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Date : 20121127

Dossier : T‑1949‑10

Référence : 2012 CF 1375

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

Décision

 

 

 

ENTRE :

 

 

SIGNALGENE R&D INC.

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT



I. Introduction et contexte

 

[1]               Le 22 novembre 2010, Signalgene R&D Inc déposait devant la Cour une demande de contrôle judiciaire formulée en ces termes :

[traduction]

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant un acte ou une procédure du ministre du Revenu national (le ministre), plus précisément le refus verbal (le refus) opposé par le ministre le 26 octobre 2010 à la demande présentée par la demanderesse pour la délivrance des avis de détermination (les avis de détermination) du montant des crédits d’impôt à l’investissement remboursables pour chacune des années d’imposition s’achevant aux dates suivantes : le 20 avril 1997, le 31 décembre 1997, le 31 décembre 1998 et le 31 décembre 1999.

 

La demanderesse réclame le contrôle du refus et une ordonnance enjoignant au ministre de délivrer les avis de détermination, acte que le ministre a illégalement refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable.

 

La demande repose sur les motifs suivants :

 

a)      en refusant de délivrer les avis de détermination, le ministre a refusé d’exercer sa compétence;

 

b)      le ministre a commis une erreur de droit en opposant ce refus;

 

c)      le refus du ministre est fondé sur une conclusion de fait erronée, établie de manière illogique et arbitraire, sans égard aux documents et éléments matériels dont il disposait;

 

d)     le ministre a agi de manière contraire à la loi.

 

[…]

 

La demanderesse réclame, en vertu du paragraphe 317(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession du défendeur, spécifiquement l’ensemble des documents se rapportant au refus.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire se rapporte au refus verbal du 26 octobre 2010 opposé à la demande de délivrance des avis de détermination. Ce refus a été communiqué au moyen d’un message téléphonique que Guylaine Gaudreault, alors directrice adjointe par intérim de la Division des dépenses de recherches scientifiques et développement expérimental (RS&DE) du bureau de l’impôt de Montréal de l’Agence du revenu du Canada (ARC), et la décideure en l’occurrence, a laissé à Evelyn Moskowitz, associée chez KPMG et dans le cabinet d’avocats affilié à cette firme comptable et représentant Signalgene. Voici la transcription du message téléphonique :

[traduction]

Bonjour, Evy, Guylaine Gaudreault. Je m’excuse d’avoir tant tardé à répondre à votre lettre du 23 septembre. J’ai finalement pris l’après‑midi hier pour parcourir le dossier. En gros, d’après ce que je vois dans le dossier, un avis d’opposition a été déposé relativement à l’année 1997, mais le dossier a été fermé avec la mention que l’appel n’était pas valide, après quoi une demande a été présentée en octobre 2003 pour faire modifier certains taux de crédit d’impôt, et si je me fie aux notes dans le système, cette demande a été rejetée en février 2004, ce qui nous amène à présent à votre demande. Le problème vient de ce que je ne suis pas en mesure de délivrer un avis de détermination parce que l’entreprise n’accuse pas de pertes. Et, au fond, comme cette question est prescrite, je ne peux pas faire une détermination qui rouvrirait le dossier pour l’année en question. Des gens à qui j’ai parlé ici m’ont informée que je n’étais pas autorisée à le faire. Donc, en gros, je n’ai pas de bonnes nouvelles à vous communiquer pour votre dossier. Je crois que la seule façon de présenter votre demande et d’être entendue est de vous adresser à la Cour fédérale, je pense. De toutes les façons, si vous voulez me rappeler, je suis au bureau, il m’arrive de m’absenter, mais je serais plus que ravie de vous parler, encore une fois je m’excuse du retard. Vous recevrez très bientôt quelque chose par écrit.

Merci.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[3]               Le 1er décembre 2010, Mme Gaudreault transmettait à Me Moskowitz la lettre suivante :

[traduction]

Nous répondons par la présente à votre lettre du 23 septembre 2010 dans laquelle vous demandiez à l’Agence du revenu du Canada (ARC) de verser les crédits d’impôt à l’investissement remboursables (CIIR) auxquels vous estimez que la Société a droit, ou de délivrer un avis de détermination de ces CIIR pour chacune des années pertinentes.

 

Après avoir examiné nos dossiers, notre conclusion concernant vos demandes n’a pas changé. Nous réitérons par conséquent la réponse que nous vous avons communiquée dans notre lettre du 27 juillet 2010.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[4]               La référence que fait Guylaine Gaudreault à la lettre que lui a adressée Me Moskowitz le 23 septembre 2010 est importante dans ce contexte, car Evelyn Moskowitz répondait alors à sa décision du 27 juillet 2010, que voici :

[traduction]

Nous répondons par la présente à votre lettre du 22 septembre 2008 dans laquelle vous réclamiez des crédits d’impôt à l’investissement remboursables (CIIR) relativement aux quatre années d’imposition de la Société Algène R&D Inc se terminant de 1997 à 1999. À cette lettre était joint un classeur contenant une nouvelle déclaration T2 se rapportant à chacune de ces années d’imposition, et modifiant le revenu imposable précédemment fixé par l’ARC.

 

D’après nos dossiers, l’Agence a déjà examiné les demandes de CII. Votre demande de CII remboursables a été déposée après la date de prescription de chaque délai applicable et ne peut donc être acceptée. Par ailleurs, votre demande ne respectait pas les conditions requises pour que l’ARC puisse établir une nouvelle cotisation.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[5]               La nature de la demande soumise le 22 septembre 2008 à l’ARC par KPMG au nom de Signalgene est également cruciale en l’espèce, parce qu’elle a été faite peu après que la Cour d’appel fédérale a rejeté à l’audience l’appel déposé par le ministre contre la décision rendue par la Cour de l’impôt le 6 mars 2007 dans Perfect Fry, répertoriée 2007 CCI 133.

 

[6]               Le 22 septembre 2008, Signalgene, par l’entremise de KPMG, a présenté une demande de crédits d’impôt à l’investissement remboursable (CIIR) relativement aux années d’imposition de Signalgene s’achevant le 30 avril 1997, le 31 décembre 1997, le 31 décembre 1998 et le 31 décembre 1999 (les années d’imposition pertinentes).

 

[7]               Signalgene a présenté sa demande de CIIR de deux manières. Pour l’année d’imposition s’achevant le 30 avril 1997, elle a renouvelé ou réitéré la demande qu’elle avait soumise en ce sens en octobre 2003, et que l’ARC avait refusée le 28 mai 2004 en estimant que l’avis d’opposition déposé contre le refus de l’Agence du 6 février 2004 était invalide, car il n’y avait pas d’avis de détermination ou de nouvelle cotisation. Par ailleurs, KPMG a déposé des déclarations de revenus modifiées, réclamant pour la première fois des CIIR pour ces autres années d’imposition.

 

[8]               Dans sa lettre du 27 juillet 2010, l’ARC a rejeté toutes les demandes de CIIR présentées par Signalgene.

 

[9]               Dans l’affidavit qu’elle a présenté à l’appui de la demande de contrôle judiciaire de Signalgene, Me Moskowitz a affirmé ce qui suit au sujet de la lettre du 23 septembre 2010 faisant réponse au refus opposé à la demande de CIIR le 27 juillet 2010 :

 

 

[traduction]

a)   Elle a expliqué que l’affirmation de l’ARC selon laquelle les demandes ne pouvaient pas être acceptées parce qu’elles étaient prescrites, était contraire à la décision de la CCI dans Perfect Fry (dont elle prétend que la CAF l’a confirmée, sans autres explications). Plus spécifiquement, elle a renvoyé à des paragraphes du jugement de la CCI établissant clairement que :

 

         rien n’exigeait qu’une demande de CIIR soit présentée durant la période normale de nouvelle cotisation;

         en vertu de l’article 127.1 et de l’alinéa 152(1)b) de la Loi, l’ARC doit répondre à une demande de CIIR en « déterminant » le montant des crédits remboursables au contribuable – et non pas en « établissant une cotisation » ‑, et le délai relatif à une telle détermination ne correspond pas à la période normale de nouvelle cotisation.

 

b)   Elle a déclaré que la lettre du 27 juillet 2010 ne constituait pas une « détermination » aux fins citées plus haut, car elle faisait simplement état de la décision de l’ARC de ne pas « accepter » les demandes (sur la base de l’argument de la prescription). Ayant refusé ne serait‑ce que d’examiner les demandes, l’ARC n’a pas déterminé le montant des CIIR auxquels la demanderesse estimait avoir droit. (Cette thèse correspond à celle de l’ARC relativement à la lettre du 6 février 2004 – soit qu’une lettre de refus dans laquelle une demande de CIIR est rejetée ne constitue pas un avis de détermination.)

 

c)   Elle réclamait que l’ARC délivre un avis de détermination du montant des CIIR auxquels la demanderesse estimait avoir droit pour chacune des années pertinentes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Le 21 octobre 2010, n’ayant reçu aucune réponse de la part de l’ARC, Me Moskowitz a déposé un avis d’opposition à la communication du 27 juillet 2010, en précisant néanmoins dans sa lettre d’accompagnement que cette réponse du 27 juillet ne constituait pas un avis de détermination, et que Signalgene présentait l’avis d’opposition à titre de mesure de protection, au cas où l’ARC adopterait l’opinion contraire.

 

II. Le régime législatif pertinent

[11]           En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.)) (la Loi), les contribuables qui engagent des dépenses RS&DE au cours d’une année d’imposition donnée peuvent réclamer, en plus des dépenses RS&DE elles‑mêmes, les crédits d’impôt à l’investissement qui s’y rapportent.

 

[12]           Il existe deux types de crédits d’impôt à l’investissement relatifs aux dépenses RS&DE, opérant chacun différemment : les crédits d’impôt à l’investissement (CII) ordinaires et les crédits d’impôt à l’investissement remboursables (CIIR). Les CII ordinaires qui ne servent pas à compenser l’impôt fédéral exigible pour une année donnée peuvent être reportés pendant un certain nombre d’années subséquentes, ou être reportés rétrospectivement de manière à compenser l’impôt payable pour les trois années précédentes.

 

[13]           Seuls les contribuables qui forment une « société privée sous contrôle canadien » (SPCC), au sens de la Loi, peuvent se prévaloir des CIIR. Si le contribuable est une SPCC, que son revenu imposable pour l’année précédente ne dépasse pas un certain montant fixe, il a généralement droit et à des CII plus importants, et à un remboursement immédiat de ces crédits fiscaux dans la mesure où ils sont supérieurs aux impôts fédéraux payables pour l’année d’imposition en question. Contrairement aux CII demandés en trop, les CIIR demandés en trop ne peuvent être reportés aux années subséquentes (ou reportés rétrospectivement) pour compenser l’impôt fédéral exigible pour une autre année d’imposition, mais sont plutôt immédiatement versés au contribuable dès que l’impôt de la partie I est établi, à titre de « remboursement » des impôts qu’il est réputé avoir payé pour l’année d’imposition en question (le paiement réputé en trop). Aux termes du paragraphe 127.1(1) de la Loi, aucun paiement ne sera réputé en trop (et donc ne donnera droit à un remboursement de CIIR) à moins que le contribuable ne dépose les formulaires et renseignements prescrits auprès du ministre.

 

[14]           La première des dispositions législatives à considérer est le paragraphe 127.1(1) intitulé « Crédit d’impôt à l’investissement remboursable »; il dispose :

127.1 (1) Lorsqu’un contribuable (à l’exception d’une personne exonérée d’impôt en vertu de l’article 149) présente :

 

a) avec sa déclaration de revenus produite pour une année d’imposition, à l’exception d’une déclaration de revenus produite en vertu des paragraphes 70(2) ou 104(23), de l’alinéa 128(2) f) ou du paragraphe 150(4);

 

b) avec un formulaire prescrit modifiant une déclaration visée à l’alinéa a), un formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits, il est réputé avoir payé, à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, une somme au titre de son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie égale à son crédit d’impôt à l’investissement remboursable pour l’année ou, s’il est inférieur, au montant qu’il a indiqué dans le formulaire prescrit.

127.1 (1) Where a taxpayer (other than a person exempt from tax under section 149) files

 

 

(a) with the taxpayer’s return of income (other than a return of income filed under subsection 70(2) or 104(23), paragraph 128(2)(f) or subsection 150(4)) for a taxation year, or

 

 

(b) with a prescribed form amending a return referred to in paragraph 127.1(1)(a) a prescribed form containing prescribed information, the taxpayer is deemed to have paid on the taxpayer’s balance‑due day for the year an amount on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year equal to the lesser of

 

(c) the taxpayer’s refundable investment tax credit for the year, and

 

(d) the amount designated by the taxpayer in the prescribed form.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Le paragraphe 152(1) de la Loi est intitulé « Cotisation »; l’alinéa b) de cette disposition renvoie spécifiquement au paragraphe 127.1(1) précité. Il dispose :

152. (1) Le ministre, avec diligence, examine la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine :

 

a) le montant du remboursement éventuel auquel il a droit en vertu des articles 129, 131, 132 ou 133, pour l’année;

 

b) le montant d’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année.

152. (1) The Minister shall, with all due dispatch, examine a taxpayer’s return of income for a taxation year, assess the tax for the year, the interest and penalties, if any, payable and determine

 

 

(a) the amount of refund, if any, to which the taxpayer may be entitled by virtue of section 129, 131, 132 or 133 for the year; or

 

(b) the amount of tax, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 125.4(3), 125.5(3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year.

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Le paragraphe 152(1.2) prévoit que les dispositions de la Loi, dans la mesure où elles portent sur une cotisation ou une nouvelle cotisation ou sur l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation concernant l’impôt, s’appliquent aux montants déterminés ou déterminés de nouveau en application de cette section. Il dispose :

(1.2) Les alinéas 56(1)l) et 60o), la présente section et la section J, dans la mesure où ces dispositions portent sur une cotisation ou une nouvelle cotisation ou sur l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation concernant l’impôt, s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à toute détermination ou nouvelle détermination effectuée selon le paragraphe (1.01) et aux montants déterminés ou déterminés de nouveau en application de la présente section ou aux montants qui sont réputés par l’article 122.61 être des paiements en trop au titre des sommes dont un contribuable est redevable en vertu de la présente partie. Toutefois :

 

a) les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas aux déterminations ou aux montants déterminés en application des paragraphes (1.01), (1.1) et (1.11);

 

b) le montant d’une perte autre qu’une perte en capital, d’une perte en capital nette, d’une perte agricole restreinte, d’une perte agricole ou d’une perte comme commanditaire subie par un contribuable pour une année d’imposition ne peut être initialement déterminé par le ministre qu’à la demande du contribuable;

 

c) le paragraphe 164(4.1) ne s’applique pas aux montants déterminés en application du paragraphe (1.4).

(1.2) Paragraphs 56(1)(l) and 60(o), this Division and Division J, as they relate to an assessment or a reassessment and to assessing or reassessing tax, apply, with any modifications that the circumstances require, to a determination or redetermination under subsection (1.01) and to a determination or redetermination of an amount under this Division or an amount deemed under section 122.61 to be an overpayment on account of a taxpayer’s liability under this Part, except that

 

 

 

 

 

 

(a) subsections (1) and (2) do not apply to determinations made under subsections (1.01), (1.1) and (1.11);

 

 

 

 

(b) an original determination of a taxpayer’s non‑capital loss, net capital loss, restricted farm loss, farm loss or limited partnership loss for a taxation year may be made by the Minister only at the request of the taxpayer; and

 

 

 

 

(c) subsection 164(4.1) does not apply to a determination made under subsection 152(1.4).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Le paragraphe 152(2) de la Loi, qui porte le titre « Avis de cotisation », dispose :

(2) Après examen d’une déclaration, le ministre envoie un avis de cotisation à la personne qui a produit la déclaration.

(2) After examination of a return, the Minister shall send a notice of assessment to the person by whom the return was filed.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

III. Les faits

[18]           Tout au long des années d’imposition pertinentes, Signalgene :

1)      était une société entièrement vouée à la recherche et au développement, dont les activités de recherche scientifique et de développement expérimental l’ont amenée à engager des dépenses RS&DE;

2)      a déposé ses déclarations de revenus initiales 1) le 26 septembre 1997 pour l’année d’imposition s’achevant en avril 1997; 2) le 22 mai 1998 pour l’année d’imposition s’achevant le 31 décembre 1997; 3) le 29 juin 1999 pour l’année d’imposition s’achevant le 31 décembre 1998; et 4) le 29 juin 2000 pour l’année d’imposition s’achevant le 31 décembre 1999 (les années d’imposition pertinentes).

 

[19]           Pour chacune des années d’imposition pertinentes, Signalgene a demandé la déduction des dépenses RS&DE ainsi que des CII, mais pas de CIIR, estimant, à l’image de Perfect Fry, qu’elle n’était pas une SPCC, mais une société contrôlée par une corporation publique (autre qu’une SPCC), et donc qu’elle n’avait pas droit à des crédits de cette nature. [Non souligné dans l’original.]

 

[20]           L’ARC a examiné chacune des déclarations initiales de Signalgene, en acceptant dans l’ensemble les montants déclarés, puis a délivré un avis de cotisation; dans chaque cas, l’ARC a effectué une vérification des dépenses RS&DE déclarées. Il est arrivé quelquefois, dans le cas de Signalgene, que l’agence délivre après ses vérifications un avis de nouvelle cotisation pour corriger les cotisations précédentes. Il était possible de contester la cotisation initiale et la nouvelle cotisation en déposant des avis d’opposition susceptibles de donner lieu à des contrôles internes ou à des appels subséquents devant les tribunaux.

 

[21]           Le 29 octobre 2001 ou vers cette date, les vérificateurs de Signalgene ont demandé 1) à modifier sa déclaration de revenus du 30 avril 1997 de manière à ce que le montant maximal prévu pour les dépenses de RS&DE puisse être déduit de son revenu net; 2) que les CII précédemment déduits de son impôt de la partie I soient ramenés à zéro; 3) que le montant des CII non déduits soit fixé à 451 076 $; et 4) qu’une perte autre qu’une perte en capital soit établie à l’égard du même compte. Le 16 septembre 2002, l’ARC refusait les modifications au motif que la demande ne remplissait pas les conditions énoncées au paragraphe 9 de la circulaire d’information no 84‑1. Signalgene n’a pas donné suite.

 

[22]           Signalgene a réclamé des CIIR pour la première fois le 30 octobre 2003 ou vers cette date, lorsque KPMG a déposé une déclaration de revenus modifiée relativement à son année d’imposition s’achevant en avril 1997. À son avis, l’arrêt récent prononcé en 1997 par la Cour d’appel fédérale dans Parthenon Investments Ltd c Ministre du Revenu national, 97 DTC 5343, signifiait que Signalgene était une SPCC et donc qu’elle avait droit à des CIIR.

 

[23]           Invoquant l’alinéa 152(1)b) de la Loi, KPMG a demandé au ministre de déterminer le montant d’impôt réputé avoir été payé en vertu du paragraphe 127.1(1) au titre des impôts payables par Signalgene pour l’année d’imposition s’achevant en avril 1997, pour que le ministre puisse lui rembourser tout paiement en trop, conformément à l’alinéa 164(1)b). Citant les paragraphes 152(4) et 152(6) de la Loi, KPMG a fait remarquer que Signalgene avait un créneau de six ans pour déposer une demande de remboursement.

 

[24]           Le 6 février 2004, l’ARC indiquait à Signalgene qu’elle ne pouvait pas accepter la modification de son formulaire T‑2038 puisqu’il avait été déposé dix‑huit mois après la fin de l’année d’imposition s’achevant le 30 août 1997. Le 4 mai 2004, Signalgene a déposé un avis d’opposition, que les instances d’appel de l’ARC ont ensuite rejeté le 28 mai 2004, au motif que la réponse de l’Agence du 6 février 2004 ne constituait ni un avis de détermination ni un avis de nouvelle cotisation, si bien que l’avis d’opposition n’était pas valide. Signalgene n’a pas donné suite, sur les conseils de ses vérificateurs qui étaient aussi engagés dans une affaire dont la Cour de l’impôt était saisie, l’affaire Perfect Fry, dont les enjeux étaient analogues, en particulier : 1) le ministre défendait, dans cette affaire, une thèse contraire à celle qu’il a adoptée en l’espèce, à savoir qu’une réponse du même type que celle que Signalgene a reçue le 6 février 2004 pouvait donner lieu à un avis d’opposition, 2) Perfect Fry avait un profil fiscal comparable pour ce qui est des caractéristiques des SPCC et 3) le délai de prescription de dix‑huit mois était également invoqué.

 

[25]           Il est important d’expliquer comment l’affaire Perfect Fry est arrivée devant la Cour de l’impôt. Cette entreprise 1) avait effectué des activités RS&DE tout au long des années d’imposition, du 31 octobre 1993 au 31 octobre 1998, pour lesquelles elle avait réclamé la déduction des dépenses RS&DE et des CII, mais pas de CIIR, estimant qu’elle n’était pas une SPCC, mais 2) a changé d’avis sur la foi de l’arrêt Parthenon rendu par la CAF, et demandé à ses vérificateurs chez KPMG d’apporter les modifications nécessaires à ses déclarations initiales, 3) ce que ses vérificateurs ont fait le 9 août 2001, en déposant des formulaires T‑2038 modifiés contenant les renseignements prescrits.

 

[26]           Le 12 décembre 2002, l’ARC a délivré un avis de détermination pour informer Perfect Fry que le montant des CIIR auxquels elle avait droit était nul, ce qui a conduit ses vérificateurs à déposer un avis d’opposition à l’encontre de la détermination le 12 mars 2003; l’entreprise a ensuite reçu des avis de nouvelle cotisation pour toutes les années pertinentes. Elle a eu en partie gain de cause devant les instances d’appel de l’ARC, et a obtenu des CIIR pour toutes les années pertinentes sauf 1996, 1997 et 1998, d’où l’appel interjeté devant la Cour de l’impôt que le juge Paris a tranché le 6 mars 2007. L’appel que le ministre avait déposé devant la Cour d’appel fédérale a été rejeté à l’audience le 18 juin 2008.

 

[27]           Les autres faits importants postérieurs à la présentation de la demande de CIIR par Signalgene le 22 septembre 2008, sont les suivants : 1) le renvoi, le 23 juillet 2009, de certaines questions soulevées par la demande de CIIR faite par Signalgene en 2008 par le bureau d’impôt de l’ARC basé à Montréal à l’Administration centrale de l’Agence à Ottawa; 2) la réponse du 14 juillet 2010 adressée sous la forme d’une décision de l’Orientation technique de l’ARC à Brigitte Gener, examinatrice financière principale du BSF de Montréal, 3) la lettre de Guylaine Gaudreault du 27 juillet 2010 par laquelle l’ARC refusait les demandes de CIIR de Signalgene se rapportant aux années d’imposition pertinentes, 4) la lettre du 23 septembre 2010 qu’Evelyn Moskowitz avait adressée à Guylaine Gaudreault dans laquelle elle s’interrogeait sur les motifs de rejet et réclamait des avis de détermination, dont j’ai parlé en détail plus tôt dans les présents motifs, 5) la directive donnée le 13 août 2010 par le directeur de la Division des politiques de la Direction des dépenses de la RS&DE à Ottawa à l’intention de tous les bureaux d’impôt.

 

IV. Les affidavits

[28]           Deux affidavits ont été déposés à l’appui de la thèse du ministre : 1) l’affidavit de Guylaine Gaudreault, la décideure dans la présente instance, et l’affidavit de Brigitte Gener, examinatrice financière principale du BSF de l’ARC de Montréal, chargée d’examiner la demande de CIIR de Signalgene de septembre 2008 et de formuler des recommandations; elle a aussi demandé l’avis de l’Administration centrale de l’ARC et rédigé la réponse du 27 juillet 2010 portant la signature de Guylaine Gaudreault. Les deux auteures des affidavits ont longuement été contre‑interrogées.

 

[29]           La thèse de Signalgene était appuyée par l’affidavit d’Evelyn Moskowitz, dont le rôle a déjà été expliqué plus haut dans les présents motifs. Elle n’a pas été contre‑interrogée. Guylaine Gaudreault a déclaré durant son contre‑interrogatoire qu’elle souscrivait au contenu de l’affidavit de Me Moskowitz, à quelques éléments près qui ne changent rien à l’issue de la présente affaire.

 

[30]           C’est sur l’affidavit de Guylaine Gaudreault que le ministre a fondé la défense qu’il a opposée à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

a) L’affidavit de Guylaine Gaudreault

[31]           Les principaux points soulevés par la décideure peuvent se résumer ainsi :

1)      Elle explique que la nature de la demande de CIIR présentée par Signalgene le 22 septembre 2008 impliquait d’apporter les modifications suivantes à ses déclarations fiscales précédentes :

a)      lui reconnaître le statut de « société privée sous contrôle canadien » (SPCC) pour chacune des années d’imposition pertinentes;

b)      modifier le calcul de son revenu, de son revenu imposable et de son impôt de la partie I pour chacune des années d’imposition pertinentes;

c)      faire passer le taux de ses crédits d’impôt à l’investissement (CII) de 20 % à 35 % pour chacune des années d’imposition pertinentes;

d)     autoriser et verser les CIIR réclamés pour chacune des années d’imposition pertinentes.

2)      Elle déclare que la seule question soulevée par la demande de Signalgene était de savoir si la demanderesse pouvait modifier les déclarations de revenus qu’elle avait initialement déposées à l’égard de chacune des années d’imposition pertinentes pour obtenir les changements décrits plus haut.

3)      Elle reconnaît que le 23 juillet 2009 ou vers cette date, la Division des dépenses de la RS&DE de l’ARC basée à Montréal a décidé de consulter l’Administration centrale à Ottawa quant à certaines questions de forme liées à la demande de Signalgene du 22 septembre 2008; la réponse de l’Administration centrale transmise en juillet 2010, et ses consultations internes supplémentaires avec les cadres supérieurs de la Division des dépenses de la RS&DE du BSF de Montréal, l’ont finalement amenée à conclure ce qui suit :

a)      l’ARC avait déjà examiné les demandes de CII de la demanderesse à l’égard de chacune des années d’imposition pertinentes dans le cadre des vérifications qui s’y rapportaient;

b)      les déclarations de revenus modifiées ne pouvaient pas être acceptées, car elles avaient été déposées après la date d’expiration du délai de prescription applicable à chacune des années; par conséquent la demanderesse ne pouvait pas modifier son revenu net, son revenu imposable et son impôt de la partie I à l’égard de chacune des années pertinentes;

c)      les déclarations de revenus modifiées ne remplissaient pas les conditions permettant à l’ARC d’établir une nouvelle cotisation après la date d’expiration du délai de prescription, conformément à la circulaire d’information IC84‑1.

4)      Ces conclusions ont été communiquées à Signalgene dans sa lettre du 27 juillet 2010.

5)      Elle affirme avoir reçu, le 23 septembre 2010, une seconde nouvelle demande d’Evelyn Moskowitz 1) contenant des observations complémentaires sur le bien‑fondé de l’argument selon lequel les années d’imposition en question n’étaient pas frappées de prescription; et 2) demandant que l’ARC délivre un avis de détermination à l’égard des années pertinentes en précisant le montant des CIIR auquel elle estimait que Signalgene avait droit; 3) après avoir effectué les consultations internes appropriées, elle a décidé qu’elle n’était pas tenue de délivrer les avis de détermination demandés pour les motifs suivants :

a)      les CIIR sont remboursables l’année où ils sont accumulés et ne peuvent donc, par nature, être reportés aux années subséquentes;

b)      si un contribuable a droit à des CIIR pour une année d’imposition donnée, ces crédits sont déduits de l’impôt de la partie I payable cette année‑là, ou lui sont immédiatement remboursés lorsque la cotisation de l’impôt de la partie I est établie;

c)      si le contribuable n’a réclamé aucun CIIR ni reçu aucun remboursement de CIIR après l’établissement de sa cotisation pour une année d’imposition donnée, il peut alors raisonnablement en conclure qu’il n’avait pas droit à ces crédits pour cette année‑là;

d)     l’ARC avait déjà examiné les demandes de CII de la demanderesse pour chacune des années d’imposition pertinentes dans le cadre des vérifications qui s’y rapportaient;

e)      comme il avait déjà été établi que la demanderesse n’avait droit à aucun CIIR à l’égard des années d’imposition s’achevant le 30 avril 1997, le 31 décembre 1997, le 31 décembre 1998 et le 31 décembre 1999, ces années étaient frappées de prescription, et elle n’était pas tenue de délivrer un avis de détermination à l’égard des années pertinentes;

6)      elle conclut en soulignant que sa lettre du 1er décembre 2010 adressée à Me Moskowitz confirmait sa réponse du 27 juillet 2010.

 

b) L’affidavit de Brigitte Gener

[32]           Brigitte Gener a également produit un affidavit, auquel elle a joint tous les documents détenus par l’ARC intéressant les questions en l’espèce. Comme je l’ai déjà indiqué, elle était chargée d’examiner les demandes de CIIR que Signalgene avait présentées le 22 septembre 2008. Elle y décrit les documents que Signalgene a joints au soutien de sa demande, et plus particulièrement les déclarations de revenus modifiées auxquelles étaient joints les annexes et formulaires pertinents pour toutes les années visées.

 

[33]           Elle observe qu’avant d’avoir présenté sa demande de CIIR, Signalgene avait déposé des déclarations de revenus initiales indiquant notamment ce qui suit :

1)      elle était une société autre qu’une SPCC;

2)      son revenu net, son revenu imposable et son impôt de la partie I étaient différents pour chacune des années d’imposition pertinentes;

3)      elle s’est vu accorder des CII à un taux de 20 %, mais n’avait pas droit à un taux de 35 %;

4)      elle n’avait droit à aucun CIIR et n’avait ni calculé ni réclamé ces crédits pour chacune des années d’imposition pertinentes.

 

[34]           Elle reconnaît que la demande de Signalgene du 22 septembre 2008 était sa première demande de CIIR pour les années d’imposition s’achevant en décembre 1997, 1998 et 1999, et que la seule manière d’y faire droit était :

1)      de reconnaître à la demanderesse le statut de SPCC pour chacune des années d’imposition pertinentes;

2)      de modifier le calcul de son revenu net, de son revenu imposable et de son impôt de la partie I à l’égard de chacune des années d’imposition pertinentes;

3)      de faire passer le taux de CII accordé à la demanderesse de 20 % à 35 % pour chacune des années d’imposition pertinentes.

 

[35]           Elle avance l’opinion que la demande de Signalgene de septembre 2008 divergeait de sa stratégie fiscale et des cotisations et nouvelles cotisations établies à l’égard de chacune des années d’imposition pertinentes avant cette date.

 

[36]           Elle explique que 1) les déductions liées aux dépenses RS&DE et aux CII sont facultatives, c’est‑à‑dire que les contribuables peuvent décider ou non de déduire ces montants pour une année d’imposition donnée; 2) les dépenses RS&DE sont déductibles du revenu net calculé; tout montant non déduit au titre de ces dépenses peut être reporté sur un nombre illimité d’années d’imposition futures, contrairement aux CII déduits des impôts de la partie I, et les montants de CII non déduits peuvent être reportés rétrospectivement aux trois années précédentes ou reportés aux dix années subséquentes. S’ils ne sont pas déduits, ces crédits sont perdus (ou expirent).

 

[37]           Elle reconnait également au paragraphe 15 de son affidavit que dans sa déclaration initiale, Signalgene n’a ni calculé ni réclamé de CIIR, et qu’elle a évalué ses CII à un taux de 20 % plutôt que de 30 % comme avec les CIIR. Elle explique d’autre part la stratégie fiscale de Signalgene avant la soumission de sa demande de CIIR en septembre 2008, à savoir qu’elle déduisait les dépenses RS&DE minimales requises pour ramener son revenu net à un niveau lui permettant de déduire le maximum de CII de son impôt de la partie I; ce faisant, Signalgene déduisait généralement les CII autrement appelés à expirer après la période de dix ans et conservait ses dépenses RS&DE imprescriptibles. Brigitte Gener déclare que les cotisations de Signalgene étaient établies conformément à sa stratégie fiscale.

 

[38]           Elle précise les modifications qu’il faudrait apporter aux dépenses RS&DE et aux CII déclarés à la fin de chaque année d’imposition pertinente pour que la demande de Signalgene du 22 septembre 2008 puisse être mise en œuvre, et écrit au paragraphe 25 :

[traduction]

Les changements demandés dans ses déclarations de revenus modifiées jointes à la demande de la demanderesse sont nécessaires pour surmonter les restrictions prévues par la LIR qui l’empêchent autrement de prétendre au montant de CIIR qu’elle a calculé pour les années en cause. Cependant, toutes les années d’imposition pertinentes sont frappées de prescription. Il est donc trop tard pour que la demanderesse obtienne ces modifications.

 

 

[39]           Elle joint en pièce 13 de son affidavit la réponse qu’elle a reçue de la Direction de l’orientation technique dont elle a sollicité l’avis en juillet 2009 et repris les conclusions dans son rapport de vérification du 29 juillet 2010 après en avoir discuté avec le BSF de Montréal.

 

[40]           Plus précisément, 1) elle indique à quel moment chacune des années d’imposition pertinentes a été frappée de prescription, 2) affirme que l’ARC n’a accordé aucun CIIR à Signalgene au moment d’établir la cotisation initiale, et comme la valeur de ceux‑ci ne peut être négative, [traduction] « [elle] a été estimée nulle dans la cotisation initiale » [non souligné dans l’original], 3) elle déclare que les vérifications relatives à chacune des années pertinentes ont abouti au même résultat, et que [traduction] « la valeur des CIIR a été établie à zéro à l’issue des vérifications, ce qu’attestent les deux avis de nouvelle cotisation délivrés durant les années pertinentes; comme la valeur des CIIR ne peut être négative, elle a été estimée nulle ».

 

[41]           Elle affirme que Signalgene ne s’est pas opposée aux avis de cotisation, aux vérifications ou aux avis de nouvelle cotisation en temps opportun.

 

[42]           Elle se réfère ensuite à différentes circulaires d’information et conclut que les conditions qui y sont énoncées n’autorisent pas l’ARC à modifier le revenu imposable de Signalgene ou à établir une nouvelle cotisation. Elle conclut que la demande du 22 septembre 2008 est une tentative de planification fiscale rétroactive par laquelle Signalgene entend modifier son revenu net, son revenu imposable et son impôt de la partie I de manière à pouvoir réclamer des montants de CIIR auxquels elle n’aurait pas droit autrement.

 

[43]           Elle reconnaît qu’elle est celle qui a pris la décision du 27 juillet 2010 (signée par Guylaine Gaudreault) de refuser la demande pour les motifs suivants :

1)      les dossiers de l’ARC indiquaient que l’Agence avait déjà examiné les demandes;

2)      la demande de CIIR a été déposée après la date d’expiration du délai de prescription et ne pouvait donc pas être acceptée;

3)      la demande ne remplit pas les conditions requises pour que l’ARC puisse établir une nouvelle cotisation.

 

V. Le contre‑interrogatoire des auteurs des affidavits produits par le défendeur

a) Contre‑interrogatoire de Guylaine Gaudreault

[44]           La transcription du contre‑interrogatoire de Guylaine Gaudreault sur son affidavit couvre 195 pages. Aux fins des présents motifs, je n’en mentionnerai que les éléments essentiels.

 

[45]           Premièrement, elle a répété qu’un avis de cotisation (ou de nouvelle cotisation) est réputé être un avis de détermination des CIIR auxquels Signalgene a droit. « L’avis de cotisation fait foi de l’avis de détermination des crédits d’impôt. » L’échange suivant s’est déroulé entre l’avocat de Signalgene et Mme Gaudreault :

[traduction]

Q. [172] Et c’est vous qui avez décidé de refuser d’en délivrer un en novembre 2010?

 

R. J’ai décidé que je n’étais pas tenue d’en délivrer un pour les années frappées de prescription parce que l’avis de cotisation est aussi un avis de détermination aux fins des CIIR et de la RS&DE.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[46]           Elle a expliqué qu’elle établissait ce lien entre l’avis de cotisation et l’avis de détermination aux fins des CIIR en raison de la manière dont ces crédits fonctionnent. En page 271 du dossier de la demanderesse, elle répond :

[traduction]

Comme je l’ai déjà dit, si un contribuable a droit à un CIIR au moment de la délivrance de l’avis de cotisation, il lui est remboursé immédiatement sans être reporté aux années subséquentes ou quoi que ce soit d’autre.

 

[167] Donc, lorsque vous avez rendu votre décision en novembre 2010, était‑ce la position de l’ARC et la vôtre que des avis de détermination avaient déjà été délivrés l’année précédente à l’intention de Signalgene?

 

Oui.

 

[47]           En page 301 du dossier de la demanderesse, elle explique que l’avis de cotisation remplace l’avis de détermination officiel puisqu’il informait le contribuable que la valeur des CIIR auxquels il avait droit était nulle.

 

[48]           C’est dans cette optique qu’elle a reconnu que les contribuables reçoivent un avis de détermination des CIIR qu’ils n’ont ni réclamé ni demandé, c’est‑à‑dire une détermination du montant de l’impôt réputé avoir été payé (dossier de la demanderesse, page 272). Elle a également reconnu que Signalgene a demandé pour la première fois à obtenir un tel avis le 23 septembre 2010.

 

[49]           En page 271 du dossier de la demanderesse, elle convient que la délivrance d’un avis de détermination confère au contribuable le droit de s’opposer à une détermination des CIIR par l’ARC.

 

[50]           Elle s’explique plus en détail en page 270 du dossier de la demanderesse :

[traduction]

R. D’accord. Je n’étais donc pas tenue de signifier à nouveau par écrit que la valeur des CIIR était nulle, la raison étant que nous avions affaire à des années très éloignées, et vous devez envisager la LIR dans son ensemble. En délivrant un nouvel avis de détermination alors que je n’y étais pas obligée, j’accordais un droit d’appel à un contribuable qui n’aurait pas dû en avoir parce que les années étaient trop éloignées.

 

Q. [162] Vous convenez donc qu’un contribuable jouit d’un droit d’appel une fois qu’un avis de détermination est délivré?

 

R. Je dirais que oui parce que cela rouvrirait les années frappées de prescription.

 

Q. [163] Mettons de côté ces années‑là. Je parle uniquement

 

R. C’est le cœur de l’affaire, monsieur.

 

 

 

[51]           Elle a indiqué que l’ARC avait eu une autre raison de déterminer les CIIR en l’espèce, et mentionné une vérification des déclarations de Signalgene dans lesquelles l’entreprise avait été informée qu’elle n’avait droit à aucun CIIR (dossier de la demanderesse, page 254).

 

[52]           Après avoir reçu la lettre du 23 septembre 2010 dans laquelle Me Moskowitz demandait un avis de détermination, la question était à son avis celle de savoir si un tel avis avait été délivré (dossier de la demanderesse, page 276), et l’aspect qui l’avait troublée en l’occurrence était que cette démarche de la part de Signalgene ressemblait à de la planification fiscale rétroactive (dossier de la demanderesse, page 277).

 

[53]           À son avis, l’affaire Perfect Fry se distinguait du point de vue des faits.

 

[54]           Voici quelques autres points saillants de son contre‑interrogatoire.

 

[55]           Elle a d’abord reconnu qu’avant d’être saisie du dossier de Signalgene, elle n’avait jamais eu à s’occuper d’un avis de détermination, et qu’elle ignorait s’il y avait des formulaires prescrits en la matière. De son point de vue, cela n’avait aucune importance : le principal était de savoir qu’un CIIR est remboursable, qu’il ne peut être reporté aux années subséquentes et qu’il suffit à l’ARC d’indiquer à un contribuable qu’il n’a droit à aucun CIIR, ou de ne pas lui envoyer de chèque. Si le contribuable n’a réclamé aucun CIIR à l’égard d’une année d’imposition donnée et qu’il n’a reçu aucun remboursement, il est raisonnablement informé qu’il n’a droit à aucun crédit de ce type (dossier de la demanderesse, pages 255 à 279).

 

[56]           Deuxièmement, en page 406 du dossier de la demanderesse, elle admet que la question de la prescription ne se posait pas à l’égard d’une demande de remboursement au titre de l’article 127.1 de la Loi. Une telle demande peut être présentée n'importe quand , [traduction] « ce qui ne veut pas dire qu’elle sera acceptée ».

 

[57]           Troisièmement, le fait que Signalgene ait demandé un avis de détermination n’a pas influencé sa décision précédente du 27 juillet 2010 (voir aussi le dossier de la demanderesse, pages 281 et 282 à 300).

 

[58]           Quatrièmement, elle a été invitée à se reporter à la réponse du 14 juillet 2010 de l’Administration centrale de l’ARC aux questions de Brigitte Gener du 23 juillet 2009. On a attiré son attention sur le paragraphe intitulé [traduction] « Concernant la période normale de nouvelle détermination des CII remboursables », et sur un bulletin d’interprétation interne se rapportant à une décision en matière d’impôt 2001‑0109817(E) (la décision de l’impôt de février 2002) et donnant à entendre que lorsqu’aucune demande de remboursement de CII n’est présentée au titre de l’article 127.1, le montant réputé avoir été payé à ce chapitre n’a pas été déterminé. Elle a répondu qu’elle ne se souvenait pas que cette question ait été débattue (dossier de la demanderesse, pages 303 et 304).

 

b) Contre‑interrogatoire de Brigitte Gener

[59]           Les points saillants de son contre‑interrogatoire sont les suivants.

 

[60]           Premièrement, on lui a posé la même question qu’à Guylaine Gaudreault : la cotisation relative aux CIIR dont le montant indiqué dans le formulaire T‑2038 initial déposé par un contribuable est nul constitue‑t‑elle une détermination au titre du paragraphe 127.1(1), compte tenu de la décision en matière d’impôt de février 2002? Brigitte Gener a indiqué qu’elle savait bien de quoi il était question dans la réponse du 14 juillet 2010 émanant de l’Administration centrale de l’ARC; elle contestait toutefois l’opinion qui s’y trouvait exprimée.

 

[61]           Elle s’appuyait en cela sur un autre bulletin d’interprétation, également daté du 13 février 2002 et portant le même numéro d’identification que celui qui figure sur la réponse du 14 juillet 2010 de l’Administration centrale de l’ARC.

 

[62]           Il a été établi durant le contre‑interrogatoire que le document dont elle s’était servie, bien qu’il soutînt sa thèse, était incomplet, et que celui sur lequel l’Administration centrale de l’ARC s’était appuyée était le bon. Brigitte Gener n’a pas du tout transmis le bon document (qu’elle n’avait pas) à la décideure; celui‑ci établissait qu’à la lumière des décisions de l’ARC, la cotisation faisant état d’un montant nul n’était pas une détermination par le ministre visée par le paragraphe 127.1(1) de la Loi, et par conséquent l’avis de cotisation se rapportant à ce montant nul ne pouvait constituer un avis de détermination (voir le dossier de la demanderesse, pages 210 à 223).

 

[63]           Deuxièmement, elle a reconnu qu’elle avait trouvé, en examinant l’ensemble du dossier Signalgene, une demande de détermination visée par l’alinéa 152(1)b) de la Loi, présentée par Sylvain Charest de KPMG au nom de Signalgene le 20 octobre 2003, laquelle comportait une demande de remboursement de CII accompagnée d’un formulaire T‑2038 modifié (dossier de la demanderesse, pages 161 à 165). Elle a également confirmé qu’il s’agissait là de la première demande de détermination des CIIR de Signalgene (dossier de la demanderesse, page 168). En réponse à d’autres questions, elle a déclaré n’avoir trouvé dans le dossier aucun document intitulé Avis de détermination, car elle ne croyait pas qu’un tel document existait (dossier de la demanderesse, page 173), et elle a répété que ce qui importait n’était pas le titre d’un document, mais les renseignements qu’il contenait (dossier de la demanderesse, page 172).

 

[64]           Troisièmement, l’avocat de Signalgene a demandé au témoin d’identifier parmi les documents joints à son affidavit ceux qu’elle croyait être des avis de détermination. Elle a répondu plusieurs fois qu’elle n’avait connaissance d’aucun document intitulé Avis de détermination ou Avis de nouvelle détermination (dossier de la demanderesse, page 175), mais a désigné certains de ses documents comme tels : la pièce 39 de son affidavit, une nouvelle cotisation projetée dans laquelle l’article Remboursement du C11 demandé est suivi d’un blanc (zéro) (dossier de la demanderesse, page 647); la pièce 45, une nouvelle cotisation différente faisant état d’un montant de zéro pour l’article Remboursement du C11 demandé; la pièce 53, une nouvelle cotisation projetée où un blanc figure à la page 656 après l’article relatif au remboursement demandé; enfin la pièce 54, un document semblable à ceux‑ci.

 

[65]           Elle reconnait en page 208 de la transcription que l’avis de cotisation équivalait d’après elle à un avis de détermination, et c’est pourquoi il était prescrit, ajoutant que le refus de délivrer un avis de détermination découlait du fait que l’avis de cotisation était de même nature.

 

[66]           Enfin, elle admet également que le refus de délivrer un avis de détermination n’avait rien à voir avec la moindre mesure de planification fiscale, telle qu’une modification de revenu (dossier de la demanderesse, page 225).

 

c) L’affidavit d’Evelyn Moskowitz

[67]           L’affidavit d’Evelyn Moskowitz appuyait les arguments de Signalgene. Elle n’a pas été contre‑interrogée, et Guylaine Gaudreault a reconnu que le contenu de cet affidavit était exact. La Cour a également accepté l’essentiel des faits qu’elle a décrits, comme l’illustre le présent jugement. Pour les motifs exposés plus loin dans la présente décision, j’estime que l’issue de la présente affaire repose sur l’affirmation des auteures des affidavits produits par le défendeur, selon laquelle un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation équivaut à un avis de détermination. Dans les circonstances, il n’est pas nécessaire d’en dire plus sur l’affidavit de Me Moskowitz.

 

VI. La thèse des parties

a) La thèse de Signalgene

[68]           En bref, Signalgene soutient qu’une fois que les documents et renseignements prescrits relatifs à une demande de CIIR sont présentés au ministre, une telle présentation étant permise à n’importe quel moment, ce dernier est tenu, en vertu de l’alinéa 152(1)b) de la Loi, de déterminer le montant d’impôt réputé avoir été payé par ce contribuable au titre du paragraphe 127.1(1) de la Loi. L’effet combiné des paragraphes 152(2) et (1.2) de la Loi oblige ensuite le ministre à envoyer au contribuable un avis de détermination de ce montant, étape nécessaire pour que le contribuable puisse exercer ses droits d’appel et de contrôle au moyen d’un avis d’opposition.

 

[69]           L’argument défendu par Signalgene en l’espèce porte essentiellement sur la décision que Guylaine Gaudreault a communiquée le 26 octobre 2010 à Evelyn Moskowitz par message téléphonique. Il faut comprendre, cela dit, que Guylaine Gaudreault a officialisé le contenu de ce message dans une lettre datée du 1er décembre 2011, renvoyant à sa décision du 27 juillet 2010, qui ne constituait pas un refus de délivrer des avis de détermination, mais plutôt de verser les CIIR réclamés par Signalgene dans sa lettre du 22 septembre 2008. En d’autres termes, Signalgene ne conteste pas en l’espèce la décision du 27 juillet 2010 qui, comme je l’ai déjà souligné, exposait les trois motifs pour lesquels les CIIR réclamés le 22 septembre 2008 avaient été refusés : 1) l’ARC avait déjà examiné ses demandes de CII; 2) sa demande de CIIR à l’égard de l’année d’imposition pertinente a été déposée après la date d’expiration du délai de prescription; et 3) la demande de CIIR ne remplissait pas les conditions autorisant l’ARC à établir une nouvelle cotisation. Le refus du 27 juillet 2010 n’a pas été contesté devant la Cour. Guylaine Gaudreault a elle‑même reconnu que ces deux décisions étaient distinctes : d’une part, le refus d’accorder des CIIR, et de l’autre, le refus de délivrer des avis de détermination des CIIR contesté dans la présente instance.

 

[70]           À titre de mesure de réparation, Signalgene réclame principalement en l’espèce un bref de mandamus qui, à son avis, forcerait le ministre à faire ce qu’il a illégalement refusé de faire ou à faire ce qu’il n’a pas fait. Comme l’explique son avocat, l’ordonnance de la Cour obligerait le ministre à délivrer des avis de détermination qui permettraient à sa cliente de faire valoir, le cas échéant, le bien‑fondé de ses demandes de CIIR devant le tribunal compétent, faute de quoi le défendeur aura empêché Signalgene de déposer un avis d’opposition et l’aurait ainsi privée de ses droits d’appel, comme l’a reconnu Guylaine Gaudreault durant son contre‑interrogatoire.

 

[71]           L’avocat de Signalgene attire l’attention de la Cour sur les pouvoirs dont celle-ci jouit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C., 1985, ch. F‑7) :

18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[72]           L’avocat souligne également les motifs de contrôle judiciaire prévus au paragraphe 18.1(4) de la même loi :

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle‑ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

18.1 (4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[73]           Il invoque également l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales en vertu duquel la Cour a compétence exclusive (sous réserve de celle de la CAF) pour délivrer un bref de mandamus à l’encontre d’un office fédéral, lequel bref ne peut être obtenu que sur demande de contrôle judiciaire. Il cite l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 3 RCS 1100 dans lequel la Cour suprême du Canada a clairement expliqué les exigences liées à la délivrance d’un bref de mandamus, et fait valoir que le défendeur 1) a refusé de remplir son devoir public de délivrer les avis de détermination, 2) a failli à un principe de justice naturelle ou d’équité, 3) a rendu une décision erronée en droit et 4) a fondé sa décision sur une conclusion factuelle erronée, établie de manière illogique ou arbitraire, sans tenir compte des éléments dont il disposait, et a agi illégalement à d’autres égards.

 

[74]           L’avocat de Signalgene a également évoqué la norme de contrôle appropriée. Il soutient qu’il s’agit de la norme de la décision correcte puisqu’à son avis, l’affaire soulève une question de droit touchant l’interprétation qu’il convient de donner aux paragraphes 127.1(1), 152(2) et (1.2) ainsi qu’à l’alinéa 152.1b), qui sont toutes des dispositions impératives.

 

[75]           Signalgene fait valoir que le ministre a contrevenu à ses attentes légitimes, en ceci qu’elle s’attendait légitimement à ce que le ministre délivre des avis de détermination à l’égard de ses demandes de CIIR, et qu’elle ne pouvait légitimement escompter qu’il estimerait avoir déjà délivré les avis de détermination des crédits auxquels Signalgene avait droit pour les années pertinentes, c’est‑à‑dire qu’ils auraient été incorporés dans les avis de cotisation initiaux dont ils faisaient partie (dans le cas des deux demandes présentées en avril 1997, il s’agit alors des avis de nouvelles cotisations délivrés cette même année), bien qu’elle n’ait pas réclamé de CIIR avant que les avis de cotisation ou de nouvelle cotisation initiaux ne soient délivrés, estimant qu’elle n’y avait pas droit parce qu’elle n’était pas une SPCC. Elle fonde son argument sur la thèse du défendeur publiée dans le bulletin d’interprétation technique de février 2002 susmentionné, dont voici le texte :

[traduction]

À notre avis, si le montant d’impôt réputé avoir été payé aux termes du paragraphe 127.1(1) de la Loi, au titre de l’impôt payable par le contribuable, n’est pas réclamé initialement, ce montant n’est pas déterminé lorsque le ministre délivre l’avis de détermination de perte. […] [C]omme nous l’avons déjà indiqué, puisque le montant de « ZÉRO » indiqué pour le CII remboursable sur le formulaire T2038 original ne constitue pas une réclamation au titre du paragraphe 127.1(1) de la Loi, le ministre ne fait pas une détermination lorsqu’il établit la cotisation néant initiale ou délivre un éventuel avis de détermination de perte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[76]           Il invoque deux autres facteurs : 1) au moment du refus, l’ARC a rejeté l’avis d’opposition de 2004 au motif qu’elle n’avait pas produit d’avis de détermination auquel Signalgene pouvait s’opposer; elle n’a pas précisé les paiements réputés avoir été faits dans les avis de détermination précédents, pas plus qu’elle n’a déclaré que les avis de cotisation initiaux de 1997 constituaient des avis de détermination à l’égard des CIIR auxquels Signalgene avait droit.

 

[77]           Le second facteur est le suivant : dans toutes les décisions précédentes concernant les demandes de la demanderesse, le défendeur n’a jamais signalé ou fait savoir à Signalgene qu’un avis de détermination était contenu dans l’avis de cotisation. L’avocat de Signalgene soutient également que la prétention du défendeur selon laquelle un avis de détermination du remboursement des CIIR accordé à un contribuable puisse être délivré avant même que ce dernier ne présente une demande à cet effet, et qu’il figure d’ailleurs toujours dans l’avis de cotisation se rapportant à l’année en question, est erroné en droit, contraire au régime législatif, et contredit ce que Guylaine Gaudreault a admis durant son contre‑interrogatoire, à savoir qu’un contribuable peut présenter une demande de CIIR à n’importe quel moment, sans que l’ARC ne l’accepte forcément.

 

[78]           Il cite l’alinéa 152(1)b) de la Loi qui contraint le ministre à déterminer le montant d’impôt réputé avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable pour l’année, conformément à l’article 127 de la Loi et à d’autres dispositions législatives qui rendent obligatoire une telle détermination. Il fait remarquer que le paragraphe 127.1(1) impose au contribuable de prendre des mesures positives au soutien d’une demande de CIIR en déposant certains renseignements et formulaires prescrits, ce que Signalgene n’a pas fait, à l’exception de la demande déposée en 2003 relativement à l’année d’imposition s’achevant en avril 1997, et de celle qui l’a été en septembre 2008 (pour toutes les années d’imposition).

 

[79]           Il soutient que le fait que la Loi reconnaisse qu’une demande de CIIR puisse être présentée à n’importe quel moment, est à première vue incompatible avec celui qu’elle soit considérée comme ayant déjà été déterminée pour l’année d’imposition à l’égard de laquelle les CIIR sont réclamés, sans égard à la date de la demande.

 

[80]           Il fait également valoir que la position du ministre voulant que les avis de détermination soient incorporés dans l’avis de cotisation concernant chacune des années pertinentes, brouille la distinction entre les cotisations et les déterminations, et entre les avis de cotisation et les avis de détermination. Suivant le libellé de la Loi, les impôts sont « établis » alors que les « remboursements » sont déterminés. À ce qu’il prétend, cette distinction a été reconnue dans la décision Perfect Fry, aux paragraphes 43 à 45.

 

[81]           Enfin, il soutient subsidiairement que si la norme de contrôle est celle du caractère déraisonnable, elle a été satisfaite puisque 1) la décision de 2002 n’a pas été prise en compte, à tort, le BSF de Montréal n’ayant pas le texte intégral à sa disposition, 2) il est déraisonnable dans les circonstances d’assimiler un espace laissé en blanc de la déclaration fiscale originale à une demande de CIIR de la part du contribuable, l’empêchant même de présenter une demande à l’avenir s’il ne s’est pas opposé en temps opportun à cet espace laissé en blanc, 3) la décideure a pris en considération des éléments dépourvus de pertinence comme a) la Directive; b) le droit d’appel qu’un avis de détermination conférerait à Signalgene; c) la planification fiscale de Signalgene.

 

b) La thèse du ministre

[82]           Dans son mémoire des faits et du droit, l’avocat du ministre énonce la thèse fondamentale du défendeur. Elle repose sur les grands éléments suivants :

1)                   À deux reprises, c’est‑à‑dire le 30 octobre 2003 et le 24 septembre 2008, bien après que le délai de prescription ait expiré pour les années en cause, Signalgene a déposé les déclarations de revenus modifiées pour les années d’imposition 1997, 1998 et 1999, et réclamé des CIIR qu’elle n’avait pas demandés dans ses déclarations initiales produites bien des années auparavant.

2)                   Le 6 février 2004 et le 27 juillet 2010, le ministre informait Signalgene qu’il refusait de traiter les déclarations modifiées; la demanderesse n’a pas contesté ce refus devant la Cour, mais a plutôt choisi de présenter des observations additionnelles au ministre le 23 septembre 2010.

3)                   Signalgene tente maintenant de porter la question des crédits auxquels elle a droit devant la Cour de l’impôt. En présentant sa demande sous la forme d’une requête en mandamus faisant valoir une distinction entre un avis de cotisation et un avis de détermination, que la Cour a déjà rejetée dans Greenpipe Industries Ltd c Canada (Revenu national), 2006 CF 1098, aux paragraphes 13 à 19, Signalgene invite la Cour à rétablir ses droits d’opposition aux cotisations précédemment établies par le ministre.

4)                   La Loi obligeait Signalgene à réclamer les CIIR auxquels elle avait droit, ce qu’elle n’a pas fait en temps opportun.

5)                   L’argument de Signalgene selon lequel le ministre n’a pas fait les déterminations demandées alors qu’il y était contraint par la Loi, passe sous silence le fait qu’elle n’a pas présenté ses demandes de la manière prescrite par la loi, et qu’elle ne peut réclamer un mandamus pour corriger ce manquement aux exigences législatives.

 

[83]           Relativement aux faits, l’avocat du ministre affirme e qui suit :

1)                   Dans toutes les déclarations qu’elle a déposées à l’égard des années pertinentes, la demanderesse a réclamé la déduction des dépenses RS&DE, des CII non remboursables et des CIIR, la valeur de ces derniers ayant été estimée nulle pour toutes ces années (voir le mémoire du défendeur, page 7).

2)                   Signalgene s’est présentée comme une société autre qu’une SPCC, a calculé le taux de ses CII à 20 % et n’a rien réclamé dans ses déclarations au titre des CIIR.

3)                   Le ministre a initialement établi des cotisations pour toutes les années pertinentes, sans accorder le moindre CIIR; Signalgene ne s’est opposée à aucune de ces cotisations.

4)                   La date à laquelle la dernière année d’imposition pertinente de Signalgene – celle qui s’est achevée le 31 décembre 1999 – était frappée de prescription est le 31 juillet 2004.

5)                   Après avoir effectué la vérification de toutes les réclamations de Signalgene liées aux dépenses RS&DE, l’ARC a établi que le montant des CIIR était nul; là encore, Signalgene ne s’est opposée à aucune des nouvelles cotisations communiquées à la suite de ces vérifications.

6)                   Le ministre reconnaît que Signalgene a présenté pour la première fois une demande de CIIR le 30 octobre 2003 en soumettant sa première déclaration modifiée relative à l’année d’imposition s’achevant le 2 avril 1997, le ministre lui ayant fait savoir le 6 février 2004 qu’il refusait de traiter sa déclaration au motif que la demande de CIIR avait été présentée après les délais prévus. C’est à l’encontre de cette décision que Signalgene a déposé un avis d’opposition le 6 mai 2004, avis qui a été rejeté par l’ARC au motif qu’aucune nouvelle cotisation pouvant donner lieu à une opposition n’avait été établie. Le ministre a indiqué, après plusieurs échanges, que Signalgene ne pouvait s’opposer à la lettre du 6 février 2004, mais seulement à une nouvelle cotisation ou à une détermination, alors que la lettre n’était ni l’une ni l’autre. Signalgene n’a pas interjeté appel du refus du ministre de traiter ses déclarations modifiées devant la Cour de l’impôt, pas plus qu’elle n’a intenté des procédures de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision.

7)                   L’avocat du ministre se penche ensuite sur la deuxième demande que Signalgene a présentée le 24 septembre 2008 en vue du versement de CIIR couvrant son année d’imposition s’achevant en avril 1997, et sur la première demande de CIIR contenue dans sa première déclaration modifiée se rapportant à toutes les autres années d’imposition pertinentes, qui invoquait des changements dans le calcul des dépenses RS&DE, des CII et des CIIR. C’est à ce moment‑là que Signalgene s’est présentée comme une SPCC et qu’elle a proposé des modifications substantielles du calcul de son revenu, de son revenu imposable et de l’impôt payable, indispensables pour être en mesure de réclamer le remboursement des CIIR.

8)                   Dans ce contexte, l’avocat du ministre soutient que la décision Perfect Fry invoquée par Signalgene concerne le pouvoir du ministre de verser des remboursements après la date d’expiration du délai de prescription et la question des SPCC. Il souligne également que l’arrêt Parthenon Investment a été rendu par la CAF le 30 mai 1997, avant que Signalgene ne dépose ses déclarations de revenus initiales; sa première demande de CIIR en octobre 2003, et celles de septembre 2008, ont été présentées plus de six et onze ans, respectivement, après l’arrêt Parthenon. Il fait aussi remarquer que la CAF n’a confirmé la décision Perfect Fry qu’en regard de la question des SPCC.

9)                   Il se réfère également aux motifs de refus du 27 juillet 2010 concernant les demandes de CIIR présentées le 24 septembre 2008. Peu après avoir reçu la lettre, Evelyn Moskowitz a cherché à obtenir des renseignements quant à la question de la prescription, et l’avocat affirme que le ministre lui a répondu le lendemain du jour où les déclarations, et non les remboursements, étaient frappées de prescription.

10)               Le ministre reconnaît que le 23 septembre 2010, Evelyn Moskowitz, notamment, au nom de Signalgene, lui a demandé de délivrer des avis de détermination indiquant le montant de CIIR auquel il estimait que Signalgene avait droit, et aussi qu’elle a été avisée, le 26 octobre suivant, que la prescription l’empêchait de délivrer une détermination qui rouvrirait les années visées.

 

[84]           En ce qui concerne le droit, l’avocat du ministre soutient ce qui suit :

1)                   S’appuyant sur l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41; [2001] 2 RCS 281, au paragraphe 16, il affirme que la demande de mandamus de Signalgene devrait être qualifiée de requête en bref de certiorari et de mandamus auxiliaire, car Signalgene réclame en fait un bref de certiorari qui annulerait les décisions du 6 février 2004 et du 27 juillet 2010 par lesquelles le ministre a refusé de traiter ses déclarations modifiées et les demandes de CIIR qu’elles contenaient, en plus d’un bref de mandamus qui forcerait ce dernier à délivrer des avis de détermination des CIIR, rétablissant ainsi ses droits en matière d’opposition et d’appel.

2)                   Il soutient que la demande de Signalgene est prescrite aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, car elle l’a présentée plus de 30 jours après avoir été avisée, le 6 février 2004 et le 27 juillet 2010, que ses déclarations modifiées ne seraient pas traitées et que ses demandes de CIIR ne seraient pas acceptées.

3)                   Il soutient que le 23 septembre 2010, Signalgene a présenté d’autres observations relativement à la décision du ministre du 27 juillet 2010 plutôt que de chercher à la faire soumettre à un contrôle judiciaire. Il fait valoir que le ministre n’a pas rendu de nouvelle décision le 26 octobre 2010, mais qu’il a laissé un message sur un répondeur dans lequel il réitérait les motifs de sa décision, à savoir que la question avait déjà été examinée par l’ARC, que les années étaient frappées de prescription et qu’il n’était pas en mesure de délivrer des déterminations; ces motifs sont en substance les mêmes que ceux qui avaient été transmis le 27 juillet 2010 et clarifiés le 4 août suivant.

4)                   Il soutient que la prétention de Signalgene selon laquelle elle ne réclame à présent que des avis de détermination est sans fondement, faisant valoir que [traduction] « la Loi ne prévoit pas l’obligation de délivrer un avis de détermination des CIIR, et [que] le ministre est seulement tenu d’envoyer un avis de cotisation, ce qu’il a fait il y a plus de dix ans ». Il s’appuie sur le jugement Greenpipe et sur la structure du paragraphe 152(1) de la Loi qui oblige le ministre, à l’alinéa b), à déterminer le montant du remboursement éventuel de CIIR auquel le contribuable a droit pour l’année. Il fait valoir, en invoquant les paragraphes 152(1.01), (1.11), (1.5), (3.3) et (3.5), que si le législateur exigeait qu’un [traduction] « avis de détermination [distinct] soit envoyé sur détermination du ministre », il l’indiquerait clairement.

5)                   D’après lui, Signalgene espérait, par sa demande du 30 octobre 2003, que le ministre traite ses déclarations modifiées de manière à réviser son revenu et son impôt, pour obtenir le remboursement des CIIR réclamés. Il aurait fallu, pour contester le refus du ministre, solliciter un contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant la notification du refus de traiter les déclarations. La demanderesse ne l’a pas fait et ne peut à présent, sur la foi d’une distinction alléguée entre un avis de cotisation et un avis de détermination, chercher à saisir la Cour de l’impôt.

6)                   Subsidiairement, si la Cour estime que la demande vise principalement à obtenir une ordonnance de mandamus et que le délai de 30 jours ne trouve pas à s’appliquer, elle devrait être rejetée au motif qu’elle a été présentée après un délai déraisonnable; citant l’arrêt Krause c Canada (CA), [1999] 2 CF 476, au paragraphe 19 (CAF), l’avocat du ministre fait de nouveau observer que l’arrêt Parthenon, sur lequel Signalgene s’appuie pour affirmer qu’elle est une SPCC et qu’elle a donc droit à des CIIR, a été rendu le 30 mai 1997. Or, elle n’a invoqué ce changement de statut que le 30 octobre 2003, relativement à son année d’imposition s’achevant le 7 avril 1997, et elle a attendu ensuite des années, c’est‑à‑dire jusqu’au 24 septembre 2008, pour soulever cet argument à l’égard de toutes les autres années d’imposition.

7)                   L’avocat du ministre ajoute que des cotisations et de nouvelles cotisations ont été établies pour Signalgene, sans qu’elle n’exerce jamais ses droits d’opposition et d’appel, même lorsqu’elle n’a reçu aucun remboursement, ou lorsque le montant des CIIR a été établi à zéro après les vérifications concernant les années pertinentes.

8)                   Il signale par ailleurs qu’après le refus du ministre du 6 février 2004, Signalgene a choisi d’attendre l’issue de l’affaire Perfect Fry plutôt que de solliciter un contrôle judiciaire.

9)                   Enfin, l’avocat du ministre soutient que le mandamus n’est pas un recours qu peut être intenté contre le ministre eu égard aux faits de la présente affaire.

10)               Il avance que le ministre n’était plus tenu de déterminer le montant des CIIR auxquels Signalgene aurait eu droit si elle avait réclamé ces crédits dans ses déclarations initiales. Il soutient que les premières cotisations établies pour Signalgene libéraient le ministre de toute obligation à cet égard, et qu’il n’avait plus le pouvoir légal de déterminer ses CIIR puisque lorsque Signalgene a déposé ses déclarations modifiées en réclamant pour la première fois des CIIR, toutes les années en cause étaient frappées de prescription.

11)               L’avocat ajoute que l’obligation éventuelle du ministre de déterminer des CIIR n’existe qu’à la suite du dépôt d’une déclaration de revenu, et qu’une fois la cotisation de Signalgene établie par le ministre, ce dernier était libéré de son obligation au titre de la Loi, et le seul recours pour Signalgene était de soumettre un avis d’opposition au ministre et d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt, ce qu’elle n’a pas fait.

12)               L’avocat du ministre soutient qu’il n’existe donc aucun devoir public d’agir ni aucune obligation à l’égard de Signalgene puisqu’aux termes du paragraphe 152(1) de la Loi, le ministre doit, avec diligence, fixer l’impôt pour l’année, l’intérêt et les pénalités éventuels payables par le contribuable, et déterminer, entre autres, le montant éventuel auquel il a droit au titre des CIIR pour l’année, puis envoyer un avis de cotisation. L’avocat fait remarquer que le montant de CIIR accordé au contribuable correspond au plus petit des montants suivants : les CIIR remboursables pour l’année ou la somme réclamée.

13)               L’avocat du ministre conclut alors sur ce point :

[traduction]

En d’autres mots, la Loi impose au contribuable la responsabilité et l’obligation initiales de présenter une demande de CIIR. Ce n’est que lorsqu’il s’est acquitté de cette obligation qu’il peut prétendre aux CIIR, le cas échéant. Lorsque le contribuable ne fait pas une telle demande dans sa déclaration, ou qu’il dépose avec sa déclaration les formulaires prescrits en indiquant un montant de CIIR nul, comme l’a fait Signalgene, il n’y a aucun « montant » de CIIR à déterminer.

 

Lorsqu’il a établi ses cotisations pour Signalgene, le ministre a rempli ses obligations que la Loi lui impose. Comme Signalgene n’avait réclamé aucun montant au titre des CIIR dans ses déclarations, il n’y avait pas de « montant » de CIIR à déterminer par le ministre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

14)               Enfin, le ministre conclut en affirmant que Signalgene n’a aucun droit établi en ce qui a trait à l’exécution d’une obligation en sa faveur. Il soutient d’abord qu’il n’existe pas d’obligation de traiter une déclaration modifiée, s’appuyant en cela sur l’arrêt Armstrong c Canada (Procureur général), 2006 CAF 119, au paragraphe 8, de la Cour d’appel fédérale :

Une déclaration de revenus modifiée portant sur une année d’imposition qui a déjà été l’objet d’un avis de cotisation n’entraîne pas pour le ministre l’obligation de fixer l’impôt avec toute la diligence possible (paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu), ni n’a pour effet de faire repartir de zéro l’un quelconque des délais de prescription qui commencent quand une déclaration de revenus relative à une année donnée est produite, puis qu’une cotisation est établie. Une déclaration de revenus modifiée est simplement une demande adressée au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation concernant cette année‑là.

 

15)               Il affirme deuxièmement que le ministre n’a pas l’autorité légale d’établir de nouvelles cotisations à l’égard d’années frappées de prescription, c’est‑à‑dire de déterminer le montant des CIIR auquel Signalgene avait droit lorsqu’elle a produit ses déclarations modifiées, puisque le délai de prescription était alors expiré pour chacune des années d’imposition en cause. Il avance que le pouvoir de fixer l’impôt en dehors du contexte prévu au paragraphe 152(1) de la Loi est énoncé au paragraphe 152(4), et qu’il est soumis aux délais de prescription qui y sont mentionnés. Là encore, l’avocat du ministre s’appuie fois sur le jugement Greenpipe.

16)               Troisièmement, il fait valoir que les circonstances de la présente affaire ne justifient aucune modification des paragraphes 152(1) et (2).

17)               Quatrièmement, il soutient que la décision Perfect Fry repose sur des faits précis. Il souligne que le juge Paris, qui n’a pas évoqué le jugement Greenpipe de la Cour fédérale, a néanmoins conclu dans une remarque incidente que le délai de prescription pour les CIIR commence à courir le jour de leur détermination initiale, et non celui de l’établissement de la cotisation initiale, et que le remboursement des CIIR en cause dans cette affaire était prescrit. Il affirme, à tort ou à raison, que le ministre a répondu à la demande du contribuable en délivrant des avis indiquant un montant de CIIR nul, même si les années en cause étaient depuis longtemps frappées de prescription, estimant toutefois qu’il ne pouvait accorder de remboursement après la date d’expiration du délai de prescription. Il conclut en affirmant que le juge Paris ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le ministre avait le pouvoir de faire une telle détermination; la Cour a établi six mois plus tard dans Greenpipe qu’il ne l’avait pas.

18)               Cinquièmement, il termine en affirmant que Signalgene disposait d’Autres recours : l’opposition et de l’appel. Il soutient que l’établissement d’une cotisation néant ne donne pas lieu à un appel, mais que la Cour d’appel fédérale et la Cour de l’impôt ont confirmé que le contribuable pouvait dans ce cas intenter un appel lorsqu’il s’agissait de faire valoir son droit à des CIIR.

 

VII. Analyse et conclusion

a) Analyse

[85]           Comme l’indique elle‑même Signalgene dans sa demande de contrôle judiciaire, la portée de celle-ci est limitée. La demanderesse conteste seulement la décision du ministre, datée du 26 octobre 2010, de refuser de délivrer des avis de détermination des CIIR réclamés pour toutes les années d’imposition pertinentes. Elle ne cherche pas, dans sa demande, à obtenir réparation contre le ministre à l’égard de la décision de l’ARC du 27 juillet 2010, par laquelle, un peu après la décision Perfect Fry (rendue par la CAF au début de 2008), Guylaine Gaudreault a refusé la première demande de Signalgene présentée le 23 septembre 2008, à une nuance près (la demande de CIIR de 2003 relative à l’année d’imposition s’achevant en avril 1997).

 

[86]           Dans son mémoire du droit, le ministre soutient que la demande de Signalgene devrait être qualifiée de requête en bref de certiorari avec mandamus auxiliaire. L’avocat du ministre prétend que la demanderesse demande en fait une ordonnance en certiorari qui annulerait les décisions du 6 février 2004 et du 27 juillet 2010 par lesquelles le traitement de ses déclarations modifiées et les demandes de CIIR qu’elles contenaient ont été refusées.

 

[87]           Je souscris en substance à l’opinion du ministre selon laquelle la demande dont je suis saisi vise à annuler la décision du 26 octobre 2010 refusant la délivrance des avis de détermination à l’égard des demandes de CIIR, sur la base des motifs juridiques suivants : 1) le refus d’exercer sa compétence; 2) une erreur de droit inhérente au refus du 26 octobre 2010; et 3) des actes contraires à la loi. Cependant, je ne pense pas que, dans la présente demande, Signalgene cherche à faire annuler les refus afin de faire reconnaître ses demandes de CIIR.

 

[88]           Durant son contre‑interrogatoire, Guylaine Gaudreault, la décideure, a déclaré ce qui suit :

1)                   Signalgene n’avait à sa connaissance jamais demandé, avant qu’elle ne soit nommée directrice ajointe par intérim de la Division des dépenses de la RS&DE du BSF de Montréal, la détermination de ses CIIR (transcription, page 26).

2)                   La demande de septembre 2008 ne visait pas à obtenir la détermination de ses CIIR; la demanderesse a présenté une telle demande le 10 septembre 2010; il s’agissait alors d’une toute nouvelle demande (transcription, pages 264 et 299).

3)                   Elle a reconnu que le délai de prescription applicable à la demande concernant la délivrance de l’avis de détermination des CIIR de Signalgene n’était pas expiré, c’est‑à‑dire que la demande n’avait pas été présentée trop tard; une telle demande pouvait être présentée à n’importe quel moment (transcription, pages 329, 330 et 404).

4)                   Sa décision du 27 juillet 2010 n’avait aucun impact sur celle qui est l’objet de la présente instance, car elle ne se rapportait pas à la même demande (transcription, page 333).

5)                   Si la demande visant la délivrance d’un avis de détermination des CIIR avait été présentée, et qu’aucun avis de cotisation ou de nouvelle cotisation n’avait été délivré plus tôt, [traduction] « bien entendu, nous en aurions fait un » (transcription, pages 404 et 414).

6)                   Dans son esprit, le refus de délivrer des avis de détermination à l’égard des années d’imposition pertinentes reposait sur le fait que l’ARC avait déjà produit un tel avis et qu’elle n’était pas tenue d’en produire un autre (transcription, page 409); cette conclusion reposait sur le fait qu’elle considérait les avis de cotisation et de nouvelle cotisation délivrés (après la vérification) comme des avis de détermination (transcription, pages 313, 335, 371 et 413); elle a toutefois reconnu qu’en arrivant à sa décision, elle n’avait pas tenu compte de la décision en matière d’impôt de février 2002 (transcription, page 322) qui allait dans le sens contraire.

7)                   À la page 414 de la transcription, elle déclare qu’elle pouvait faire, non pas une seule, mais plusieurs déterminations; lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle ne l’avait pas fait après qu’une première demande en ce sens a été présentée le 10 septembre 2010, elle a répondu comme suit : [traduction] « C’est probablement à cause de toutes les demandes précédentes qui ont été refusées, parce que je pense que cette demanderesse avait fait plusieurs demandes sous plusieurs angles différents et qui ont été systématiquement rejetées, et je ne me croyais pas tenue de produire un avis de détermination qui avait déjà été délivré. »

8)                   Elle n’a pas considéré le droit du contribuable de modifier ses déclarations lorsqu’elle a décidé de refuser la demande visant la délivrance des avis de détermination (transcription, page 421).

9)                   En bref, la demande de contrôle judiciaire n’a pas été déposée hors délai.

 

[89]           Les arguments de Signalgene se rapportent principalement à des questions d’interprétation législative. Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, aux paragraphes 21 à 23, la Cour suprême du Canada a arrêté le droit en la matière dans une décision unanime dont les motifs ont été rédigés par le juge Iacobucci :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci‑dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro‑Québec, [1997] 3 R.C.S. 213**; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto‑Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

 

Je m’appuie également sur l’art. 10 de la Loi d’interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables ».

 

Bien que la Cour d’appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n’a pas accordé suffisamment d’attention à l’économie de la LNE, à son objet ni à l’intention du législateur; le contexte des mots en cause n’a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l’analyse de ces questions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

b) Conclusion

[90]           J’admets que les dispositions de la Loi touchant la RS&DE et les CII (ordinaires et remboursables) visent à encourager les entreprises canadiennes, et en particulier les nouvelles entreprises, à se lancer dans la recherche scientifique, pour s’assurer que le Canada reste concurrentiel à l’échelle mondiale dans le domaine des nouvelles technologies (voir Datacalc Research Corp. c La Reine 2002 DTC 1479).

 

[91]           J’estime que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, car la décision en cause concerne des questions d’interprétation législative.

 

[92]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie :

1)                   La décideure n’a pas délivré d’avis de détermination à l’intention de Signalgene relativement aux demandes de CIIR, ayant estimé, puisque cette entreprise avait reçu des avis initiaux de cotisation, voire des avis de nouvelle cotisation (les avis) à l’égard de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition pertinentes, que ceux‑ci équivalaient à des avis de détermination ou étaient considérés comme tels pour ce qui est du montant réputé avoir été payé au titre de l’impôt de la partie I de la Loi exigible pour cette année, malgré le fait que :

a)      Signalgene n’a jamais réclamé ni calculé le montant de cet impôt (comme l’exige l’alinéa 127.1(1)c) de la Loi, ni déposé les renseignements prescrits permettant à l’ARC de vérifier ses calculs, car lorsqu’elle a remis ses déclarations initiales, elle estimait ne pas avoir droit à de tels crédits en tant que société autre qu’une SPCC, comme l’indiquait clairement la première page de sa déclaration.

 

[93]           L’opinion de la décideure est contraire au régime législatif fondé sur la production de renseignements exigés et le calcul des CIIR; l’alinéa 127.1(1)b) prévoit d’ailleurs spécifiquement la possibilité de présenter des déclarations modifiées. Qui plus est, cette opinion est contraire au bulletin technique se rapportant à la décision de l’impôt mentionné plus haut, et qui indique :

[traduction]

Cependant, comme nous l’avons déjà indiqué, puisque le montant de « ZÉRO » indiqué pour le CII remboursable sur le formulaire T2038 original ne constitue pas une réclamation au titre du paragraphe 127.1(1) de la Loi, le ministre n’a pas fait une détermination lorsqu’il établit la cotisation néant initiale ou délivre un éventuel avis de détermination de perte.

 

 

[94]           Dans les circonstances de la présente affaire, l’opinion erronée selon laquelle l’avis de cotisation initial ou de nouvelle cotisation équivaut à un avis de détermination a entraîné une série d’autres conclusions erronées, comme celle portant que le délai de prescription à partir duquel un contribuable peut modifier ses déclarations de revenus commence à courir à partir de l’avis initial de cotisation. Cette façon de voir a également amené l’agent du fisc à ignorer les enseignements tirés de la décision Perfect Fry, qui traitait spécifiquement des CIIR. En particulier, le juge Paris a estimé au paragraphe 43 que les remboursements payables à la suite d’une détermination [des CIIR] doivent être demandés dans le délai normalement prévu pour la nouvelle détermination du contribuable plutôt que dans la période normale de nouvelle cotisation.

 

[95]           Je termine en précisant que la référence du ministre à la décision Greenpipe est hors de propos. Cette affaire a été rendue en septembre 2006, après que l’affaire Perfect Fry a été mise en délibéré, mais avant qu’une décision ne soit rendue en 2007. L’affaire Greenpipe a été instruite et rendue en septembre 2006 en vertu des dispositions relatives à l’équité prévues dans la Loi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et que les dépens doivent être taxés conformément à la colonne V, et les unités fixées au chiffre le plus élevé de l’intervalle se rapportant à chacun des services à taxer du tarif de la Cour. La décision du 26 octobre 2010 par laquelle le ministre a refusé de délivrer à l’intention de la demanderesse des avis de détermination du montant des CIIR à l’égard des années d’imposition pertinentes est annulée et l’affaire est renvoyée au ministre, conformément au pouvoir dont jouit la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, pour qu’il délivre les avis de détermination du montant que la demanderesse est réputée avoir payé au titre de l’impôt exigible aux termes de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu pour chaque année d’imposition pertinente, conformément à l’alinéa 152(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1949‑10

 

INTITULÉ :                                                  SIGNALGENE R&D INC. c
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 27 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edwin G. Kroft, c.r.

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Philippe Dupuis

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blake, Cassels & Graydon, s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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