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Date : 20121129

Dossier : IMM-3296-12

Référence : 2012 CF 1385

Montréal (Québec), le 29 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

JUANA MARTINEZ CHAVEZ

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [tribunal] statuant qu’elle n’a pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi].

 

[2]               La question déterminante dans ce dossier est la crédibilité du récit de la demanderesse. En effet, la disponibilité d'une protection étatique ne se soulève que de manière subsidiaire. La norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. La Cour doit donc vérifier « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l'intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[3]               La demanderesse est une jeune femme de 34 ans ; elle est citoyenne du Mexique. Aux dires de la demanderesse, débute en 2007, une relation amoureuse avec un policier mexicain du nom de  Ricardo Soto [persécuteur]. Celui-ci insiste pour avoir des relations sexuelles, mais la demanderesse se refuse à lui à cause de ses principes moraux et de ses croyances religieuses. Comme la demanderesse résiste, le persécuteur l’agresse et la menace même de mort. D’ailleurs, le persécuteur aurait giflé la demanderesse à deux reprises, un ami du persécuteur aurait menacé la demanderesse avec une bouteille brisée, et ensemble, ils l’auraient braqué pendant qu’ils la poursuivaient en voiture. Par la suite, elle se réfugie chez une tante pendant neuf mois. Quelques mois plus tard, la demanderesse quitte le Mexique sans jamais faire de plainte écrite à la police.

 

[4]               Je commencerai par la question de la protection étatique puisque le tribunal a choisi d’en faire un motif alternatif de rejet de la demande d’asile. À ce chapitre, la demanderesse prétend avec force que le tribunal n’a pas véritablement tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse et des faits particuliers allégués. Par exemple, les documents cités au paragraphe 27 de la décision du tribunal traitent de la situation à Mexico DF, un endroit où la demanderesse n’a jamais vécu.  De plus, la conclusion du tribunal à l’effet que la demanderesse n’a pas fait assez d’efforts pour obtenir la protection de son pays, car elle n’a fait aucune plainte par écrit, s’explique par le fait que la demanderesse n’aurait pas confiance dans la police, étant donné que son persécuteur est un policier et que la police ne s’est pas présentée suite à son appel. Or, le tribunal omet de traiter des explications de la demanderesse.

 

[5]               Je suis d’accord avec la demanderesse que le tribunal doit examiner la situation personnelle de chaque revendicateur d'asile, une proposition avec laquelle le défendeur semble être d’accord. D’ailleurs, au paragraphe 27 des motifs de jugement dans Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 359, [2006] ACF no 439, je notais moi-même :

Pour déterminer si le revendicateur d'asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d'asile soutient qu'il "ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection" de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97 (1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l'État, mais également sa volonté d'agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l'État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l'État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l'existence d'une protection à moins qu'ils ne soient mis en œuvre dans la pratique : voir Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 CF 339 (C.F. 1re inst); Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 CF 771 (CF 1re inst).

 

[6]               Au risque de me répéter, le tribunal doit prendre en considération le contexte particulier dans lequel tout demandeur d’asile est persécuté, ce qui exclut bien entendu toute analyse « générique » de la disponibilité de la protection de l’État. En effet,il y a de nombreux facteurs à prendre en considération qui vont bien au-delà de la simple analyse de la preuve documentaire disponible (Torres c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 234 aux para 37-42, [2010] ACF no 264). Toutefois, je m’empresse de préciser qu’il était particulièrement important que le tribunal s’assure en premier lieu que la demanderesse était crédible. En effet, la question de savoir si le persécuteur de la demanderesse était ou non un membre de la police, pouvait affecter, en amont, l’évaluation de la protection étatique, ici le Mexique, voire la possibilité d’un refuge interne dans d’autres villes du Mexique.

 

[7]               En l’espèce, la demanderesse prétend que le raisonnement du tribunal au niveau de la crédibilité n’est pas assez articulé. De plus, les explications de la demanderesse ont été écartées arbitrairement, alors que le tribunal n’a pas suffisamment tenu compte du fait qu’elle était une victime de harcèlement sexuel. Le défendeur soutient au contraire que la décision du tribunal est raisonnable : les omissions en question sont importantes et touchent au cœur même de la crainte de persécution de la demanderesse, alors que la demanderesse a eu l’opportunité d’expliquer les omissions dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] et que le tribunal pouvait juger ses explications insatisfaisantes ou incomplètes.

 

[8]               La présente demande de contrôle judicaire doit échouer. Ici, le tribunal ne croit pas le récit de persécution de la demanderesse. Son raisonnement, même s’il n’est pas parfait, est bien articulé. Le tribunal reproche principalement à la demanderesse d’avoir omis de mentionner dans son FRP : (1) le fait que le persécuteur serait un policier municipal; (2) le fait qu’elle aurait vécu de la fin du mois de mars 2008 à décembre 2008 chez une tante à Leon où elle s’était cachée; et (3) le braquage du mois de février 2008, qui aurait conduit la demanderesse à se plaindre à la police par téléphone.

 

[9]               Comme il est mentionné dans l’affaire Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] ACF no 1867 (1re inst) [Basseghi] : « Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans le FRP. Le témoignage oral devrait être l’occasion d’expliquer les informations contenues dans le FRP ». Je suis donc d’accord avec le défendeur que l'omission de faits cruciaux dans un FRP peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Le fait que le persécuteur de la demanderesse puisse être une personne en autorité, apparemment un policier municipal, constitue un élément de fait extrêmement important. Il en est de même du comportement adopté par la demanderesse vis-à-vis de son persécuteur; de sorte que sa fuite chez sa tante, quelques semaines après le braquage de février 2008, était également un fait très important. Il était donc légitime de se demander pourquoi ces faits n’apparaissaient pas au FRP.

 

[10]           Je note que le tribunal a confronté la demanderesse avec les diverses omissions qui ont été relevées dans la décision et lui a donné l’occasion de s’expliquer. Ayant lu attentivement les transcriptions de l’audience, je ne crois pas que le refus du tribunal d’accepter les explications fournies par la demanderesse soit déraisonnable en l’espèce. L’audition a eu lieu le 30 janvier 2012, soit près de trois mois après que la demanderesse se soit trouvé un nouveau procureur, c’est-à-dire en novembre 2011. Or, c’est seulement au fil de son témoignage – presque à la fin dans certains cas – que la demanderesse ajoute nombre de faits nouveaux. La demanderesse dit qu’elle a laissé passer certains faits dans son FRP, tout simplement parce qu’elle était enceinte. Le tribunal pouvait trouver que ce n’était pas crédible. En effet, la demanderesse a donné naissance à son enfant le 11 février 2010 alors qu’elle a signé le FRP le 10 juin 2009, soit neuf mois avant la naissance de son enfant. Comme le mentionne le tribunal, elle aurait donc été au début de sa grossesse.

 

[11]           Vu que la conclusion générale de non-crédibilité n’est pas déraisonnable, il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce, et ce, même si l’analyse du tribunal au niveau de la protection de l’État puisse paraître quelque peu tronquée et déficiente.

 

[12]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question d’importance générale ne se soulève en l’espèce, de sorte qu’aucune question ne sera certifiée par la Cour.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3296-12

 

INTITULÉ :                                      JUANA MARTINEZ CHAVEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             le 27 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     le 29 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Vallières

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Vallières

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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