une décision sur son admissibilité au Canada soit rendue.

 

[8]               Dans un rapport daté du 19 janvier 2010 rédigé aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, un agent d’immigration a exprimé l’opinion que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)b) de la Loi, parce qu’il avait été « déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ». L’agent a estimé que le passage de clandestins, l’infraction dont le demandeur avait été reconnu coupable, équivalait à l’organisation d’entrée illégale au Canada, l’infraction visée au paragraphe 117(1) de la Loi, lequel est ainsi rédigé :

117(1) Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada.

117(1) No person shall knowingly organize, induce, aid or abet the coming into Canada of one or more persons who are not in possession of a visa, passport or other document required by this Act.

 

 

 

 

Les parties ne contestent pas que l’élément de profit n’est pas nécessairement présent dans l’infraction d’organisation d’entrée illégale au Canada, et la question de savoir si le passage de clandestins et l’organisation d’entrée illégale au Canada prévue au paragraphe 117(1) de la Loi sont deux infractions équivalentes ne se pose pas en l’espèce.

 

[9]               Dans un rapport daté du 31 mars 2011 rédigé également aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, un agent d’immigration a exprimé l’opinion que le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée en application de l’alinéa 37(1)b) de la Loi parce qu’il s’était livré à des activités de passage de clandestins, étant donné les gestes admis qui avaient mené à sa déclaration de culpabilité pour passage de clandestins aux États‑Unis.

 

[10]           Selon l’alinéa 37(1)b) de la Loi, l’étranger qui s’est livré au passage de clandestins est interdit de territoire pour criminalité organisée, à moins qu’il ne convainque le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. La disposition pertinente est ainsi libellée :

(1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

[...]

 

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’application du paragraphe (1) :

a) les faits visés n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national; [...]

37(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or money laundering.

 

 

(2) The following provisions govern subsection (1) :

 

 

(a) subsection (1) does not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest; …

 

 

 

[11]           La SI a fait une enquête. Sa décision du 27 janvier 2012 contenait deux conclusions. Premièrement, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’infraction dont le demandeur avait été reconnu coupable aux États-Unis (passage de clandestins) aurait constitué une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans au Canada, à savoir l’infraction d’organisation d’entrée illégale au Canada visée au paragraphe 117(1) de la Loi. Par conséquent, le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la Loi. En l’espèce, le demandeur ne conteste pas cette conclusion. Deuxièmement, bien que les activités de passage de clandestins du demandeur ne comportaient pas l’élément de profit, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée parce qu’il s’était livré, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités de passage de clandestins, aux termes de l’alinéa 37(1)b) de la Loi.

 

[12]           En raison de ces conclusions, une mesure d’expulsion a été prise contre M. Rodriguez Hernandez en vertu de l’alinéa 45d) de la Loi et de l’alinéa 229(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

Norme de contrôle

[13]           L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi faite par la SI est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme le soutient le défendeur, ou selon la norme de la décision correcte, comme le soutient le demandeur? La Cour a rendu très récemment deux décisions sur cette question, dont les conclusions sont différentes.

 

[14]           Dans B010, le juge Noël a statué, au paragraphe 33 de ses motifs, que l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi faite par la SI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

En ce qui concerne l’interprétation que la SI a faite de la LIPR, la Cour suprême a constamment rappelé qu’il était nécessaire de faire preuve de déférence lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 30, [2011] ACS 61 [Alberta Teachers]; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, aux paragraphes 37 à 39 [Alliance Pipeline], [2011] 1 RCS 160; Khosa, précité, au paragraphe 44; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Par conséquent, notre Cour appliquera la norme de contrôle de la décision raisonnable à l’interprétation que la SI a faite de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR en s’assurant que le processus décisionnel qui a été suivi était justifié, transparent et intelligible, et que l’interprétation retenue par la SI appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[15]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh Dhillon, 2012 CF 726 [Singh Dhillon], la juge Snider a statué, au paragraphe 20 de ses motifs, que l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi faite par la SI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Pour parvenir à cette conclusion, la juge Snider s’est fondée sur les directives données par la Cour suprême du Canada dans des arrêts comprenant ceux que le juge Noël avait mentionnés, mais a fait remarquer que lorsque le tribunal interprète simplement sa propre loi, la norme de contrôle qui s’applique n’est pas systématiquement celle de la décision raisonnable. Elle renvoie à Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 [Mowat], au paragraphe 24, où la Cour suprême unanime a statué comme suit :

En somme, lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale, la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement, et le Tribunal a droit à la déférence. [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Selon la juge Snider, bien que la disposition fasse partie de la loi constitutive du tribunal, l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte parce qu’une « question de droit générale » est soulevée.

 

[17]           Compte tenu de ces décisions contradictoires, la norme de contrôle applicable n’a pas été « établi[e] déjà de manière satisfaisante » par la jurisprudence. En l’espèce, il faut donc arrêter la norme de contrôle qui devrait s’appliquer à l’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi faite par la SI : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62 [Dunsmuir].

 

[18]           Dans Dunsmuir, la Cour suprême a statué que lorsqu’un tribunal interprète sa propre loi constitutive, la norme de contrôle qui s’applique est « habituellement » celle de la décision raisonnable. La Cour suprême a également statué, aux paragraphes 55 et 58 à 61 de l’arrêt Dunsmuir, que « la question de droit [...] qui revêt une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte », tout comme les questions constitutionnelles et les questions touchant « véritablement » à la compétence [non souligné dans l’original]. Ces exceptions à la présomption de déférence envers l’interprétation de la loi constitutive n’ont pas été qualifiées d’exhaustives. En effet, au paragraphe 55, la Cour suprême a précisé que, « [p]ar contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis [une clause privative et un régime administratif distinct et particulier] » [non souligné dans l’original]. Par conséquent, l’arrêt Dunsmuir laisse la porte ouverte à l’application de la norme de la décision correcte aux questions de droit qui sont circonscrites par la loi constitutive du décideur mais qui n’ont pas une « importance capitale » pour le système juridique ou qui ne touchent pas véritablement à la compétence. Toutefois, aucun critère permettant de discerner quand la présomption de déférence envers l’interprétation de la loi constitutive pourrait autrement être réfutée n’a été défini.

 

[19]           Dans Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12 [Khosa], la Cour suprême a d’abord envisagé d’appliquer les principes établis dans l’arrêt Dunsmuir à la Loi sur les Cours fédérales et a statué, au paragraphe 44, que les questions de droit sont généralement susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision correcte :

 

L’intervention judiciaire est autorisée [en vertu de l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales] si l’office fédéral

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

Les erreurs de droit sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte. Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 37, par exemple, la Cour a statué que les questions générales de droit international et de droit pénal soulevées dans cette affaire devaient être tranchées suivant la norme de la décision correcte. Selon l’arrêt Dunsmuir (au par. 54), un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable. L’alinéa c) prévoit donc un motif d’intervention, mais la common law empêchera les juges d’intervenir dans certains cas, lorsqu’un organisme administratif spécialisé interprète sa loi constitutive ou une loi intimement liée à celleci. Cette nuance n’apparaît pas à la simple lecture de l’al. c), mais c’est le principe de common law qui doit guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au par. 18.1(4). Encore une fois, le libellé général de la Loi sur les Cours fédérales est complété par la common law.

 

 

[20]           Dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 [Mugesera], cité par la Cour suprême dans Khosa, la question était celle de savoir si la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAI] avait conclu à bon droit que M. Mugesera était interdit de territoire en application des dispositions de la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, loi remplacée depuis lors. Selon ces dispositions, la SAI devait déterminer si M. Mugesera avait commis un acte ou une omission constituant une infraction dans le pays où il avait été commis et qui, s’il avait été commis au Canada, aurait constitué une infraction criminelle. Cet exercice passait nécessairement par l’interprétation – mais pas l’application directe – du droit pénal canadien et étranger. La norme de contrôle de la décision correcte a été appliquée.

 

[21]           L’affaire Khosa a été tranchée à la lumière de l’arrêt Dunsmuir et appuie la thèse voulant que les décisions rendues par la SI dans lesquelles le droit pénal ou le droit international doit être interprété, même s’il ne s’agit pas de l’appliquer, ne commandent pas la retenue de la cour de révision.

 

[22]           Deux ans après l’arrêt Khosa, dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [ATA], au paragraphe 30, le juge Justice Rothstein aurait, selon certains, renforcé la présomption de déférence envers l’interprétation de la loi constitutive :

Suivant la jurisprudence, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (Dunsmuir, par. 54; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 28, le juge Fish). Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, par. 58, 6061. [Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Le juge Cromwell, qui souscrivait par ailleurs à la conclusion, a exprimé, au paragraphe 99, sa dissidence à l’égard des motifs du juge Rothstein sur la question de la présomption de déférence envers l’interprétation de la loi constitutive :

Voici ce qui importe. L’idée que les dispositions d’une loi constitutive sont habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’écarte pas un examen approfondi de l’intention du législateur lorsqu’une partie avance la thèse plausible que le tribunal administratif doit interpréter correctement une disposition en particulier. Autrement dit, l’affirmation voulant qu’une telle disposition d’une loi constitutive soit « exceptionnelle » ne peut être opposée à la thèse plausible qu’une disposition donnée échappe à la « présomption » d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable et appartient à la catégorie des questions « exceptionnelles » qui commandent la décision correcte. Elle ne permet pas non plus de déterminer par quel moyen la « présomption » peut être réfutée.

 

[24]           Six mois plus tard, dans Rogers Communications Inc c Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada, 2012 CSC 35, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la majorité, a clarifié au paragraphe 16 la décision prise dans ATA :

Soit dit en tout respect, je ne souscris pas non plus à l’interprétation que fait la juge Abella de l’arrêt ATA au par. 62 de ses motifs. Selon elle, la Cour statue dans cet arrêt que les questions qui font « exception à la présomption de déférence que commande l’interprétation de la loi constitutive sont les questions constitutionnelles, ainsi que les questions de droit d’une importance capitale pour le système juridique et étrangères au domaine d’expertise du décideur ». Dans l’arrêt Dunsmuir, antérieur à ATA, notre Cour reconnaît que la question qui ressortit à la Constitution et celle qui touche au droit en général, qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur sont assujetties à la norme de la décision correcte (aux par. 58 et 60). Dans ATA, notre Cour confirme seulement ce qu’elle dit dans Dunsmuir : la question qui touche à l’interprétation de la loi constitutive ou d’une loi qui y est étroitement liée commande généralement l’application d’une norme de contrôle déférente (ATA, au par. 39; Dunsmuir, au par. 54). Suivant le point de vue de ma collègue, la norme de la raisonnabilité s’applique à toute interprétation de la loi constitutive. Pourtant, les arrêts ATA et Dunsmuir admettent qu’une situation exceptionnelle nouvelle pourrait écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la raisonnabilité de la décision qui résulte d’une interprétation de la loi constitutive. [Non souligné dans l’original.]

 

[25]           Voici donc l’état actuel du droit : la présomption de déférence envers l’interprétation de la loi constitutive s’applique, sauf s’il s’agit 1) d’une question constitutionnelle, 2) d’une question de droit général d’une importance capitale pour le système juridique et étrangère au domaine d’expertise du décideur, 3) d’une véritable question de compétence ou de délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, ou 4) d’une « situation exceptionnelle nouvelle ».

 

[26]           Pour savoir ce qui peut constituer une « situation exceptionnelle nouvelle », il faut d’abord examiner les décisions antérieures qui ont établi « de manière satisfaisante » que la norme de la décision correcte s’appliquait : Dunsmuir, au paragraphe 62.

 

[27]           Comme nous l’avons vu ci‑dessus, la Cour suprême a statué, dans Khosa, que les décisions dans lesquelles la SI doit interpréter le droit pénal ou le droit international doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte. Ce principe a été maintenu même quand le décideur était tenu, par sa loi constitutive, d’interpréter (sans même appliquer) ce droit, comme c’était le cas dans Mugesera, et quand, comme en l’espèce, une telle interprétation était nécessaire pour établir l’interdiction de territoire pour criminalité d’un demandeur. La Cour d’appel fédérale a aussi statué récemment que, lorsque le droit international est concerné, l’application de la norme de contrôle de la décision correcte est favorisée : voir Idahosa c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, au paragraphe 17. Cette approche concorde avec celle que la Cour d’appel a adoptée dans De Guzman, où le droit international devait également être examiné.

 

[28]           En l’espèce, la question est celle de savoir si la SI a correctement interprété l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi en vue de déterminer si le demandeur était interdit de territoire pour « criminalité organisée ». Dans ses motifs, la SI a notamment fondé son interprétation de l’expression sur l’article 117 de la Loi, qui s’inscrit incontestablement dans le droit pénal, sur la décision rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans R c Alzehrani, [2008] OJ 4422, qui s’applique à cette infraction pénale, et sur les définitions contenues dans le Protocole et dans la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, RTNU vol. 2225, p. 209 [la Convention contre la criminalité organisée], c’est‑à‑dire le droit international. En fait, la SI a elle‑même estimé qu’elle interprétait en quelque sorte le droit pénal en concluant que le « passage de clandestins » pour l’application de l’alinéa 37(1)b) était équivalent à l’« organisation d’entrée illégale au Canada », infraction pénale visée à l’article 117 de la Loi.

 

[29]           Par conséquent, le présent cas est parfaitement décrit dans Khosa, au paragraphe 44, comme un exemple où la norme de la décision correcte s’applique.

 

[30]           De plus, bien que ce ne soit pas indispensable pour la conclusion à laquelle je suis parvenu, je suis également d’avis que la question de savoir qui est admissible ou interdit de territoire au Canada est une question d’une « importance capitale pour le système juridique ». Le non‑citoyen jugé admissible a le droit d’entrer et de rester au Canada, que ce soit comme immigrant ou comme personne protégée. Le droit d’un non‑citoyen de rester au Canada et la protection, le cas échéant, qu’il a le droit de recevoir avant d’être renvoyé sont au cœur même du système juridique canadien. Par conséquent, c’est une interprétation correcte des dispositions législatives applicables qui est requise, et non une simple interprétation raisonnable.

 

[31]           Je conclus par conséquent que la norme de contrôle de la décision correcte est celle qui s’applique à la question soulevée en l’espèce : l’interprétation de l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi.

 

Instruments internationaux portant sur les droits de l’homme et interprétation de la Loi

[32]           Il s’agit maintenant de déterminer si la SI a commis une erreur de droit en interprétant l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi comme si elle était synonyme de l’infraction « organisation d’entrée illégale au Canada » visée à l’article 117 de la Loi. Comme nous l’avons vu ci‑dessus, la question en litige est plus précisément celle de savoir si le « passage de clandestins » aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)b) requiert l’élément de profit.

 

[33]           Résumé succinctement, l’argument du demandeur est le suivant. Aux termes de l’alinéa 3(3)f) de la Loi, « l’interprétation et la mise en œuvre [des autres dispositions de la Loi] doivent avoir pour effet [...] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ». L’arrêt De Guzman fait autorité et indique, au paragraphe 83, que la Loi « doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière compatible avec les instruments visés à l’alinéa 3(3)f), à moins que ce ne soit impossible selon l’approche moderne de l’interprétation législative » [non souligné dans l’original].

 

[34]           Plus récemment, dans Németh c Canada (Ministre de la Justice), 2010 CSC 56, au paragraphe 34, la Cour suprême a statué que les « lois doivent, autant que possible, recevoir une interprétation compatible avec les obligations du Canada issues de traités internationaux et avec les principes du droit international ». Toutefois, la Cour suprême a ajouté, au paragraphe 35, que « [l]a présomption que la loi met en œuvre les obligations internationales du Canada est réfutable. Lorsque les dispositions législatives ne sont pas ambiguës, il faut leur donner effet. »

 

[35]           Point important, l’arrêt De Guzman nous enseigne qu’il faut examiner « la disposition attaquée dans le contexte de l’ensemble du régime législatif », et non de manière isolée. Par conséquent, nous ne pouvons pas simplement « adopter » la définition du Protocole sans examiner à la fois comment cette définition s’inscrit dans l’ensemble du régime législatif et comment le tout coexiste ensuite avec les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme pertinents.

 

[36]           Pour résumer, il ressort de cette jurisprudence que le régime législatif de la Loi dans son ensemble doit être interprété et mis en œuvre conformément aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme décrits à l’alinéa 3(3)f) de la Loi, à moins que ce ne soit impossible selon l’approche moderne de l’interprétation législative.

 

Le régime de la Loi dans son ensemble et le demandeur

[37]           Le demandeur a présenté une demande d’asile à un agent au Canada, ce qu’il avait le droit de faire étant donné qu’il n’était pas visé par une mesure de renvoi : paragraphe 99(3). L’agent était ensuite tenu de déterminer si la demande était recevable et pouvait être déférée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] : paragraphe 100(1). L’agent a estimé que le demandeur était interdit de territoire au Canada (d’abord pour grande criminalité, puis pour criminalité organisée) et a donc établi un rapport circonstancié, qu’il a transmis au ministre : paragraphe 44(1). Le ministre, convaincu que le rapport était « bien fondé », a déféré l’affaire à la SI pour enquête : paragraphe 44(2). Quand le rapport a été déféré à la SI pour décision, l’agent a sursis à l’étude de la recevabilité de la demande d’asile du demandeur : paragraphe 100(2).

 

[38]           À la suite de l’enquête, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada à la fois pour grande criminalité (alinéa 36(1)b)) et pour criminalité organisée (alinéa 37(1)b)) en conséquence des gestes qu’il avait posés et du fait qu’il avait été reconnu coupable de passage de clandestins aux États‑Unis. Une mesure d’expulsion a donc été prise contre M. Hernandez aux termes de l’alinéa 45d) de la Loi, pour chacun des deux motifs.

 

[39]           Conformément aux alinéas 37(2)a) et 4(2)d) de la Loi, le demandeur peut faire lever l’interdiction de territoire pour criminalité organisée s’il « convainc le ministre [de la Sécurité publique et de la Protection civile] que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». D’après le dossier, il semble que M. Hernandez n’ait pas encore tenté de convaincre de la sorte ce ministre.

 

[40]           Si le demandeur ne réussit pas à convaincre le ministre que sa présence ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national, ou s’il ne tente pas d’en convaincre le ministre, alors, conformément à l’alinéa 101(1)f) de la Loi, la conclusion de criminalité organisée l’empêchera de présenter une demande d’asile. Par ailleurs, la conclusion de grande criminalité, laquelle n’est pas contestée en l’espèce, empêchera le demandeur de présenter une demande d’asile seulement si le « ministre [de la Citoyenneté et de l’Immigration] estim[e] que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada » : alinéa 101(2)b). Rien ne montre que le ministre ait émis un tel avis de danger.

 

[41]           Ceux qui sont interdits de territoire pour grande criminalité (au sens de l’alinéa 112(3)b)) ou pour criminalité organisée et qui sont visés par une mesure d’expulsion, comme le demandeur, peuvent présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de la Loi, sous certaines réserves. Plus particulièrement, selon l’alinéa 113d), dans le cas de celui qui, comme le demandeur, est interdit de territoire pour criminalité organisée, les risques seront évalués « sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 », à savoir si le demandeur est exposé « au risque [...] d’être soumis à la torture » ou « à une menace à sa vie ou risque de traitements ou peines cruels et inusités ». Dans de tels cas, les risques ne pourront être évalués sur la base des éléments mentionnés à l’article 96, à savoir le fait de « crai[ndre] avec raison d’être persécuté [...] du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ».

 

[42]           En résumé, si la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée est maintenue, le demandeur peut contester son renvoi à Cuba de l’une ou l’autre des façons suivantes :

a.       Il peut tenter de convaincre le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national; s’il y parvient, l’interdiction de territoire est levée et il peut présenter une demande d’asile.

 

b.      S’il ne parvient pas à faire lever l’interdiction de territoire, il peut alors demander une ERAR seulement si, par son renvoi du Canada, il serait exposé soit au risque d’être soumis à la torture, soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, et non au risque d’être persécuté.

 

Instruments internationaux portant sur les droits de l’homme pertinents

[43]           J’examinerai maintenant les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et qui sont pertinents en l’espèce.

 

[44]           Comme nous l’avons vu ci‑dessus, le demandeur soutient que dissocier le « passage de clandestins » de l’élément de profit n’est pas conforme au Protocole. Plus particulièrement, il affirme que le Protocole, en incluant l’élément de profit dans la définition de l’expression « trafic illicite de migrants », met l’accent sur les criminels qui, à des fins lucratives, s’attaquent aux pauvres et aux désavantagés, et indique clairement que l’intention n’est pas de viser les membres de la famille, les amis et les organisations non gouvernementales qui aident des personnes à entrer illégalement dans un pays. Cette dernière affirmation est appuyée par le passage suivant du document UNHCR Summary Position on the Protocol against the Smuggling of Migrants by Land, Sea and Air and the Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons, Especially Women and Children, Supplementing the UN Convention against Transnational Organized Crime (Résumé de la position du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur le Protocole) :

[traduction] Il est également clair que le Protocole contre le trafic illicite ne vise pas à punir ceux qui sont simplement entrés clandestinement dans un pays ni à pénaliser les organisations qui aident de tels individus pour des motifs purement humanitaires.

 

[45]           Je ne peux accepter l’observation du demandeur selon laquelle le fait de dissocier l’élément de profit de l’alinéa 37(1)b) de la Loi n’est pas conforme au Protocole pour les motifs suivants.

 

[46]           La Convention contre la criminalité organisée concerne la criminalisation de certaines conduites transnationales. Le paragraphe 1 de l’article 3 est ainsi libellé :

La présente Convention s’applique, sauf disposition contraire, à la prévention, aux enquêtes et aux poursuites concernant :

 

a) Les infractions établies conformément aux articles 5, 6, 8 et 23 de la présente Convention; et

 

b) Les infractions graves telles que définies à l’article 2 de la présente Convention;

 

lorsque ces infractions sont de nature transnationale et qu’un groupe criminel organisé y est impliqué. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[47]           De plus, l’alinéa 1a) de l’article 6 du Protocole, annexé à la Convention contre la criminalité organisée, vise clairement à criminaliser l’infraction transnationale particulière de « trafic illicite de migrants » :

1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel :

 

a) Au trafic illicite de migrants; [...] [Non souligné dans l’original.]

 

[48]           Contrairement au Protocole, qui confère le caractère d’infraction pénale, l’alinéa 37(1)b) de la Loi est une disposition sur l’interdiction de territoire qui se répercute sur la possibilité d’un étranger de demander l’asile et sur la possibilité d’un résident permanent ou d’un étranger de rester au Canada.

 

[49]           L’engagement international qu’a pris le Canada de criminaliser le trafic illicite de migrants à l’échelle transnationale n’a aucune incidence sur la question de savoir quand le Canada doit permettre à des personnes de demander le statut de réfugié au sens de la Convention ou quand les exceptions au principe de non-refoulement sont satisfaites. Le Canada est signataire d’un autre instrument international portant sur les droits de l’homme qui concerne plus directement ces questions : la Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés [collectivement la Convention sur les réfugiés].

 

[50]           L’article 33 de la Convention sur les réfugiés « donne corps, en droit des réfugiés, au principe du nonrefoulement, considéré comme la pierre angulaire du régime international de protection des réfugiés » : Németh, au paragraphe 18. L’article est ainsi libellé :

Article 33. – Défense d’expulsion et de refoulement

 

1.  Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

 

2.  Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. [Non souligné dans l’original.]

 

[51]           Pris isolément, le paragraphe 1 de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés empêcherait le Canada de renvoyer le demandeur à Cuba sans avoir d’abord évalué le bien‑fondé de sa crainte de persécution ou de torture aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. Toutefois, le paragraphe 2 précise que le principe du non‑refoulement ne peut être invoqué par celui qui, « ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

 

[52]           L’alinéa 3(3)f) de la Loi exige que ces dispositions de la Loi, qui concernent des personnes comme le demandeur, soient examinées de manière à assurer la conformité avec cet instrument international portant sur les droits de l’homme.

 

[53]           Quelles sont les conséquences d’un prononcé d’interdiction de territoire pour criminalité organisée pour le demandeur? Si le demandeur est interdit de territoire pour criminalité organisée aux termes de l’alinéa 37(1)b) de la Loi, il n’aura pas d’audience (alinéa 101(1)f) de la Loi) et sera renvoyé sans que ses allégations de persécution ne soient examinées, parce que l’ERAR ne tiendra pas compte des éléments de persécution mentionnés à l’article 96.

 

[54]           Cependant, cette situation n’est pas nécessairement incompatible avec la Convention sur les réfugiés en raison de la « soupape de sécurité » liée au danger que constitue l’alinéa 37(2)a) de la Loi. Ce mécanisme empêche les conséquences qui viennent tout juste d’être mentionnées de frapper les passeurs qui convainquent le ministre que leur présence au Canada n’est nullement préjudiciable à « l’intérêt national ». Dans l’arrêt Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 103, la Cour d’appel a statué que « le législateur a situé l’examen de l’intérêt national dans le contexte de la sécurité nationale et de la sécurité publique » et que, par conséquent, « les principaux, voire les seuls, facteurs dont on tient compte lors du traitement des demandes de dispense ministérielle [du point de vue de l’“intérêt national”] sont la sécurité nationale et la sécurité publique, sous réserve uniquement de l’obligation du ministre de se conformer à la loi et à la Constitution », aux paragraphes 39 et 50. Ceux qui peuvent porter préjudice à l’intérêt national du Canada sont ceux qui constituent « une menace pour la communauté dudit pays » au sens de la Convention sur les réfugiés et qui ne sont donc pas admissibles à la protection contre la persécution prévue par la Convention sur les réfugiés.

 

[55]           Dès lors, je suis convaincu que le régime de la Loi dans son ensemble, pertinent dans le cas du demandeur, n’est pas vraiment incompatible avec le Protocole ni avec la Convention sur les réfugiés.

 

[56]           Toutefois, si l’interprétation de la SI n’est pas vraiment incompatible avec le droit international, l’affaire n’est pas réglée pour autant. Il reste à établir l’interprétation juridique correcte de l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi.

 

Que signifie l’expression « passage de clandestins » figurant dans la Loi?

[57]           Dans B010, le juge Noël examine, comme il le dit au paragraphe 33, si « l’interprétation [de l’alinéa 37(1)b)] retenue par la SI appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47) ». Une interprétation raisonnable d’une disposition législative n’est pas nécessairement l’interprétation correcte. En fait, il semble y avoir en l’espèce deux interprétations raisonnables mais opposées de l’expression « passage de clandestins ». Le juge Noël n’était pas tenu, selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, de déterminer quelle était l’interprétation correcte. Il s’est exprimé ainsi, au paragraphe 36 : « [J]e tiens à souligner que, pour appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable, notre Cour n’est pas tenue d’apprécier la définition proposée par le demandeur, mais uniquement de déterminer si l’interprétation retenue par la SI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 47 et 54). » Par conséquent, et bien que je m’inspire du raisonnement du juge Noël, ni la déférence ni un quelconque précédent ne m’obligent à le suivre. Mon devoir, selon la norme de la décision correcte, consiste à déterminer l’interprétation correcte de l’alinéa 37(1)b) de la Loi.

 

[58]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’organisation d’entrée illégale au Canada, l’infraction visée au paragraphe 117(1), ne dicte pas le sens à donner au « passage de clandestins », l’activité visée à l’alinéa 37(1)b) de la Loi. Interprétée correctement, l’expression « passage de clandestins » comprend l’élément de profit.

 

[59]           Je conclus que l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) comprend l’élément de profit tout d’abord parce que le législateur a utilisé des termes différents à l’alinéa 37(1)b) et à l’article 117 – passage de clandestins et organisation d’entrée illégale au Canada. Je conviens avec le juge Noël que les différents termes, en eux‑mêmes, ne clarifient guère les choses, mais une règle d’interprétation législative veut encore que des mots différents apparaissant dans la même loi ont des sens différents : voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Toronto, LexisNexis Canada, 2008 [Construction de Sullivan], aux pages 216 à 218. Le juge Malone a exprimé ce principe dans l’arrêt Peach Hill Management Ltd c Canada, [2000] ACF no 894 (CA), au paragraphe 12, comme suit :

Lorsqu’une loi emploie des mots différents pour traiter du même sujet, ce choix du législateur doit être considéré comme délibéré et être tenu pour une indication de changement de sens ou de différence de sens.

 

[60]           À mon avis, cette observation de la Cour d’appel est d’autant plus applicable et déterminante dans les cas où, comme en l’espèce, les deux expressions ont été intégrées à la Loi en même temps, avec l’adoption du projet de loi C-11 en 2001, qui a mené à l’entrée en vigueur de la Loi. La possibilité d’une omission ou d’une erreur de rédaction est moins probable dans ces circonstances que lorsqu’une loi est modifiée à la pièce au fil du temps.

 

[61]           La Loi contient deux expressions différentes qui semblent porter sur le même objet : le fait de faire entrer illégalement des personnes dans un pays. Dans son ouvrage Statutory Interpretation, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2007, [Interpretation de Sullivan], à la page 185, Ruth Sullivan indique ce qu’il faut faire pour composer avec des termes différents portant sur le même objet dans une même loi :

[traduction] La prochaine étape de l’analyse consiste à déterminer s’il existe une raison plausible de faire la distinction entre les deux groupes, entre autres en notant comment les deux groupes sont traités différemment en vertu de la loi, puis en avançant des motifs historiques ou d’intérêt pour expliquer les différences de traitement.

 

[62]           Le juge Noël a examiné, au paragraphe 44 de ses motifs, comment les deux concepts distincts (passage de clandestins et organisation d’entrée illégale au Canada) seraient traités en vertu de la Loi, et a conclu qu’il était insensé qu’un individu reconnu coupable d’organisation d’entrée illégale au Canada ne soit pas interdit de territoire au Canada :

Ces réflexions nous amènent à aborder un deuxième aspect important. Si les dispositions de la LIPR doivent être interprétées de cette façon, comment alors peut‑on retenir une interprétation de la LIPR qui confère un sens différent aux deux dispositions en question de cette loi alors que ces mêmes dispositions emploient des mots qui offrent une ressemblance aussi frappante et semblent viser le même acte? On serait bien embarrassé d’expliquer pourquoi un individu reconnu coupable d’« organisation d’entrée illégale au Canada » au sens de l’article 117 pourrait malgré tout être admis au Canada en dépit de l’alinéa 37(1)b). D’ailleurs, lorsqu’on considère que l’infraction prévue à l’article 117 se trouve sous la rubrique « organisation d’entrée illégale au Canada » et que cette infraction rend son auteur passible d’une amende maximale d’un million de dollars et de l’emprisonnement à perpétuité (dans le cas où l’infraction vise un groupe de dix personnes et plus) ou de l’une de ces peines, comment l’individu reconnu coupable d’une telle infraction peut‑il ne pas être déclaré s’être livré au « passage de clandestins » au sens de l’alinéa 37(1)b)? Il me semble tout à fait improbable qu’une interprétation différente donnée aux expressions anglaises « people smuggling » et « human smuggling » puisse justifier une telle contradiction. Ainsi, par souci de cohérence et d’uniformité, à moins que le contraire ne ressorte à l’évidence du contexte, il s’agit là d’une autre indication qu’on doit interpréter l’alinéa 37(1)b) conformément à l’article 117 de manière à en dégager « un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (Trustco Canada, précité, au paragraphe 10). [Non souligné dans l’original.]

 

[63]           Dans le passage souligné, le juge demande pourquoi un individu reconnu coupable d’« organisation d’entrée illégale au Canada » au sens de l’article 117 pourrait malgré tout être admis au Canada. La réponse simple est la suivante : l’interdiction de territoire d’un tel individu ne dépend pas seulement de l’article 37 de la Loi. L’article 36 de la Loi porte également sur l’interdiction de territoire – l’interdiction de territoire pour « grande criminalité ».

 

[64]           Il est vrai que si le « passage de clandestins » requiert l’élément de profit, alors le passeur motivé par des considérations humanitaires reconnu coupable d’une infraction au sens de l’article 117 ne serait pas interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)b); toutefois, ce passeur serait néanmoins interdit de territoire pour « grande criminalité » par la simple application du paragraphe 36(1), et serait exposé aux conséquences qui résultent d’un tel prononcé. En d’autres mots, malgré l’alinéa 37(1)b), le passeur de clandestins motivé par des considérations humanitaires est déjà interdit de territoire de la même façon que ceux qui sont reconnus coupables de crimes graves.

 

[65]           Je ne vois donc aucune « contradiction » de la nature de celle qui est décrite dans B010 si l’élément de profit est une condition dans le « passage de clandestins » bien qu’elle n’en soit pas une dans l’organisation d’entrée illégale au Canada. Le passeur motivé par des considérations humanitaires demeure interdit de territoire et est regroupé, aux fins de la Loi, avec les meurtriers, les violeurs et les autres grands criminels, de sorte que si le ministre croit que le passeur constitue un danger pour le public au Canada, la demande d’asile de celui‑ci ne sera pas recevable (alinéa 101(1)f)), et le passeur pourra être refoulé dans le pays de persécution (sous‑alinéa 113d)(i)). Tout simplement, certains désavantages additionnels et exceptionnels attribuables à un prononcé de « criminalité organisée » ne s’appliqueront pas au passeur motivé par des considérations humanitaires. Mais, comme je l’ai dit, même selon l’interprétation étroite de l’expression « passage de clandestins », les passeurs motivés par des considérations humanitaires reçoivent le même prononcé d’interdiction de territoire que les meurtriers, les violeurs et les autres personnes reconnues coupables de graves infractions. Ainsi, le régime de la Loi n’est pas perturbé du seul fait de cette interprétation.

 

[66]           De surcroît, dans les mots de Sullivan, j’estime qu’il existe une raison plausible de faire la distinction entre les deux groupes. Les passeurs motivés par le profit, pourrait-on soutenir, devraient bénéficier de moins de protection que les autres. En effet, le législateur a indiqué le profit parmi les facteurs aggravants à prendre en considération au moment de l’infliction de la peine pour l’infraction d’organisation d’entrée illégale au Canada visée à l’article 117 : voir l’alinéa 121(1)c). Le législateur voulait donc manifestement que le passage de clandestins motivé par le profit soit plus durement traité que le passage de clandestins motivé par des considérations humanitaires. Exiger que l’élément de profit soit présent dans l’infraction de passage de clandestins visée à l’alinéa 37(1)b) concorde avec cette intention.

 

[67]           Ensuite, je conclus que l’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) comprend l’élément de profit parce que le législateur a intégré cette expression à l’alinéa 37(1)b) dans une phrase plus longue, et que l’expression et la phrase doivent être interprétées en contexte, [traduction] « ce qui comprend le contexte immédiat, la Loi dans son ensemble et le recueil de lois dans son ensemble » : Construction de Sullivan, à la page 354.

 

[68]           À mon avis, le contexte immédiat de l’expression « passage de clandestins » est très pertinent lorsqu’il s’agit d’interpréter correctement l’expression. L’expression est intégrée à cette phrase  : « Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants : [...] se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité » [non souligné dans l’original].

 

[69]           Tout d’abord, ce ne sont pas les infractions de passage de clandestins, de trafic de personnes ou de recyclage des produits de la criminalité qui emportent interdiction de territoire aux termes du paragraphe, mais le fait de se livrer à ces activités ou à des activités semblables « dans le cadre de la criminalité transnationale ». Si le « passage de clandestins » et l’« organisation d’entrée illégale au Canada » renvoyaient tous deux à des infractions ou tous deux à des activités, il serait alors plus naturel de dire qu’ils renvoient tous deux à la même chose. Cependant, comme leurs référents sont différents – dans un cas il s’agit d’une infraction, dans l’autre, d’une activité –, il n’est pas évident de savoir si le sens de l’un devrait être importé dans l’autre, en l’absence d’intention clairement déclarée de leur faire partager un sens commun.

 

[70]           Ensuite, il faudrait appliquer la règle du mot connu par ceux auxquels il est associé (noscitur a sociis) pour interpréter la phrase clé, à savoir « des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité. » Selon cette règle, [traduction] « l’interprète cherche une constante ou un thème commun dans les mots ou les phrases sur lequel il peut se fonder pour résoudre l’ambiguïté ou établir la portée de la disposition » : Interpretation de Sullivan, à la page 175. Comme le juge Martin l’a dit dans R c Goulis (1981), 33 OR (2d) 55, au paragraphe 61 (CA), les mots prennent leur couleur les uns des autres.

 

[71]           Le trafic de personnes et le recyclage des produits de la criminalité sont exécutés à des fins lucratives. Nul n’exerce ces activités sans s’attendre à réaliser un profit ou pour des considérations humanitaires, ce qui donne à penser que le passage de clandestins, mentionné dans la même phrase, a une couleur ou un sens semblable. Prise isolément, la phrase est ambiguë car elle peut renvoyer soit à une activité de passage de clandestins motivée par le profit (comme dans le Protocole) ou à l’activité comme telle, peu importe le gain qu’entend réaliser le passeur. Toutefois, si la phrase est examinée dans le contexte des autres phrases et qu’elle prend leur couleur, la caractéristique commune est que ce sont des activités à but lucratif. En fait, je pourrais difficilement trouver une autre caractéristique vraiment commune à ces activités, si ce n’est qu’elles sont exécutées dans le cadre de la criminalité transnationale. Au contraire, dans la décision Singh Dhillon, il tombait sous le sens d’affirmer que le trafic de drogues était visé par l’alinéa 37(1)b), parce que « le recyclage des produits de la criminalité et le trafic de drogues se chevauchent largement » : voir le paragraphe 64. Le passage de clandestins motivé par des considérations humanitaires ne présente pas un tel chevauchement avec le trafic de personnes, le recyclage des produits de la criminalité ou le trafic de drogues.

 

[72]           Enfin, l’alinéa 37(1)b) mentionne l’activité de passage de clandestins « dans le cadre de la criminalité transnationale ». Tant en l’espèce que dans B010, la SI a tenu compte du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention pour interpréter le terme « transnationale ». Dans de telles circonstances, à moins que la législation nationale ne fournisse une définition de l’activité qui s’inscrive dans le cadre de la « criminalité transnationale », ce que la Loi ne fait pas, pourquoi ne pas consulter aussi la même Convention et ses protocoles pour obtenir des indications sur le sens à donner à ces activités? Certes, la Convention n’utilise pas l’expression « passage de clandestins », mais emploie plutôt « trafic illicite de migrants ». Néanmoins, la Convention utilise expressément les deux autres expressions qui sont aussi considérées comme des activités s’inscrivant dans le cadre de la criminalité transnationale, à savoir le « blanchiment d’argent » (articles 6 et 7 de la Convention) et le « trafic de personnes » (dans le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants). À mon avis, la nette coïncidence entre les trois activités énumérées à l’alinéa 37(1)b) et celles mentionnées dans la Convention et ses protocoles est une autre raison qui justifie pourquoi l’élément de profit doit être inclus dans la définition de « passage de clandestins ».

 

Conclusion

[73]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que le « passage de clandestins » visé à l’alinéa 37(1)b) comprend l’élément de profit et que la SI a commis une erreur dans sa décision, laquelle est annulée. Un tribunal différemment constitué de la SI devra rendre une nouvelle décision, conformément aux présents motifs, sur la question de savoir si le demandeur est interdit de territoire pour s’être livré, dans le cadre de la criminalité transnationale, au passage de clandestins.

 

[74]           Les deux parties ont demandé à la Cour de certifier une question semblable à celle qui a été certifiée dans B010 et B072. Il convient de le faire. À la lumière des présents motifs, la question telle qu’elle est formulée dans ces décisions est modifiée; toutefois, la question en litige demeure la même.

 

[75]           Le demandeur a également demandé à la Cour de certifier une question concernant la norme de contrôle appropriée. Une demande semblable avait été rejetée dans B010, le juge ayant déclaré se fonder « sur la jurisprudence constante de la Cour suprême du Canada pour conclure que cette question commande l’application de la norme de la décision raisonnable ». En l’espèce, en se fondant aussi sur la jurisprudence constante de la Cour suprême du Canada, la Cour parvient à une conclusion opposée. Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle est une question qu’il convient de certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision est annulée, et un tribunal différemment constitué de la SI devra rendre une nouvelle décision, conformément aux présents motifs, sur la question de savoir si le demandeur est interdit de territoire pour s’être livré, dans le cadre de la criminalité transnationale, au passage de clandestins. Les questions suivantes sont certifiées :

 

a.                   L’interprétation de l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et plus particulièrement de l’expression « passage de clandestins » figurant dans ledit alinéa, faite par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est‑elle susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou selon la norme de la décision raisonnable?

 

b.                  L’expression « passage de clandestins » figurant à l’alinéa 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, doit‑elle nécessairement être exécutée par le passeur en vue d’en tirer, «  directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel », aux termes du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée?

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

[1] Après l’instruction de la présente demande, une décision a été rendue dans B306 c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1282 [B306], qui concernait aussi un demandeur qui était à bord du MV Sun Sea et qui aurait été impliqué dans le passage de clandestins. Toutefois, cette affaire tournait autour de l’interprétation de l’expression « aider ou [...] encourager » figurant au paragraphe 117(1) de la Loi et n’était pas utile en l’espèce.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2409-12

 

INTITULÉ :                                      JESUS RODRIGUEZ HERNANDEZ c LE MINISTRE

                                                            DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 8 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE :                                              Le 4 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

                           POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RONALD POULTON

Avocat

Toronto (Ontario)

 

      POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

      POUR LE DÉFENDEUR

 

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