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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121031

Dossier : IMM-2546-12

Référence : 2012 CF 1271

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

S.R.H. et N.S.H.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la loi) en vue du contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 27 février 2012; décision par laquelle la Commission a tranché que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention en application de l’article 96 de la loi ni des personnes à protéger selon la définition du paragraphe 97(1) de la loi.

 

[2]               Les demanderesses demandent que la décision de la Commission soit annulée, et que la demande soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau. Étant donné que la Commission a conclu que la preuve présentée par les demanderesses était crédible, les demanderesses soutiennent qu’il serait approprié d’ordonner que le nouvel examen se limite seulement à la question de savoir si la demande des demanderesses entre dans le champ d’application des définitions des articles 96 et 97.

 

Les faits

 

[3]               La demanderesse principale et sa fille sont des citoyennes de la Barbade. Elles demandent l’asile sur la base de la crainte de violence de la part de l’époux de la demanderesse principale.

 

[4]               La demanderesse principale s’est mariée à son époux en 1992, et il est immédiatement devenu agressif et violent. Après son opération en 1993, son mari l’a agressée, et, au cours de la même année, il a agressé sexuellement son fils d’un précédent mariage. La demanderesse principale est allée aux États-Unis et elle est revenue à la Barbade en 1994.

 

[5]               La demanderesse principale a été agressée et violée par son agresseur en 1995. L’époux de la demanderesse principale a agressé sexuellement sa fille âgée de deux ans. La demanderesse a été attaquée par quatre amis de son agresseur en 1998. Elle s’est enfuie de la Barbade pour aller aux États‑Unis en 1998.

 

[6]               Le 6 juillet 2011, la demanderesse principale et sa fille sont arrivées au Canada, et y ont présenté une demande d’asile. Le 25 janvier 2012, la Commission a entendu leur demande.

 

Décision de la Commission

 

[7]               La Commission a rendu sa décision le 27 février 2012. La Commission a commencé par l’acceptation de l’identité et de la nationalité de la demanderesse principale et de sa fille, ainsi que par un résumé de leurs observations.

 

[8]               La Commission a exposé les questions principales en litige comme étant une crainte de persécution avec raison, et la protection de l’État. La Commission a décidé que, bien que la demanderesse principale soit une partie à un mauvais mariage et qu’elle ait été agressée, sa fille et elle ne craignent pas avec raison d’être persécutées à la Barbade du fait d’un motif prévu par la Convention, et que leur renvoi à la Barbade ne les exposerait pas personnellement, soit à une menace à leurs vies ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque d’être soumises à la torture.

 

[9]               Faisant état du passé de la demanderesse principale et de son époux agressif, la Commission a conclu que la demanderesse éprouvait une « crainte très subjective », mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le fondement sur lequel reposait la crainte était objectif, parce qu’il y avait peu de preuves indiquant que son époux était activement à la recherche de sa fille et d’elle. La demanderesse principale n’avait eu aucune communication directe avec son époux depuis qu’elle avait quitté la Barbade en 1998. La Commission a accordé peu de poids aux témoignages des membres de sa congrégation religieuse selon lesquels son époux continuait à la chercher.

 

[10]           La Commission a conclu qu’il était déraisonnable que la demanderesse principale n’ait pas déposé de demande d’asile pendant son séjour de treize ans aux États‑Unis. La Commission a donc conclu que la demanderesse principale n’avait pas de crainte subjective.

 

[11]           Ensuite, la Commission a examiné la question de la protection de l’État. La Commission a conclu que la Barbade était une démocratie, ainsi la présomption de la protection de l’État s’appliquait. La Commission a analysé les principes relatifs à la protection de l’État, notamment le fardeau de la preuve. La Commission a souligné que la demanderesse principale s’était adressée au commissariat de police sur place à trois occasions relativement à son époux, mais qu’elle n’avait porté aucune accusation. Par l’intermédiaire d’un de ses neveux qui travaille dans la police, l’agresseur de la demanderesse principale a été informé des visites à la police, et il a menacé de la tuer. Selon la demanderesse principale, la police de la Barbade ne prenait pas au sérieux les plaintes pour violences conjugales.

 

[12]           La Commission a admis que la police de la Barbade pouvait être lente à répondre à certains dossiers, et que le système judiciaire pouvait être débordé. La Commission a renvoyé à la preuve documentaire établissant que de grands efforts étaient déployés pour lutter contre la violence faite aux femmes, notamment par l’adoption de diverses lois, la criminalisation du viol conjugal, et les statistiques qui établissaient qu’un rapport de police était produit la plupart du temps lorsqu’on communiquait avec la police relativement à des violences conjugales.

 

[13]           La Commission a conclu qu’une protection de l’État adéquate était offerte à la demanderesse principale. La Commission a noté une lettre de l’avocat de la demanderesse à la Barbade dans laquelle l’avocat indiquait qu’il demandait une ordonnance de non‑communication. Aucune suite n’a été donnée à cette demande avant le départ des demanderesses de la Barbade, mais la Commission a conclu qu’elles pourraient demander une ordonnance de protection auprès du tribunal de la famille à leur retour à la Barbade.

 

[14]           La Commission a conclu que les demanderesses n’avaient pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Les demanderesses n’avaient pas véritablement mis à l’épreuve l’efficacité des moyens de protection offerts. Trois tentatives engagées pour obtenir une protection pendant de nombreuses années, et la décision de ne pas demander d’ordonnance de protection, ou de ne pas porter d’accusations ne constituent pas des éléments de preuve fiables et probants permettant de réfuter la présomption de protection de l’État. Le simple fait que les efforts de l’État pour protéger un demandeur ne sont pas toujours couronnés de succès ne suffit pas à réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

Questions en litige

 

[15]           Les demanderesses ont présenté les questions en litige suivantes :

            1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a omis d’examiner la demande de la fille de la demanderesse principale sur son propre bien‑fondé?

            2.         La conclusion de la Commission quant à la crainte subjective est‑elle intelligible et raisonnable?

            3.         Les conclusions de la Commission relatives au fondement objectif de la crainte et à la protection de l’État sont‑elles raisonnables?

 

[16]           La Cour reformule les questions en litige de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle adéquate?

            2.         La Commission a‑t‑elle examiné la demande de fille de la demanderesse principale de façon adéquate?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la demande des demanderesses?

 

Observations écrites des demanderesses

 

[17]           Les demanderesses allèguent que les motifs de la Commission ne contiennent aucune analyse de la demande de la fille de la demanderesse principale. Bien que la Commission ait confirmé que la demande de la fille était basée sur celle de sa mère, cela n’exonère pas la Commission de l’obligation d’examiner la question de savoir si la fille était exposée à un risque au sens des articles 96 et 97, risque dont l’auteur serait son père, en cas de retour à la Barbade.

 

[18]           La Commission a conclu que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée, mais la Commission n’a tiré aucune conclusion relative à la crainte de sa fille. La Commission a conclu qu’une protection de l’État adéquate était offerte à la demanderesse principale, en tant que femme exposée à la violence conjugale, mais la Commission n’a pas procédé à l’examen du caractère adéquat de la protection de sa fille, en tant que victime de violence envers les enfants. Dans une réponse détaillée à une demande d’information, l’avocat des demanderesses a présenté des observations précises dans lesquelles il faisait référence aux lacunes dans la protection des victimes de violence envers les enfants. Les châtiments corporels sont permis à la Barbade, et le pays n’a pas de tribunal de la famille. Les violences et les agressions les envers les enfants demeurent un grand fléau.

 

[19]           La Commission a admis la preuve selon laquelle la fille de la demanderesse principale avait été agressée sexuellement par son père; la Commission avait donc l’obligation d’examiner séparément la demande de la fille. La Commission n’a pas pris en compte la vulnérabilité spéciale des enfants, et elle a omis de tenir compte des Directives de la présidente sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Les conclusions tirées par la Commission à l’égard de la demanderesse principale ne pouvaient pas s’appliquer à sa fille, étant donné qu’elles ne la touchaient pas; c’est le cas notamment des faits suivants : la non-présentation d’une demande d’asile aux États‑Unis, le retour à la Barbade en 1994, le manquement à réfuter la présomption de protection de l’État.

 

[20]           Les demanderesses avancent en outre que la conclusion de la Commission relative à la crainte subjective était incompréhensible, vu que la Commission avait tiré des conclusions opposées dans différents paragraphes de sa décision. Cette conclusion était aussi déraisonnable étant donné que la Commission n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité, et qu’elle a donc admis que la demanderesse principale avait été agressée. La Commission n’a pas non plus admis le témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle n’avait aucune connaissance du fait que les États‑Unis accordaient l’asile aux femmes agressées, mais la Commission ne disposait pas de preuve en sens contraire.

 

[21]           En ce qui concerne l’élément relatif à la base objective pour une crainte avec raison, les demanderesses avancent que les motifs de la Commission sont insuffisants pour ne pas tenir compte des témoignages des membres de la congrégation religieuse de la demanderesse principale selon lesquels son agresseur pourrait encore lui faire du mal. La Commission a simplement déclaré qu’elle avait accordé peu de poids à cet élément de preuve sans fournir d’explication.

 

[22]           Les demanderesses avancent que la Commission a mal interprété la preuve présentée par la demanderesse principale relativement aux efforts qu’elle avait faits pour obtenir la protection de l’État. La preuve de la demanderesse principale n’était pas qu’elle avait omis de porter des accusations, mais plutôt qu’ils (les policiers) n’étaient jamais venus à sa résidence. L’élément de preuve relatif au fait qu’elle n’avait pas porté d’accusations avait trait à l’agression sexuelle de son fils.

 

[23]           Les demanderesses avancent que la conclusion de la Commission relativement à la protection de l’État était basée sur une interprétation très stricte de la preuve contenue dans le Cartable national de documentation (CND). Les demanderesses ont fourni une liste d’éléments pertinents contenus dans le CND qui étayaient leur demande; ces éléments ont été omis dans la décision de la Commission.

 

[24]           Enfin, les demanderesses avancent que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il suffit que les demanderesses établissent que le résultat aurait pu être différent si la Commission n’avait pas commis d’erreurs.

 

Observations écrites du défendeur

 

[25]           Le défendeur soutient qu’une conclusion relative à la protection de l’État est décisive dans une demande d’asile. La conclusion de la Commission sur ce point est soumise au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[26]           La Commission a admis que la preuve relative à la situation du pays quant à la protection de l’État était mixte. Il incombait aux demanderesses de prouver que l’État de la Barbade n’avait pas la volonté de les protéger, et la Commission a conclu qu’elles ne s’étaient pas acquittées de cette obligation.

 

[27]           La Commission a conclu de façon raisonnable que la demanderesse principale n’avait pas établi le défaut de protection de l’État au moyen de plaintes à la police. Les extraits fournis par les demanderesses et tirés du CND établissent qu’il y a des problèmes dans les réponses aux plaintes portant sur les violences basées sur le sexe, et que la protection offerte à la Barbade n’était pas toujours parfaite. La Commission l’a admis dans sa décision.

 

[28]           La Commission a examiné la demande de la fille de la demanderesse principale. La Commission n’avait pas l’obligation de tirer une conclusion séparée sur la protection offerte par l’État à la fille. Les extraits sur la situation du pays auxquels les demanderesses ont fait référence ne contredisent pas la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État était offerte.

 

Analyse et décision

 

[29]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle adéquate?

            Lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise posée à la Cour a été tranchée par la jurisprudence, la cour qui effectue le contrôle peut adopter cette norme de contrôle (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[30]           Les évaluations du caractère adéquat de la protection de l’État soulèvent des questions mixtes de faits et de droit, et elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38, [2007] ACF no 584). De façon semblable, le fait de soupeser, d’interpréter et d’évaluer la preuve est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, au paragraphe 38, [2009] ACF no 1286).

 

[31]           Lorsqu’elle effectue le contrôle de la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la Commission n’ait tiré une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables sur la base de la preuve dont elle dispose (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339). Comme la Cour suprême l’a décidé au paragraphe 59 de l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à la cour qui effectue le contrôle de substituer son appréciation d’une issue préférable, ce n’est pas non plus le rôle de la cour qui effectue le contrôle de soupeser de nouveau la preuve.

 

[32]           Deuxième question

            La Commission a‑t‑elle examiné la demande de la fille de la demanderesse principale de façon adéquate?

            La demande de la fille de la demanderesse principale était basée sur l’agression sexuelle commise par son père qui est l’époux de la demanderesse principale. Ainsi, autant la mère que la fille avaient le même agent de persécution, mais il y avait un comportement différent de la part de l’époux et du père à l’égard de chacune d’elles. La Commission n’a pas mené d’analyse séparée de la demande de protection de la fille, mais elle a basé la demande de la fille sur celle de sa mère.

 

[33]           La Cour est aussi d’accord avec la demanderesse principale lorsqu’elle déclare que la demande de sa fille n’a pas été correctement examinée. Il n’y avait aucune référence aux Directives de la présidente sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Il n’y avait aucune évaluation de la preuve relative à la situation du pays quant aux enfants victimes de violence. Il n’y avait aucune analyse des facteurs qui s’appliquaient à la demanderesse principale, mais pas à sa fille, tel que le retour à la Barbade en 1994. Étant donné que la Commission avait admis les observations de la demanderesse principale selon lesquelles sa fille était une victime séparée de leur agresseur commun, une analyse complète de sa demande était véritablement justifiée. Cette position est grandement étayée par la jurisprudence de la Cour (voir PDB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1042, [2011] ACF no1335).

 

[34]           Sur la foi des faits de l’espèce, l’omission de la Commission de mener une analyse séparée de la demande de la fille de la demanderesse principale était déraisonnable.

 

[35]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la demande des demanderesses?

            Au paragraphe 9 de sa décision, la Commission a déclaré ce qui suit : « [à] la lumière de ce témoignage, j’estime que la demandeure d’asile éprouve une crainte très subjective […] ». Au paragraphe 11 de sa décision, la Commission a déclaré ce qui suit : « [p]ar conséquent, je conclus que la demandeure d’asile n’a pas de crainte subjective ». Les demanderesses déclarent que ces conclusions sont contradictoires. Aussi, se fondant sur la Cour d’appel fédérale, les demanderesses déclarent qu’il est particulièrement troublant de douter de la crainte subjective sans toutefois tirer de conclusion défavorable quant à la crédibilité. En l’espèce, aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n’a été tirée (voir Shanmugarajah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 34 ACWS (3d) 82, [1992] ACF no 583).

 

[36]           La Commission a conclu que la crainte des demanderesses n’avait pas de base objective, parce qu’elle a accordé peu de poids au témoignage fourni par les membres de l’église de la demanderesse principale selon lesquels l’époux de la demanderesse principale avait fait part de sa menace de la tuer. Il n’y a pas d’explication de la raison pour laquelle la Commission a accordé peu de poids à ce témoignage.

 

[37]           Selon la Cour, les conclusions de la Commission sur les bases subjective et objective de la crainte des demanderesses étaient déraisonnables.

 

[38]           En ce qui a trait à la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État était offerte aux demanderesses, la Cour souligne les aspects ci‑après.

 

[39]           Dans leurs observations, les demanderesses ont déclaré que la Commission s’est référée de façon sélective à la preuve documentaire, dans le but de tirer sa conclusion selon laquelle la protection de l’État était offerte aux demanderesses. La Commission est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, au paragraphe 33, [2008] ACF no 411). Toutefois, plus l’élément de preuve qui n’est pas examiné est important, plus la Cour est encline à tirer du silence l’inférence selon laquelle le tribunal a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve dont il disposait (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, au paragraphe 35, [2012] ACF no 189).

 

[40]           Les extraits du CND soulevés par les demanderesses sont extrêmement importants. L’étude de 2009 sur laquelle la Commission s’est fondée pour les statistiques sur les violences conjugales comprend des conclusions telles que : [Traduction] « les auteurs et auteurs présumés savent, et sont empreints de la connaissance selon laquelle ils échapperont probablement à toute poursuite », [Traduction] « les répondants accusent généralement le caractère adéquat des réponses données par l’État », et [Traduction] « la police n’est pas formée aux méthodes relatives au traitement des rapports portant sur les violences conjugales, de telle sorte que les hommes et les femmes victimes sont souvent tournés en ridicule lorsqu’ils signalent ces crimes au commissariat de police ».

 

[41]           La Commission a déclaré que la demanderesse principale n’avait pas porté d’accusations contre son époux. Toutefois, un examen de la transcription établit que la déclaration selon laquelle la demanderesse n’a pas porté d’accusations était relative à l’agression sexuelle du fils de la demanderesse principale, et non pas aux appels téléphoniques que la demanderesse principale a faits au commissariat de police lorsqu’elle a été agressée. Lorsqu’elle l’a fait, la police a dit à la demanderesse principale qu’elle viendrait à sa résidence, mais elle ne s’y est jamais rendue.

 

[42]           La Commission n’a pas mené d’analyse relative à la protection de l’État pour la fille de la demanderesse principale. La Cour souligne simplement que l’étendue de la protection pour les enfants à la Barbade est aux pages 290 et 291 du dossier certifié du tribunal.

 

[43]           Bien que la Commission n’ait pas totalement omis de faire mention des aspects négatifs de la preuve relative à la situation du pays, ces omissions sont très sérieuses puisqu’elles touchent au cœur même des observations des demanderesses selon lesquelles la protection de l’État n’est pas offerte aux victimes de violence conjugale. Le silence de la Commission sur ces faits équivaut au niveau décrit dans la décision Pinto précitée, et, par conséquent, la Cour tire l’inférence selon laquelle la Commission a tiré sa conclusion sans tenir compte des faits dont elle disposait. La conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État était offerte aux demanderesses était donc déraisonnable.

 

[44]           Comme résultat de ces conclusions, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau.

 

[45]           Aucune des parties n’a souhaité proposer de question grave d’importance générale pour que je la considère en vue de la certification.

 


JUGEMENT

[46]           LA COUR STATUE EN CES TERMES : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LLM., M.A.Trad.jur

 


ANNEXE

 

Dispositions légales pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquate.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-2546-12

 

INTITULÉ :                                            S.R.H. et N.S.H.

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 24 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge O’Keefe

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 31 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Tessa Kroeker

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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