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Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date : 20121024

Dossier : IMM-1305-12

Référence : 2012 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 24 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

KAJENTHIRAN YOTHEESWARAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

        défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, un Tamoul de Jaffna (Sri Lanka), conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision rendue le 11 janvier 2012 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) dans laquelle celle-ci a jugé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La demande du demandeur est fondée sur sa crainte subjective et objective qu’il soit enlevé et torturé, ou pire, qu’il soit tué par l’armée sri lankaise s’il retournait au Sri Lanka.

 

[2]               Dans sa décision, la SPR accepte que le demandeur est un Tamoul de 26 ans de Jaffna (Sri Lanka) et relate brièvement son témoignage selon lequel les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul ont tenté de le recruter à plusieurs reprises, il a fait l’objet de nombreuses arrestations et détentions de la part des forces de sécurité sri-lankaises, et selon ses dires, jusqu’à ce qu’il quitte le pays en février 2010. Toutefois, la SPR a rejeté la demande du demandeur en raison d'une conclusion d'ensemble défavorable quant à sa crédibilité et en raison d’une preuve démontrant un changement de situation au Sri Lanka.

 

[3]               Le principal argument invoqué par le demandeur dans le cadre de la présente demande est que la SPR a commis une erreur de droit en tirant une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Pour les motifs qui suivent, je souscris à cet argument parce que, dans son analyse sur la crédibilité, la SPR ne respecte pas les principes juridiques établis.

 

[4]               Dans son analyse sur la crédibilité, la SPR a fait la déclaration préoccupante suivante :

En règle générale, il n’y avait pas d’incohérences entre la preuve orale présentée par le demandeur d’asile en l’espèce et l’exposé circonstancié de son FRP; cependant, l’absence de contradiction dans les déclarations d’un témoin ne garantit pas leur acceptation, et le poids et la crédibilité qui leur sont accordés seront évalués par la Commission.

 

(décision, dossier certifié du tribunal, p. 5)

 

 

À l’appui de sa déclaration, la SPR renvoie, en bas de page, à la décision Efremov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 90 FTR 259 (CFPI). Cette décision traite du principe non contesté voulant que ce soit à la SPR qu’il incombe de déterminer le poids et la crédibilité qu’il convient d’accorder à la preuve. Toutefois, j’interprète la déclaration de la SPR comme voulant dire qu’il lui est loisible de tout simplement rejeter une preuve cohérente et non contredite. Cette affirmation n’est pas justifiable en droit et elle porte clairement atteinte au principe fondamental et reconnu énoncé dans Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) : lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité.

 

 

[5]               De plus, en ce qui concerne l’analyse sur la crédibilité, la SPR, au paragraphe 22 de sa décision, invoque l’arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CAF), dans lequel il est mentionné ce qui suit :

Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

 

     [Non souligné dans l’original.]

 

(décision, dossier certifié du tribunal, p. 8)

 

 

Selon moi, en faisant cette déclaration, la SPR ne tient pas compte du fait que, pour que la déclaration soit pertinente, il doit d’abord être conclu que le demandeur, selon le principe énoncé dans Maldonado, n’est pas un témoin crédible. La SPR a également négligé de faire mention de l’exigence établie par la Cour d’appel fédérale dans Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF), selon laquelle toute conclusion défavorable quant à la crédibilité doit être exprimée dans des termes clairs et explicites.

 

[6]               Il y a quelque temps, dans Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, au paragraphe 11, j’ai déclaré pourquoi les principes énoncés dans Maldonado et Hilo doivent être suivis :

Dire qu'une personne n'est pas crédible, c'est dire qu'elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

 

[7]               Par conséquent, l’interprétation qu’a faite la SPR du droit en matière de conclusion concernant la crédibilité est une erreur de droit.

 

[8]               En l’espèce, l’erreur relevée a été appliquée au témoignage du demandeur. Le récit du demandeur a été cohérent tout au long du processus de demande d’asile et aucune contradiction interne n’a été relevée dans son témoignage, à l’exception d’un détail peu important concernant la résidence de sa famille à Colombo en 2006. Toutefois, les renseignements inscrits dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) ont été modifiés avant la tenue de l’audience afin de corriger cette contradiction. Comme l’a souligné l’avocat des demandeurs dans sa plaidoirie, le demandeur a fait un récit cohérent, en ce qui concerne ses inquiétudes en matière de risque, dans ses déclarations aux autorités américaines de l’immigration, dans l’entrevue au point d’entrée avec les autorités canadiennes, dans son FRP, et dans ses déclarations à la SPR. Par conséquent, je conclus qu’il est très clair que la preuve soumise par le demandeur à la SPR ne contenait aucune contradiction importante.

 

[9]               En tirant sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, la SPR n’a formulé aucun motif clair permettant de douter du témoignage du demandeur. La SPR a poursuivi en tirant la conclusion erronée suivante qui est au cœur du rejet de la demande d’asile du demandeur :

Le demandeur d’asile n’a présenté aucun élément de preuve corroborant les allégations selon lesquelles il aurait été arrêté ou détenu dans un camp militaire ou au commissariat. La SPR n’a reçu aucun document corroborant les arrestations, les mises en détention ou les mauvais traitements qui, au dire du demandeur d’asile, auraient été l’œuvre des forces de sécurité. Le demandeur d’asile n’a pas non plus déposé d’élément de preuve qui aurait indiqué à quel moment il a quitté le Sri Lanka.

 

(décision, dossier certifié du tribunal, pp. 5-6)

 

[10]           Dans Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705 (CFPI), au paragraphe 45, le juge Teitelbaum a formulé la directive suivante concernant la corroboration :

La Commission semble avoir commis une erreur en déterminant que le requérant n'était pas digne de foi parce qu'il n'était pas capable de fournir des éléments de preuve documentaires corroborant ce qu'il avançait. Comme cela a été le cas dans la décision Attakora, précitée, où la C.A.F. a décrété que le requérant n'était pas tenu de fournir des rapports médicaux pour justifier la blessure dont il disait avoir souffert, on ne s'attend pas non plus en l'espèce à ce que le requérant produise une copie d'un rapport d'arrestation. Le fait de n'avoir pas fourni de document concernant l'arrestation - et il s'agit là d'une conclusion de fait exacte - ne peut être lié à la crédibilité du requérant en l'absence de preuve contredisant les allégations.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le point souligné a également été formulé dans Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) et Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),[1999] ACF no 729 (CFPI). Par conséquent, je conclus que la décision n’est pas conforme au droit en matière de corroboration. 

 

[11]           Par conséquent, je conclus que la décision comporte des erreurs susceptibles de contrôle en ce qui a trait aux deux conclusions de droit et leur application à la preuve du demandeur.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1305-12

 

INTITULÉ :                                      KAJENTHIRAN YOTHEESWARAN c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 17 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 24 OCTOBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Preevanda K. Sapru

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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