Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121127

Dossier : T‑1983‑10

Référence : 2012 CF 1376

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

 

ENTRE :

 

 

THERATECHNOLOGIES INC.

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le ministre du Revenu national

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 



I.  Introduction

[1]               Theratechnologies Inc. (Thera) a présenté la présente demande de contrôle judiciaire le 26 novembre 2010 pour contester le refus verbal que le ministre du Revenu national (le ministre) a opposé le 4 novembre 2010 à la demande de Thera pour la délivrance des avis de détermination du montant des crédits d’impôt à l’investissement remboursables (les CIIR) à l’égard de Theratechnologies R&D Inc. (R&D Inc.), pour chacune des années d’imposition se terminant aux dates suivantes : le 15 décembre 1994 (l’année d’imposition 1994) et le 30 novembre 1995 (l’année d’imposition 1995). R&D Inc. a été fusionnée avec Thera en 1997.

 

[2]               L’affaire Thera est semblable à une autre affaire que la Cour a entendue en même temps, soit Signalgene R&D Inc c Ministre du Revenu national, dossier no T‑1949‑10 (Signalgene). Une décision dans cette affaire est également rendue aujourd’hui : voir 2012 CF 1375. Ces deux affaires ont été réunies suivant l’ordonnance du protonotaire Morneau, datée du 28 avril 2011.

 

[3]               Dans l’affaire Signalgene, la demanderesse conteste le refus du ministre, prononcé le 26 octobre 2010, de délivrer des avis de détermination des CIIR de Signalgene pour chacune des années d’imposition se terminant le 30 avril 1997 et le 31 décembre 1997, 1998 et 1999, suivant une demande qu’elle a présentée au ministre à cette fin.

 

[4]               Les similitudes entre ces deux affaires sont les suivantes :

1.          l’avis de demande présenté à la Cour est semblable;

2.          l’objet des affaires est le même : le refus de délivrer les avis demandés de détermination des crédits d’impôt à l’investissement remboursables gagnés;

3.          les dispositions législatives applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)) (la Loi) sont les mêmes;

4.          le même régime législatif donnant droit à des CIIR, à savoir une société de recherche et de développement qui engage des dépenses de recherche scientifique et de développement expérimental (les dépenses de RS&DE), est en cause;

5.          le Bureau des services fiscaux de Montréal (le BSFM) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) est en cause dans les deux affaires;

6.          les motifs du contrôle sollicité par les deux sociétés de technologie distinctes et sans aucun lien sont également les mêmes;

7.          le décideur était la même personne, soit Guylaine Gaudreault, directrice par intérim, Division de la RS&DE du BSFM.

 

[5]               Voici les éléments qui diffèrent dans les deux affaires :

1.          la date à laquelle les deux demanderesses ont produit les déclarations de revenus pertinentes en raison des années d’imposition différentes;

2.          la date de la vérification des dépenses de RS&DE et la vérification des crédits d’impôt à l’investissement non remboursables (les CII);

3.          la date de l’établissement des avis de cotisation ou de nouvelle cotisation;

4.          la date à laquelle les deux demanderesses ont réclamés des CII remboursables, c’est‑à‑dire les CIIR;

5.          les membres du personnel concernés du BSFM étaient différents, à l’exception de la directrice par intérim, Division de la RS&DE;

6.          les motifs de refus des avis de détermination demandés sont quelque peu différents;

7.          le décideur en l’espèce n’a pas présenté d’affidavit à l’appui de la thèse du ministre.

 

[6]               Outre ces similitudes, les avocats sont les mêmes pour Thera et Signalgene. Il en va de même pour le défendeur et les vérificateurs. Les vérificateurs des deux sociétés sont le cabinet de vérification KPMG. Evelyn Moskowitz, une associée de KPMG et une associée du cabinet juridique affilié à KPMG, a déposé un affidavit à l’appui des deux demandes. Elle n’a pas été contre‑interrogée relativement à ses affidavits.

 

II.  Le régime législatif

[7]               Comme on le constatera immédiatement, il existe une différence entre des CII non remboursables et des CII remboursables, malgré le fait qu’ils ont une source commune, notamment les dépenses de RS&DE qui permettent de gagner des crédits d’impôt. Les CII non remboursables (ci‑après appelés les CII) et les CII remboursables (ci‑après appelé les CIIR) obéissent à des règles différentes. Les CII non remboursables qui ne servent pas à compenser l’impôt fédéral exigible pour une année donnée peuvent être reportés pendant un certain nombre d’années subséquentes ou être reportés de manière à compenser l’impôt à payer pour les trois années précédentes.

 

[8]               Seuls les contribuables qui forment une société privée sous contrôle canadien (SPCC) au sens de la Loi, peuvent se prévaloir des CIIR. Si le contribuable qui est une SPCC a engagé des dépenses de RS&DE et que son revenu imposable pour l’année précédente ne dépasse pas un certain montant fixe, il a généralement droit et à des CII non remboursables plus importants, et à un remboursement immédiat de crédits d’impôt remboursables dans la mesure où ces crédits sont supérieurs à l’impôt fédéral payable pour l’année d’imposition en question. Contrairement aux CII demandés en trop, les CIIR demandés en trop ne peuvent être reportés aux années subséquentes (ou être reportés rétrospectivement) pour compenser l’impôt fédéral exigible pour une autre année d’imposition. Les CIIR sont plutôt immédiatement versés au contribuable dès que l’impôt de la partie I est établi, à titre de « remboursement » des impôts qu’il est réputé avoir payés pour l’année d’imposition en question (le paiement réputé en trop). En vertu du paragraphe 127.1(1) de la Loi, aucun paiement ne sera réputé en trop (et donc ne donnera droit à un remboursement de CIIR), à moins que le contribuable ne dépose les formulaires et renseignements prescrits auprès du ministre.

 

[9]               La première des dispositions législatives à considérer est le paragraphe 127.1(1) intitulé « Crédit d’impôt à l’investissement remboursable »; il dispose :

 

127.1 (1) Lorsqu’un contribuable (à l’exception d’une personne exonérée d’impôt en vertu de l’article 149) présente :

 

a) avec sa déclaration de revenu produite pour une année d’imposition, à l’exception d’une déclaration de revenu produite en vertu des paragraphes 70(2) ou 104(23), de l’alinéa 128(2) f) ou du paragraphe 150(4);

 

b) avec un formulaire prescrit modifiant une déclaration visée à l’alinéa a), un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits, il est réputé avoir payé, à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, une somme au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie égale à son crédit d’impôt à l’investissement remboursable pour l’année ou, s’il est inférieur, au montant qu’il a indiqué dans le formulaire prescrit.

127.1 (1) Where a taxpayer (other than a person exempt from tax under section 149) files

 

 

(a) with the taxpayer’s return of income (other than a return of income filed under subsection 70(2) or 104(23), paragraph 128(2)(f) or subsection 150(4)) for a taxation year, or

 

 

 

(b) with a prescribed form amending a return referred to in paragraph 127.1(1)(a) a prescribed form containing prescribed information, the taxpayer is deemed to have paid on the taxpayer’s balance‑due day for the year an amount on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year equal to the lesser of

 

(c) the taxpayer’s refundable investment tax credit for the year, and

 

(d) the amount designated by the taxpayer in the prescribed form.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Le paragraphe 152(1) de la Loi est intitulé « Cotisation »; l’alinéa b) de cette disposition renvoie spécifiquement au paragraphe 127.1(1) précité. Il dispose :

 

152. (1) Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :

 

a) le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133, pour l’année;

 

b) le montant d’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année.

152. (1) The Minister shall, with all due dispatch, examine a taxpayer’s return of income for a taxation year, assess the tax for the year, the interest and penalties, if any, payable and determine

 

 

(a) the amount of refund, if any, to which the taxpayer may be entitled by virtue of section 129, 131, 132 or 133 for the year; or

 

(b) the amount of tax, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Le paragraphe 152(1.2) prévoit que les dispositions de la Loi, dans la mesure où elles portent sur une cotisation ou une nouvelle cotisation ou sur l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation concernant l’impôt, s’appliquent aux montants déterminés ou déterminés de nouveau en application de cette section. Il dispose :

(1.2) Les alinéas 56(1)l) et 60o), la présente section et la section J, dans la mesure où ces dispositions portent sur une cotisation ou une nouvelle cotisation ou sur l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation concernant l’impôt, s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à toute détermination ou nouvelle détermination effectuée selon le paragraphe (1.01) et aux montants déterminés ou déterminés de nouveau en application de la présente section ou aux montants qui sont réputés par l’article 122.61 être des paiements en trop au titre des sommes dont un contribuable est redevable en vertu de la présente partie. Toutefois :

 

a) les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas aux déterminations ou aux montants déterminés en application des paragraphes (1.01), (1.1) et (1.11);

 

b) le montant d’une perte autre qu’une perte en capital, d’une perte en capital nette, d’une perte agricole restreinte, d’une perte agricole ou d’une perte comme commanditaire subie par un contribuable pour une année d’imposition ne peut être initialement déterminé par le ministre qu’à la demande du contribuable;

 

c) le paragraphe 164(4.1) ne s’applique pas aux montants déterminés en application du paragraphe (1.4).

(1.2) Paragraphs 56(1)(l) and 60(o), this Division and Division J, as they relate to an assessment or a reassessment and to assessing or reassessing tax, apply, with any modifications that the circumstances require, to a determination or redetermination under subsection (1.01) and to a determination or redetermination of an amount under this Division or an amount deemed under section 122.61 to be an overpayment on account of a taxpayer’s liability under this Part, except that

 

 

 

 

 

 

(a) subsections (1) and (2) do not apply to determinations made under subsections (1.01), (1.1) and (1.11);

 

 

 

 

(b) an original determination of a taxpayer’s non‑capital loss, net capital loss, restricted farm loss, farm loss or limited partnership loss for a taxation year may be made by the Minister only at the request of the taxpayer; and

 

 

 

 

(c) subsection 164(4.1) does not apply to a determination made under subsection 152(1.4).

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           Le paragraphe 152(2) de la Loi, qui porte le titre « Avis de cotisation », dispose :

(2) Après examen d’une déclaration, le ministre envoie un avis de cotisation à la personne qui a produit la déclaration.

(2) After examination of a return, the Minister shall send a notice of assessment to the person by whom the return was filed.

 

III.  La décision visée par le contrôle

[13]           Le 4 novembre 2010, Guylaine Gaudreault, directrice par intérim, Division de la RS&DE du BSFM, a laissé le message téléphonique ci‑dessous dans la messagerie vocale de Me Evelyn Moskowitz. Ce message est postérieur à son message téléphonique du 26 octobre 2010 dans l’affaire Signalgene :

[traduction]

Bonjour Evy, Guylaine Gaudreault. Je suis désolée d’avoir mis autant de temps à vous rappeler. Je suis très peu à mon bureau, mais j’ai pris le temps d’examiner vos deux dossiers – Thera et Algene [Signalgene]. Je crois que j’ai des bonnes et des mauvaises nouvelles. Dans le cas d’Algene, si nous n’avons jamais délivré d’avis de détermination des crédits d’impôt à l’investissement remboursables, ce que je dois vérifier, je crois que vous avez raison, nous devrons établir un avis de détermination. Je crois que cela n’a jamais été fait, mais je dois le confirmer. Malheureusement, dans le cas de Thera, un avis de détermination des CII remboursables a été présenté au contribuable le 30 août 1999 à la suite d’une vérification. Compte tenu de ce qui est au dossier, nous n’établissons pas un nouvel avis de détermination lorsqu’un avis a déjà été délivré. Je devrais donc vous rappeler à ce sujet au début de la semaine prochaine, espérons‑le. Je ne suis pas à mon bureau demain, mais j’effectuerai quelques suivis. Espérons que nous serons en mesure de résoudre cette question le plus rapidement possible. Je m’excuse encore de mon retard. Si vous voulez me téléphoner, je serai à mon bureau la semaine prochaine, lundi et mardi après‑midi. Je vous souhaite une bonne journée, au revoir!

 

 

IV.  Les faits

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire vise uniquement deux années d’imposition de R&D Inc. : l’année d’imposition se terminant le 15 décembre 1994 et celle se terminant le 30 novembre 1995 (les années d’imposition pertinentes).

 

            a)  L’année d’imposition 1994

[15]           Pour l’année d’imposition 1994, R&D Inc. a produit sa déclaration de revenus le 13 mars 1995. Elle a déclaré avoir engagé des dépenses de RS&DE de 7 132 000 $ et déclaré des CII s’élevant à 911 000 $. Elle s’était décrite comme étant une « société contrôlée par une société publique » et par conséquent, elle n’était pas admissible à gagner des CIIR. Dans son mémoire des faits et du droit, le ministre déclare que R&D Inc. [traduction] « n’a rien réclamé dans ses déclarations au titre des CIIR ».

 

[16]           Le ministre déclare qu’il a tout d’abord établi à l’égard de R&D Inc. une cotisation le 18 avril 1995 pour l’année d’imposition 1994 et qu’à titre de société contrôlée par une société publique, l’année d’imposition 1994 a été frappée de prescription quatre ans plus tard, soit le 18 avril 1999.

 

[17]           Entre le 27 décembre 1995 et le 6 mai 1998, le ministre a effectué une vérification de l’année d’imposition 1994 de R&D Inc. Le vérificateur devait vérifier la réclamation de R&D Inc. au titre de la RS&DE constituée de ses dépenses de RS&DE et de ses CII non remboursables. La vérification n’a donné lieu à aucune modification par rapport à la cotisation initiale.

 

[18]           L’avocat du ministre attire mon attention sur la lettre de vérification finale de l’ARC transmise à R&D Inc. à l’égard de l’année d’imposition 1994. Voici ce qu’il écrit dans son mémoire :

[traduction]

Dans sa lettre de vérification finale du 12 juin 1998 à Theratechnologies, le vérificateur a informé celle‑ci que sa réclamation de CIIR avait été traitée selon ce qui était indiqué dans sa déclaration : « [V]otre réclamation de crédit d’impôt à l’investissement et de crédit d’impôt remboursable à l’investissement relatif à vos dépenses admissibles a été traitée comme il était indiqué dans votre déclaration. » Theratechnologies n’a fait aucune observation à l’égard des résultats de la vérification.

 

            b)  L’année d’imposition 1995

[19]           En ce qui a trait à cette année d’imposition, R&D Inc. a produit sa déclaration de revenus le 14 mars 1996. Elle a déclaré avoir engagé des dépenses de RS&DE de 5 380 830 $ et a réclamé des CII s’élevant à 793 437 $. Elle a continué à se décrire comme une société autre qu’une SPCC et par conséquent, elle n’était pas admissible à gagner des CIIR. Le ministre déclare que R&D Inc. [traduction] « n’a rien réclamé dans ses déclarations au titre des CIIR ».

 

[20]           Le ministre déclare dans son mémoire qu’une cotisation initiale a été établie à l’égard de R&D Inc. le 25 avril 1996 et qu’à titre de société contrôlée par une société publique, l’année d’imposition 1995 a été frappée de prescription le 25 avril 2000.

 

[21]           R&D Inc. a aussi fait l’objet d’une vérification à l’égard de l’année d’imposition 1995 entre décembre 1997 et janvier 1999. Le vérificateur avait le mandat de vérifier les dépenses de RS&DE et les crédits d’impôt correspondants, notamment les CII non remboursables et les crédits d’impôt du Québec.

 

[22]           Le 11 février 1999, les vérificateurs ont envoyé une nouvelle cotisation projetée à Thera (R&D Inc. avait fusionné avec Thera et a par la suite été dissoute). Le défendeur affirme que la nouvelle cotisation projetée comportait une annexe indiquant que les CIIR de Thera [traduction] « ont été établis comme ils ont été indiqués dans la déclaration, à zéro ». Des discussions ont eu lieu entre les vérificateurs et Thera à propos de questions qui ne visaient pas les CIIR.

 

[23]           Une entente a été conclue. Le 28 mai 1999, le vérificateur a envoyé une proposition révisée de modifications (dont la version définitive est datée du 17 juin 1999) qui comportait une annexe indiquant que les CIIR de Thera étaient établis à zéro, comme elle l’avait indiqué dans la déclaration. Le 30 août 1999, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Thera afin d’effectuer les rajustements découlant de la vérification.

 

V.  Les demandes de CIIR de la part de Thera

            a)  La première demande

[24]           Le ministre reconnaît que le 17 septembre 2001, Thera a présenté des déclarations de revenus modifiées à l’égard de chacune des années d’imposition 1994 et 1995 dans lesquelles elle s’est décrite pour la première fois en tant que SPCC et a réclamé pour la première fois des CIIR s’élevant à 904 293 $ pour l’année d’imposition 1994 et à 835 596 $ pour l’année d’imposition 1995.

 

[25]           Des discussions ont eu lieu. Thera a également présenté au ministre une demande de détermination de perte à l’égard de l’année d’imposition 1995.

 

[26]           Le 7 août 2002, le ministre a refusé de traiter la déclaration modifiée de Thera pour l’année 1994 au motif que la déclaration avait été produite après le délai prévu. Le 4 août 2003, il a refusé de traiter la déclaration modifiée de Thera pour l’année 1995 pour le même motif, c’est‑à‑dire que la déclaration avait été produite après le délai prévu.

 

[27]           Le 3 septembre 2003, le ministre a renouvelé son refus de traiter les déclarations modifiées de Thera pour les années d’imposition 1994 et 1995 pour le même motif, c’est‑à‑dire que les déclarations avaient été produites après le délai prévu (la décision de M. Oliverio).

 

[28]           Thera n’a pas contesté ces décisions de refuser de traiter ses déclarations modifiées dans l’attente de l’issue d’une affaire devant la Cour canadienne de l’impôt, appelée l’affaire Perfect Fry (Perfect Fry Company Ltd c La Reine, 2007 CCI 133). Le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision dans l’affaire Perfect Fry le 6 mars 2007. L’appel du ministre devant la Cour d’appel fédérale a été rejeté à l’audience le 18 juin 2008.

 

[29]           Pour des raisons de stratégie, de concert avec les efforts déployés en 2001, en 2002 et en 2003 pour obtenir des CIIR pour les années d’imposition pertinentes, Thera a présenté au ministre une demande de détermination de perte pour l’année 1995, comme je l’ai mentionné plus tôt. Le 17 avril 2002, le ministre a établi une détermination des pertes autres que des pertes en capital. Le 9 juillet 2002, Thera s’est opposée à la détermination de perte au motif qu’elle avait droit à des CIIR.

 

[30]           Ce n’est que le 29 juin 2009 que l’ARC a rejeté l’avis d’opposition de Thera, confirmant ainsi la détermination de perte. Thera avait demandé à la Direction des appels de l’ARC de ne pas se prononcer sur son opposition avant qu’une décision ne soit rendue dans l’affaire Perfect Fry. En rejetant l’avis d’opposition, la Direction des appels de l’ARC était d’avis que Thera n’avait pas le droit de soulever aucune autre question (c’est‑à‑dire la réclamation de CIIR pour l’année 1995) que celle concernant le montant de ses pertes pour l’année d’imposition 1995. Thera n’a pas poussé la question plus loin parce qu’à la suite de la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Perfect Fry, elle disposait d’une voie plus directe pour faire valoir son droit à des CIIR pour les années d’imposition 1994 et 1995.

 

            b)  Les nouvelles réclamations de CIIR

[31]           Rappelons que la première fois que Thera a présenté la réclamation de CIIR à l’égard de R&D Inc. était le 17 septembre 2001, et que cette réclamation s’est soldée par le refus du ministre de traiter les déclarations de revenus modifiées (qui contenaient les renseignements prescrits conformément au paragraphe 127.1(1) de la Loi parce que les déclarations modifiées avaient été produites après le délai prévu, c’est‑à‑dire qu’elles étaient frappées de prescription).

 

[32]           Comme je l’ai mentionné, le 6 mars 2007, le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision dans l’affaire Perfect Fry. Le 10 août 2007, Sylvain Charest, de KPMG, a de nouveau produit, pour le compte de Thera, les mêmes déclarations de revenus modifiées contenant les renseignements prescrits que celles qu’il avait produites le 17 septembre 2001. Il a mentionné la décision de M. Oliverio, datée du 3 septembre 2003, suivant laquelle l’ARC ne pouvait examiner ces documents parce qu’ils n’avaient pas été présentés (produits) dans le délai prescrit.

 

[33]           Monsieur Charest a indiqué qu’il croyait comprendre, à la suite de la décision Perfect Fry, que l’ARC avait changé d’avis et reconnaissait désormais que les formulaires T‑2038 contenant les renseignements prescrits par le paragraphe 127.1(1) de la Loi n’étaient assujettis à aucun délai de présentation (délai de production). Il a souligné que dans Perfect Fry, la société avait produit le formulaire T‑2038 modifié, plus de 18 mois suivant la limite prévue pour l’année d’imposition. La société avait de plus augmenté les CII de 15 % conformément au paragraphe 127(10.1) de la Loi et calculé les CIIR conformément au paragraphe 127.1(1), mais le ministre avait refusé de lui accorder le remboursement prévu.

 

[34]           Monsieur Charest a formellement demandé à l’ARC de traiter le formulaire T‑2038 modifié conformément au paragraphe 127.1(1) et de déterminer ensuite le montant de CIIR auquel Thera avait droit et enfin, de rembourser tout paiement réputé en trop.

 

[35]           Le 17 septembre 2010, l’ARC a transmis sa réponse au moyen d’une lettre de Giovanna Paglia, gestionnaire, Examen financier, Division de la RS&DE, BSFM, adressée à KPMG s.r.l./S.E.N.C.R.L. Cette lettre était libellée comme suit :

[traduction]

La présente lettre est une réponse à votre lettre datée du 10 août 2007 (copie jointe) concernant votre demande de crédits d’impôt à l’investissement (CII) remboursables à l’égard de l’année d’imposition se terminant le 15 décembre 1994 et l’année d’imposition se terminant le 30 novembre 1995.

 

L’examen des dossiers de l’ARC révélait que ces demandes de modification de CII et de CII remboursables ont déjà fait l’objet d’un examen de l’ARC et qu’une réponse définitive vous a été communiquée le 3 septembre 2003 (copie jointe) vous informant que les demandes étaient inadmissibles.

 

De plus, les demandes de CII remboursables ont été présentées après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation et sont par conséquent inadmissibles.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

            c)  La correspondance ultérieure

[36]           Le 23 septembre 2010, Evelyn Moskowitz a écrit une lettre à Giovanna Paglia en réponse à la lettre de refus de cette dernière, datée du 17 septembre 2010. Elle a indiqué que sa lettre avait deux objets :

            Premièrement, elle souhaitait formuler de brefs commentaires relativement au bien‑fondé de l’opinion que l’ARC avait auparavant reformulée le 3 septembre 2003, à savoir que la demande de CIIR était inadmissible parce qu’elle n’avait pas été présentée à l’intérieur d’un délai précis, c’est‑à‑dire qu’une réclamation de CIIR devait être présentée dans les 18 mois suivant l’année au cours de laquelle les dépenses de RS&DE donnant lieu aux réclamations de CIIR avaient été engagées; elle souhaitait aussi formuler des commentaires sur le motif fondé sur la prescription suivant lequel les réclamations avaient été faites après la période normale de nouvelle cotisation. Elle soutenait que le délai de prescription de 18 mois et les délais de prescription des périodes normales de nouvelle cotisation étaient tous deux contraires à la décision Perfect Fry.

            Deuxièmement, si, malgré les deux arguments qu’elle invoquait, l’ARC était toujours d’avis que Thera n’avait droit à aucune partie des réclamations, [traduction« elle demandait] que l’ARC établisse des avis de détermination à cet égard pour chacune des années pertinentes et qu’elle déclare dans les avis le montant de CIIR auquel elle estime que Thera a droit pour ces années (les années d’imposition 1994 et 1995) ».

[37]           Evelyn Moskowitz a par la suite soutenu que dès le début du procès devant le juge Paris, le ministre avait abandonné l’argument selon lequel il existait un délai de 18 mois pour présenter une réclamation de CIIR

 

[38]           En ce qui concerne l’argument fondé sur la prescription, elle a soutenu que lorsque le juge Paris a interprété la Loi, et plus particulièrement le paragraphe 152(1.2), il a conclu que « les remboursements qui sont payables par suite d’une détermination, doivent être demandés dans la période normale de nouvelle détermination applicable au contribuable, plutôt que dans la période normale de nouvelle cotisation qui lui est applicable ».

 

[39]           Ce n’est qu’après que Me Evelyn Moskowitz eut reçu le message vocal de Guylaine Gaudreault le 4 novembre 2010 que Thera a institué la présente instance le 26 novembre 2010, à l’intérieur du délai de 30 jours prévu par la Loi sur les Cours fédérales (LRC 1985, c F‑7).

 

[40]           Après avoir déposé l’avis de demande, Evelyn Moskowitz a déposé, le 16 décembre 2010, un avis d’opposition à la lettre du 17 septembre 2010 tout en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un avis de détermination. Elle déposait l’avis d’opposition à titre de mesure de protection dans le cas où l’ARC adopterait l’opinion contraire à celle adoptée auparavant. Rien dans le dossier n’indique que l’ARC ait adopté une opinion contraire.

 

VI.  Les affidavits présentés en preuve

            a)  Pour le compte de Thera

                        (i)  L’affidavit de Me Evelyn Moskowitz

[41]           Comme je l’ai déjà mentionné, la demande de contrôle judiciaire de Thera était appuyée par l’affidavit de Me Evelyn Moskowitz qui n’a pas été contre‑interrogée sur celui‑ci. Son affidavit présente simplement une chronologie des événements importants dans la présente affaire. Il contient également son interprétation de la décision Perfect Fry.

 

[42]           Cependant, au paragraphe 31 de son affidavit, elle renvoie à une directive du 31 août 2010 que la directrice, Division de l’élaboration des politiques, Administration centrale de l’ARC (AC‑ARC) à Ottawa, a transmis à tous les directeurs adjoints de la Division de la RS&DE de chacun des bureaux des services fiscaux et qui indiquait ce qui suit :

Dans les cas où l’année d’imposition est frappée de prescription, toute lettre émise [sic] au contribuable par le BSF/CF refusant un [redressement demandé par le contribuable] doit être formulée de façon à s’assurer que ce ne soit pas considéré comme une détermination ou une nouvelle cotisation, afin d’éviter de donner le droit au contribuable de s’opposer. Il est recommandé que la lettre comprenne le libellé suivant :

 

Notre examen des dossiers de l’ARC, à la réception de votre lettre datée du JJ/MM/AAAA, indique que le CII en question a déjà été examiné par l’ARC et qu’une réponse finale a été envoyée le JJ/MM/AAAA. L’ARC s’est donc acquittée de son obligation à l’égard de votre demande.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[43]           À son avis, la lettre que Giovanna Paglia lui a transmise le 17 septembre 2010 [traduction] « était conforme à la directive ».

 

            b)  Pour le compte du ministre

[44]           Les affidavits suivants appuyaient la thèse du ministre.

 

                        (i)  L’affidavit de Joseph Gatti

[45]           Joseph Gatti est un vérificateur à la Division de la RS&DE du BSFM. Son mandat visait l’année d’imposition 1994 de R&D Inc. et consistait à vérifier la réclamation de RS&DE [traduction] « composée de ses dépenses de RS&DE et ses réclamations de CII au titre de la RS&DE. »

 

[46]           Monsieur Gatti a joint à son affidavit, sous la cote 1, la déclaration de revenus de 1994 de R&D Inc. sans les annexes. Il déclare que la déclaration de revenus de 1994 a fait l’objet d’une cotisation initiale le 18 avril 1995. Les montants réclamés comme dépenses de RS&DE et de CII ont été admis. Cette cotisation ne fait état d’aucune réclamation de CIIR. Dans sa déclaration de revenus, R&D Inc. s’était décrite comme une société autre qu’une SPCC et n’était donc pas admissible à gagner des CIIR.

 

[47]           Monsieur Gatti a terminé sa vérification le 6 mai 1998. Le résultat de la vérification n’a entraîné aucun changement à la déclaration de R&D Inc. Il joint à son affidavit, sous la cote 2, une copie de son rapport de vérification.

 

[48]           À la page 123 du dossier du défendeur se trouve une copie des cinq premières pages de la déclaration de revenus de 1994 de R&D Inc. R&D Inc. s’y décrit comme une société autre qu’une SPCC et par conséquent, elle n’est pas admissible à réclamer des CIIR. Elle peut cependant réclamer des CII, c’est‑à‑dire des crédits d’impôt non remboursables, ce qu’elle a fait, et un montant de crédits d’impôt de 911 000 $ a été admis.

 

[49]           Il a souligné au paragraphe 1 de son rapport de vérification que sa vérification était limitée à un examen des réclamations de RS&DE et du crédit d’impôt à l’investissement (CII) et du CII remboursable connexes, plus particulièrement, les dépenses admissibles aux fins des CII, pour valider les réclamations.

 

[50]           Dans la lettre d’accompagnement de juin 1998 envoyée à Thera, M. Gatti déclare ce qui suit : « Ainsi votre réclamation de crédit d’impôt d’investissement et de crédit d’impôt remboursable est comme il était indiqué dans votre déclaration. »

 

                        (ii) L’affidavit de Michel Beaudry

[51]           L’affidavit de Michel Beaudry est rédigé en français. Monsieur Beaudry est un vérificateur au BSFM et il avait pour tâche de vérifier la déclaration de revenus de 1995 de R&D Inc. Il était aussi chargé de vérifier les déclarations de revenus de Thera pour les années d’imposition 1996 et 1997 dont je ne traiterai pas, puisque la présente demande de contrôle judiciaire vise uniquement les années d’imposition 1994 et 1995.

 

[52]           Son mandat était semblable à celui confié à Joseph Gatti : vérifier les dépenses de RS&DE réclamées et les crédits d’impôt correspondant à ces dépenses « soit le crédit d’impôt à l’investissement (CII) […] » La déclaration de revenus de 1995 de R&D Inc. est jointe à son affidavit sous la cote 1. Elle indique clairement que R&D Inc. s’est décrite comme une société autre qu’une SPCC et par conséquent, non admissible à réclamer des CIIR.

 

[53]           Monsieur Beaudry fait clairement valoir ce point dans son affidavit :

En produisant ses déclarations de revenus pour ses années d’imposition 1995, 1996 et 1997, Theratechnologies R&D Inc. n’a réclamé aucun CII remboursable (« CIIR »).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[54]           Il confirme que les dépenses de RS&DE et les CII (CII non remboursables) gagnés par R&D Inc. ont été admis dans l’avis de cotisation initial établi par l’ARC le 25 août 1996 pour l’année d’imposition 1995, conformément à ce que la société avait déclaré.

 

[55]           Dans le cadre de sa vérification, M. Beaudry a examiné les livres de R&D Inc. qui indiquaient qu’au 30 novembre 1997, R&D Inc. appartenait entièrement à Thera et que R&D Inc. avait fait l’objet d’une dissolution volontaire en mars 1998.

 

[56]           Dans le reste de son affidavit, M. Beaudry décrit les échanges qu’il a eus avec le directeur de la comptabilité de Thera afin de tenter d’en arriver à une proposition pour l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard des trois années visées par sa vérification. Au cours de ce processus, il a confirmé à R&D Inc. que le délai de prescription était de quatre ans suivant la date de l’avis de cotisation initial, et non de trois ans, parce que R&D Inc. s’était désignée comme une société autre qu’une SPCC. Une entente a été rapidement conclue pour l’année d’imposition 1995. En effet, le problème vise l’année d’imposition 1997 et celle‑ci n’est aucunement visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[57]           Le 30 août 1999, de nouvelles cotisations ont été établies afin de mettre en œuvre l’accord conclu et les modifications étaient expliquées dans les formulaires T7WC établis pour chacune des années d’imposition. Selon les explications de M. Beaudry, ce formulaire indiquait le montant des CII gagnés et les soldes reportés dans l’ensemble des CII. M. Beaudry ne mentionne aucunement la détermination de CIIR.

 

[58]           Le rapport de vérification de M. Beaudry, sur lequel la nouvelle cotisation était fondée, indique clairement que Thera (R&D Inc.) n’est pas admissible à gagner des CIIR. Monsieur Beaudry a écrit ce qui suit [en français] :

(l)  Crédit d’impôt à l’investissement

 

Le Contribuable n’est pas admissible au taux majorité [sic] de 35 % selon 127(10.1) car il n’était pas une SPCC [CCPC] tout au long de la période vérifiée.

 

(m)  Crédit d’impôt à l’investissement remboursable

 

Le Contribuable n’a pas droit au remboursement des crédits d’impôt gagnés sur les dépenses courantes et en capital de RS & DE car il n’est pas une société admissible en vertu de 127.1(2) de la LIR.

 

[Non souligné dans l’original.] (Voir le dossier du défendeur, à la page 340)

 

 

[59]           De plus, le formulaire T7WC établi pour l’année d’imposition 1995 et ceux établis pour les années 1996 et 1997 ne font aucunement état des CIIR (voir le dossier du défendeur, aux pages 342 à 344).

 

                        (iii)  L’affidavit de Louis Bougie

[60]           Rappelons que M. Bougie était responsable du traitement de l’avis d’opposition que Thera a déposé le 12 juillet 2002 à l’égard de l’avis de détermination de perte établi pour l’année d’imposition 1995. Cette opposition était fondée sur la prétention que Thera avait droit à des CIIR.

 

[61]           Au paragraphe 5 de son affidavit, M. Bougie indique que Thera avait auparavant produit des déclarations de revenus modifiées pour les années d’imposition 1994 et 1995 [traduction] « aux fins d’obtenir un nouveau calcul de ses CIIR ».

 

[62]           Voici ce qu’il a écrit au paragraphe 7 de son affidavit :

[traduction]

Avant que je me prononce sur l’opposition, j’ai été informé que le 7 août 2002, le 4 août 2003 et à nouveau le 3 septembre 2003, l’ARC avait déjà établi que Theratechnologies R&D Inc. n’avait pas droit aux CIIR qu’elle demandait pour l’année d’imposition se terminant le 15 décembre 1994 et l’année d’imposition se terminant le 30 novembre 1995.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[63]           Au paragraphe 9 de son affidavit, il indique que le 29 juin 2009 ou vers cette date, il a informé KPMG de même que Thera de sa décision sur l’opposition relative à la perte :

[traduction]

Je les ai informées que Theratechnologies R&D Inc. ne pouvait pas faire valoir qu’elle avait droit à des CIIR : le montant de sa perte autre qu’une perte en capital était la seule question à trancher.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[64]           Comme je l’ai souligné, Thera n’a pas porté cette question en appel devant la Cour canadienne de l’impôt comme elle avait le droit de le faire.

 

                        (iv)  L’affidavit de Giovanna Paglia

[65]           Comme je l’ai mentionné, Giovanna Paglia, comme chef d’équipe, Division de la RS&DE du BSF de Montréal, était chargée de répondre à la demande de Thera [traduction] « de traiter les formulaires T‑2038 modifiés concernant les CII afin de déterminer le montant de CII remboursables » (paragraphe 1 de son affidavit).

 

[66]           Dans son affidavit, aux paragraphes 2 à 7 inclusivement, elle fait l’historique des tentatives entreprises par Thera pour obtenir des CIIR : (1) la première consiste en la lettre de demande de M. Charest datée du 17 septembre 2001, laquelle demande a été refusée le 3 septembre 2003 par Joe Oliverio au motif que la réclamation modifiée de Thera en vue d’obtenir [traduction] « un crédit d’impôt à l’investissement » avait été produite hors délai; (2) dans sa lettre du 10 août 2007, M. Charest réclamait à nouveau les CIIR et il [traduction] « demandait pour le compte de la demanderesse que l’ARC détermine le montant de CIIR auquel avait droit la demanderesse à l’égard de ses années d’imposition 1994 et 1995 ». Elle a déclaré que M. Charest [traduction] « fondait sa nouvelle demande sur le fait qu’à son avis, la Cour canadienne de l’impôt avait conclu dans une autre affaire que ces formulaires pouvaient être produits à n’importe quel moment ».

 

[67]           Giovanna Paglia déclare ensuite au paragraphe 9 de son affidavit que Guylaine Gaudreault, directrice par intérim de la Division de la RS&DE de l’ARC au BSFM, lui a demandé de répondre à la demande de 2007 de Thera envoyée par l’entremise de M. Charest.

 

[68]           Voici ce qu’elle a alors écrit au paragraphe 9 de son affidavit :

[traduction]

Le 17 septembre 2010, j’ai répondu à la demande de 2007 de la demanderesse par une lettre de courtoisie dans laquelle j’ai indiqué ce qui suit :

 

a) la même demande avait été présentée en 2001;

 

b) l’ARC avait déjà répondu par la négative le 3 septembre 2003;

 

c) la décision de l’ARC était définitive;

 

d) la demande de 2001 avait été produite hors délai.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[69]           Au paragraphe 12 de son affidavit, Giovanna Paglia indique que le 23 septembre 2010 ou vers cette date, Evelyn Moskowitz de KPMG lui a fait parvenir des observations supplémentaires sur le sujet. Giovanna Paglia déclare dans le paragraphe suivant de son affidavit qu’elle [traduction] « n’avait pas la responsabilité d’y répondre ».

 

VII.  Les éléments qui se dégagent des contre‑interrogatoires des souscripteurs d’affidavit pour le compte du défendeur

[70]           Monsieur Gatti a reconnu ce qui suit :

1.          Il ne connaissait pas le contenu réel de l’avis de cotisation de R&D Inc. pour l’année d’imposition 1994 (dossier de la demanderesse, à la page 170).

2.          Il ne lui était jamais arrivé qu’un contribuable lui demande un avis de détermination de CIIR (dossier de la demanderesse, à la page 171).

3.          R&D Inc. n’a pas demandé d’avis de détermination de CIIR pour l’année d’imposition 1994 (dossier de la demanderesse, à la page 171).

4.          Pour l’année d’imposition 1994, R&D Inc. n’a demandé aucun CIIR (dossier de la demanderesse, aux pages 177 et 178).

5.          Il a confirmé que la pièce 3 jointe à son affidavit, soit la lettre datée du 12 juin 1998, indiquait à R&D Inc. que sa vérification confirmait que la demande de CIIR de la société était celle indiquée dans sa déclaration de revenus pour l’année 1994. Il a de nouveau confirmé que le contribuable n’avait pas réclamé de CIIR et il n’en avait pas déterminé (dossier de la demanderesse, aux pages 178 à 180).

 

[71]           Lors de son contre‑interrogatoire, M. Beaudry, le vérificateur de la déclaration de revenus de 1995 de R&D Inc., a confirmé ce qui suit :

1.          Un avis de nouvelle cotisation avait été envoyé après sa vérification, mais cet avis n’était pas joint à son affidavit. C’est en consultant un imprimé informatique qu’il a déduit ce fait (dossier de la demanderesse, à la page 237), mais il n’a pas vu l’avis de cotisation lui‑même.

2.          Il a examiné les déclarations de revenus de R&D Inc., plus particulièrement le formulaire T‑661 concernant les dépenses de RS&DE réclamées, ensuite le formulaire T‑2038 qui indiquaient les calculs des crédits d’impôt à l’investissement demandés (dossier de la demanderesse, à la page 244), de même que le formulaire T‑2S1 pour les cas où il y a une modification du revenu net déclaré, et les états financiers de la société (dossier de la demanderesse, à la page 245).

3.          En ce qui concerne les CIIR réclamés pour l’année d’imposition 1995, le montant indiqué était zéro; R&D Inc. n’a pas réclamé de CIIR (dossier de la demanderesse, aux pages 248 à 253). R&D Inc. réclamait des CII non remboursables. La raison en était que la société n’était pas admissible à réclamer des CIIR parce qu’elle se décrivait comme une « une société contrôlée par une société publique ». Sa vérification portait exclusivement sur les dépenses de RS&DE et les CII non remboursables réclamés (dossier de la demanderesse, aux pages 253 à 255).

4.          Il n’avait jamais vu d’avis de détermination de CIIR et aucun des documents énumérés à la page 256 du dossier de la demanderesse n’était un avis de détermination de CIIR.

5.          À son avis, « une réclamation à zéro ce n’est pas une réclamation » (dossier de la demanderesse, à la page 260). Il a aussi confirmé que le formulaire T7WC qui expliquait la nouvelle cotisation pour l’année 1995 ne mentionnait aucunement des CIIR (dossier de la demanderesse, à la page 264).

 

[72]           Le contre‑interrogatoire de Giovanna Paglia a duré un long moment. Voici les principaux points qui en sont ressortis :

1.          Le mandat que Guylaine Gaudreault lui a confié le 6 avril 2010 consistait à répondre à la demande de 2007 présentée par Sylvain Charest pour le compte de Thera, de traiter les formulaires T-2038 modifiés concernant les CII et de déterminer le montant des CII remboursables (CIIR).

2.          Elle a expliqué que l’écart de trois ans entre la demande de 2007 et la réponse de 2010 était dû au fait que le dossier se trouvait à la Direction des appels (relativement à l’avis d’opposition concernant la détermination de perte) et que l’ARC souhaitait attendre qu’une décision soit prise avant de répondre à la demande de 2007. Il s’agissait là d’une pratique normale. Elle a également indiqué qu’elle n’a pas discuté du dossier avec M. Bougie, compte tenu de préoccupations en matière d’indépendance (dossier de la demanderesse, à la page 195).

3.          Selon ses explications, elle n’avait pas la responsabilité de répondre à la lettre du 23 septembre 2010 de Me Evelyn Moskowitz dans laquelle celle‑ci faisait des observations supplémentaires concernant la lettre envoyée à M. Charest le 17 septembre 2010. Rappelons que dans sa lettre du 23 septembre 2010, Evelyn Moskowitz demandait formellement à l’ARC d’établir des avis de détermination du droit de Thera à des CIIR, donnant lieu au message que Guylaine Gaudreault a laissé dans la messagerie vocale de Me Moskowitz le 4 novembre 2010.

4.          Son mandat consistait à répondre à la lettre de 2007 de M. Charest. Elle a également exprimé l’avis qu’elle n’avait pris aucune décision le 17 septembre 2010 : [traduction] « J’ai simplement confirmé de nouveau l’opinion déjà adoptée par le ministère en 2003 » (dossier de la demanderesse, à la page 200). Elle a reconnu que M. Charest n’avait reçu aucune réponse officielle de l’ARC avant sa lettre du 17 septembre 2010 (dossier de la demanderesse, aux pages 201 et 202).

5.          Elle a décrit que pour s’acquitter de sa tâche de répondre, elle devait valider les renseignements écrits dans la lettre du mois d’août 2007 et vérifier si l’ARC avait rendu une décision le 3 septembre 2003.

6.          Elle a reconnu qu’elle n’a pas lu la décision Perfect Fry avant de répondre, pas plus qu’elle n’a examiné les dispositions pertinentes de la Loi (dossier de la demanderesse, à la page 204). Elle n’a pas non plus tenu compte du bien‑fondé de l’argument de M. Charest d’un point de vue théorique (dossier de la demanderesse, à la page 205).

7.          Elle a confirmé que M. Charest avait demandé de traiter les formulaires T‑2038 modifiés et de déterminer le montant de CIIR.

8.          En réponse à la question de savoir si M. Charest avait demandé à l’ARC d’établir un avis de détermination de CIIR, elle a déclaré qu’il [traduction] « avait simplement demandé de déterminer le montant de CIIR ». Elle a admis qu’elle n’était pas au courant de la nécessité d’établir des avis de détermination de CIIR et qu’elle n’avait jamais reçu une telle demande (dossier de la demanderesse, à la page 208).

9.          En réponse à la question sur ce que devait faire une personne qui souhaitait contester une décision, elle a déclaré que la personne devait présenter un avis d’opposition. Lorsqu’on lui a demandé à l’égard de quoi l’avis d’opposition était produit, elle a répondu que l’avis d’opposition était produit à l’égard de l’avis de cotisation (dossier de la demanderesse, à la page 209).

10.      Lorsqu’on lui a demandé si elle indiquait à M. Charest qu’il ne pouvait pas obtenir de remboursement, elle a répondu ce qui suit : [traduction] « Je ne lui indiquais rien du tout. Je confirmais l’opinion adoptée par l’ARC en 2003. » (dossier de la demanderesse, à la page 210)

11.      Elle a convenu que la seule décision prise par M. Oliverio en septembre 2003, consistait à ne pas avoir pu accepter les formulaires T‑2038 modifiés (dossier de la demanderesse, aux pages 211 à 213). Giovanna Paglia a indiqué que sa lettre du 17 septembre 2010 avait pour objet de confirmer de nouveau la décision que l’ARC avait prise en 2003 : elle n’a pas refusé d’établir un avis de détermination de crédits d’impôt à l’investissement.

12.      On lui a demandé si elle avait vérifié si des avis de nouvelle cotisation avaient été délivrés à la demanderesse ou si elle estimait qu’un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation constituait un avis de détermination de CIIR (dossier de la demanderesse, à la page 214).

13.      Elle a confirmé qu’elle n’avait consulté aucune interprétation de nature technique ni discuté avec quiconque à l’AC‑ARC lorsqu’elle a donné sa réponse (dossier de la demanderesse, aux pages 216 et 217).

 

VIII.  La thèse des parties

            a)  La thèse de Thera

[73]           Comme je l’ai mentionné, Thera conteste la décision du ministre de refuser la délivrance des avis de détermination, soit l’avis à l’égard des CIIR qu’elle réclame. Elle demande à la Cour de délivrer un bref de mandamus ordonnant au ministre d’établir ces avis pour que Thera puisse alors exercer ses droits d’appel et d’opposition et interjeter appel, le cas échéant.

 

[74]           L’argument en droit de Thera est le même que celui invoqué dans Signalgene et il est intégré dans les présents motifs avec les adaptations factuelles nécessaires. Une comparaison du mémoire de la demanderesse dans l’affaire Signalgene avec le mémoire en l’espèce démontre amplement que les arguments en droit sont identiques.

 

            b)  La thèse du défendeur

[75]           Là encore, par souci de concision, la thèse du ministre est essentiellement la même que celle exprimée dans l’affaire Signalgene.

 

IX.  Analyse et conclusions

[76]           À l’instar de l’affaire Signalgene, j’estime que la présente affaire est essentiellement une demande de contrôle judiciaire que Thera sollicite en vue de faire annuler la décision rendue le 26 octobre 2010 par Ghislaine Gaudreault, directrice par intérim, Division de la RS&DE, BSFM. Thera sollicite également une réparation appropriée suivant l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales. Dans la décision du 26 octobre 2010, Guylaine Gaudreault informait Evelyn Moskowitz que dans le cas de Thera, une détermination de CIIR avait été présentée à Thera le 20 août 1999 à la suite d’une vérification. Elle a également indiqué que [traduction] « nous n’établissons pas un nouvel avis de détermination, lorsqu’un avis a déjà été établi ». Il s’agit du même motif que celui formulé dans Signalgene, c’est‑à‑dire qu’un avis de nouvelle cotisation est réputé être un avis de détermination.

 

[77]           La date du 30 août 1999 renvoie aux nouvelles cotisations établies à la suite de la vérification de Michel Beaudry (voir le paragraphe 57 des présents motifs) qui, selon ses précisions, n’ont aucun lien avec des CIIR en raison du fait que Thera n’était pas admissible à en réclamer parce qu’elle n’était pas une SPCC (voir le paragraphe 58 des présents motifs). De plus, lors de son contre‑interrogatoire, M. Beaudry a expressément déclaré qu’« une réclamation à zéro ce n’est pas une réclamation » (voir le cinquième point du paragraphe 71 des présents motifs).

 

[78]           L’examen des affidavits des autres vérificateurs donne le même résultat. Les vérificateurs ne vérifiaient pas les CIIR de Thera parce qu’elle n’en réclamait aucun à ce moment‑là. La première fois que Thera a réclamé des CIIR était en 2001, avant la décision Perfect Fry. Le traitement de cette réclamation a été refusé parce qu’elle avait été produite hors délai (la décision de M. Oliverio).

 

[79]           Le 10 août 2007, Sylvain Charest a présenté de nouveau les réclamations de CIIR pour le compte de Thera. Dans sa lettre du 10 septembre 2010, Giovanna Paglia a refusé ces réclamations au motif qu’elles étaient prescrites et qu’elles avaient déjà été examinées suivant la directive du 13 août 2012. Cette directive vise une demande de modification du genre de société indiqué sur une déclaration de revenus des sociétés T2 après la date de prescription.

 

[80]           En conséquence, j’estime que la décision faisant l’objet du présent contrôle dans le dossier de Thera, qui a été prise par la même personne que dans l’affaire Signalgene et qui a été rejetée pour le même motif, c’est‑à‑dire qu’un avis de cotisation est réputé être un avis de détermination, souffre des mêmes lacunes que celles qui ont été dégagées dans cette affaire : ni la décision de nature technique ni l’esprit de la Loi à l’égard des CIIR ni les enseignements contenus dans la décision Perfect Fry n’ont été pris en compte.

 

[81]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens taxés suivant la colonne V, selon le nombre maximal d’unités permis pour chaque service taxable du tarif de la Cour. La décision du 4 novembre 2010 par laquelle le ministre a refusé d’établir à l’égard de la demanderesse des avis de détermination du montant de CIIR pour les deux années d’imposition pertinentes est annulée et, en vertu du pouvoir de la Cour suivant l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il établisse l’avis de détermination demandé relativement au montant que la demanderesse est réputée avoir payé à l’égard de l’impôt qu’elle doit payer en vertu de la partie I au cours de chacune des années d’imposition pertinentes, conformément à l’alinéa 152(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1983‑10

 

INTITULÉ :                                                  THERATECHNOLOGIES INC. c
MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edwin G. Kroft, c.r.

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Philippe Dupuis

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.