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Date : 20121128

Dossier : IMM‑424‑12

Référence : 2012 CF 1379

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2012

En présence du juge en chef

 

ENTRE :

 

PARMJIT KAUR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Parmjit Kaur, est citoyenne indienne. Elle soutient, entre autres, qu’elle serait exposée à un risque grave de persécution, y compris de violence physique pouvant aller jusqu’à la mort, si elle était obligée de retourner en Inde.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté sa demande d’asile après avoir conclu que son « récit » n’était pas plausible, que son témoignage n’était pas crédible et que ses actes des 17 mois qui avaient suivi son départ de l’Inde démontraient une absence de crainte subjective de persécution.

 

[3]               Mme Kaur soutient que la Commission s’est trompée en concluant ainsi. Elle affirme en outre que la Commission a omis de prendre dûment en considération le rapport de son psychologue, les Directives du président no 4 intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives], ainsi que sa demande d’asile fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

[4]               Je ne puis souscrire à ces prétentions. Par les motifs dont l’exposé suit, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

I.          Le contexte

[5]               Mme Kaur est âgée de 30 ans et de religion sikhe. En décembre 2008, elle a reçu la visite d’une condisciple musulmane prénommée Salina, du frère de Salina et d’un ami de celui‑ci. Sur leur chemin de retour, Salina et les deux hommes auraient été interpellés à un poste de contrôle policier. L’ami du frère, soupçonné de liens avec le Hizbul Mujahideen, a réussi à s’enfuir, mais Salina et son frère ont été arrêtés. Au cours de leur interrogatoire, ils ont informé la police qu’eux-mêmes et l’ami du frère avaient séjourné chez Mme Kaur.

 

[6]               Plus tard le même mois, Mme Kaur aurait été arrêtée par la police de son village. Elle affirme qu’on la soupçonnait de posséder des informations sur le Hizbul Mujahideen, et qu’on l’a battue et humiliée au commissariat de police. Elle a été relâchée grâce à un pot‑de‑vin payé par son père. Cependant, une fois que la nouvelle eut commencé à se répandre dans la collectivité qu’elle avait été détenue par la police, elle a subi diverses formes de harcèlement et de mauvais traitements qu’elle assimile à de la persécution.

 

[7]               La police aurait fait une descente chez Mme Kaur le 4 juin 2009, en son absence. Elle est partie pour les États‑Unis cinq jours plus tard, soit le 9. Elle a vécu dans l’État de Washington jusqu’au 2 octobre 2010, date de son entrée au Canada, où elle a demandé l’asile le 29 du même mois.

 

 

II.        La décision contrôlée

[8]               Dès le début de ses motifs, la Commission définit la question décisive comme étant la crédibilité des allégations de Mme Kaur.

 

[9]               À propos de cette question, la Commission commence par expliquer pourquoi elle a conclu à l’absence de plausibilité du « récit » de la demanderesse, puis elle expose les diverses raisons qu’elle a de juger son témoignage non crédible.

[10]           La Commission fait observer que les actes de Mme Kaur qui ont suivi son départ de l’Inde témoignent d’une absence de crainte subjective, étant donné que i) elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis pendant son séjour de 16 mois dans ce pays, et que ii) elle n’a pas demandé l’asile au Canada immédiatement après son arrivée.

[11]           La Commission explique que, comme les affirmations de Mme Kaur se rapportent à la façon dont une femme peut être traitée en Inde du fait de certains types de rumeurs, les questions que soulève sa demande d’asile relèvent des Directives. Cependant, conclut la Commission, par suite de l’absence d’éléments crédibles tendant à prouver que Mme Kaur aurait subi une persécution fondée sur le sexe en Inde, ce document ne s’applique pas à son cas.

[12]           Enfin, étant donné ses conclusions défavorables sur la crédibilité de Mme Kaur et le fait que cette dernière a avancé, au titre de l’article 97 de la LIPR, les mêmes allégations qu’au titre de son article 96, la Commission a rejeté sommairement, sans autre examen, la demande d’asile de la demanderesse fondée sur ledit article 97.

 

III.       La norme de contrôle judiciaire

[13]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission touchant la crédibilité de Mme Kaur et l’absence de crainte subjective est celle du caractère raisonnable. Il en va de même pour son traitement du rapport établi par le psychologue de Mme Kaur, des Directives et de la demande d’asile fondée sur l’article 97 de la LIPR. Voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 51 à 55, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, paragraphes 46 et 47, [2009] 1 RCS 339; et Velez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 923, paragraphes 22 et 23 (disponible sur CanLII) [Velez].

 

IV.       Analyse

A.    Les conclusions défavorables de la Commission sur la crédibilité

 

[14]           Mme Kaur soutient que la Commission s’est trompée en concluant à l’absence de plausibilité de deux aspects de ses allégations et à la non-crédibilité de son témoignage.

[15]           J’estime comme la demanderesse que les deux conclusions de la Commission sur la plausibilité ne sont pas raisonnables. La première de ces conclusions concerne la déclaration de Mme Kaur selon laquelle elle n’a plus jamais reparlé à son amie Salina après que la police soit venue chez elle. À mon sens, il n’était pas raisonnable de la part de la Commission de conclure à l’invraisemblance de cette déclaration. Si Mme Kaur croyait effectivement que son amie Salina l’avait trahie, il me paraît tout à fait compréhensible qu’elle ne lui ait plus jamais adressé la parole. L’expérience commune nous apprend qu’une telle conduite n’a rien d’extraordinaire et n’est certainement pas invraisemblable.

[16]           La deuxième de ces conclusions sur la plausibilité concerne l’affirmation de Mme Kaur selon laquelle elle tient des policiers qui l’ont arrêtée certains renseignements clés contenus dans ses allégations. La Commission a estimé invraisemblable que les policiers aient dit à Mme Kaur que les renseignements sur lesquels ils fondaient les accusations portées contre elle avaient été obtenus par la torture. Je ne puis souscrire à cette conclusion, qui me paraît déraisonnable, surtout en l’absence de toute analyse des pratiques de la police indienne.

[17]           Toutefois, la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de Mme Kaur n’était pas crédible me semble raisonnable. Cette conclusion se fonde en grande partie sur les constatations faites par la Commission touchant i) les contradictions et autres aspects douteux du témoignage de Mme Kaur, et ii) l’absence d’éléments importants de ses allégations dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP]. Les principales constatations sont les suivantes :

i.                    Le témoignage de Mme Kaur était contradictoire et elle n’a cessé d’enrichir sa version des faits tout au long de l’audience. Par exemple, interrogée au début de celle‑ci sur le point de savoir si elle avait déjà subi du harcèlement ou des mauvais traitements dans les transports en commun en Inde, elle a répondu par la négative. Cependant, après qu’on lui eut fait observer que, selon les documents produits sur l’Inde, les femmes y sont parfois harcelées dans les transports en commun, elle a déclaré que les autres passagers la pointaient du doigt et la traitaient de noms humiliants. C’est seulement lorsqu’on lui eut demandé si elle avait subi pire que des insultes qu’elle a informé la Commission que de jeunes enfants lui avaient lancé des pierres. Interrogée de nouveau sur ce point plus tard au cours de l’audience, elle a ajouté que certaines personnes avaient dit qu’elle n’avait pas le droit de vivre et devrait être tuée. Le tribunal se faisant plus insistant, elle a déclaré que [TRADUCTION] « la société [lui] lançait des pierres » et avait essayé de la tuer. Or, Mme Kaur n’avait pas fait mention de ces faits importants dans son FRP, qui portait seulement qu’on l’avait traitée de [TRADUCTION] « divers noms injurieux et humiliants ».

ii.                  Mme Kaur n’a pu donner aucune explication raisonnable du fait que des gens qui ne l’avaient jamais vue auparavant et ne la connaissaient pas non plus de nom aient été en mesure d’établir le lien entre elle et les rumeurs qui auraient circulé à son sujet.

[18]           J’estime qu’il était tout à fait raisonnable de la part de la Commission de conclure, sur la base des constatations exposées ci‑dessus, au caractère non crédible des principales allégations et du témoignage de Mme Kaur. Cette conclusion appartient sans l’ombre d’un doute « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », elle est dûment justifiée, tout comme se révèle à la fois transparent et intelligible le processus qui y a conduit (voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

B.     La conclusion de la Commission concernant la crainte subjective

 

[19]           Mme Kaur soutient que la Commission a agi déraisonnablement en concluant à l’absence de crainte subjective. Je suis en désaccord avec la demanderesse sur ce point.

[20]           La Commission a conclu dans ce sens en se fondant sur le fait que Mme Kaur n’avait pas demandé l’asile pendant son séjour de 16 mois aux États‑Unis et ne l’avait pas demandé non plus dès son arrivée au Canada. Étant donné la longue durée du séjour de la demanderesse aux États‑Unis, la conclusion de la Commission ne me paraît pas déraisonnable. Elle est même tout à fait conforme à la jurisprudence de notre Cour concernant des retards de durée semblable ou plus courte. Voir par exemple : Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, paragraphes 14 et 15, 125 ACWS (3d) 137; Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, paragraphe 17, 127 ACWS (3d) 329; Fernando c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 759, paragraphe 3, 107 ACWS (3d) 115; Castillejos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 52 ACWS (3d) 614, paragraphe 12 (disponible dans QL) (CF 1re inst.); et Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 40 ACWS (3d) 487, 157 NR 225 (CA).

[21]           Cependant, je signale pour mémoire que le simple fait que l’intéressé ait attendu quelques semaines après son arrivée au Canada pour y demander l’asile ne constitue pas normalement en soi un motif raisonnable de conclure à l’absence de crainte subjective, surtout si, comme c’était le cas en l’espèce, il a demandé l’aide d’un conseil pendant cette période.

C.     Le traitement du rapport psychologique par la Commission

 

[22]           Mme Kaur soutient que la Commission a commis l’erreur d’écarter, de ne pas prendre dûment en considération ou de mal interpréter les éléments de preuve que contenait le rapport de son psychologue dans le cadre du processus qui l’a amenée à tirer des conclusions défavorables sur sa crédibilité. Je ne puis souscrire à cet argument.

[23]           La Commission note dans sa décision que Mme Kaur a consulté un psychologue deux fois peu avant l’audience et lui a communiqué des renseignements qu’il résume dans son rapport. La Commission fait ensuite observer, à propos des déclarations du psychologue touchant les symptômes de trouble de stress post-traumatique constatés chez Mme Kaur, qu’elles « n’indiquent en rien que ces symptômes découlent nécessairement des raisons invoquées par [celle‑ci] ». Elle ajoute que le psychologue tient de sa cliente elle-même ses renseignements sur ce qui serait arrivé en Inde et que, étant donné les problèmes de crédibilité que pose le témoignage de Mme Kaur, elle a décidé de n’accorder aucun poids au rapport psychologique pour ce qui est de la confirmation de ces événements supposés.

[24]           À première vue, l’attitude ainsi adoptée par la Commission à l’égard du rapport du psychologue incline à penser qu’elle pourrait ne l’avoir pris en considération que pour répondre à la question de savoir s’il corroborait les allégations de Mme Kaur et avoir omis d’en tenir compte aux fins de son appréciation de la crédibilité de cette dernière en tant que témoin.

[25]           Mme Kaur avance que la Commission était tenue de prendre spécialement en considération le rapport psychologique aux fins d’appréciation de sa crédibilité et qu’elle a commis une erreur donnant lieu à révision en ne démontrant pas dans ses motifs qu’elle l’ait fait.

[26]           Mme Kaur invoque les décisions suivantes de notre Cour au soutien de cette thèse : Csonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 915, paragraphe 29, 107 ACWS (3d) 851 (1re inst.); Khawaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 287, 92 ACWS (3d) 672; Rudaragi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 911, paragraphe 6 ( disponible sur CanLII); Atay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 201, paragraphes 30 à 32, 165 ACWS (3d) 319; et Mico c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 964, paragraphes 49 à 56, 1 Imm. LR (4th) 1 [Mico].

[27]           Cependant, toutes ces décisions sauf la dernière sont antérieures à Dunsmuir, précité, et la dernière (Mico, précitée) a elle-même été rendue avant les arrêts suivants de la Cour suprême du Canada : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 RCS 471 [Mowat]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers]; et Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 RCS 364 [Halifax].

[28]           Dans chacun de ces récents arrêts, la Cour suprême a pour l’essentiel répété le principe qu’elle avait formulé au paragraphe 48 de Dunsmuir, précité, selon lequel la norme du caractère raisonnable implique un niveau de déférence qui « suppose [...] le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit »; voir Mowat, précité, paragraphe 29; Newfoundland Nurses, précité, paragraphe 11; Alberta Teachers, précité, paragraphes 53 et 54; et Halifax, également précité, paragraphe 51.

[29]           De plus, dans les arrêts Newfoundland Nurses, Alberta Teachers et Halifax, la Cour suprême a développé sa pensée sur le degré de déférence et de retenue dont doit faire preuve la cour appelée à contrôler une décision administrative suivant la norme du caractère raisonnable.

[30]           Par exemple, aux paragraphes 12 à 17 de Newfoundland Nurses, précité, la juge Abella, écrivant au nom de la Cour unanime, a rejeté l’idée que l’« insuffisance » des motifs permettrait à elle seule de casser une décision et a souscrit au principe selon lequel la cour de révision doit chercher à compléter lesdits motifs avant d’en entreprendre la réfutation. À ce propos, elle faisait observer que les juges siégeant en révision doivent « se garder de substituer leurs propres opinions à celles [des décideurs administratifs] quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs ». Elle a également noté qu’il n’est pas nécessaire que les motifs du tribunal administratif fassent référence « à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » pour pouvoir résister à un contrôle effectué selon la norme du caractère raisonnable : les motifs sont suffisants quand ils permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et d’établir si elle s’inscrit parmi les issues acceptables. La cour de révision, ajoutait la juge Abella, « ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[31]           Le juge Rothstein, écrivant au nom de la majorité de la Cour suprême, a formulé le principe suivant au paragraphe 53 de l’arrêt Alberta Teachers, précité : « Lorsque la décision pourrait avoir une assise raisonnable, la cour de justice doit y déférer. »

[32]           Enfin, aux paragraphes 45 à 49 de Halifax, précité, le juge Cromwell écrit au nom de la Cour unanime que « le tribunal de révision doit se demander si la loi ou la preuve offrait un fondement raisonnable » à la conclusion du tribunal administratif. Autrement dit, explique‑t‑il, « la décision du tribunal administratif est raisonnable dès lors qu’elle a "un fondement rationnel", et « le contrôle au regard de la norme de la décision raisonnable doit essentiellement s’attacher à la question de savoir si quelque élément fondé sur la raison justifiait la [décision contrôlée] ».

[33]           Cette récente jurisprudence de la Cour suprême me paraît avoir sensiblement réduit la possibilité d’annuler des décisions de la Commission au motif qu’elle n’aurait pas pris en considération, ou pas suffisamment, le contenu d’un rapport psychologique. Elle a aussi notablement réduit l’éventail des cas où la Commission pourrait être considérée comme obligée d’examiner et d’analyser explicitement dans ses motifs le contenu d’un rapport psychologique aux fins de se prononcer sur la crédibilité.

[34]           Si la cour de révision peut trouver dans la preuve un quelconque fondement raisonnable aux conclusions défavorables de la Commission sur la crédibilité, ou si l’on peut considérer que celles‑ci ont un fondement rationnel, par exemple la présence dans la preuve d’incohérences, contradictions ou omissions [ICO] importantes et confirmées, elle doit normalement laisser subsister ces conclusions (Dunsmuir, précité, paragraphe 41). Il en va ainsi même si la Commission ne fait pas explicitement référence à la preuve en question dans sa décision, ou ne l’y analyse que partiellement.

[35]           La cour de révision peut normalement établir pourquoi la Commission a formulé une conclusion défavorable sur la crédibilité lorsque cette conclusion se fonde sur la présence d’ICO dans la preuve du demandeur d’asile. Si ces ICO sont importantes et se trouvent confirmées par l’examen de la preuve au dossier, celle‑ci et les motifs de la Commission convaincront ordinairement la cour de révision que la conclusion défavorable sur la crédibilité et la décision finale s’inscrivent parmi les issues acceptables, ce qui devrait suffire à permettre à cette conclusion de résister à l’examen (Newfoundland Nurses, précité, paragraphe 16), à moins qu’un élément déterminé d’un rapport psychologique n’incline fortement à penser que ladite conclusion est en fait déraisonnable.

[36]           Que tel ou tel élément du rapport psychologique offre une autre explication possible de la totalité ou d’une partie des ICO ne change rien au fait que ces ICO, une fois confirmées par l’examen du dossier, assurent un fondement raisonnable ou rationnel à la conclusion défavorable de la Commission sur la crédibilité et à sa décision finale. Il en va particulièrement ainsi lorsque le rapport ne propose qu’une explication partielle de certaines des ICO.

[37]           Par exemple, le fait que le rapport psychologique, comme c’est le cas en l’espèce, établisse un lien de cause à effet entre un trouble de stress post-traumatique ou un autre état pathologique et la tendance du demandeur d’asile à se montrer vulnérable, désorienté, anxieux, bouleversé ou ému lorsqu’il est interrogé, ou à réagir au stress par la dissociation mentale, ne constitue pas ordinairement une explication raisonnable de ce qu’il ait omis un élément important de sa version des faits dans son FRP, surtout s’il a établi celui‑ci avec l’aide d’un conseil. Compte tenu des passages précités des arrêts Newfoundland Nurses, Alberta Teachers et Halifax, on ne voit pas non plus de prime abord comment de tels troubles psychologiques suffiraient à priver de son fondement rationnel ou de toute assise raisonnable une conclusion défavorable sur la crédibilité motivée par des contradictions flagrantes ou des divergences importantes.

[38]           À moins que le rapport psychologique n’incline fortement à penser que la Commission a agi déraisonnablement en concluant à l’absence de crédibilité, il serait à mon sens contraire aux enseignements de la Cour suprême d’exiger de ladite Commission qu’elle fasse explicitement référence à ce rapport ou à un quelconque élément de celui‑ci pour expliquer cette conclusion. Autrement dit, cela serait contraire au principe formulé par la Cour suprême selon lequel la cour de révision doit s’abstenir d’intervenir si la preuve offrait une quelconque assise raisonnable à la conclusion de la Commission ou lorsque la décision de cette dernière est pourvue d’un fondement rationnel. Cela serait également incompatible avec la nécessité pour la cour de révision, plusieurs fois réaffirmée par la Cour suprême, de faire preuve de déférence ou de retenue à l’égard des conclusions des tribunaux administratifs. Il en va particulièrement ainsi pour les questions de crédibilité, qui se situent « au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la [Commission] » : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, paragraphe 60 (disponible sur CanLII).

[39]           Dans la présente espèce, le rapport psychologique ne contenait aucun élément inclinant fortement à penser que la conclusion défavorable de la Commission sur la crédibilité soit déraisonnable. Il ne contenait rien non plus qui explique le fait que Mme Kaur a omis de formuler dans son FRP certaines allégations importantes, par exemple qu’on avait déjà essayé de la tuer et qu’elle courrait le même risque à l’avenir. J’admets que les troubles psychologiques décrits dans le rapport constituaient une explication possible des contradictions qui entachaient le témoignage de Mme Kaur et de la manière dont elle avait enrichi son récit de nouveaux éléments tout au long de l’audience. Néanmoins, le fait que la Commission n’ait pas dit expressément dans sa décision si elle avait pris ces troubles en considération avant de tirer une conclusion défavorable sur la crédibilité de Mme Kaur ne prive pas cette décision de son fondement rationnel ni de l’assise raisonnable que lui procure la preuve.

[40]           Il s’ensuit que la Commission n’a pas agi déraisonnablement en s’abstenant de faire explicitement référence au rapport psychologique dans le raisonnement par lequel elle a motivé sa conclusion défavorable sur la crédibilité. La mention qu’on trouve de ce rapport dans une autre partie de la décision ne fait que mettre celle‑ci plus sûrement à l’abri de toute intervention de notre Cour : Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, paragraphe 28.

D.    Le traitement des Directives par la Commission

 

[41]           Mme Kaur soutient que la Commission s’est trompée en concluant que, par suite de l’absence de preuves crédibles qu’elle serait exposée à une persécution fondée sur le sexe en Inde, les Directives n’étaient pas applicables à son cas. Je suis aussi en désaccord avec la demanderesse sur ce point.

[42]           Les conclusions écrites de Mme Kaur avancent ce moyen sans l’étayer, et il n’en a été aucunement fait mention dans les conclusions orales de son avocat.

[43]           La Commission a expressément noté que la nature des allégations de Mme Kaur soulevait des questions qui relevaient des Directives. Toutefois, comme elle estimait ces allégations dénuées de crédibilité, elle a conclu que les Directives ne s’appliquaient pas à son cas.

[44]           Les Directives peuvent se révéler très utiles dans l’examen des demandes d’asile, mais elles n’ont pas statut de droit ni ne lient la Commission.

[45]           La section D des Directives traite des problèmes spéciaux que rencontrent les femmes qui demandent l’asile lorsqu’elles doivent démontrer la crédibilité de leurs affirmations. Cependant, aucun de ces problèmes ne se posait dans le cas de Mme Kaur. La section C des mêmes Directives, qui porte sur les questions relatives à la preuve, n’était pas non plus pertinente en l’espèce, puisque la Commission avait conclu à l’absence de crédibilité des allégations de Mme Kaur.

[46]           La manière dont la Commission a expliqué que les Directives ne s’appliquaient pas au cas de Mme Kaur n’est cependant pas un modèle à suivre. Comme la Commission l’a elle-même reconnu, la nature des allégations avancées par Mme Kaur soulevait en fait des questions ressortissant aux Directives. Il aurait été préférable que la Commission déclare d’abord avoir constaté que la nature des allégations de Mme Kaur relevait spécialement de ce qui est unique aux femmes, au sens de la Section B des Directives, puis ajoute que, après avoir examiné ces allégations dans leur contexte social et culturel (comme elle l’avait fait), elle avait conclu à leur non-crédibilité. Dans l’idéal, la Commission aurait aussi précisé que, avant de parvenir à cette conclusion, elle avait pris en considération les questions relatives à la preuve qui font l’objet de la section C des Directives et les problèmes spéciaux énumérés à leur section D, et qu’elle avait jugé que ni ces questions ni ces problèmes ne s’appliquaient au cas de Mme Kaur.

[47]           Étant donné la nature des conclusions défavorables sur la crédibilité qu’elle a formulées en l’espèce et la nature de l’analyse qu’elle a en fait effectuée, la Commission ne me paraît pas avoir commis une erreur donnant lieu à révision en s’abstenant de se référer explicitement aux sections susdites des Directives; voir Higbogun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 445, paragraphes 65 à 67, 367 FTR 114.

E.     Le traitement par la Commission de la demande d’asile de Mme Kaur au titre de l’article 97

 

[48]           Enfin, Mme Kaur soutient que la Commission a omis d’examiner la demande d’asile qu’elle avait formée au titre de l’article 97 de la LIPR. Je rejette aussi cette prétention.

[49]           La Commission dit explicitement au paragraphe 16 de sa décision qu’elle a examiné la demande d’asile formulée par Mme Kaur sous le régime de l’article 97. Elle constate ensuite que les allégations faites au soutien de cette demande d’asile sont les mêmes que celles avancées sous le régime de l’article 96. Comme elle avait déjà conclu à la non-crédibilité de ces allégations, raisonnait la Commission, il lui était permis de conclure aussi à l’absence de fondement de la demande d’asile fondée sur l’article 97. Pour ce motif, elle s’est abstenue d’examiner plus avant cette dernière demande d’asile.

[50]           La Commission n’est pas tenue d’effectuer dans chaque cas une analyse distincte sous le régime de l’article 97. Le point de savoir si elle a ou non cette obligation dépend des faits particuliers de l’espèce; voir Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, paragraphe 16, 137 ACWS (3d) 604. Une telle analyse distincte n’est pas nécessaire lorsqu’il n’a pas été avancé de prétentions ni produit d’éléments de preuve qui la justifieraient; voir Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635, paragraphes 17 et 18, 254 FTR 244; et Velez, précitée, paragraphes 48 à 51.

[51]           Comme les allégations formulées par Mme Kaur au soutien de sa demande d’asile fondée sur l’article 97 étaient les mêmes que celles qu’elle avait avancées à l’appui de sa demande d’asile fondée sur l’article 96, la Commission n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte sous le régime de l’article 97 une fois qu’elle eut conclu au caractère non crédible de ces allégations.

 

V.        Conclusion

[52]           Par les motifs dont l’exposé précède, les conclusions défavorables de la Commission touchant la crédibilité de Mme Kaur, sa crainte subjective et les Directives ne sont pas déraisonnables. De même, la Commission n’a pas agi déraisonnablement en s’abstenant i) de faire explicitement référence au rapport psychologique dans l’examen de la crédibilité de Mme Kaur en tant que témoin, et ii) d’analyser ses allégations une deuxième fois aux fins de l’examen de sa demande d’asile fondée sur l’article 97.

 

[53]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Aucune question n’est certifiée.

 

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑424‑12

 

INTITULÉ :                                      PARMJIT KAUR c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 21 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Baldev Sandhu

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Baldev Sandhu

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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