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Date : 20121129

Dossier: IMM-9657-11

Référence : 2012 CF 1404

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

ALAIN MOREL

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Ministre), recherche l’annulation d’une décision en matière de parrainage rendue le 15 novembre 2011 par un membre de la Section d’appel de l’immigration (tribunal) qui accueillit l’appel d’Alain Morel relativement au refus, suite à une entrevue avec M. Guo, le 21 septembre 2009, par l’agente des visas, D. Doherty, à l’Ambassade Canadienne à Beijing, de la demande de résidence permanente au titre du regroupement familial (la demande) présentée par son partenaire conjugal, Rui Guo, citoyen de la République populaire de la Chine.

 

[2]               L’agente des visas avait refusé, pour deux raisons, la demande parrainée par Alain Morel :  (1) elle n’était pas convaincue qu’une relation conjugale existait entre les deux du fait qu’ils n’entretiennent pas une relation de type maritale (marriage-like relationship with your sponsor) selon l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement); et (2) cette relation vise principalement l’acquisition du statut ou d’un privilège selon l’alinéa 4(1)(a) du Règlement.

 

II.  Les Faits

[3]               Alain Morel et Rui se sont rencontrés au mois de février 2007 sur le site internet « asiafriendfinder ».  Monsieur Morel avait mis son profil sur ce site fin 2006 ou début 2007.  Ils sont toujours en contact quotidiennement.  Alain Morel a voyagé en Chine afin de le rencontrer le 13 septembre 2007;  il revient au Canada le 22 septembre 2007.  Durant son séjour en Chine, les deux ont vécu ensemble dans l’hôtel où Monsieur Morel était hébergé.

 

[4]               Monsieur Morel est retourné en Chine pour rendre visite à Rui Guo en septembre 2008, en janvier 2010 et en septembre 2010.

 

[5]               Rui Guo a déposé sa demande en mai 2009.

 

[6]               Alain Morel est aujourd’hui âgé de 59 ans et a été marié une fois entre 1977 à 1982.  Il est le père de plusieurs enfants.  Rui Guo, né le 18 septembre 1986, avait 21 ans lorsqu’il a rencontré, pour la première fois, Monsieur Morel.  Aujourd’hui il est âgé de 27 ans et n’a jamais été marié.

 

[7]               Monsieur Morel et Monsieur Guo ont témoigné lors de l’audience devant le tribunal.

 

III.  Dispositions Règlementaires

[8]               « Partenaire conjugal » à l’article 2 du Règlement se lit :

« partenaire conjugal » À l’égard du répondant, l’étranger résidant à l’extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. [Je souligne]

 

“conjugal partner” means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year.

 

 

[9]               Le paragraphe 4(1) du Règlement (version actuelle) se lit comme suit :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

[Je souligne]

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

 

IV.  La Décision Contestée

[10]           Le tribunal s’est penché sur deux questions, à savoir (1) si Alain Morel et Rui Guo adhérent à la définition de « partenaire conjugal » au sens de la Loi et du Règlement; et (2) si cette relation est authentique et ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, selon l’article 4 du Règlement.

 

1)         Partenaire conjugal

[11]           Le tribunal constate qu’aucune définition de l’expression « relation conjugale » ne figure dans la Loi ou dans le Règlement mais que le terme « conjugal » a été défini et interprété dans la jurisprudence comme étant « une relation assimilable à un mariage ».  Le tribunal note que dans l’arrêt M. c H., [1999] 2 RCS 3, la Cour Suprême du Canada a adopté les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale, soit :

                Partage d’un toit : les partenaires vivent-ils sous un même toit comme un couple?

                Rapports personnels et sexuels : la relation des partenaires est-elle exclusive et se traduit-elle par des interactions émotives, intellectuelles et physiques?

                Services :  y a-t-il partage des tâches domestiques et d’autres responsabilités de type familial et existe-t-il des preuves de soutien mutuel, particulièrement en période difficiles?

                Activités sociales : les partenaires passent-ils du temps ensemble ou participent-ils à des activités de loisir ensemble, ont-ils des relations ou des interactions avec la famille de l’autre?

                Soutien financier : les partenaires sont-ils financièrement interdépendants ou dépendants?  Ont-ils, dans une certaine mesure, mis en commun leurs finances ou les ont-ils organisées d’une manière qui reflète leur relations continue?

                Enfants : l’attitude et le comportement des partenaires à l’endroit des enfants;

                Image sociétale du couple : le partenaires sont-ils perçus et traités comme un couple par la société?

 

[12]           Le tribunal estime que :

Dans la jurisprudence, lorsqu’on applique les critères mentionnés précédemment, on ne s’appuie pas sur un seul facteur ou sur seulement quelques facteurs précis pour prouver l’existence d’une relation conjugale.  Le but est d’établir s’il s’agit d’une relation conjugale, et les critères doivent être utilisés uniquement pour faciliter cette tâche.

 

Le tribunal considère que ces critères peuvent servir comme outil dans la détermination de l’existence d’une relation conjugale, tout en tenant compte du contexte particulier d’immigration.  Il ne s’agit pas de critère ou de facteurs exhaustifs ni rigides, et le poids à accorder aux différents facteurs peut varier en fonction des circonstances de chaque affaire.  Ce qui est important, c’est de déterminer si la preuve établit qu’il existe une relation conjugale entre l’appelant et le demandeur.

[Je souligne]

 

 

[13]           Le tribunal affirme qu’il convient cependant de mentionner que, dans l’évaluation de ces critères, il se doit de considérer également l’incidence des coutumes et mœurs sociales ainsi que l’individualité des partenaires relativement à la manifestation de la relation conjugale et le contexte culturel.  La question est de déterminer si, essentiellement, il existe une relation entre l’appelant et le demandeur qui s’apparente à un mariage entre les partenaires.

 

[14]           Le tribunal ajoute qu’il demeure particulièrement sensible aux difficultés sociales, culturelles et juridiques auxquelles font face l’appelant et le demandeurLa relation entre l’appelant et le demandeur est une relation homosexuelle.  Le demandeur est d’origine chinoise et vit à Chengdu city, dans la province de Sichuan en Chine.  L’appelant a témoigné que l’homosexualité est considérée comme un délit en Chine.

 

[15]           Il dit avoir tenu compte, tout au long de son analyse, de cette réalité socioculturelle, et reconnaît qu’il peut exister différents modèles de relation conjugale, dépendamment des circonstances de chaque cas.

 

[16]           Le tribunal indique qu’il a évalué les éléments de preuve relativement à l’année précédant le dépôt de la demande de résidence permanente le 29 mai 2009 puisque la définition de partenaire conjugal exige qu’il faut avoir entretenu une relation conjugale depuis au moins un an.

 

[17]           Le tribunal dit avoir pris le temps de lire attentivement tous les échanges entre l’appelant et le demandeur, plus particulièrement ceux qui précèdent le 29 mai 2008 afin de déterminer si, effectivement, cet élément de preuve pouvant démontrer une relation de type maritale depuis le 29 mai 2008.  Le tribunal constate que la preuve documentaire de leurs contacts est très volumineuse.

 

[18]           Cependant, le tribunal est d’avis que la quantité des échanges est insuffisante afin de démontrer une relation de type maritale.  Toutefois, le contenu des échanges démontre une relation de couple avec ses hauts et ses bas.  Ils se parlent de leur journée, de leurs sentiments, de leur humeur, de leurs horaires, ils se questionnent l’un et l’autre sur leur relation, ils se chicanent, etc.  Chacun s’inquiète lorsqu’il n’est pas capable de rejoindre l’autre.  Le tribunal considère que les époux partagent une vie commune par l’entremise d’un ordinateur depuis 2007.

 

[19]           M. Morel aurait témoigné qu’ils sont en relation amoureuse depuis l’été 2007 et que cette relation est devenue officielle lors de son premier voyage en Chine, du 13 au 22 septembre 2007, durant lequel ils ont vécu ensemble.  Ils ont consommé leur relation lors de ce voyage.

 

[20]           Il aurait aussi témoigné que lors du premier voyage, il a rencontré la demi-sœur de M. Guo et les amis de celui-ci;  il a rencontré la mère de M. Guo durant son deuxième voyage en Chine, après que celui-ci avait informé ses parents qu’il était homosexuel.

 

[21]           Le tribunal remarque que M. Morel a envoyé de l’argent à M. Guo pour la première fois en octobre 2007 et avait expliqué que M. Guo travaille comme photographe en Chine et, bien qu’il ne soit pas riche, il est capable de subvenir à ses besoins.

 

[22]           Le tribunal se prononce satisfait que la preuve documentaire démontre que l’entourage de M. Morel est au courant de cette relation et la considère sérieuse.

 

[23]           Il exprime sa conclusion sur ce premier point comme suit :

Le tribunal souligne qu’il est compréhensible, dans les circonstances, que l’appelant et le demandeur n’aient pas pu démontrer publiquement et aux parents du demandeur qu’ils étaient des partenaires conjugaux.  Quand la mère du demandeur a su que son fils était homosexuel, elle ne l’a pas accepté tout de suite.  De plus, il s’agit d’un sujet qui est toujours tabou en Chine et ce n’était pas possible pour eux d’exprimer leur orientation sexuelle en public.  Le tribunal est convaincu qu’il existe des liens solides entre l’appelant et le demandeur et qu’ils entretiennent une relation exclusive de type maritale.

 

Par conséquent, le tribunal, prenant en compte l’ensemble de la preuve, est convaincu, selon la balance des probabilités, que la relation entre l’appelant et le demandeur constitue une relation conjugale, au sens de la définition de « partenaire conjugal » énoncée à l’article 2 du Règlement et de la jurisprudence citée et applicable.

[Je souligne]

 

2)         Relation de bonne foi

[24]           Sur ce point, le tribunal conclut que M. Morel a démontré, selon la balance des probabilités, que sa relation avec M. Guo est authentique, qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la loi.  Le tribunal fonde cette conclusion sur les éléments suivants :

                     Leurs communications constantes, de manière quotidienne et souvent quelques fois par jour.

                     Ils ont rendu des témoignages spontanés et directs et qu’il existe une preuve documentaire volumineuse à l’appui de la bonne foi de cette relation.

                     La preuve démontre qu’ils ont une relation exclusive depuis le mois de septembre 2007;  une relation connue de leurs familles et amis respectifs.

                     M. Morel a entrepris quatre voyages en Chine pour visiter M. Guo.  Durant ces voyages, ils ont toujours vécu ensemble et ont passé tout leur temps ensemble.  Ils ont visité la famille de M. Guo et ont fait des activités avec elle et des amis.

                     Bien que M. Guo travaille, M. Morel lui envoie parfois de l’argent, et ceci, depuis 2007.

                     En août 2009, M. Morel inscrit M. Guo comme bénéficiaire à son testament.

 

V.        L’argumentation

            a)         Celle du Ministre

[25]           Le Ministre soumet que :

(1)        Bien que l’appel de M. Morel soit un appel de novo au cours duquel le tribunal examine à nouveau si le requérant et son répondant rencontrent les critères des articles 2 et 4 du RIPR, le tribunal ne peut se limiter à considérer la nouvelle preuve et ignorer celle produite devant l’agente des visas.  Le tribunal devait examiner le témoignage de M. Guo et la décision de l’agente.  Il cite l’arrêt Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1257.

(2)               Le tribunal a mal interprété et a mal appliqué la notion de « partenaire conjugal » et ceci sur de nombreux aspects.  Le Ministre énonce les principes applicables comme suit :

1.         Les expressions « partenaire conjugal » et « conjugal partner » sont définies à l’article 2 du RIPR.

2.                  Le tribunal devait, en l’espèce déterminer si au moins à la date du 29 mai 2008, le requérant (M. Guo) et le défendeur (M. Morel), rencontraient la définition de partenaire conjugal et ce, en égard à la preuve qui précède cette date.

3.                  Pour bien cerner le débat sur la notion de « partenaire conjugal », il convient de faire une analyse de la jurisprudence et des politiques (la section 5 du guide l’immigration OP 2).

4.                  Les facteurs établis dans l’arrêt M c H, pour les couples vivant au Canada, ont été utilisés pour déterminer s’il s’agissait d’une relation conjugale, s’appuyant sur la décision du juge Boivin dans l’affaire Mbollo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1267 [Mbollo], dont je cite le paragraphe 27 :

[27]           Les critères provenant de M c H ont été établis pour des couples vivant au Canada et ils doivent être modifiés pour les couples habitant dans des pays différents. Toutefois, comme la souligné ma collègue la juge Tremblay-Lamer: « Il n’en demeure pas moins que la prétendue relation conjugale doit comporter assez de caractéristiques associées à un mariage pour démontrer qu’elle constitue plus qu’un moyen d’entrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. »  (Leroux au par. 23).

[Je souligne]

 

5.                  Le tribunal a repris certains facteurs de l’arrêt M c H dans son analyse.

 

[26]           Le Ministre soumet que les raisons exposées par le tribunal pour soutenir ses conclusions ne concordent pas avec les caractéristiques d’une relation conjugale énoncés par la Cour Suprême dans l’arrêt M. c H., qu’il a pris soin d’énoncer dans ses motifs et par lesquelles elle indique avoir été guidée pour rendre sa décision.  Ces raisons ne concordent pas non plus avec les facteurs ou critères dont fait mention le guide OP 2.  Ainsi, le tribunal a commis une erreur de droit.  Selon le Ministre, le tribunal a conclu que M. Morel et M. Guo rencontrent la définition de « partenaire conjugaux » en se fondant sur les éléments suivants :

1.                  Les époux partagent une vie commune par l’entremise d’un ordinateur depuis 2007.

2.                  Ils ont entretenu une relation exclusive depuis 2007.  La sœur et les amis de M. Guo étaient au courant de cette relation.  Ils ont cohabité à l’hôtel durant le premier voyage de M. Morel en Chine.

3.                  Un transfert d’argent a eu lieu dès le mois d’août 2007.

 

[27]           Selon le Ministre, le tribunal a erré en référant au terme « époux » alors qu’ils ne sont pas mariés et, qu’il était déraisonnable de conclure qu’ils partagent une vie commune par l’entremise d’un ordinateur depuis 2007.

 

[28]           Selon la jurisprudence, il faudrait que la prétendue relation conjugale comporte assez de caractéristiques associées à un mariage pour que cela démontre plus qu’un moyen d’entrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial (Mbollo précitée).

 

1.                  Il était déraisonnable pour le tribunal de conclure qu’il existait entre les deux une relation assimilable à celle d’un couple marié considérant le fait que jusqu’au 29 mai 2008, ils ont été ensemble pendant 10 jours en septembre 2007.

2.                  Selon la jurisprudence (l’arrêt Mbollo précité, au par. 21), les courriels et les cartes d’appel ne suffisent pas à établir une relation conjugale aux termes de l’article 2 du RIPR, même s’ils peuvent démontrer une communication constante ou même une relation amoureuse.  Le Ministre aussi cite l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Savard, 2006 CF 109 et le guide OP 2.

 

[29]           Le Ministre soumet que le tribunal a erré dans l’application du facteur « soutien financier », dont le but est de voir si les partenaires sont financièrement interdépendants ou dépendants et ont-ils dans une certaine mesure mis en commun leurs finances.  Le Ministre indique que le tribunal « semble conclure que le reçu d’un transfert d’argent (100 dollars) le 26 octobre 2007 satisfait ce critère ».

 

[30]           Le Ministre soumet que le tribunal a erré en droit et en fait en déterminant que la relation conjugale entre les deux était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège.  Le tribunal a erré en appliquant l’ancienne version de l’article 4 du RIPR.  En effet, selon le Ministre, la version actuelle prévoit qu’il suffit que l’un ou l’autre des deux éléments (authenticité du mariage et intentions des parties) ne soit pas rencontré pour que l’exclusion du nouveau paragraphe 4(1) du RIPR s’applique.

 

[31]           Qui plus est, le Ministre soumet que le tribunal a erré dans l’interprétation et l’application de l’article 4 du RIPR en évaluant surtout l’intention de M. MorelIl a négligé d’examiner l’intention de M. Guo.

 

            b)         Celle de M. Morel

[32]           Le procureur de M. Morel soutient que :

1.         La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable sur les questions de crédibilité et d’authenticité d’une union de fait.  Par conséquent, cette Cour doit, en l’espèce, déterminer si la décision du tribunal fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

2.         Le tribunal atteste avoir « évalué les témoignages et analysé l’ensemble de la preuve documentaire au dossier »  ce qui inclut les éléments dont disposait l’agente d’immigration de l’ambassade lors de sa décision initiale.  Tel est sa prérogative dans le cadre d’un appel de novo.  Selon le procureur de M. Morel, le Ministre tente d’obtenir un réexamen de la pondération des différents éléments pris en compte par le tribunal, ce qui n’est pas permis en contrôle judiciaire.

3.         Le tribunal n’a pas commis d’erreur de droit ou de fait dans l’interprétation ou l’application de la notion de « partenaire conjugal ».  Le procureur vise le paragraphe 21 du mémoire du Ministre qui prétend que :

[21]  (…) les raisons exposées par la SAI pour soutenir de ses conclusions ne concordent pas avec les caractéristiques d’une relation conjugale énoncées par la Cour Suprême dans l’arrêt M c. H, que la SAI a pris soin d’énoncer dans ses motifs et par lesquelles elle indique avoir été guidée pour rendre sa décision.  Ces raisons ne concordent pas non plus avec les facteurs ou critères dont fait mention le guide OP 2.  Ainsi, la SAI a commis une erreur de droit. »

 

Le procureur maintient que quand bien même il serait démontré que les raisons du tribunal ne concordent pas avec les critères du guide OP 2, ce serait en rien constitutif d’une erreur de droit parce que les guides d’immigration et les directives ministérielles ne sont pas des dispositions légales et que d’autre part, le Ministre ne démontre nullement en quoi le tribunal n’aurait pas respecté les critères énoncés dans OP 2.  Selon le procureur :

« Bien au contraire, l’analyse mise en avant par la SAI révèle une attention à ces critères analogues, voire plus détaillés, que ceux mis en avant par le guide, notamment l’existence d’une interdépendance et d’un obstacle probant à la cohabitation.  Le guide OP-2 (voir page 22 du guide) est en grande partie fondé sur l’arrêt M. c. H. de la Cour suprême, privilégié par la SAI en l’espèce.  De même, il importe de souligner que selon l’OP-2 (page 37 du guide), le volume, la constance et le genre de communication entre les conjoints doivent être pris en considération (…). »

 

4.         Quant à la prétendue mauvaise interprétation et application des critères de l’arrêt M. c H., le procureur de M. Morel écrit :

« Le défendeur soutient que la SAI n’a pas commis d’erreur de droit et de fait dans l’interprétation et l’application des critères établis par l’arrêt M. c. H. de la Cour suprême, et que, par cet argument, le demandeur tente d’obtenir un réexamen de la pondération des différents éléments pris en compte par la SAI dans son appréciation, et ce au prix d’une appréciation sélective des éléments en question et d’une analyse discutable de la jurisprudence.

 

Il cite la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Leroux c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),


2007 CF 403 au paragraphe 21 que la Cour Suprême a reconnu que :

 

« (…) le poids à accorder aux différents facteurs peut varier à l’infini, et que ceux-ci s’appliquent aux couples de même sexe.  Les tribunaux doivent donc adopter une méthode souple pour déterminer s’il s’agit d’une union conjugale puisque les rapports dans les couples varies (M. c. H., [1999] 2 RCS 3, au para. 60) ».

 

Il cite aussi le paragraphe 23 de la décision de la juge Tremblay-Lamer dans l’arrêt Leroux c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 403:

3     Bien qu'il n'y ait aucune décision de cette Cour sur les critères à adopter pour déterminer s'il y a une relation conjugale dans le contexte de l'immigration, plusieurs décisions de la SAI ont reconnu que les critères provenant de M. c. H. ont été établis pour des couples vivant au Canada et doivent être modifiés pour les couples habitant dans des pays différents (voir : McCullough c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 25, Schatens c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] D.S.A.I. no 330, Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] D.S.A.I. no 3; Porteous c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 560). J'abonde dans le même sens. Il m'apparaît important de garder à l'esprit les restrictions imposées du fait que les partenaires vivent dans des pays différents, certains avec des moeurs et coutumes différentes qui peuvent avoir un impact sur le degré de tolérance face aux relations conjugales surtout lorsqu'il s'agit de partenaires de même sexe. Il n'en demeure pas moins que la prétendue relation conjugale doit comporter assez de caractéristiques associées à un mariage pour démontrer qu'elle constitue plus qu'un moyen d'entrer au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

 

et conclut que l’interprétation de la notion de partenaire conjugal que le tribunal donne aux paragraphes 7 à 15 de sa décision « s’inscrit » parfaitement dans ces exigences jurisprudentielles.  Il s’exprime ainsi :

« La SAI expose clairement en quoi les critères de l’arrêt M. c. H. peuvent servir d’outil dans la détermination d’une relation conjugale, tout en tenant compte du contexte particulier de l’immigration et qu’il ne s’agit pas de critères ou de facteurs exhaustifs ni rigides, et que le poids à accorder aux différents facteurs peut varier en fonction des circonstances de chaque affaire (par. 10 de sa décision).  À ce titre, la SAI retient les difficultés sociales, culturelles et juridiques auxquelles font face le défendeur et le requérant, notamment en raison de leur relation homosexuelle et de la perception de celle-ci dans le pays d’origine du requérant (par. 12). »

 

5.                  Le procureur remarque que le Ministre, dans son mémoire, ne retient qu’une liste limitative des éléments qui auraient conduit le tribunal à conclure que M. Morel et M. Guo rencontraient la définition de « partenaires conjugaux ».  La raison pour ceci est que le Ministre ne retient que les éléments antérieurs au 29 mai 2008.  Il reconnaît que le tribunal a pris soin d’exclure particulièrement les éléments de preuve existant au 29 mai 2008 « mais elle les replace dans le contexte global de l’évaluation de l’ensemble » de la preuve.  Il cite l’arrêt Leroux, au paragraphe 26, que l’article 2 du Règlement exige que la relation existe « depuis au moins un an » lors du dépôt de la demande de parrainage mais que ni la Loi ou le Règlement ne restreignent l’examen exclusivement à cette période.

6.                  Il soutient que l’évaluation des divers éléments de preuve conduisant le tribunal à conclure que M. Morel et M. Guo sont des partenaires conjugaux n’est en rien déraisonnable.

(1)                L’utilisation du terme « époux » est une erreur cléricale isolée qui n’a aucune importance parce que le tribunal savait bien que les deux ne sont pas mariés.

(2)                La conclusion du tribunal que Messieurs Morel et Guo partagent une vie commune par l’entremise d’un ordinateur n’est pas déraisonnable parce qu’elle repose sur une appréciation parcellaire de la jurisprudence qu’il avance et une prise en compte sélective des arguments avancés par la SAI, en en replaçant pas cette appréciation dans l’évaluation globale de la preuve dans son ensemble.

(3)                S’il est vrai que dans les arrêts cités par le Ministre la Cour en est venue à la conclusion que les échanges par courriel et par téléphone étaient insuffisants pour établir une relation conjugale, c’était, selon le procureur, « en raison d’autres éléments de preuve qui s’opposaient au constat d’une relation conjugale et permettaient tout au plus d’établir une relation amoureuse ».  Il cite l’arrêt Leroux appuyant le dépôt de ce genre de preuve pour démontrer l’authenticité de la relation.  Qui plus est, en l’espèce, l’ensemble de la preuve démontre que le tribunal ne se serait pas uniquement fondé sur la preuve d’échanges par internet ou téléphone pour établir la relation conjugale entre les parties.

 

[33]           Le procureur de M. Morel rejette la prétention du demandeur que le tribunal aurait erré en droit en rendant une décision fondée sur l’ancienne version de l’article quatre du Règlement.  Il note que la nouvelle version du Règlement a pris effet le 30 septembre 2010 et donc l’entrée en vigueur est intervenue entre la décision initiale de l’agent à l’ambassade et celle rendue par le tribunal en novembre 2011.  Selon le procureur « dans la mesure où la nouvelle version de l’article 4 est plus exigeante, l’équité requiert l’application de la loi en vigueur lorsque la décision initiale a été rendue. »  Il cite l’arrêt du juge Mosley dans l’affaire Asma Elahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 858 au paragraphe 12.

 

VI.  Analyse et conclusions

            (a)        La norme de contrôle

[34]           La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable puisque le tribunal a tranché la question devant elle sur une analyse de la preuve ce qui est une question de faits.  La Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, a expliqué ce qu’est une décision raisonnable :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

            (b)        Conclusions

[35]           Je crois que l’intervention de la Cour est justifiée pour les motifs suivants :

               (1)                        Le tribunal était obligé de déterminer si en date du 29 mai 2009, la relation entre M. Morel et M. Guo constituait une relation conjugale.  Les éléments de preuve devant le tribunal étaient :  les courriels et les échanges téléphoniques depuis 2007, un transfert d’argent en octobre 2007 et une période de cohabitation de dix jours.  Selon la jurisprudence, ces éléments ne sont pas suffisants pour créer une relation conjugale de type maritale.  Il était déraisonnable de la part du tribunal de conclure qu’une telle relation existait depuis un an.

              (2)                         Le tribunal a erré en faits et en droit en concluant que M. Morel et M. Guo partagent une vie commune par ordinateur.

              (3)                         Le tribunal a erré dans son analyse que la relation entre M. Morel et M. Guo ne visait pas principalement l’acquisition du statut de résidence permanente.  Presque la totalité de la décision porte sur les intentions de M. Morel.  Le tribunal devait considérer l’intention des deux parties.

               (4)                        Le tribunal ne pouvait pas ignorer la preuve devant l’agent, notamment :

                     « Le requérant a déclaré qu’il n’avait pas les moyens pour venir au Canada en tant qu’étudiant ou le type de qualifications nécessaires pour obtenir un permis de travail.

                     Le requérant a déclaré dès les premiers courriels, au stade des présentations, qu’il aimait le défendeur.  Selon la preuve fournie lors de l’entrevue avec l’agent des visas, le requérant ne cherchait pas un amoureux d’origine étrangère et il se cherchait seulement un ami en allant sur le site asiafinder.com.

                     L’incompatibilité entre le défendeur et le requérant qui a toujours eu des copines et en est à sa première relation homosexuelle.

                     Le manque de connaissance du requérant à propos de la vie du défendeur. »


JUGEMENT

LA COUR STATUE que cette demande de contrôle judiciaire est accordée; la décision du Tribunal est annulée et l’appel du défendeur doit être reconsidéré par un tribunal

constitué différemment.  Aucune question certifiée à été proposée.

 

 

 

 

 

 

 

“François Lemieux”

Judge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9657-11

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c ALAIN MOREL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :             28 juin, 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                     29 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Thi My Dung Tran

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Olivier Delas

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Olivier Delas, Avocats Montréal

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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