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Date : 20121029

Dossier : IMM-1705-12

Référence : 2012 CF 1250

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

MARTIN BRYNDZA

JITKA BRYNDZOVA

JITKA BRYNDZOVA

REBECA BRYNDZOVA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR), datée du 18 janvier 2012, dans laquelle celle-ci a conclu que les demandeurs, citoyens de la République slovaque, ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La demande d’asile, fondée sur les origines romes de la mère demanderesse, a été refusée par la SPR parce que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire porte principalement sur la question de savoir si la SPR a commis une erreur en rejetant la demande des demandeurs de reporter l’audition de leur demande d’asile à une date à laquelle leur avocat pourra être présent.

 

[3]               La jurisprudence a établi que le droit d’être représenté par un avocat devant la SPR est une question d’équité procédurale (Cervenakova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 525 (CF); Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 196 (CF), au paragraphe 11). L’équité procédurale est une question de droit et, donc, elle appelle la norme de la décision correcte (S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 RCS 539 (CSC), au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 (CAF)).

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR de procéder à l’audition de la demande d’asile constitue une violation de l’équité procédurale parce que les facteurs qui doivent être pris en compte ne l’ont pas été.

 

I.                   L’historique

[5]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 20 juin 2009 et ont immédiatement présenté leur demande d’asile. Celle-ci a été renvoyée à la SPR le 15 juillet 2009 et leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) ont été déposés auprès de la SPR le 21 juillet 2009. Lors du dépôt des FRP, les demandeurs étaient représentés par un avocat fourni par l’aide juridique.

 

[6]               Les demandeurs ont eu beaucoup de difficulté à communiquer avec cet avocat et ont fini par perdre confiance en lui. Le 27 octobre 2011, les demandeurs ont été avisés de se présenter, le 28 novembre 2011, à l’audience relative à leur demande d’asile. Le 31 octobre 2011, les demandeurs ont avisé la SPR qu’ils avaient retenu les services d’un nouvel avocat. Le nouvel avocat a demandé à la SPR de reporter l’audience parce qu’il ne pourrait pas se présenter à la date fixée pour la tenue de l’audience. La demande de report faisait mention de six dates en février et mars 2012 où l’avocat pouvait comparaître pour le compte des demandeurs, la première de ces dates étant dans deux mois. La SPR a refusé de reporter l’audition en affirmant que les demandeurs devaient retenir les services d’un avocat disposé et capable de les représenter à la date prévue.

 

II.        L’audience relative à la demande d’asile

 

[7]               Le 28 novembre 2011, les demandeurs se sont présentés à l’audience en l’absence de leur avocat et ont demandé le report de l’audience. Le père demandeur a dit à la présidente de l’audience qu’ils devaient retenir les services d’un nouvel avocat parce que leur ancien avocat leur avait menti et qu’ils n’étaient pas capables de communiquer avec lui ou de le trouver. Le demandeur a déclaré qu’il n’était pas prêt pour l’audition et qu’il avait besoin de plus de temps : [traduction] « Je dois voir quelqu’un qui va me préparer et me dira comment cette audience se déroulera, quelles seront les questions qui seront posées et ce qui se passera » (dossier certifié du tribunal, p. 272). En fait, le demandeur a affirmé un certain nombre de fois qu’il ne sentait pas prêt à procéder.

 

[8]               La présidente de l’audience a répondu à la demande des demandeurs en demandant au père demandeur pourquoi il avait besoin de recourir à l’assistance d’un avocat :

[traduction]

 

LA PRÉSIDENTE : Monsieur, pourquoi avez-vous besoin d’une préparation pour livrer votre témoignage? Vous avez affirmé dans votre formulaire de renseignements personnels que vous avez peur de retourner dans votre pays en raison de la discrimination dont vous êtes victimes à titre de personne d’origine rome.

 

(dossier certifié du tribunal, p. 273)

 

[9]               La présidente de l’audience a ensuite fait ce qui, selon moi, était un effort sérieux pour convaincre les demandeurs qu’ils étaient prêts et qu’elle pourrait leur expliquer les exigences prévues par les articles 96 et 97 de la Loi. Ce faisant, les demandeurs ont révélé que l’exposé circonstancié de leur FRP avait été traduit en anglais par leur ancien avocat et qu’il ne leur avait jamais été relu. Cette information n’a pas dissuadé la présidente de l’audience de procéder à l’audition. La présidente de l’audience a expliqué que la principale question en litige dans leur demande d’asile était la question de la protection de l’État dans la République slovaque. Voici ce qu’elle a dit aux demandeurs :

 

[traduction]

 

Passons maintenant aux questions – je vais expliquer le processus au fur et à mesure que nous avancerons et je vais vous expliquer que c’est aux demandeurs, en l’occurrence vous et votre épouse, qu’il incombe de démontrer l’insuffisance de la protection de l’État dans un pays donné.

 

Les – Je vais vous poser des questions concernant les efforts que vous avez personnellement faits pour demander la protection de l’État parce qu’il existe une présomption selon laquelle un état est en mesure de protéger ses citoyens.

 

Et, selon moi, vous ne subirez aucun préjudice en procédant aujourd’hui parce les questions que je dois vous poser concernant la protection de l’État, un élément crucial, sont très simples.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(dossier certifié du tribunal, aux pp. 275 et 276)

 

[10]           En fin de compte, après avoir entendu les déclarations de la SPR, les demandeurs ont consenti à ce que l’on procède à l’audition. L’avocat du défendeur prétend que ce consentement fait obstacle à la présente demande dans laquelle les demandeurs prétendent que la SPR a commis un manquement à l’obligation d’équité en n’examinant pas adéquatement leur demande d’ajournement. Compte tenu de que la SPR a incité les demandeurs à procéder, et ce, de façon inopportune en ce qui me concerne, je conclus que le consentement n’a aucune pertinence en ce qui concerne la présente demande.

 

III.       Les facteurs pertinents à l’exercice par la SPR de son pouvoir discrétionnaire

[11]           La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 151 NR 76 (CAF) est considérée comme faisant autorité en ce qui concerne la question des facteurs qui doivent être pris en compte en matière de demande d’ajournement d’audience (voir Golbom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 640 (CF); Ramadani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 211 (CF)) :

 

              1. la question de savoir si le demandeur a fait son possible pour être représenté par un avocat;

            2. le nombre d'ajournements déjà accordés;

            3. le délai pour lequel l'ajournement est demandé;

            4. l'effet de l'ajournement sur le système d'immigration;

            5. la question de savoir si l'ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l'enquête;

            6. la faute ou le blâme à imputer au requérant du fait qu'il n'est pas prêt;

            7. la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;

            8. tout autre facteur pertinent.

 

[12]           À l’appui de l’argument voulant que la SPR a commis un manquement à l’obligation d’équité en n’accordant pas l’ajournement, l’avocat des demandeurs prétend que les facteurs énumérés dans Siloch penchaient nettement en faveur des demandeurs : (1) l’intention d’être représenté était manifeste dès le moment où les demandeurs ont présenté leur demande d’asile et ont retenu les services d’un avocat; (2) les demandeurs n’avaient jamais demandé d’ajournement; (3) l’avocat des demandeurs avait proposé six autres dates pour l’audition, la plus rapprochée étant dans deux mois; (4) rien n’indiquait qu’un ajournement de deux mois aurait un effet défavorable sur le système d’immigration; (5) l’ajournement ne nuirait pas  à la tenue de l’enquête, il ne pouvait qu’être utile, car les demandeurs avaient relevé un problème important dans la manière selon laquelle leur FRP avait été préparé; (6) aucune faute ne pouvait être imputée aux demandeurs et leur comportement n’a occasionné aucun retard et n’avait rien à voir avec le fait que plus de deux ans s’étaient écoulés depuis que leur demande d’asile avait été renvoyée à la SPR; et (7) aucun autre ajournement n’ a déjà été accordé péremptoirement.

 

IV.       Le rejet de la demande d’ajournement

 

[13]           La SPR a invoqué les motifs suivants pour décider de tenir l’audience, malgré la demande d’ajournement présentée par les demandeurs :

Après avoir examiné la demande des demandeurs d’asile de reporter l’audience à une date ultérieure, le tribunal a tenu l’audience comme prévu, puisque les demandes d’asile avaient été déférées à la Commission le 21 juin 2009 et que cela ne portait aucunement préjudice aux demandeurs d’asile du point de vue juridique ou de la justice naturelle. Ils ont indiqué qu’ils avaient besoin de plus de temps pour se préparer parce qu’ils n’avaient jamais été en cour et qu’il s’agissait d’un événement très important pour eux.

 

Je reconnais que d’avoir à trancher la question de la protection est très sérieux. Toutefois, j’ai jugé que l’explication des demandeurs d’asile, à savoir qu’ils [traduction] « ne se sentaient pas prêts à témoigner », n’était pas une explication raisonnable pour ne pas tenir l’audience, puisqu’ils ont expliqué à leur premier conseil, qui les a aidés à remplir leurs FRP, les raisons pour lesquelles ils craignaient de retourner en République slovaque et que le fait de ne pas être représentés par un conseil pour témoigner à l’audience ne leur porte aucunement préjudice.

 

Les demandeurs d’asile se sont fait expliquer le processus d’audience, la définition de « réfugié au sens de la Convention » et les exigences prévues à l’article 97. Toutes les questions ont été expliquées, en particulier celle de la protection de l’État et le fait qu’il leur incombe de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants selon lesquels la protection de l’État est insuffisante.

 

(décision, dossier certifié du tribunal, p. 4)

 

[14]           Compte tenu que rien dans la transcription de l’audience qui a eu lieu ou dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle n’indique que les facteurs énoncés dans Siloch ont été pris en compte, je conclus que le rejet de la demande d’ajournement constitue un manquement à l’obligation d’équité qui rend la décision susceptible de contrôle.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1705-12

 

INTITULÉ :                                      MARTIN BRYNDZA, JITKA BRYNDZOVA, JITKA BRYNDZOVA, REBECA BRYNDZOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 17 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 29 OCTOBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip U. Okpala

 

POUR LES DEMANDEURS

Monmi Gowsami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip U. Okpala

Avocat

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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