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Date : 20121031

Dossier: T-1516-11

Référence : 2012 CF 1276

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

DÉMÉNAGEMENT RIMOUSKI INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PIERRE LAVOIE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire présentée par Déménagement Rimouski Inc. (la demanderesse) vise l’annulation de la décision rendue le 17 août 2011 par l’arbitre Jean-Paul Boily suite à une plainte de congédiement injuste déposée par M. Pierre Lavoie (le défendeur) sous l’autorité de la Section XIV de la Partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [Code]. Dans sa décision, l’arbitre a accueilli la plainte du défendeur et lui a accordé la somme de 29 741.89 $ à titre de perte salariale. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

I. Faits

 

[2]               Les parties ne s’entendent pas sur les faits à l’origine du présent litige.

 

[3]               La demanderesse affirme qu’en date du 14 juin 2010, le défendeur occupait le poste de répartiteur. Ce jour-là, Mme Raymonde Grenier, vice-présidente et directrice générale de Déménagement Rimouski Inc., aurait eu vent du fait que le défendeur devait s’absenter du travail pour se rendre à un rendez-vous médical. Elle aurait donc convoqué le défendeur à son bureau pour clarifier la situation relativement à ce rendez-vous médical. Lors de cette rencontre, le défendeur lui aurait indiqué que sa santé ne lui permettait plus d’occuper le poste de répartiteur. Mme Grenier dit lui avoir offert la possibilité de retourner au poste de chauffeur-déménageur qu’il avait préalablement occupé de 1993 à 2007. Au retour de son rendez-vous médical, le défendeur lui aurait remis un billet du médecin sur lequel était inscrite la note suivante : « congé médical requis pour période indéterminée ». Le défendeur a pris congé le jour même.

 

[4]               La demanderesse allègue avoir émis au défendeur un relevé d’emploi maladie le 30 juin 2010 et avoir communiqué avec ce dernier quelques semaines plus tard pour obtenir des éclaircissements quant à sa situation médicale. Cependant, le 21 juillet 2010, la demanderesse aurait reçu confirmation par courriel que le défendeur occupait un poste au sein d’une autre entreprise depuis le 28 juin 2010. Les parties auraient alors convenu de se rencontrer la journée suivante, mais le défendeur ne se serait jamais présenté. Par conséquent, le 3 août 2010, la demanderesse a écrit au défendeur, le sommant de réintégrer son poste le 6 août 2010. À cette date, le défendeur ne se serait pas présenté au travail, mais aurait envoyé un billet médical daté du 30 juin 2010 selon lequel il pouvait réintégrer progressivement le marché du trafail, mais dans un autre environnement que celui de Déménagement Rimouski. Jugeant que le défendeur avait volontairement abandonné son emploi, la demanderesse lui a fait parvenir, le 18 août 2010, un relevé de cessation d’emploi définitif.

 

[5]               Le défendeur, quant à lui, présente une version des faits tout autre. Il prétend que le 2 juin 2010, Mme Grenier lui a dit qu’il pouvait démissionner s’il n’était plus capable d’effectuer son travail et que cela la laissait totalement indifférente. Il prétend avoir également constaté depuis un certain temps que le comportement de Mme Grenier à son égard devenait de plus en plus autoritaire et irrespectueux, et que celle-ci semblait déterminée à le congédier. Cet environnement de travail était une source de stress et d’anxiété qui l’aurait amené à prendre un rendez-vous médical.

 

[6]               Le 11 juin 2010, le défendeur aurait avisé la demanderesse, par l’entremise de Mme Julie Lachance, qu’il devrait s’absenter le 14 juin 2010 pour subir un examen médical. Le 14 juin 2010, tout juste avant son rendez-vous médical, Mme Grenier l’aurait informé que le poste de répartiteur qu’il occupait allait être aboli. Suite à son rendez-vous avec le médecin, le défendeur confirme avoir remis le billet signé par ce dernier à Mme Grenier et avoir pris congé le jour même.

 

[7]               Le 15 juin 2010, Mme Grenier aurait demandé au défendeur de rendre le véhicule de service et les clés du bureau, et lui aurait indiqué que la compagnie n’acquitterait plus les paiements de son téléphone cellulaire. À ce même moment, Mme Grenier lui aurait aussi indiqué qu’il n’avait plus sa place chez Déménagement Rimouski. Le défendeur a déduit de ces événements qu’il était congédié, et c’est la raison pour laquelle il aurait commencé à travailler chez Béton Provincial en tant qu’opérateur de camion bétonnière.

 

[8]               Mme Grenier lui aurait par la suite demandé de la rencontrer à sa convenance au mois de juillet 2010. Le défendeur dit avoir contacté celle-ci à plusieurs reprises sans succès. Le 4 août 2010, il a reçu une lettre par huissier le sommant de reprendre ses fonctions le 6 août 2010 chez la demanderesse. Cependant, après avoir constaté que la demanderesse avait affiché une offre d’emploi afin de combler le poste qu’il occupait, le défendeur a estimé que la demanderesse n’avait pas l’intention de le réintégrer dans ses fonctions de répartiteur.

 

[9]               Le 10 septembre 2010, le défendeur a donc déposé une plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) alléguant avoir été victime de congédiement injustifié. Le 13 décembre 2010, l’inspectrice Maryline Fortier de RHDCC informait le défendeur que sa plainte n’avait pas été réglée dans un délai raisonnable et qu’il pouvait renvoyer celle-ci à l’arbitrage. Le 19 juillet 2011, le ministre du Travail a désigné l’arbitre Jean-Paul Boily pour statuer sur la plainte du défendeur.

 

II. Décision contestée

 

[10]           L’arbitre se penche en premier lieu sur l’objection préliminaire de l’employeur quant à son absence de compétence découlant du fait que le défendeur n’aurait pas été congédié, mais aurait plutôt démissionné de son emploi. Citant l’arrêt Agavni Ter-Martirosian c Les contrôles d’avant-garde S.C.C., 2011 QCCRT 0274 (disponible sur Quicklaw), l’arbitre note que l’intention de démissionner doit être claire. En cas d’ambigüité, la preuve doit faire état des faits précis attestant cette intention de démissionner. Cependant, en cas d’ambigüité, la doctrine et la jurisprudence refusent généralement d’inférer l’intention de démissionner d’un employé.

 

[11]           À cet égard, l’arbitre distingue le cas présent de l’affaire Stritzel c Anglo Canadian Shipping Co, 11 CCEL (2d) 175, [1995] CLAD no 457, où l’employeur avait congédié l’employé après que ce dernier eut posé des gestes concrets de démission. En l’espèce, la preuve révèle que c’est l’employeur qui a voulu mettre un terme au contrat de travail :

         Le 14 juin 2010, la demanderesse a offert au défendeur de mettre fin au contrat de travail, lui fournissant même sa paie de vacances ;

         La demanderesse a cessé de défrayer les coûts du cellulaire du défendeur ;

         La demanderesse a offert au défendeur un poste de camionneur, indiquant par le fait même que les services pour lesquels il avait été embauché n’étaient plus requis.

 

[12]           Bref, le défendeur pouvait à juste titre conclure qu’il avait été congédié.

 

[13]           Ensuite, l’arbitre cherche à savoir si le congédiement du défendeur était justifié. Les parties avaient signé un contrat de travail jusqu’au 1er janvier 2012. Aux termes de ce contrat, le défendeur ne pouvait être congédié sans cause juste et suffisante. Or, selon l’arbitre, la demanderesse n’a jamais fourni de preuve d’actes répréhensibles commis par le défendeur dans le cadre de son travail. Au surplus, la demanderesse a choisi d’interpréter le comportement du défendeur comme étant une démission. Le 3 août 2010, l’employeur a même affiché le poste du défendeur pour ensuite reconfirmer son congédiement.

 

[14]           En l’absence de contre-expertise, l’arbitre écarte également l’interprétation donnée par l’avocat de la demanderesse des rapports médicaux soumis par le défendeur à l’effet que ce dernier aurait pu travailler dans un autre environnement de travail au sein même de l’entreprise de l’employeur. L’arbitre retient plutôt le témoignage de M. Dionne, l’ancien superviseur du défendeur, à qui Mme Grenier aurait dit que le défendeur n’avait plus sa place chez Déménagement Rimouski.

 

[15]           Enfin, l’arbitre refuse de réserver sa compétence sur le quantum des dommages. L’arbitre prend acte du fait que le défendeur a mitigé ses dommages en occupant dès le 28 juin 2010 un autre emploi, et retranche en conséquence la rémunération ainsi obtenue de l’indemnité du défendeur. Par conséquent, l’arbitre lui accorde une indemnité salariale de 8 941.80 $ pour l’année 2010 et de 20 800.00 $ pour l’année 2011, pour un total de 29 741.80 $. Par contre, l’arbitre refuse d’accorder au défendeur les autres bénéfices prévus au contrat de travail, soit le kilométrage et la contribution de l’employeur à son REER.

 

III. Questions en litige

[16]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A) Est-ce que l’arbitre a erré en rejetant l’objection préliminaire de la demanderesse au sujet de sa compétence ?

B) Est-ce que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en concluant que le défendeur avait été victime de congédiement injustifié ?

C) Est-ce que l’arbitre a violé les règles de justice naturelle en accordant des dommages au défendeur malgré la demande de réserve de compétence formulée par la demanderesse afin de présenter une contre-preuve ?

 

IV. Analyse

[17]           Avant d’examiner les questions substantives mentionnées au paragraphe qui précède, il convient de se pencher sur la norme de contrôle applicable. La première question a trait à la compétence de l’arbitre pour entendre la plainte du défendeur. Il va de soi que l’arbitre n’a juridiction que dans la mesure où le défendeur a effectivement été congédié. La Section XIV de la Partie III du Code prévoit en effet qu’une plainte peut être déposée par toute personne qui se croit « injustement congédiée » par son employeur, et c’est sur cette plainte que l’arbitre doit statuer. La question de savoir si une personne a été congédiée ou a plutôt démissionné est une question mixte de faits et de droit, qui repose essentiellement sur l’analyse de la preuve à la lumière des principes juridiques en la matière. Il s’agit là d’une question qui est au cœur même des fonctions attribuées à l’arbitre et, par le fait même, de son expertise. Il en résulte que la norme de contrôle applicable sera celle de la raisonnabilité, comme en conviennent d’ailleurs les deux parties.

 

[18]           Il en va de même pour la deuxième question en litige. La question de savoir si le congédiement était justifié ou non fait intervenir des considérations factuelles et juridiques. L’arbitre devait examiner le comportement des deux parties afin de déterminer si l’employeur était en droit de limoger son employé. Encore une fois, la norme de contrôle applicable eu égard à une question de cette nature est celle de la décision raisonnable.

 

[19]           Enfin, il est de jurisprudence constante que le contrôle judiciaire des questions portant sur les principes de justice naturelle s’effectue selon la norme de la décision correcte. À ce chapitre, la Cour n’est tenue à aucune déférence, et c’est dans cette optique que la troisième question en litige sera évaluée.

 

A) Est-ce que l’arbitre a erré en rejetant l’objection préliminaire de la demanderesse au sujet de sa compétence ?

[20]           La demanderesse prétend que l’arbitre n’avait pas compétence pour se prononcer sur la plainte du défendeur, dans la mesure où ce dernier n’avait pas été congédié, mais avait plutôt volontairement mis fin à son emploi. À cet égard, la demanderesse prétend notamment que l’arbitre a erré en concluant que l’émission d’un relevé d’emploi en raison de la « maladie » du défendeur milite en faveur de la thèse d’un congédiement. La demanderesse allègue qu’elle a tout simplement voulu se conformer aux prescriptions de l’article 19 du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 [Règlement]. En effet, cet article requiert que l’employeur fournisse à son employé un relevé d’emploi attestant d’un arrêt de rémunération pour que celui-ci puisse bénéficier des prestations pendant son arrêt de travail.

 

[21]           Une lecture attentive de la sentence arbitrale révèle que l’arbitre a bel et bien tiré une inférence négative du relevé d’emploi, tel qu’en fait foi le paragraphe suivant de ses motifs :

93) Dans la présente instance, la preuve soumise révèle que dès le 14 juin, l’Employeur a offert au Plaignant de lui fournir sa cessation d’emploi et que, bien que cette demande a semble-t-il été faite pour lui permettre d’obtenir son assurance-chômage, le Plaignant n’était pas mal fondé de croire qu’il était ainsi mis à pied de chez son Employeur, sa paie de vacances lui étant même fournie.

 

[22]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’arbitre a commis une erreur en tirant une telle inférence négative du relevé d’emploi. Cependant, l’arbitre ne s’est pas fondé sur cet unique élément au soutien de sa décision, mais s’est fondé sur d’autres facteurs pour conclure qu’il s’agissait bien d’un congédiement et non d’une démission.

 

[23]           Les deux parties sont d’accord quant aux critères à prendre en considération pour déterminer s’il y a eu démission ou congédiement d’un employé. Ces critères ont été identifiés dans l’affaire Savard c M.B. Data Processing, DTE 82T-857 (TA) et sont repris par l’arbitre dans sa décision (au para 70) :

-          Toute démission comporte à la fois un élément objectif et subjectif ;

-          La démission est un droit qui appartient à l’employé et non à l’employeur, elle doit donc être volontaire ;

-          La démission s’apprécie différemment selon que l’intention de démissionner est ou non exprimée ;

-          L’intention de démissionner ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation ;

-          L’expression de son intention de démissionner n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé ;

-          En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse généralement de conclure à une démission ;

-          La conduite antérieure et ultérieure des parties constitue un élément pertinent dans l’appréciation de l'existence d’une démission.

 

 

[24]           En l’occurrence, l’arbitre s’est fondé sur d’autres gestes de l’employeur pour conclure que le défendeur n’était pas mal fondé de croire qu’il était mis à pied. Voici comment l’arbitre s’exprime à ce sujet :

94) Le fait que l’Employeur ait, par la suite, tenté d’en savoir plus sur la position de son employé quant à son retour au travail ne change en rien la situation de fait qu’il a lui-même établie ; la cessation d’emploi fournie (S-I.3), corrobore les dires du Plaignant à l’effet que son contrat d’emploi avait bel et bien été terminé par l’Employeur.

 

95) À cela s’ajoute le fait que l’Employeur a posé certains autres gestes qui, quoi qu’anodins, ont put contribuer au fait que le Plaignant n’a pas démissionné de son poste mais qu’il a bel et bien été mis à pied.

 

96) Le fait que l’on a cessé de payer son cellulaire, le fait qu’on lui a offert de revenir à un poste de camionneur, entre autres, lui ont fait comprendre que les services pour lesquels il avait un contrat, n’étaient plus retenus.

 

 

[25]           Bref, l’erreur qu’a pu commettre l’arbitre en ne tenant pas compte du fait que l’employeur était tenu par le Règlement de fournir un relevé d’emploi n’est pas déterminante en soi. L’arbitre pouvait raisonnablement conclure au congédiement à la lumière des autres éléments de preuve au dossier, d’autant plus que la démission ne peut se présumer.

 

[26]           En bout de ligne, l’argumentation de la demanderesse quant à l’absence de compétence de l’arbitre se résume essentiellement à la prétention que l’arbitre aurait dû préférer sa version des faits à celle du défendeur, et ainsi conclure que le défendeur a démissionné plutôt que d’être congédié. Or, il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de l’arbitre. Ayant entendu les témoignages de vive voix et examiné l’ensemble de la preuve au dossier, il était loisible à l’arbitre de retenir la version du défendeur. La Cour n’est pas fondée à intervenir puisque cette conclusion relève des issues possibles acceptables et se justifie au regard des faits et du droit.

 

B) Est-ce que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en concluant que le défendeur avait été victime de congédiement injustifié ?

[27]           La demanderesse fait également valoir qu’il est impossible de conclure à un congédiement déguisé, et encore moins à un congédiement injustifié, alors que le défendeur s’est lui-même placé en arrêt de travail en raison d’une incapacité physique et/ou psychologique. Elle a également soutenu que l’arbitre avait commis une erreur déraisonnable en ne tenant pas compte du fait que le défendeur s’était trouvé un emploi auprès d’un autre employeur pendant qu’il était en arrêt de travail, et ce sans en avertir la demanderesse.

 

[28]           L’arbitre a tenu compte de ces arguments mais les a écartés pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il a insisté sur le fait que la demanderesse devait savoir que le défendeur bénéficiait d’un contrat de travail valide jusqu’au 1er janvier 2012 et ne pouvait donc s’en départir que pour cause. Or, aucune preuve n’a été fournie de quelque comportement répréhensible que ce soit, et aucun préavis n’a été donné au défendeur. Dans ce contexte, l’employeur a fait preuve d’une attitude cavalière en interprétant les agissements du défendeur comme une démission pure et simple.

 

[29]           D’autre part, l’arbitre a conclu que l’on ne pouvait reprocher au défendeur de s’être trouvé un autre travail, dans la mesure où il croyait avoir été licencié par son employeur, d’autant plus que le billet médical du 30 juin attestait qu’il pouvait reprendre le travail dans un autre environnement.

 

[30]           Plus important encore, la demanderesse avait publié le poste du défendeur sur le site d’Emploi Québec dès le 3 août 2010. La demanderesse ne pouvait subséquemment prétendre avoir voulu que le défendeur reprenne son poste, alors que la preuve documentaire démontre de manière irréfutable qu’elle cherchait à combler ce poste autrement.

 

[31]           Compte tenu de tous ces faits, l’arbitre pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse ne s’était pas déchargée du fardeau de démontrer qu’elle avait mis fin à sa relation avec le défendeur pour une cause juste et suffisante. Qui plus est, l’arbitre pouvait raisonnablement retenir le témoignage de M. Dionne à l’effet que Mme Grenier cherchait depuis un bon moment à congédier le défendeur. La conduite antérieure des parties était pertinente pour déterminer non seulement si le défendeur avait été congédié, mais également pour décider si ce congédiement était injuste.

 

C) Est-ce que l’arbitre a violé les règles de justice naturelle en accordant des dommages au défendeur malgré la demande de réserve de compétence formulée par la demanderesse afin de présenter une contre-preuve ?

[32]           La demanderesse prétend que l’arbitre a violé la règle audi alteram partem en refusant de réserver sa compétence sur la question du quantum des dommages afin de lui permettre de présenter une contre-preuve. Cet argument est sans mérite, non seulement parce que l’arbitre n’était pas tenu de se prononcer sur l’objection préliminaire de la demanderesse pour ensuite reprendre l’audition sur la question des dommages, mais également parce que la demanderesse a de toute façon eu tout le loisir de faire des représentations quant à la réparation appropriée.

 

[33]           L’alinéa 242(2)b) du Code stipule que l’arbitre peut fixer lui-même sa procédure, « sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations… ». Cet article ne prévoit pas que l’arbitre doit nécessairement fournir aux parties la possibilité de présenter des éléments de preuve par le biais de représentations viva voce, et encore moins qu’il doit scinder l’audition de façon à ce que les parties puissent d’abord faire valoir leurs arguments eu égard à la question de savoir s’il y a eu congédiement injuste, puis ensuite se faire entendre relativement aux dommages s’il y a lieu. Par conséquent, cette Cour doit se garder d’imposer à l’arbitre des obligations que le législateur n’a pas prévues; l’arbitre doit rester maître de sa procédure. Comme le rappelait la Cour suprême dans l’arrêt Komo Construction Inc et al c Commission des Relations de Travail du Québec et al, [1968] RCS 172 aux pp 175-176 (disponible sur CanLII) :

Pour ce qui est de l'application de la règle audi alteram partem, il importe de noter qu'elle n'implique pas qu'il doit toujours être accordé une audition. L'obligation est de fournir à la partie l'occasion de faire valoir ses moyens. Dans le cas présent, en face d'une contestation qui soulève uniquement un moyen de droit, la Commission n'abusa pas de sa discrétion en décidant qu'elle n'avait pas besoin d'en entendre davantage avant de rendre sa décision. Comme cette Cour l'a décidé dans Forest Industrial Relations Ltd. c. International Union of Operating Engineers [[1962] R.C.S. 80, 37 W.W.R. 43, 31 D.L.R. (2d) 319.], une commission n'est pas obligée d'accorder une audition sur toutes les prétentions soulevées dans une affaire dont elle est saisie. Lorsqu'elle a eu un exposé qu'elle juge suffisant, elle a le pouvoir de statuer sans plus tarder. Il ne faut pas oublier que la Commission exerce sa juridiction dans une matière où généralement tout retard est susceptible de causer un préjudice grave et irrémédiable. Tout en maintenant le principe que les règles fondamentales de justice doivent être respectées, il faut se garder d'imposer un code de procédure à un organisme que la loi a voulu rendre maître de sa procédure.

 

 

[34]           Cela dit, les parties ont eu droit à une audition juste et équitable et ont eu tout le loisir de se faire entendre sur tous les aspects du dossier. La demanderesse a eu tout le loisir de faire entendre des témoins, et a choisi de faire témoigner Mme Grenier, tandis que le défendeur a fait témoigner Hilaire Dionne. Il ressort du paragraphe 82 de la décision rendue par l’arbitre que la demanderesse a bel et bien fait des représentations au sujet du quantum des dommages, dans la mesure où elle a plaidé que le défendeur n’a droit à aucune indemnité du fait qu’il n’a pas été congédié ou, dans l’alternative, qu’il a été congédié poub cause juste et suffisante.

 

[35]           La demanderesse n’a qu’à s’en prendre à elle-même si elle n’a pas jugé bon de présenter une contre-preuve quant au quantum des dommages réclamés par le défendeur. Elle ne peut maintenant remédier à la situation dans laquelle elle s’est elle-même placée en tentant de blâmer l’arbitre et en lui reprochant de ne pas lui avoir donné une deuxième possibilité de soumettre de la preuve. La demanderesse était représentée par un procureur, ce qui n’était pas le cas du défendeur, et elle doit maintenant vivre avec le résultat des choix qu’elle a faits devant l’arbitre. En l’absence de toute preuve contraire qu’aurait pu déposer la demanderesse, l’arbitre pouvait s’en remettre au contrat de travail du défendeur pour établir les dommages qui lui ont été causés suite à son congédiement injustifié.

 

[36]           Pour dous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

                                             


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1516-11

 

INTITULÉ :                                      DÉMÉNAGEMENT RIMOUSKI INC. c PIERRE LAVOIE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Rimouski (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             5 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     31 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Éric Latulippe

 

POUR LA DEMANDERESSE

Philippe Thibault

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Roy Beaulieu Boudreau Bélanger

Rimouski (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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