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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121030

Dossier : IMM-851-12

Référence : 2012 CF 1267

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2012

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

LIZELDA KAMBANDA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision, datée du 5 janvier 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1), respectivement, de la Loi.

 

[2]               La demanderesse souhaite que la décision de la Commission soit infirmée et la demande renvoyée à la Commission afin qu’une formation différente procède à un nouvel examen.

 

Le contexte

[3]               La demanderesse, citoyenne de la Namibie, demande l’asile au Canada parce qu’elle craint d’être persécutée par son ancien conjoint violent.

 

[4]               La demanderesse a commencé à fréquenter Kandjimbi Kakahona en janvier 2010. La demanderesse et sa fille ont commencé à cohabiter avec Kakahona deux mois plus tard, et la famille a fini par s’installer au domicile de la mère de la demanderesse. Kakahona était jaloux; il contrôlait la demanderesse et était violent à son endroit. La mère de cette dernière l’a obligé à quitter sa maison. Kakahona a continué de menacer de tuer la demanderesse et a tenté d’incendier la maison.

 

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada en septembre 2010. Elle a donné naissance à un son fils, issu de sa relation avec Kakahona, à Toronto. Elle a demandé l’asile.

 

[6]               La Commission a entendu la demande d’asile le 16 décembre 2011.

 

La décision de la Commission

[7]               La Commission a rendu sa décision défavorable le 5 janvier 2012. Elle a commencé par résumer les allégations de la demanderesse.

 

[8]               La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu par la Convention, ni d’un risque de mort ou de peine cruelle et inusitée ou de torture, si elle retournait en Namibie. Elle a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[9]               La Commission a indiqué que les questions déterminantes étaient la crédibilité et la protection de l’État. Elle a pris en considération les Directives fondées sur le sexe au moment de statuer sur la demande d’asile.

 

[10]           Pour ce qui est de la crédibilité, la Commission a fait remarquer que la demanderesse, dans son témoignage, a décrit trois plaintes à la police, tandis que l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) n’en décrivait qu’une seule. La Commission n’a pas souscrit à l’explication de la demanderesse, à savoir qu’elle avait oublié de mentionner les deux autres visites à un poste de police, l’appel téléphonique fait au poste de police après la troisième plainte ou sa visite à l’Unité de protection des femmes et des enfants (UPFE). La demanderesse a également omis dans son exposé circonstancié le fait que la police avait dit qu’elle ferait enquête sur la plainte. Il y avait aussi une différence, que la demanderesse n’a pas pu expliquer, entre les dates des plaintes faites à la police.

 

[11]           De l’avis de la Commission, une demandeure d’asile qui se plaint à la police de la personne qui la persécute est un aspect important de la demande d’asile. Il était donc raisonnable de présumer que, en l’espèce, la demanderesse aurait voulu que la Commission soit au courant des autres plaintes faites à la police. La Commission a reconnu que des actes de violence peuvent avoir une incidence sur les souvenirs d’une demandeure d’asile, mais elle a souligné que, dans le cas présent, la demanderesse s’était souvenue de relater l’une des plaintes faites à la police et que les faits étaient survenus environ un an avant l’audience.

 

[12]           La Commission a tiré, au sujet de la crédibilité, une inférence défavorable à l’endroit de la demanderesse et elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas assez de preuves pour établir que cette dernière s’était présentée à la police ne serait-ce qu’une fois. Elle a donc conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves dignes de foi pour juger si la demanderesse avait la qualité de réfugiée ou celle de personne à risque.

 

[13]           En ce qui concerne la protection de l’État, la Commission a énuméré les principes juridiques de la protection de l’État et a conclu qu’étant donné que la Namibie est une démocratie, la présomption de protection s’appliquait.

 

[14]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuves claires et convaincantes qu’en Namibie la protection de l’État était insuffisante. Elle n’a pas souscrit à la preuve de la demanderesse selon laquelle celle-ci s’était plainte à la police à trois reprises. Même si la Commission avait souscrit à ce témoignage, la demanderesse n’avait pas porté plainte auprès du commissaire de la police nationale. La Commission a considéré que la preuve de la demanderesse à propos des femmes de son quartier qui n’étaient pas protégées dans des situations de fait semblables était assez nébuleuse et elle a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves pour établir si ces situations avaient effectivement eu lieu.

 

[15]           Même si la Commission avait souscrit au témoignage de la demanderesse selon lequel elle s’était plainte à la police à trois reprises, cela ne voulait pas dire qu’elle avait épuisé les possibilités de protection car elle n’avait pas porté plainte auprès du commissaire de la police nationale et, d’après son propre témoignage, sa plainte faisait encore l’objet d’une enquête quand elle avait fui la Namibie.

 

[16]           La Commission a passé en revue la preuve portant sur la situation dans le pays et concernant les efforts faits par la Namibie pour protéger les femmes contre la violence conjugale. Elle a conclu que les forces de l’ordre étaient chargées de faire enquête sur les plaintes de nature criminelle et d’orienter les victimes de violence vers les organismes appropriés, tels que l’UPFE, et que les magistrats étaient en mesure de rendre des ordonnances de protection pour protéger les victimes de la violence conjugale. Selon la Commission, l’UPFE fournissait des services tels qu’une protection de la police, offrait une oreille compatissante aux victimes de violence, procurait un refuge temporaire et aidait à arrêter et à poursuivre les responsables.

 

[17]           La Commission a ensuite passé en revue les dispositions législatives criminalisant la violence conjugale et le viol conjugal en Namibie et offrant la possibilité de rendre des ordonnances de protection. Elle a indiqué que le pays disposait de lieux de refuge, comme il a été décrit dans une réponse à une demande d’information. Elle a mentionné deux organismes non gouvernementaux qui avaient pour mission de fournir des services aux victimes de violence conjugale.

 

[18]           La Commission a reconnu que, d’après une source, la police n’aimait pas se mêler des affaires de famille, mais elle a conclu que la police avait le devoir de protéger les membres du public et qu’il existait un mécanisme de plaintes concernant les membres de la police qui ne s’acquittaient pas de leurs obligations.

 

[19]           En conclusion, la Commission a jugé qu’il existait une protection de l’État adéquate en raison des efforts sérieux que faisait la Namibie pour protéger les femmes contre la violence conjugale, et que la demanderesse n’avait pas pris l’initiative d’obtenir une protection dans ce pays. Sa demande d’asile a donc été rejetée.

 

Les questions en litige

[20]           La demanderesse soulève les questions litigieuses qui suivent :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur au sujet des conclusions relatives à sa crédibilité?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les autorités namibiennes seraient raisonnablement disposées à faire des efforts sérieux pour la protéger?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’examiner la documentation contraire portant sur la situation en Namibie?

 

[21]           Je reformulerais les questions qui précèdent comme suit :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

 

Les observations écrites de la demanderesse

[22]           L’affidavit de la demanderesse indique que, en réalité, elle s’est présentée à la police à quatre reprises avant de quitter la Namibie : une fois en juin, en juillet et en août, et une autre fois en septembre 2010. Elle a omis de mentionner à l’audience la visite faite en septembre parce qu’on ne le lui a pas demandé.

 

[23]           La demanderesse est d’avis que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable.

 

[24]           La demanderesse soutient tout d’abord que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion relative à la crédibilité, car le fait d’omettre de mentionner la totalité des incidents dans son FRP n’est pas un motif suffisamment fondamental pour mettre en doute sa crédibilité générale. La Commission a fait abstraction de la présomption juridique selon laquelle un témoignage fait sous serment est exact. Les conclusions relatives à la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents. La Commission n’a pas examiné entièrement les problèmes et s’est plutôt concentrée sur un seul aspect. Ce qui est vraisemblable ou invraisemblable doit être déterminé à la suite d’un examen de la preuve documentaire, ce que la Commission n’a pas fait.

 

[25]           Pour ce qui est de la protection de l’État, la Commission n’a pas tenu compte de ce que la demanderesse avait fait pour solliciter la protection de la police, pas plus que le fait que cette dernière n’avait pas assuré cette protection. La Commission n’a jamais pris acte du rapport de police que la demanderesse avait soumis en preuve. Il convient d’abaisser le seuil relatif à l’établissement de l’incapacité de la Namibie à assurer une protection, vu les expériences négatives que la demanderesse a eues avec la police. La Commission n’a pas réfuté la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle avait sollicité la protection de la police; c’est plutôt le nombre de fois qui a été contesté. La Commission aurait dû tenir compte du fait que la police peut être en mesure d’offrir une protection, mais décider de ne pas agir. La Commission aurait dû prendre en considération la preuve dont disposait la demanderesse au sujet de situations de fait semblables. Elle n’a pas accordé d’importance à la preuve de cette dernière sur le manque de protection de l’État.

 

[26]           La question de la protection de l’État est une question de degré. Le gouvernement namibien a fait des efforts pour protéger les femmes, mais il ressort de la preuve documentaire que la violence conjugale est un problème encore généralisé. Les lois qui ont été mises en application pour contrer la violence conjugale n’ont pas dissuadé l’agent de persécution de la demanderesse. La Cour reconnaît que la persécution peut émaner de segments de la population qui ne respectent pas les normes que créent les lois du pays concerné.

 

[27]           Quant à la preuve documentaire contraire, la demanderesse soutient que la Commission a omis de mentionner des éléments du document de réponse à une demande d’information qui indiquaient que la protection est insuffisante et que, en Namibie, le taux de violence conjugale est élevé. Le fait que l’aide principale dont bénéficient les victimes de violence conjugale vient d’organismes non gouvernementaux est, soutient-elle, une preuve de l’absence de protection de l’État. La Commission n’a pas tenu compte du fait que les efforts déployés par la Namibie pouvaient n’avoir aucune incidence sur la crainte qu’avait une femme d’être persécutée du fait de son sexe, ainsi qu’il est décrit dans les Directives fondées sur le sexe. La Commission n’a pas pris en considération la situation particulière de la demanderesse, c’est-à-dire celle d’une personne qui s’est vu refuser la protection de la police dans le passé. Elle a examiné en détail les aspects positifs du rapport sur la situation dans le pays, mais n’a donné que deux exemples des aspects négatifs et a procédé à une analyse de pure forme, pour l’essentiel, des conditions régnant dans le pays.

 

[28]           Les Directives fondées sur le sexe obligent la Commission à prendre en considération le sexe de la demanderesse, de même que les preuves concernant l’incapacité de l’État à protéger la demanderesse. Les Directives mentionnent de plus que lorsqu’une demanderesse est en mesure de montrer qu’il était pour elle objectivement déraisonnable de solliciter la protection de l’État, le fait de ne pas avoir fait de démarches en ce sens auprès de l’État ne fera pas échouer sa demande d’asile. Le fait que la demanderesse ait sollicité ou non la protection de groupes non gouvernementaux importe peu pour l’évaluation de la disponibilité d’une protection de l’État. La Commission a omis de traiter de manière concrète des éléments de preuve concernant la protection de l’État en rapport avec le sexe de la demanderesse.

 

Les observations écrites du défendeur

[29]           Il était loisible à la Commission de tirer une inférence négative des incohérences relevées dans les preuves de la demanderesse au sujet de ses prétendus contacts avec la police. Il est approprié et raisonnable pour une formation de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité d’une demanderesse, compte tenu des contradictions et des incohérences que comporte son récit.

 

[30]           La Commission a relevé trois incohérences dans la preuve de la demanderesse : le nombre de visites faites à la police, les descriptions des interventions de la police et la description des visites à l’UPFE. Il est bien établi que la Commission peut conclure que l’omission d’éléments dans un FRP donne lieu à un manque de crédibilité.

 

[31]           La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’a pas réfuté la présomption d’une protection de l’État est déterminante à l’égard de sa demande d’asile. Vu la conclusion que la preuve de la demanderesse sur ses prétendues tentatives pour communiquer avec la police n’était pas crédible, il était loisible à la Commission de considérer que la demanderesse n’était pas parvenue à réfuter la présomption.

 

[32]           Le critère qui s’applique à la protection de l’État est le fait de déterminer si cette protection est adéquate, plutôt qu’efficace. Il incombe en tout temps à la partie demanderesse de réfuter la présomption, et il faut pour cela fournir une preuve claire et convaincante, ce que la demanderesse, en l’espèce, n’a pas fait.

 

[33]           La Commission n’a pas commis d’erreur en décrétant que la preuve de la demanderesse au sujet de personnes se trouvant dans une situation semblable était insuffisante, pas plus qu’en concluant que cette preuve n’était pas claire et convaincante.

 

[34]           La demanderesse n’a pas indiqué quelle était la preuve documentaire soumise à la Commission qui n’a pas été examinée. Il lui incombait de fournir une preuve dénotant qu’il était raisonnable d’un point de vue objectif de ne pas solliciter l’assistance de l’État.

 

[35]           La Commission est un tribunal administratif spécialisé et un expert en son domaine. Il n’est pas loisible à la Cour de substituer sa propre opinion sur des questions de fait à celle de la Commission.

 

[36]           La Commission a longuement passé en revue la documentation relative aux conditions régnant dans le pays et elle a raisonnablement décidé que, d’après la preuve, une protection de l’État serait disponible. La Commission n’a pas commis d’erreur en accordant peu de poids à la déposition faite par la demanderesse à la police. Elle a signalé que les renseignements donnés dans la déposition ne concordaient pas avec le témoignage de la demanderesse. Il est présumé que la Commission a pris en compte la totalité des éléments de preuve et a explicitement noté la preuve que la police namibienne n’est pas toujours intéressée à se mêler des affaires de famille. Le fait que la preuve documentaire a mené la Commission à une conclusion différente de celle de la demanderesse ne veut pas dire qu’elle en a fait abstraction.

 

[37]           La Commission a explicitement déclaré qu’elle avait tenu compte des Directives fondées sur le sexe. Rien n’indique que la demanderesse a eu des problèmes quelconques pour témoigner. Les Directives sont axées sur la conduite d’une audience équitable, et la demanderesse n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la Commission a pris en compte la totalité des éléments de preuve qu’elle avait en main. Il incombe à une demandeure d’asile de prouver le bien-fondé de sa demande.

 

Analyse et décision

 

[38]           La question no 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

 

            Lorsque la jurisprudence a déterminé quelle est la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière qui lui est soumise, la cour de révision peut adopter cette norme-là (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[39]           Il est établi dans la jurisprudence que les conclusions relatives à la crédibilité, décrites comme l’« essentiel de la compétence de la Commission » sont essentiellement de pures conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, [2003] ACF no 162; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46, [2009] 1 RCS 339; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 584, au paragraphe 23, [2011] ACF no 786). Dans le même ordre d’idées, l’importance à accorder aux éléments de preuve de même que l’interprétation et l’appréciation de ces derniers sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, au paragraphe 38, [2009] ACF no 1286).

 

[40]           Pour contrôler la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est arrivée à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues acceptables, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été soumis (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme l’a décrété la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, précité, il n’appartient pas à une cour de révision de substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne lui appartient d’évaluer de nouveau la preuve (au paragraphe 59).

 

[41]           La question no 2

            La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse?

            En ce qui concerne la crédibilité, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’endroit de la Commission du fait de son expertise et du caractère essentiel que revêt une audition pour les conclusions relatives à la crédibilité. En l’espèce, la Commission a relevé plusieurs incohérences entre l’exposé circonstancié du FRP de la demanderesse, le témoignage de cette dernière et le compte rendu écrit de sa plainte à la police.

 

[42]           La Commission est en droit de prendre en considération les incohérences au moment d’apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile (voir Selvam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 513, au paragraphe 29, [2007] ACF no 695). Cependant, ces incohérences doivent avoir un lien rationnel avec la crédibilité du demandeur et être en soi suffisamment importantes pour que l’on mette en doute cette crédibilité (voir Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 69, [2012] ACF no 924). Ce ne sont pas toutes les formes d’incohérence qui étayeront raisonnablement une conclusion relative à la crédibilité, car il serait inapproprié d’examiner à la loupe des questions accessoires (voir Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547, au paragraphe 37, [2006] ACF no 698).

 

[43]           En l’espèce, les incohérences que la Commission a relevées sont des plus pertinentes pour la demande d’asile de la demanderesse et elles sont d’une importance cruciale pour la question de la protection de l’État, car elles ont trait à la mesure dans laquelle la demanderesse a sollicité une protection avant de quitter la Namibie. Faire ressortir les différences qu’il y a entre un exposé circonstancié figurant dans un FRP, un témoignage et une preuve documentaire ne constitue pas, pour la Commission, un « examen à la loupe ». La demanderesse a fort peu expliqué ces incohérences et il était donc raisonnable que la Commission tire des inférences défavorables. Il s’est écoulé à peine plus d’un an entre la présentation du FRP et l’audience de la demanderesse. Cette dernière a été représentée par un avocat au moment d’établir son FRP.

 

[44]           La demanderesse a raison de dire qu’il existe une présomption selon laquelle un témoignage fait sous serment est véridique (voir Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 6, [2001] ACF no 1131). Cependant, il ne s’agit que d’une présomption et la Commission est en mesure – et l’on s’attend à ce qu’elle le fasse - de la rejeter au vu d’éléments de preuve qui minent la crédibilité, comme des incohérences sérieuses.

 

[45]           La conclusion relative à la crédibilité n’a pas été tirée sans se reporter à la preuve documentaire, car l’incohérence relevée entre le texte de la plainte faite à la police et le témoignage de la demanderesse a été l’une de celles qui ont été relevées.

 

[46]           Dans son affidavit, la demanderesse déclare qu’il y a eu en fait quatre plaintes à la police. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la seule preuve examinée doit être celle qui a été soumise au décideur visé par le contrôle judiciaire. Je ne puis donc prendre cette preuve en considération.

 

[47]           Par conséquent, je ne suis pas d’avis que la conclusion relative à la crédibilité soit déraisonnable.

 

[48]           Pour ce qui est de la protection de l’État, la demanderesse soutient tout d’abord que la Commission n’a pas examiné convenablement les contacts qu’elle a eus avec la police. Comme j’ai conclu plus tôt que la conclusion relative à la crédibilité était raisonnable, cet argument est rejeté.

 

[49]           De plus, la demanderesse est d’avis que la Commission a omis de tenir convenablement compte de la preuve sur les conditions régnant dans le pays qui contredisait la conclusion relative à la protection de l’État. Elle souligne les extraits défavorables tirés du document de réponse à une demande d’information sur lequel la Commission s’est fondée pour arriver à sa conclusion.

 

[50]           Il est présumé que la Commission a pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis (voir Oprysk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 326, au paragraphe 33, [2008] ACF no 411). Cependant, plus la preuve non mentionnée est importante, plus une cour peut être disposée à inférer de ce silence que le tribunal administratif a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de la preuve (voir Pinto Ponce c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 181, au paragraphe 35, [2012] ACF no 189).

 

[51]           En l’espèce, la preuve passée sous silence dont la demanderesse fait état inclut le nombre d’unités de l’UPFE, le nombre de cas de violence fondée sur le sexe qui sont signalés chaque année, de même que les lacunes du régime des ordonnances de protection.

 

[52]           La demanderesse fait valoir que le nombre de cas de violence fondée sur le sexe est élevé, mais elle ne fournit aucune preuve évidente de cette prétention, car le document ayant servi de base à cette dernière ne contient aucun commentaire de ce genre. Le nombre d’unités de l’UPFE, par rapport à une population de deux millions d’habitants, est également difficile à analyser dans l’abstrait, et la demanderesse ne fait état d’aucune source indépendante qui corrobore sa prétention selon laquelle ce nombre est insuffisant. Enfin, la Commission a répété textuellement les lacunes du régime des ordonnances de protection au paragraphe 33 de sa décision.

 

[53]           Selon la demanderesse, la Commission aurait dû inférer, à cause de la présence d’organismes non gouvernementaux qui fournissaient des services aux victimes de violence conjugale, que l’État était incapable d’assurer une protection. Une telle inférence voudrait dire qu’il n’y a dans le monde aucun pays qui offre une protection de l’État adéquate, vu l’ubiquité de ces organismes au Canada et ailleurs.

 

[54]           La demanderesse fait valoir que la Commission a omis de tenir compte de sa situation personnelle dans le contexte de la protection de l’État. La Commission a toutefois pris dûment compte de sa situation, mais elle l’a rejetée au stade de la détermination de la crédibilité. La conclusion relative à la crédibilité étant maintenue, la demanderesse ne peut faire valoir que la Commission a eu tort de ne pas prendre en considération ses preuves personnelles au stade de l’examen de la protection de l’État.

 

[55]           Pour tous ces motifs, la demanderesse n’a pas établi que la Commission a omis de prendre en considération l’un quelconque des éléments de preuve relatifs à la protection de l’État.

 

[56]           Quant à l’application correcte des Directives fondées sur le sexe, la demanderesse fait tout d’abord valoir que la Commission n’a pas prêté attention à la mise en garde qui est faite dans les Directives, à savoir que des changements manifestement positifs dans la situation d’un pays peuvent n’avoir aucune effet sur la crainte que ressent une femme d’être persécutée du fait de son sexe. Comme il a été décrit plus tôt, je conclus que la Commission a examiné convenablement la totalité des éléments de preuve relatifs à la situation du pays et n’a pas présumé que tous les changements sont efficaces, comme l’illustre à un égard l’examen fait par la Commission des preuves relatives aux lacunes du régime des ordonnances de protection.

 

[57]           Les Directives établissent par ailleurs qu’une demandeure d’asile peut démontrer qu’il est objectivement déraisonnable pour elle de solliciter la protection de son État. Rien n’indique toutefois que la Commission n’était pas au fait de ce principe, vu l’analyse minutieuse qu’elle a faite de la protection de l’État en se fondant sur les preuves relatives à la situation du pays, indépendamment des propres expériences de la demanderesse.

 

[58]           Les Directives sont un outil fort important pour examiner les demandes d’asile qui reposent sur la persécution fondée sur le sexe, mais elles ne sont pas un gage de succès pour chaque demanderesse. Je ne relève aucune preuve que les Directives ont été contredites dans le cas présent.

 

[59]           Compte tenu de ces conclusions, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[60]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-851-12

 

INTITULÉ :                                      LIZELDA KAMBANDA

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 24 OCTOBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 30 OCTOBRE 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tricia Simon

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tricia Simon

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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