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Date : 20121030

Dossier : T-1874-11

Référence : 2012 CF 1262

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2012

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

VICTOR COTIRTA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

MISSINNIPI AIRWAYS

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, M. Victor Cotirta, interjette appel devant la Cour de l’ordonnance du 26 juin 2012 (l’ordonnance) par laquelle le protonotaire Morneau a rejeté, après l’examen de l’état de l’instance, sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre du travail nommé par le ministre du Travail aux termes de la partie III du Code canadien du travail, LRC, 1985, c L-2.

 

 

 

 

[2]               Une audience sur l’état de l’instance est convoquée lorsque les parties ne prennent pas les mesures requises dans le cadre du litige et dans les délais prescrits. En l’espèce, M. Cotirta n’ayant pris aucune mesure entre le dépôt de son avis de demande le 18 novembre 2011 et la fin mai 2012, la Cour a émis, le 28 mai 2012, un avis d’examen de l’état de l’instance pour qu’il signifie et dépose des prétentions expliquant pourquoi sa demande ne devrait pas être rejetée pour cause de retard, aux termes du paragraphe 382(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). M. Cotirta a déposé des prétentions écrites le 5 juin 2012,.

 

[3]               Le protonotaire Morneau a estimé qu’en dehors de tâcher de justifier le bien-fondé de sa demande, le demandeur n’a pas rempli les exigences du paragraphe 382(1) pour éviter le rejet de sa demande lors de l’examen de l’état de l’instance : i) il n’a pas justifié le retard ayant entraîné l’émission de l’avis et ii) n’a pas proposé de projet d’échéancier indiquant les mesures nécessaires pour faire avancer l’instance de façon expéditive. Il est à noter que l’avis d’examen de l’état de l’instance, émis par le juge en chef Crampton, notifiait explicitement au demandeur que les prétentions demandées devaient comporter des observations concernant ces deux aspects.

[4]               Le protonotaire Morneau s’est appuyé sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nowoselsky c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 418 (Nowoselsky), pour conclure que le fait de ne pas avoir bénéficié de l’avis d’un professionnel ne dispensait pas le demandeur de l’obligation de se conformer aux Règles. Par ailleurs, le protonotaire a convenu avec la défenderesse que le demandeur n’avait pas du tout expliqué pourquoi il n’avait pas déposé les documents requis ni précisé les mesures qu’il prendrait pour faire avancer sa demande.

 

 

[5]               La norme de contrôle applicable aux décisions de protonotaires est énoncée dans la décision Canada v Aqua-Gem Investments Ltd, [1993] 2 CF 425, au paragraphe 95, et dans l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2003] ACF no 1925, au paragraphe 19. Il est à présent bien établi en droit que le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir, sauf si a) les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal, ou si b) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Si l’un des deux volets du critère est rempli, le juge d’appel exercera son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

[6]               La défenderesse reconnaît que, puisque l’ordonnance avait pour effet de statuer sur la demande de contrôle judiciaire, la question dont nous sommes saisis a une influence déterminante sur l’issue de la demande du demandeur. La Cour doit donc mener une audience de novo et exercer à nouveau son pouvoir discrétionnaire en se basant sur la preuve dont disposait le protonotaire (Apotex Inc c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, aux paragraphes 6 à 9; Bennett c Canada (Procureur général), 2010 CF 1173, au paragraphe 22).

 

[7]               Pour les motifs énoncés plus loin, je conviens avec le protonotaire Morneau que les raisons avancées par le demandeur en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance sont insuffisantes pour justifier que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

 

[8]               Il est bien établi que « la partie qui reçoit un avis d’examen de l’état de l’instance doit répondre à deux questions : 1) Y a-t-il une justification pour l’omission d’avoir fait avancer l’affaire? 2) Quelles mesures la partie a-t-elle l’intention de prendre pour faire avancer l’affaire? » (Liu c Matrikon Inc, 2010 CAF 329 au paragraphe 2 (Liu), citant Baroud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1988), 160 FTR 91 (1re inst) (Baroud)). Il ne fait aucun doute que le critère n’oblige pas la Cour à examiner l’affaire sur le fond.

 

[9]               Les arguments présentés par le demandeur à l’appui de la présente requête en annulation de l’ordonnance sont encore moins convaincants que les observations qu’il avait soumises au protonotaire ayant tenu l’audience d’examen de l’état de l’instance. Le dossier étoffé de la requête contient, pour reprendre les propres mots du demandeur, des motifs et des éléments de preuve établissant d’après lui qu’il a été victime d’un congédiement injuste et qu’il n’a pas bénéficié d’un traitement objectif et équitable durant le processus d’arbitrage. En fait, après avoir attentivement examiné son affidavit établi sous serment le 18 septembre 2012 et les documents soumis à l’appui, j’estime que la Cour n’a toujours pas reçu d’explication raisonnable quant i) aux raisons pour lesquelles le demandeur a manqué, pendant plus de six mois consécutifs, de faire avancer son affaire après le dépôt de l’avis de demande, et ii) aux mesures qu’il a désormais l’intention de prendre en conséquence.

 

[10]           Sans m’exprimer sur ses chances de succès en contrôle judiciaire, je pense que le demandeur s’est laissé absorber par le bien-fondé de l’affaire tel qu’il le conçoit plutôt que de prendre les mesures procédurales nécessaires en vue de sa résolution. Compte tenu de l’absence complète dans ses prétentions écrites de réponses adéquates établissant que les critères du paragraphe 382(1) des Règles ont été remplis, je ne suis pas convaincue qu’il serait dans l’intérêt des parties ou de la bonne administration de la justice que cette instance se poursuive (Bahrami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF 701 (1re inst), au paragraphe 8.

 

[11]           Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte du fait que le demandeur se représentait lui-même et que la Cour doit, au moment d’examiner leurs actes de procédure, faire preuve d’une grande indulgence à l’égard des parties qui procèdent de cette façon (voir Tench c Canada, [1999] ACF no 1152, au paragraphe 8); mais de telles considérations ne sauraient valoir au demandeur un droit additionnel ou une dispense spéciale (voir Brunet c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 551, au paragraphe 10, et Nowoselsky, précité, au paragraphe 8).

 

[12]           La seule explication que le demandeur a fournie au protonotaire consistait à dire qu’il se représentait lui-même, qu’il n’avait pas les moyens de se payer un avocat et qu’il avait l’intention de se conformer aux règles procédurales.

 

[13]           La jurisprudence a systématiquement refusé de considérer le manque de formation juridique d’une partie ou son incompréhension des Règles comme une excuse raisonnable de retard (Mischena c Canada (Procureur général), 2004 CF 1515, au paragraphe 5; Scheuneman c Sa Majesté la Reine, 2003 CFPI 37, au paragraphe 4; Soderstrom c Canada (Procureur général), 2011 CF 575 (Soderstrom). Il a également été établi que « [l’]ignorance déclarée des exigences de la loi n’excuse pas l’absence de réponse à la deuxième question » (Liu, précité, au paragraphe 2) et que « [d]e simples déclarations de bonne intention et du désir d’agir ne suffit clairement pas » (Baroud, précitée, au paragraphe 5). Par conséquent, l’ignorance des questions procédurales et l’incapacité de se payer un avocat invoquées par le demandeur ne lui sont d’aucun secours lors de l’examen de l’état de l’instance.

 

[14]           Dans son avis de demande modifié, M. Cotirta indiquait aussi qu’en dépit de ses tentatives pour obtenir des conseils du [traduction] « Bureau du registraire de la Cour suprême » (le greffe de la Cour, je présume), on ne lui a pas expliqué comment poursuivre l’instance de manière à éviter le rejet de sa demande pour cause de retard.

 

[15]           Cet argument ne peut non plus être retenu. Il n’entre pas dans les fonctions ni dans les obligations du greffe de fournir des conseils juridiques aux parties à un litige. Comme l’a clairement indiqué la Cour dans Baroud, précitée, « la principale obligation de voir à ce que l’affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, à un examen de l’état de l’instance, la Cour lui demandera des explications ». Dans ce sens, je souscris aux remarques du juge en chef Crampton dans Soderstrom, précitée, aux paragraphes 19 à 23, dans laquelle il a tranché un argument similaire avancé par un demandeur :

La Cour est consciente de la position dans laquelle se trouvent les plaideurs non représentés par un avocat quant aux exigences d’ordre procédural de la Cour, et elle est compréhensive à leur égard. C’est pourquoi la Cour a rendu accessible un grand nombre de renseignements sur son site Web afin d’aider les personnes non représentées par un avocat à comprendre et à respecter un large éventail d’exigences d’ordre procédural, faisant ainsi en sorte que ces personnes aient plus facilement accès à l’appareil judiciaire.


On trouve en haut et sur le côté gauche de la page d’accueil de la Cour fédérale un lien mis en évidence qui donne accès à de tels renseignements. Lorsque l’on clique sur ce lien, on est immédiatement dirigé sur une page qui fournit des liens bien en évidence vers des renseignements détaillés sur, notamment, le processus lié au dépôt d’une demande de contrôle judiciaire et sur ce que les employés du greffe de la Cour peuvent faire et ne peuvent pas faire pour les parties qui se représentent elles-mêmes.

Les renseignements sur le processus lié au dépôt d’une demande précisent les divers documents devant être déposés, décrivent brièvement les différentes procédures à suivre, fournissent des renvois aux Règles en vigueur et précisent l’échéancier applicable. En haut de la même page se trouve un lien pratique vers les Règles. Ce lien dirige le visiteur du site Web directement à une table des matières qui, notamment, renvoie facilement aux dispositions applicables aux examens de l’état de l’instance.


Les renseignements fournis sur le site Web concernant ce que les employés du greffe de la Cour peuvent faire et ne peuvent pas faire sont également assez exhaustifs. Les plaideurs non représentés par un avocat y sont avisés que les employés du greffe peuvent notamment

 

* leur dire de quelles formules ils pourraient avoir besoin;

* leur fournir des copies des formules de la Cour et des renseignements pour les aider à remplir les formules;

* leur expliquer brièvement le fonctionnement de la Cour ainsi que ses pratiques et procédures et répondre à leurs questions à cet égard;

* vérifier si les formules et les autres pièces de procédures sont complètes.

 

Vu tous les renseignements facilement accessibles par quiconque prend le temps de visiter le site Web de la Cour, je souscris à la position du défendeur, selon laquelle le demandeur n’a pas pris de mesures raisonnables pour établir ce qu’il devait faire pour que sa demande avance et pour se mettre en meilleure position afin de comprendre les mesures nécessaires pour faire avancer l’instance de façon expéditive. […]

 

 

[16]           Durant l’audience qui s’est déroulée devant la Cour, on a demandé à deux reprises au demandeur quelles mesures il avait prises pour se familiariser avec les Règles. La première fois, il a répondu en arguant sur le fond de sa demande et la deuxième fois, après avoir cherché à obtenir l’avis de la Cour, qu’il se proposait de rechercher des conseils juridiques.

 

[17]           Malheureusement pour le demandeur, aucune des exigences du paragraphe 382(1) n’est remplie et son appel doit être rejeté avec dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         le présent appel soit rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1874-11

 

INTITULÉ :                                      Victor Cotirta c. Missinnipi Airways

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           La juge GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 30 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS (par vidéoconférence) :

 

M. Victor Cotirta

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Me Terra L. Welsh

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Victor Cotirta

Montréal (Québec)

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Terra L. Welsh

Thompson, Dorfman, Sweatman

Winnipeg (Manitoba)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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