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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121114

Dossier : IMM-882-12

Référence : 2012 CF 1321

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PRASHANT JAYANAND SHETTY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision du 21 décembre 2011 d’un agent des visas (l’agent) travaillant au consulat général du Canada à Los Angeles, en Californie. Aux termes de cette décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) du demandeur.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur, monsieur Prashant Jayanand Shetty, est un citoyen de l’Inde qui réside aux États‑Unis. Il a été délégué aux États-Unis en juillet 2006 par son employeur de l’époque, Persistent Systems Limited. Il a travaillé pour Persistent Systems en Inde de novembre 2001 à juillet 2006, puis pour la filiale américaine de cette société en Californie jusqu’en août 2008. Il est actuellement à l’emploi de SENA Systems, Inc., une société de services de gestion d’identité et d’accès.

 

[4]               M. Shetty a demandé la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié (fédéral) au début de 2010 sur le fondement de son expérience d’au moins un an dans une profession désignée de la Classification nationale des professions (CNP). Il a déposé sa demande en vertu des directives publiées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) le 28 novembre 2008. Plus précisément, M. Shetty a fondé sa demande sur son expérience de travail comme gestionnaire de systèmes informatiques – CNP 0213, en invoquant les tâches qu’il avait accomplies à l’époque où il avait travaillé pour Persistent Systems aux États-Unis.

 

II.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[5]               L’agent a évalué la demande de M. Shetty en fonction des documents produits, et il n’a pas été convaincu que M. Shetty avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal établi pour la profession de gestionnaire de systèmes informatiques – CNP 0213. Plus précisément, l’agent a trouvé [TRADUCTION] « incongru » que la lettre de confirmation d’emploi provienne du bureau indien de Persistent Systems plutôt que de son bureau américain, où M. Shetty prétendait avoir accompli les tâches qui relèveraient de la catégorie CNP 0213.

 

[6]               L’agent a conclu en outre que, d’après la lettre de confirmation d’emploi produite par le demandeur, celui-ci avait principalement exercé des fonctions de nature consultative, et non des fonctions de gestion comme l’exige la CNP 0213. L’agent était convaincu que les interactions entre M. Shetty et les clients de son employeur avaient été limitées à certains projets d’une durée limitée, et que M. Shetty avait alors travaillé [traduction] « de concert avec les clients, plutôt que d’assumer lui-même tout le contrôle principal ».

 

[7]               L’agent a conclu que l’expérience de M. Shetty au cours des dix années précédant sa demande ne correspondait à aucune des autres catégories désignées par le ministre dans ses directives du 28 novembre 2008. De plus, étant donné que M. Shetty ne résidait alors d’aucune façon au Canada et qu’il n’avait pas d’offre d’emploi au Canada, il n’était pas admissible à venir au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

III.       Les questions en litige

 

[8]               Les questions déterminantes dans la présente affaire sont les suivantes :

 

a)         L’agent a-t-il manqué à une obligation au titre de l’équité procédurale en ne convoquant pas le demandeur en entrevue?

 

b)         Les conclusions de l’agent au sujet de l’expérience du demandeur étaient-elles raisonnables?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[9]               Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa¸ 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[10]           Une grande retenue s’impose à l’égard des décisions discrétionnaires rendues par des agents des visas. À moins que la décision de l’agent soit déraisonnable ou qu’elle soit fondée sur des considérations non pertinentes ou étrangères, la Cour ne devrait pas s’immiscer dans cette décision (Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, [2012] ACF no 22, au paragraphe 19; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 302, [2009] ACF no 676, au paragraphe 9). En effet, le caractère raisonnable tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Équité procédurale

 

[11]           Le demandeur soutient qu’il aurait dû se voir offrir la possibilité de dissiper les doutes de l’agent au sujet de son expérience de travail. Plus précisément, le demandeur soutient que les doutes de l’agent concernaient la crédibilité, l’exactitude et l’authenticité des documents dont il disposait.

 

[12]           Il incombe aux demandeurs de produire la documentation pertinente pour démontrer qu’ils répondent aux critères de la catégorie précise au titre de laquelle ils demandent un statut au Canada. La Cour a statué à plusieurs reprises que « l’agent n’est généralement pas tenu d’informer un demandeur de permis au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés de ses préoccupations lorsque celles‑ci sont directement liées aux exigences législatives ou réglementaires » (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 484, [2012] ACF no 509, au paragraphe 34; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2006] ACF no 1597, au paragraphe  24; Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, [2010] ACF no 771, au paragraphe 43).

 

[13]           Après avoir examiné les éléments de preuve, je suis porté à convenir avec le défendeur que les doutes de l’agent portaient sur la documentation produite par le demandeur pour démontrer une expérience de travail pertinente, un doute qui est directement liée aux exigences législatives ou réglementaires. L’agent n’était donc nullement tenu de convoquer le demandeur en entrevue, et il n’a pas manqué à ses obligations au titre de l’équité procédurale en l’espèce.

 

B.        Le caractère raisonnable de la décision

 

[14]           Les arguments que formule le demandeur au soutien de sa prétention selon laquelle l’agent aurait abandonné son pouvoir discrétionnaire concernent l’interprétation que l’agent a faite des exigences de la CNP, et il est donc plus approprié d’analyser ces arguments sous l’angle du caractère raisonnable de la décision.

 

[15]           Dans cette veine, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a traité l’énoncé principal comme [TRADUCTION] « une exigence liminaire à laquelle le demandeur doit satisfaire » plutôt que comme une simple partie de l’ensemble de la description de la catégorie de la CNP, que l’agent était tenu d’interpréter d’une manière équitable et large. Le demandeur soutient enfin que les éléments de preuve qu’il a produits pour décrire les tâches qu’il avait accomplies alors qu’il était à l’emploi de Persistent Systems démontraient [TRADUCTION] « clairement » qu’il avait exercé des fonctions de gestion, que l’agent a reliées à tort aux catégories 2171 (analystes et consultants/consultantes en informatique) et 2174 (programmeurs-analystes principaux) de la CNP.

 

[16]           Le défendeur soutient d’une part que, compte tenu des éléments de preuve dont l’agent disposait, il était loisible à ce dernier de conclure que le demandeur avait accompli les tâches correspondant à la catégorie 2171 de la CNP, et d’autre part que, mis à part la conclusion de l’agent selon laquelle la supervision d’autres professionnels des technologies de l’information était une fonction afférente aux postes relevant de la catégorie 2171 de la CNP, sa décision était raisonnable.

 

[17]           J’estime que le raisonnement cumulatif de l’agent rend sa décision injustifiable au regard de faits de la présente espèce. Premièrement, comme le demandeur le souligne, les doutes de l’agent au sujet de l’endroit où le demandeur avait accompli les tâches décrites dans la lettre de confirmation d’emploi émanant de Persistent Systems ne sont pas pertinentes pour évaluer l’expérience du demandeur. Cette question peut être pertinente aux fins de déterminer pendant combien de temps le demandeur a été chargé des tâches énumérées, mais il était déjà établi au dossier que le demandeur avait exercé ces activités pendant au moins un an.

 

[18]           Deuxièmement, l’agent a statué que le demandeur n’avait [TRADUCTION] « pas planifié, organisé, dirigé, contrôlé et évalué les activités du secteur des systèmes d’information, des technologies de l’information et du traitement informatique de son employeur, ni celles des clients de ce dernier », alors que la lettre de confirmation d’emploi énonçait que le demandeur avait été chargé d’exercer les fonctions suivantes (voir le dossier de demande à la page 65) :

•           Évaluer le fonctionnement des systèmes actuels de gestion d’identité et d’accès au sein de l’organisation du client.

•           Établissement des exigences et conception complète du modèle de dimensionnement et de fédération des utilisateurs.

•           Discussions avec le client au sujet des spécifications, des coûts et de l’échéancier de mise en place et d’intégration.

•           Diriger la mise à niveau complète d’Oracle Access Manager de 7.0.4.3 à 10.1.4.2.0.

•           Élaborer et mettre en œuvre des politiques et des procédures de contrôle d’accès au sein de l’organisation.

•           Diriger les activités de soutien et d’entretien de l’infrastructure de gestion d’identité et d’accès de l’équipe d’intergiciel chez le client.

•           Produire des guides de formation et former l’équipe des opérations du client à la mise en place de produits de gestion d’identité Oracle.

•           Participer au recrutement et au mentorat d’ingénieurs en logiciels et d’analystes-programmeurs et superviser leur perfectionnement professionnel et leur formation.

 

[19]           La conclusion de l’agent selon laquelle ces fonctions ne comprennent aucune planification, organisation, direction ou évaluation de certaines des activités de l’entreprise de son employeur – la description incluse dans l’énoncé principal établi pour les postes relevant de la CNP 0213 – semble ne pas tenir compte de la description figurant dans la lettre de confirmation d’emploi du demandeur. Cette conclusion est particulièrement troublante lorsque l’on considère les fonctions principales attribuées aux postes relevant de la CNP 0213.

 

[20]           Enfin, et c’est ce qu’il y a de plus problématique, l’agent a conclu que les interactions entre le demandeur et les clients de son employeur avaient été [TRADUCTION] « limitées à une collaboration à des projets précis de durées limitées, dans le cadre desquels le demandeur [avait] agi de concert avec les clients, plutôt que d’assumer lui-même le contrôle principal ». Il n’y a rien au dossier qui permette de conclure que le demandeur n’assume pas le [TRADUCTION] « contrôle primaire » dans ses rapports avec les clients de son employeur. Faute d’explication à cette conclusion, je conclus que la décision est déraisonnable.

 

[21]           Étant donné ma conclusion sur ce point, il n’est pas nécessaire de traiter de l’argumentation du demandeur au sujet des principes relatifs au fardeau de la preuve appliqué par l’agent.

 


VI.       Conclusion

 

[22]           L’agent n’a pas manqué à une obligation au titre de l’équité procédurale en ne convoquant pas le demandeur en entrevue, mais sa décision, prise dans son ensemble, est déraisonnable.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-882-12

 

INTITULÉ :                                      PRASHANT JAYANAND SHETTY c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 1er novembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 14 NOVEMBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ali M. Amini

 

POUR LE DEMANDEUR

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali M. Amini

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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