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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 

 

 


Date : 20121129

Dossier : IMM-2326-12

Référence : 2012 CF 1398

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

FENG LAN CAO

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 février 2012 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               La demanderesse, Mme Feng Lan Cao, est une citoyenne de la Chine qui est arrivée au Canada le 2 mars 2010. Elle a présenté le 10 mars 2010 une demande d’asile en alléguant sa crainte d’être persécutée parce qu’elle appartenait à une église chrétienne protestante clandestine, dans la province du Guangdong, en Chine.

 

[4]               La demanderesse s’est mise à assister régulièrement en novembre 2008 à des offices clandestins. Elle raconte que, le 13 décembre 2009, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) a fait une descente dans la maison où se réunissaient les fidèles de son église. Elle s’est échappée et est allée se cacher, mais deux membres de sa congrégation auraient été arrêtés, y compris l’ami qui l’avait présentée à l’église.

 

[5]               Après la rafle, des membres du BSP se seraient présentés chez la demanderesse et chez sa mère dix fois, dans l’espoir de la trouver. Il n’est pas établi que le BSP ait jamais laissé une assignation ou un mandat en vue de son arrestation.

 

[6]               Après s’être cachée chez des proches durant près de trois mois, la demanderesse est venue au Canada avec l’aide d’un passeur.

 

II.        La décision contestée

 

[7]               La Commission a estimé que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, et cela pour trois raisons : (i) la crédibilité générale de la demanderesse; (ii) l’authenticité de la foi chrétienne de la demanderesse; et (iii) l’absence de risque pour les chrétiens dans la province du Guangdong, d’après la preuve documentaire.

 

(i)         La crédibilité

 

[8]               La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse, compte tenu de son témoignage et des autres éléments de preuve produite. D’abord, elle a noté qu’aucune des preuves documentaires ne mentionnait que deux membres d’une maison église dans la province du Guangdong avaient été arrêtés. L’absence d’une telle preuve corroborante du témoignage de la demanderesse a conduit la Commission à tirer une conclusion défavorable.

 

[9]               Deuxièmement, la Commission a tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse du fait que cette dernière n’avait pas précisé dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que le BSP s’était présenté chez sa mère pour voir si elle s’y trouvait. Cette visite du BSP n’a été mentionnée que durant l’audience de la Commission et, priée de dire pourquoi son FRP ne faisait pas état de cet incident qui n’était pas anodin, la demanderesse a expliqué qu’elle ne voulait pas causer d’ennuis à sa mère en le révélant. La Commission a noté que la demanderesse était représentée par un avocat au moment de remplir son FRP et qu’elle n’avait pas expliqué pourquoi elle était prête à révéler l’incident en question durant l’audience.

 

[10]           Troisièmement, la Commission a tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse à cause de l’absence d’une assignation délivrée par le BSP, ce qui fragilisait le récit de la demanderesse. La Commission, se fondant sur la preuve documentaire, a présumé que, vu la gravité des allégations et la « recherche incessante du BSP », une assignation aurait dû normalement être délivrée pour l’arrestation de la demanderesse.

 

[11]           Finalement, la Commission a jugé invraisemblables et non crédibles les détails donnés au sujet voyage de la demanderesse vers le Canada. La demanderesse ne savait pas si c’était son propre nom qui figurait sur le passeport qu’elle avait utilisé pour voyager, et elle ne connaissait pas non plus le nom de son passeur. La demanderesse et le passeur ne prétendaient pas être des amis, alors même qu’il avait eu en sa possession le passeport de la demanderesse durant tout le trajet. Selon la Commission, l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait simplement suivi les instructions du passeur ne suffisait pas à rendre vraisemblable le fait qu’elle ne connaisse pas, s’agissant de son identité et des dispositions de voyage, les détails essentiels sur lesquels elle risquait d’être interrogée.

 

[12]           Vu ces conclusions défavorables, la Commission a estimé « que l’allégation de la demandeure d’asile selon laquelle la maison église qu’elle fréquentait [avait] fait l’objet d’une descente, à la suite de quoi des membres de cette église [avaient] été arrêtés et incarcérés, n’est ni vraisemblable ni crédible ».

 

(ii)        L’authenticité de la foi chrétienne de la demanderesse

 

[13]           Se fondant sur la preuve produite, y compris sur les réponses données par la demanderesse quand elle fut interrogée sur sa foi, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas chrétienne en Chine, contrairement à ce qu’elle affirmait. La Commission a accordé peu de poids aux lettres produites par les pasteurs des deux églises que la demanderesse avait fréquentées après son arrivée au Canada, ainsi qu’à sa capacité de répondre à des questions sur le christianisme.

 

[14]           Plus précisément, la Commission n’a pas été impressionnée par la description qu’avait faite la demanderesse du miracle par lequel Jésus avait changé l’eau en vin, et elle ne l’a pas été non plus par son propos selon lequel le Saint-Esprit n’était pas Dieu. Selon la Commission, les connaissances de la demanderesse ne s’accordaient pas avec sa supposée ardeur à lire la Bible dix heures par semaine. La Commission a reconnu que la demanderesse montrait une certaine connaissance du christianisme et qu’elle participait à des activités religieuses, mais que cette participation ne disait rien de ses motivations.

 

[15]           La Commission a conclu aussi que la demande d’asile n’avait pas été faite de bonne foi et que la demanderesse s’était jointe à une église chrétienne au Canada à seule fin d’appuyer une demande d’asile frauduleuse.

 

(iii)       La preuve documentaire

 

[16]           La Commission, se fondant sur la preuve documentaire, a conclu que la situation ayant cours dans la province du Guangdong n’est pas la même que celle qui existe dans maintes autres provinces, où des chrétiens ordinaires avaient été arrêtés et persécutés. Elle a trouvé étrange que l’arrestation de deux membres laïcs de l’église dans la province n’ait pas été ébruitée, d’autant que d’autres incidents – dont certains moins oppressifs que des arrestations – qui étaient survenus dans des régions plus éloignées avaient été rapportés.

 

[17]           La Commission a ajouté que, même si la preuve fait état de certains périls qui pourraient être « qualifiés de graves », elle devait se demander s’il existe « une possibilité sérieuse » que ces périls se concrétisent ». Elle a estimé dans la présente affaire que « la demandeure d’asile pourrait pratiquer sa religion dans une église de son choix si elle retournait vivre chez elle dans la province du Guangdong, en Chine, et qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée pour cette raison ».

 

III.       Points litigieux

 

[18]           Les points soulevés par cette demande peuvent être formulés de la manière suivante :

a)         Des vices de procédure font-ils naître une crainte raisonnable de partialité?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de l’authenticité de la foi chrétienne de la demanderesse?

c)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

d)         La Commission a-t-elle commis une erreur en imposant à la demanderesse une obligation de bonne foi?

e)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du risque auquel sont exposés les chrétiens pratiquants de la province du Guangdong?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[19]           Les questions d’équité procédurale, y compris celles qui concernent la crainte de partialité, sont susceptibles de contrôle d’après la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[20]           La Cour a jugé que l’évaluation des connaissances religieuses d’un demandeur d’asile soulève une question de fait (voir les décisions Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, [2012] ACF n° 1083, au paragraphe 8, et Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595, [2012] ACF n° 677, au paragraphe 4). Le deuxième point litigieux appelle donc l’application de la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’attache en effet « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[21]           Les conclusions touchant la crédibilité, tout comme les évaluations du risque, soulèvent des questions mixtes de droit et de fait qui intéressent la spécialisation de la Commission. Elles appellent donc une retenue judiciaire considérable et doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 911, [2012] ACF n° 975, au paragraphe 28, Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF n° 732, Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, [2004] ACF n° 109, au paragraphe 11).

 

[22]           La question de savoir si la Commission a commis une erreur en imposant à la demanderesse une obligation de bonne foi est une question de droit, qui doit donc être contrôlée d’après la norme de la décision correcte (Jin, précitée, au paragraphe 5, Etjehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158, [2007] ACF n° 214, au paragraphe 12). La manière dont la Commission a appliqué le critère est une question mixte de droit et de fait et doit donc être contrôlée d’après la norme de la décision raisonnable.

 

V.        Analyse

 

A.        Crainte de partialité

 

[23]           La demanderesse avance que l’inexpérience de la première interprète en ce qui a trait à la terminologie du christianisme fait naître une crainte de partialité pour l’ensemble du témoignage qu’elle a traduit. Elle affirme aussi que la réticence de la Commission à remplacer l’interprète a renforcé la crainte de partialité.

 

[24]           Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 : une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait-elle à la conclusion que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Grandmont, 2009 CF 1211, [2009] ACF n° 1459, au paragraphe 12, la Cour écrivait que, entre autres choses, la partialité « dénote un état d’esprit, une attitude du tribunal vis‑à‑vis des points en litige – un état d’esprit prédisposé à trancher une question, un esprit fermé ».

 

[25]           Je ne suis pas persuadé qu’une personne raisonnable, qui étudierait la question en profondeur, arriverait à la conclusion que le commissaire semblait avoir, ou avait effectivement un esprit fermé. S’agissant de l’inexpérience de la première interprète, la demanderesse n’a pas prouvé qu’il y a eu effectivement des erreurs de traduction sur lesquelles s’est fondée la Commission. Lorsque la Commission a constaté que la première interprète avait effectivement une connaissance insuffisante des termes techniques se rapportant à la pratique du christianisme, elle s’est assurée de faire appeler un interprète plus expérimenté.

 

[26]           En outre, comme le fait observer le défendeur, l’avocat de la demanderesse n’a pas soulevé durant l’audience de la Commission une objection particulière à l’emploi du témoignage traduit par la première interprète. Le droit requiert que la partialité soit alléguée promptement, pour que le décideur soit à même de se récuser et pour que soient ménagées des ressources judiciaires limitées (Fletcher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 909, [2008] ACF n° 1130, au paragraphe 17). La Cour a également jugé qu’elle ne peut intervenir lorsque les services d’interprétation sont critiqués après l’audience et que la preuve de leur déficience n’est pas apportée (Kompanets c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 726, 6 Imm LR (3d) 107, au paragraphe 9). Puisque la demanderesse ne s’est pas opposée avant l’audience devant la Cour à l’utilisation du témoignage produit avec l’assistance de la première interprète, elle ne peut pas avancer cet argument.

 

[27]           La demanderesse prétend aussi que la Commission a imposé dans la procédure une certaine interprétation de la doctrine chrétienne et des textes qui s’y rapportent. Elle affirme que le commissaire a mal à propos corrigé son point de vue sur un passage biblique, et selon elle cela montre que le commissaire souscrivait à un certain dogme, ce qui équivalait de sa part à préjuger le cas de la demanderesse. Je ne puis accepter les arguments de la demanderesse sur ce point. Vu les circonstances de l’affaire, il était essentiel que des questions soient posées à la demanderesse sur ses croyances et sur sa connaissance de la Bible. Le commissaire n’« interprétait » pas le passage biblique en question, mais posait plutôt à la demanderesse une question directe sur la teneur du texte. Insister sur ce point particulier ne constitue sans doute pas en soi un motif raisonnable de douter de la foi chrétienne de la demanderesse – cet aspect sera examiné plus en détail ci-après –, mais ce n’est pas l’unique facteur dont la Commission a tenu compte, et cela n’équivaut pas à une crainte de partialité.

 

B.        L’authenticité de la foi chrétienne de la demanderesse

 

[28]           La demanderesse dit que la Commission a commis une erreur en évaluant mal l’authenticité de sa foi chrétienne, et cela parce que :

a)         elle a remplacé le critère de la « sincérité des croyances » par un critère des « motivations de l’adhésion »;

b)         elle a appliqué une norme exigeante pour mesurer sa connaissance des textes et de la doctrine;

c)         elle a appliqué des concepts préconçus concernant le dogme;

d)         elle s’est fondée sur une erreur de fait concernant la Bible;

e)         elle n’a accordé aucun poids à des faits attestant la foi chrétienne de la demanderesse, par exemple son baptême, sa fréquentation de l’église, les prières qu’elle récite, sa connaissance de la Bible et son prosélytisme.

 

[29]           La tâche de déterminer si la demanderesse est une chrétienne pratiquante, ainsi qu’elle l’affirme, est un exercice qui appelle une retenue considérable envers la Commission, la juge des faits. D’ailleurs, comme l’écrivait la juge Mary Gleason, « [d]ans ce domaine, chaque affaire repose essentiellement sur ses propres faits, et la raisonnabilité des conclusions tirées de réponses données à des questions sur les connaissances religieuses dépend de la situation du demandeur, des questions qu’on lui pose et des réponses qu’il donne » (décision Hou, précitée, au paragraphe 54). Vu les circonstances de la présente affaire, je suis persuadé que, considérée globalement, la décision de la Commission sur ce point appartient aux issues possibles acceptables.

 

[30]           Je reconnais que la Commission est sans doute allée un peu loin en posant des questions détaillées à propos du miracle de la transformation de l’eau en vin, d’autant que les questions ne concernaient pas les principes à la base de la croyance religieuse de la demanderesse. Elles n’atteignent toutefois pas le seuil où elles pourraient être qualifiées d’abusives ou d’arbitraires, puisque la demanderesse avait témoigné lire la Bible – en particulier le Nouveau Testament, qui fait état de ce miracle – dix heures par semaine, et participer à des cercles d’étude de la Bible. Quoi qu’il en soit, ce type de questions n’est pas le seul fondement sur lequel la Commission a basé sa conclusion. Un aspect beaucoup plus problématique pour la demanderesse est son affirmation selon laquelle le Saint-Esprit n’est pas Dieu – une affirmation qu’il est bien plus aisé de rattacher à un principe de base du christianisme.

 

[31]           La Commission était fondée à accorder peu de poids au fait que la demanderesse participait à des activités religieuses et au fait qu’elle avait été baptisée. La demanderesse ne saurait en effet inviter la Cour à réexaminer la manière dont la Commission a apprécié la preuve simplement parce qu’elle ne partage pas sa conclusion. La Cour a d’ailleurs jugé que « [l]a motivation est une considération pertinente pour jauger la sincérité des convictions du demandeur » (décision Hou, précitée, au paragraphe 9). Il était donc raisonnable pour la Commission de considérer les raisons qu’avait la demanderesse de se joindre à des activités religieuses pour mesurer la sincérité de ses convictions.

 

C.        La crédibilité

 

[32]           La demanderesse prétend que la Commission n’aurait pas dû tirer une conclusion défavorable à propos de l’absence d’une assignation délivrée par le BSP, puisque le BSP avait maintes fois, semble-t-il, tenté de l’arrêter. Elle ajoute que la Commission a donné trop de poids à l’incapacité de la demanderesse de se souvenir des détails de son arrivée au Canada. Elle soulève aussi des préoccupations quant au fait que la Commission ait tiré des conclusions de non-crédibilité à partir des réponses qu’elle avait données avec l’aide de la première interprète.

 

[33]           Pour savoir si les conclusions de non-crédibilité tirées par un décideur sont ou non raisonnables, il ne suffit pas que la demanderesse démontre que des conclusions différentes auraient pu être tirées compte tenu de la preuve (Sun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] ACF n° 1570, au paragraphe 3, Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, [2004] ACF n° 188 (QL), au paragraphe 11). Il est bien établi également qu’il est loisible à la Commission « d’apprécier la preuve documentaire en regard du témoignage du demandeur, et de conclure que cette preuve étaye une conclusion contraire à ce témoignage » (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 654, [2011] ACF n° 829, au paragraphe 23). Vu le dossier dont elle disposait, je suis d’avis que la Commission pouvait fort bien conclure comme elle l’a fait.

 

[34]           La demanderesse prétend qu’il existe [traduction] « une possibilité que l’interprétation n’ait pas permis de bien montrer la différence entre les offices du dimanche et l’étude de la Bible ». Elle disait qu’elle se rendait à l’église “seulement le dimanche, pour le cours du dimanche” ». Comme j’ai déjà examiné la question du témoignage produit par la demanderesse avec l’aide de la première interprète, je ne m’y attarderai pas ici. J’ajouterais simplement que, même si de supposées erreurs d’interprétation avaient été portées à l’attention de la Commission, elles ne suffiraient pas à rendre déraisonnable la décision de la Commission. Les termes en question ne sont pas très termes techniques et, qui plus est, ils ne dissipent pas les doutes qu’ont suscités dans l’esprit de la Commission les réponses de la demanderesse à ses autres questions.

 

[35]           Bien que la preuve documentaire donne à penser que le BSP ne laisse pas toujours nécessairement une assignation à l’intention de l’intéressé, cette preuve ne contredit pas directement la conclusion de la Commission. D’ailleurs, vu le nombre de fois que le BSP est censément venu frapper à la porte de la demanderesse, ainsi qu’à celle de sa mère, la Commission pouvait fort bien conclure que le BSP aurait fini par laisser une assignation. Le simple fait que la Commission aurait pu conclure autrement ne suffit pas à rendre déraisonnable sa décision sur ce point (voir la décision Zhang, précitée, au paragraphe 28).

 

[36]           Finalement, la Commission pouvait fort bien tirer une conclusion défavorable devant l’incapacité de la demanderesse de se souvenir des détails de son voyage vers le Canada. Je comprends que cet épisode a pu être pour la demanderesse une source de tension et de crainte, mais la Commission pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle se souvienne des réponses qu’elle aurait données aux questions des autorités frontalières à propos de son voyage.

 

D.        La bonne foi et la demande d’asile présentée sur place

 

[37]           La demanderesse soutient que la Commission a négligé de motiver sa conclusion selon laquelle la demande d’asile était mensongère et « frauduleuse ». Elle ajoute que la Commission n’aurait pas dû imposer une exigence de « bonne foi » à la présentation d’une demande d’asile sur place, parce qu’il n’existe aucune exigence du genre en droit canadien.

 

[38]           Plusieurs décisions judiciaires récentes se rapportent à la notion de « bonne foi » dans les demandes d’asile présentées sur place. La Cour a jugé que, même si la question de l’authenticité de la conversion d’un demandeur d’asile est pertinente à l’égard de la crédibilité de ce dernier, le décideur doit quand même se demander si le demandeur d’asile a une crainte fondée de persécution, et le demandeur d’asile doit établir le risque auquel il dit être exposé (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 849, [2012] ACF n° 961, au paragraphe 16, Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 911, [2012] ACF n° 975, au paragraphe 65, Hu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 544, [2012] ACF n° 629, au paragraphe 13). Cette approche apparaît aussi dans la décision Hou, précitée :

[60]      Le demandeur soutient enfin, comme il a été noté, que la Commission a commis une erreur en considérant les motifs qui l’ont poussé à pratiquer le Falun Gong au Canada, car la jurisprudence canadienne établit que la motivation n’est pas pertinente pour l’évaluation d’une revendication présentée sur place.

 

[61]      Je ne suis pas d’accord avec cette assertion du demandeur; contrairement à ce que celui-ci affirme, la jurisprudence canadienne reconnaît bel et bien que la motivation de l’engagement dans une pratique religieuse au Canada peut être examinée par la SPR dans une affaire pertinente. Cependant, la conclusion portant qu’un demandeur a été motivé à pratiquer une religion au Canada pour soutenir une demande d’asile frauduleuse ne peut servir, à elle seule, de fondement pour rejeter la demande. La conclusion que le demandeur a été motivé par la volonté d’étayer sa demande d’asile est plutôt un facteur que la SPR peut prendre en considération dans son évaluation de la sincérité des croyances religieuses d’un demandeur.

 

[62]      La sincérité de ces croyances est un enjeu dans des affaires où, comme en l’espèce, la poursuite de la pratique religieuse dans le pays d’origine pourrait exposer le demandeur à un risque. Si ses croyances ne sont pas authentiques, alors il n’y a pas de risque, car le demandeur ne pratiquerait pas sa religion nouvellement acquise dans son pays d’origine si son adhésion à cette religion était motivée uniquement par la volonté d’étayer une demande d’asile. En revanche, il peut fort bien y avoir des situations où le demandeur, initialement incité à se convertir à une religion par ce type de motivation, acquiert cependant la foi en cours de route et devient un véritable adepte de la religion. Cela semble avoir été le cas dans Ejtehadian (précité au paragraphe 10), où le demandeur, qui avait d’abord commencé à pratiquer le christianisme pour alimenter sa demande d’asile, a fini par être ordonné prêtre de la confession mormone.

 

[39]           La conclusion de la Commission sur la question de la bonne foi est raisonnable dans le cas présent, pour deux raisons principales : d’abord, comme le souligne la juge Gleason dans la décision Hou, précitée, c’est à la demanderesse qu’incombe le fardeau d’établir la sincérité de ses croyances (paragraphe 69). Se fondant sur son appréciation de la crédibilité de la demanderesse – appréciation que j’ai déjà jugée raisonnable –, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas prouvé la sincérité de ses croyances. Dans ce contexte, je suis d’avis, comme dans la décision Hou, que, même si la Commission a eu tort de se fonder sur l’ouvrage de M. Hathaway (voir Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 205, [2012] ACF n° 217, au paragraphe 29, Hou, précitée, au paragraphe 67), sa décision globale n’en reste pas moins raisonnable. Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, les propos de la Commission concernant la bonne foi n’ont pas été déterminants dans sa décision globale. D’ailleurs, la Commission a bel et bien évalué le risque auquel la demanderesse pourrait être exposée si elle devait retourner en Chine et continuer à pratiquer sa religion.

 

E.         L’évaluation du risque

 

[40]           La demanderesse soutient finalement que la Commission a négligé de considérer des preuves qui allaient à l’encontre de ses conclusions et qu’elle a accordé un « poids excessif » aux preuves venant de l’autorité soumise à examen. Elle dit aussi que la Commission a retenu une définition trop étroite de la persécution, au point d’en exclure, à tort, les mauvais traitements infligés aux membres du clergé, la fermeture et la destruction d’églises, l’interdiction du prosélytisme et l’imposition d’un dogme par l’État.

 

[41]           Je suis persuadé que la Commission a correctement évalué le risque auquel pourrait être exposée la demanderesse si elle devait retourner en Chine, et cela pour deux raisons principales. D’abord, elle s’est fondée sur l’absence de documents attestant l’arrestation de laïcs dans la province du Guangdong pour conclure que la demanderesse ne serait pas exposée à la persécution si elle devait retourner en Chine et y pratiquer sa religion. La Cour a jugé, dans plusieurs décisions, qu’une telle conclusion est raisonnable (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1274, [2010] ACF n° 1577, Nen Mei Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (4 février 2010), IMM-5425-08, Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310, [2010] ACF n° 363, au paragraphe 32). Je ne vois aucune raison de conclure autrement, compte tenu des faits en cause.

 

[42]           Deuxièmement, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la Commission a bel et bien pris en compte des éléments de preuve qui allaient à l’encontre de sa conclusion. Par exemple, elle a fait état des arrestations du pasteur dans l’église de Liangren et elle a expliqué pourquoi, selon elle, ces incidents n’équivaudraient pas à persécution pour la demanderesse, membre laïque d’une église censément beaucoup plus petite qui ne cherchait pas publiquement à croître. La Commission pouvait apprécier la preuve, et elle est arrivée à une conclusion qui, vu les circonstances de la présente affaire, était raisonnable.

 

VI.       Conclusion

 

[43]           Les conclusions en matière de crédibilité tirées par la Commission appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Sa décision était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2326-12

 

 

INTITULÉ :                                      FENG LAN CAO c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 31 OCTOBRE 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 NOVEMBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Chaudhary

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Chaudhary

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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