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Date : 20121108

Dossier : T-772-09

Référence : 2012 CF 1301

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

         MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La défenderesse demande à la Cour, par voie de requête présentée en vertu de l’article 220 des Règles des Cours fédérales, de statuer sur un point de droit avant l’instruction de la présente action ou début de cette instruction. Le point sur lequel la défenderesse souhaite que la Cour statue est le suivant :

Apotex est-elle une « intéressée » au sens du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets relativement aux revendications 1 à 8, 12, 20, 22 et 24 à 26 du brevet canadien no 2 163 446?

 

[2]               Une brève mise en contexte suffira. Avant le litige, Pfizer a renoncé aux revendications 9, 11, 13 à 17, 19, 21 et 27 de son brevet canadien no 2 163 446 (le brevet 446). En conséquence, elle affirme que seules les revendications 1 à 8, 10, 12, 18, 20 et 22 à 26 du brevet 446 demeurent en vigueur. Au cours de l’instance, Pfizer a pris de sa propre initiative un engagement unilatéral à ne pas poursuivre la demanderesse (Apotex) en contrefaçon ou incitation à la contrefaçon de n’importe quelle revendication du brevet 446, hormis les revendications 10, 18 et 23 (l’engagement à ne pas intenter de poursuite).

 

[3]                Apotex a intenté la présente action le 13 mai 2009, en demandant à ce qu’il soit déclaré que [traduction] « chacune des revendications du [brevet 446] est invalide, nulle et sans effet » et que les [traduction] « comprimés de citrate de sildéfanil (« sildéfanil ») d’Apotex ne contreferont aucune revendication valide du brevet 446 ».

 

[4]               Dans sa défense initiale, Pfizer a soutenu qu’Apotex n’avait pas qualité pour poursuivre relativement à l’ensemble des revendications du brevet 446. Dans une lettre datée du 13 septembre 2011, Pfizer a exposé sa position selon laquelle seules les revendications 7, 8, 10, 18, 22 et 23 étaient en litige dans l’action, mais elle n’a donné aucune explication quant à cette position. Lors d’interrogatoires préalables en novembre 2011, Pfizer a refusé de répondre à des questions au sujet des revendications du brevet, à l’exception des revendications 7, 8, 10, 18, 22 et 23. Par la suite, lorsque Pfizer a communiqué ses positions au sujet des questions auxquelles elle avait refusé de répondre ou qu’elle avait prises en délibéré, elle a transmis à Apotex l’engagement à ne pas intenter de poursuite.

 

[5]               Pfizer soutient que, en raison de l’engagement à ne pas intenter de poursuite, Apotex ne peut avoir aucun motif raisonnable de croire que Pfizer attaquera ses activités en alléguant qu’elles constituent une contrefaçon de n’importe quelle revendication – sauf les revendications 10, 18 et 23 du brevet 446 –, et par conséquent, Apotex n’a pas qualité pour agir en tant qu’« intéressée » au sens du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch P-4 pour faire invalider toute autre revendication du brevet 446. Les parties conviennent que la question de la qualité pour agir d’Apotex en tant qu’« intéressée » relativement à ces revendications est une question en litige dans le cadre de l’instance. Les positions respectives des parties sont exposées dans les actes de procédure.

 

[6]               Pfizer allègue ce qui suit au paragraphe 10 de sa quatrième défense modifiée :  

[traduction]

Dans un engagement écrit à ne pas intenter de poursuite, daté du 8 décembre 2011, Pfizer s’est formellement engagée envers Apotex à ne pas invoquer ni contester à l’encontre d’Apotex les revendications du brevet 446, à l’exception des revendications 10, 18 et 23, dans la mesure où ces dernières comprennent la formule de la revendication 7 [sildénafil] (les « trois revendications invoquées »). Apotex ne peut avoir aucun motif valable de croire que la fabrication, l’utilisation ou la vente de comprimés de sildénafil par Apotex pourrait constituer une contrefaçon d’une des revendications, à l’exception des trois revendications invoquées […]

 

[7]               Apotex a répondu de la sorte dans sa quatrième réponse modifiée :

[traduction]

4.         Pour ce qui concerne le paragraphe 10 et la dernière phrase du paragraphe 45 de la défense, Apotex affirme qu’elle est une intéressée aux fins d’une demande de déclaration d’invalidité fondée sur la Loi sur les brevets. La défenderesse a inscrit le brevet 446 au registre des brevets en vertu de l’article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). De ce fait, la défenderesse et Pfizer ont pu déposer la demande correspondant au dossier de la Cour no T-1312-5 et obtenir une ordonnance d’interdiction empêchant Apotex de vendre ses comprimés de citrate de sildénafil (« sildénafil ») sur le marché canadien. La fabrication, l’utilisation et la vente de sildénafil par Apotex sont donc actuellement contestées sur le fondement du brevet 446.

 

5.         Apotex n’accepte pas la description que fait Pfizer des « trois revendications invoquées ». Aucune de ces revendications n’est limitée au « [sildénafil] » comme l’allègue Pfizer au paragraphe 10 de la défense. Au contraire, ces revendications englobent chacune des revendications 1 à 7 du brevet 446.

 

6.         De même, pour ce qui concerne les paragraphes 70 et 71 de la défense, l’allégation de Pfizer selon laquelle le sildénafil est le seul composé visé par les trois revendications invoquées est inexacte. Chacun des composés constituant les revendications 1 à 7 du brevet 446 est visé par les revendications 10, 18 et 23 du brevet 446.

 

7.         Apotex nie en outre que l’« engagement à ne pas intenter de poursuite », daté du 8 décembre 2011 et invoqué au paragraphe 10 de la défense, modifie de quelque manière que ce soit la qualité d’Apotex pour intenter la poursuite en cause. De fait, l’engagement ne donne aucune garantie ni aucun consentement afin de permettre au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité visant son produit sildénafil si Apotex parvenait à établir l’invalidité des seules revendications 10, 18 et 23 du brevet 446.

 

8.         Pour ce qui concerne les paragraphes 8, 18, 22 à 28, 30, 33, 35 à 40, 45, 58, 65, 67 à 70, 74 et 75 de la défense, Apotex nie que Pfizer puisse, en sa qualité de défenderesse, restreindre unilatéralement la portée du présent litige. L’« engagement à ne pas intenter de poursuite » ne peut pas limiter les questions en litige en l’espèce. D’ailleurs, Pfizer n’a pas affirmé qu’une seule des autres revendications invoquées dans la demande d’Apotex, mis à part la revendication 6, n’englobe pas le composé sildénafil. Ainsi, toutes les revendications du brevet 446 sont en litige dans l’instance. En outre, l’« engagement à ne pas intenter de poursuite » ne prive pas la première ni la deuxième revendication de pertinence.

 

[8]               Le critère applicable à une requête de statuer sur une question de droit avant l’instruction d’un procès est énoncé dans l’arrêt Perera c Canada [1998] 3 CF 981 (C.A.) [Perera], où la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’avant d’ordonner qu’il soit statué sur la question proposée avant l’instruction du procès, la Cour doit être convaincue que :

(i)                 « les questions proposées sont de pures questions de droit, c.-à-d. des questions auxquelles il est possible de répondre sans tirer de conclusion de fait »;

(ii)               « les questions en cause ne sont pas théoriques et qu’elles seront “péremptoires aux fins d’un point en litige” ».

L’arrêt Perera enseigne également que, même s’il est satisfait à ces deux exigences, « la Cour n’a pas d’obligation d’accueillir la requête fondée sur [l’article 220 des Règles] » parce que « la procédure prévue par [l’article 220 des Règles] est exceptionnelle et […] la Cour ne doit y recourir que lorsqu’elle est d’avis que l’adoption de cette mesure extraordinaire entraînera des économies de temps et d’argent » [non souligné dans l’original].

 

[9]               Lorsqu’il s’agit de décider s’il faudrait statuer sur une question de droit avant l’instruction du procès, il est certes préférable de se demander d’abord s’il est satisfait à ces deux exigences avant d’examiner la question de savoir si la Cour est convaincue que statuer sur la question proposée entraînera des économies de temps et d’argent. Cependant, étant donné que le prononcé de motifs détaillés concernant les deux premières exigences entraînerait un retard considérable, et vraisemblablement préjudiciable (le procès est censé commencer dans moins de trois semaines), et comme je ne suis pas convaincu que statuer sur la question proposée entraînera des économies de temps et d’argent, j’exposerai de brefs motifs concernant seulement cette dernière question, afin d’expliquer pourquoi j’ai décidé de ne pas accorder la mesure extraordinaire demandée par Pfizer.

 

[10]           Lorsqu’il s’agit d’examiner la question de savoir si ordonner qu’il soit statué sur une question entraînera des économies de temps et d’argent, la Cour d’appel a indiqué dans l’arrêt Perera que la « Cour doit examiner tous les faits de l’espèce », y compris (i) toute entente entre les parties, (ii) « la probabilité que la question soit tranchée d’une façon qui ne réglera pas le litige », (iii) « la complexité des faits qui devront être établis au procès et l’opportunité de tenter d’éviter pareille instruction pour cette raison », (iv) « la difficulté et l’importance des questions de droit proposées », (v) « la mesure dans laquelle il est souhaitable qu’il n’y soit pas répondu hors de tout contexte » et (vi) « la possibilité que la décision rendue à leur égard avant l’instruction n’entraîne pas, en fin de compte, d’économie de temps ni d’argent ».  

 

[11]           J’examinerai maintenant ces six facteurs qui, selon mon analyse, militent fortement en faveur du rejet de la présente requête. 

 

[12]           Premièrement, il n’y a pas d’entente entre les parties sur la formulation d’une question à trancher. En fait, Apotex a vigoureusement contesté la requête en cause.

 

[13]           Deuxièmement, peu importe la réponse à la question proposée, l’instance se poursuivra. Même s’il était statué qu’Apotex n’est pas une partie intéressée à l’égard de l’une quelconque des revendications du brevet 446, sauf les revendications 10, 18 et 23, il n’est pas contesté que le procès doit être instruit relativement à ces revendications – Apotex est une partie intéressée à l’égard de ces revendications.

 

[14]           Troisièmement, il n’est pas évident, et je ne suis pas convaincu, qu’une réponse à la question proposée qui confinerait l’intérêt d’Apotex aux trois revendications restantes entraînerait quelque réduction importante que ce soit de la complexité des faits à l’instruction du procès. Apotex formule des allégations d’invalidité à l’égard de chacune des 27 revendications du brevet 446. Pfizer soutient ce qui suit :

[traduction]

Les allégations d’invalidité d’Apotex doivent être considérées à l’égard de chaque revendication prise individuellement. En éliminant plusieurs revendications des questions en litige, le procès sera considérablement simplifié et abrégé.

 

Bien que cette affirmation soit séduisante à première vue, Pfizer n’a produit aucun élément de preuve pour l’étayer. Il incombe à Pfizer de démontrer qu’en réduisant le nombre de revendications en litige, il s’ensuivra une réduction corrélative non seulement du volume des éléments de preuve produits, mais aussi de la complexité de ces éléments de preuve. Étant donné que la Cour ne sait rien de l’action sauf ce qui est avancé dans les actes de procédure, elle n’est tout simplement pas en mesure de savoir si la réduction du nombre de revendications en litige aura pour effet d’abréger le procès. Je note que, dans son mémoire, Apotex soutient qu’aucune des économies de la sorte alléguées par Pfizer ne serait réalisée. En l’absence de tout élément de preuve produit par Pfizer, à qui incombe le fardeau de la preuve dans le cadre de cette requête, la Cour ne peut admettre la simple affirmation qu’une réduction du volume des éléments de preuve ou une diminution de la complexité seront réalisées.

 

[15]           Quatrièmement, la question proposée est à la fois difficile et importante. Comme l’a fait remarquer le protonotaire Aalto, responsable de la gestion de l’instance, il s’agit [traduction] « d’une question fascinante [] et beaucoup de choses ont été écrites sur le sujet ». Étant donné la difficulté de la question, il n’est pas certain que la Cour puisse donner une opinion réfléchie dans les quelques jours qui restent avant le procès, même si les parties étaient en mesure de présenter leurs observations immédiatement.

 

[16]           Cinquièmement, il appert que les seuls faits importants sont le brevet 446, l’engagement à ne pas intenter de poursuite et les renonciations, de sorte que la question ne semble pas en être une qui devrait être tranchée hors de tout contexte. Il s’agit du seul facteur qui favorise Pfizer, en présumant que la question est une pure question de droit et non, comme l’a affirmé le protonotaire Aalto, une question mixte de faits et de droit.

 

[17]           Sixièmement, il est fort probable qu’aucune économie de temps ni d’argent ne soit réalisée en tranchant la question avant l’instruction du procès. Le procès est censé commencer dans moins de trois semaines, de sorte qu’il n’y a aucune économie à réaliser en temps ni en argent au chapitre des actes de plaidoirie, des interrogatoires ou des procédures préalables au procès – ces étapes sont toutes terminées. En outre, puisque l’audition de la requête en cause prendrait vraisemblablement au moins une journée, et qu’une décision ne serait prononcée que quelques jours avant l’instruction, sinon au début du procès, il y aura peu d’économies de temps et d’argent au chapitre de la préparation des parties et de la Cour au procès. Au contraire, il faudra fort probablement plus de temps et d’argent. De plus, un procès doit être tenu dans tous les cas, puisqu’au moins trois des revendications du brevet 446 demeureraient en litige.

 

[18]           En outre, j’admets l’affirmation d’Apotex selon laquelle [traduction] « un retard additionnel dans le dénouement de la présente action causera un préjudice sérieux à Apotex étant donné son désir de commercialiser son propre produit pharmaceutique contenant du sildénafil [et étant donné] que le brevet 446 est censé expirer le 14 mai 2014 ». Bien que l’arrêt Perera ne mentionne pas le préjudice, l’énumération de considérations faite par la Cour d’appel n’est pas exhaustive. À mon avis, le préjudice est une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu d’ordonner ou non qu’une question soit tranchée avant l’instruction du procès, surtout lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la demande en est faite si peu de temps avant la date fixée pour l’instruction du procès. 

 

[19]           Puisque Pfizer n’a pas eu gain de cause et qu’elle a attendu au dernier moment avant de présenter sa requête visant à ce qu’il soit statué sur un point de droit, Apotex a droit à ses dépens pour la présente requête, indépendamment de l’issue de l’affaire.

 

 

 

ORDONNANCE

            LA COUR statue que la requête est rejetée, que la Cour ne tranchera pas la question proposée avant l’instruction ni au début de l’instruction, et qu’Apotex a droit à ses dépens pour la présente requête, indépendamment de l’issue de l’affaire.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-772-09

 

INTITULÉ :                                      APOTEX INC. c. PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 octobre 2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ben Hackett  /

Michelle Anderson

 

                     POUR LA DEMANDERESSE

Jason C. Markwell /

Amy E. Grenon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. Avocats

Toronto (Ontario)

   POUR LA DÉFENDERESSE

 

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