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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20121025

Dossier : IMM-9565-11

Référence : 2012 CF 1240

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

TANA GEORGE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise la décision datée du 16 février 2011 rendue par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), par laquelle la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée (la décision). La décision était fondée sur la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire (CH) pour justifier une dispense permettant à la demanderesse de présenter sa demande de résidence permanente depuis le Canada.

 

[2]               La demanderesse souhaite que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour qu’un autre agent statue à nouveau sur la demande.

 

Le contexte

 

[3]               La demanderesse est née à Sainte‑Lucie en 1994. Elle n’a rencontré son père qu’une seule fois, alors qu’elle avait 11 ans, et ne le connaît pas. Elle a connu une enfance difficile à Ciceron, en raison du fait que sa mère la laissait seule à la maison pendant qu’elle travaillait, qu’elle avait des problèmes à l’école et qu’elle craignait d’être victime de criminalité.

 

[4]               Elle est arrivée au Canada le 10 septembre 2005. Sa mère est restée à Sainte‑Lucie, et la demanderesse ne sait pas où elle se trouve. Au Canada, elle vivait avec son grand-oncle et sa grand‑tante. Ces membres de sa famille lui ont fourni tout ce dont elle avait besoin et ils se sont assurés qu’elle obtienne la meilleure éducation possible.

 

[5]               Elle a une sœur, dont la demande CH a été accueillie, mais il ne lui reste plus de famille à Sainte‑Lucie. Elle ne sait pas comment elle pourrait survivre seule dans l’éventualité où elle devait retourner dans ce pays.  

 

[6]               La demanderesse a présenté une demande CH le 3 mars 2010.

 

La décision de l’agent

 

[7]               L’agent, par une lettre datée du 16 février 2011, a rejeté la demande de dispense de l’obligation de présenter une demande CH depuis le Canada.

 

[8]               L’agent a dressé la liste des antécédents de la demanderesse en matière d’immigration et a brièvement résumé les observations de la demanderesse. L’agent a relevé le point de vue de la demanderesse, selon lequel elle serait exposée à des difficultés si elle devait être renvoyée à Sainte‑Lucie, en raison du fait qu’elle ne savait pas où se trouvaient ses parents ainsi que sa déclaration portant que son grand-oncle et sa grand‑tante avaient déposé des documents d’adoption à Sainte‑Lucie. Il a aussi souligné que la demanderesse avait mentionné dans ses observations que son grand‑oncle et sa grand‑tante étaient disposés à être ses tuteurs et qu’elle serait privée d’éducation à Sainte‑Lucie.

 

[9]               L’agent, lorsqu’il a fourni la justification de son rejet de la demande, a mentionné que le grand‑oncle et la grand‑tante de la demanderesse étaient tous les deux à la retraite et que leur revenu combiné pour l’année 2008 était de 24 000 $. L’agent a noté que [traduction] « [la demanderesse] fréquentait l’école au Canada et que, par conséquent, elle serait, d’un point de vue financier, un fardeau beaucoup plus important que les ressources dont disposent son grand‑oncle et sa grand‑tante ». Par conséquent, les membres de la famille de la demanderesse ne pouvaient, d’un point de vue financier, subvenir à ses besoins au Canada. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas assez de renseignements indiquant que les documents d’adoption de la demanderesse étaient en cours de traitement ou que son grand‑oncle et sa grand‑tante avaient, d’un point de vue juridique, le droit d’être ses tuteurs.

 

[10]           L’agent jugeait non crédible le fait que la demanderesse soit sous la garde de parents éloignés alors qu’elle était toujours mineure, une inférence renforcée par le faible revenu de son grand‑oncle et de sa grand-tante. L’agent a relevé l’absence d’autres renseignements financiers, tel qu’un relevé bancaire. L’agent a mentionné que la demanderesse n’avait pas de membres de sa famille proche au Canada pouvant l’aider d’un point de vue financier ou affectif, et que la mère de la demanderesse résidait toujours à Sainte‑Lucie.

 

[11]           Dans son appréciation cumulative des facteurs, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse serait exposée à des difficultés dans l’éventualité où elle devait retourner à Sainte‑Lucie. La demanderesse n’a pas de membres de sa famille proche au Canada, et personne au Canada n’en a la garde juridique. L’agent n’était pas convaincu que le grand‑oncle et la grand‑tante de la demanderesse qui vivent au Canada pourraient, à long terme, subvenir à ses besoins.

 

Les questions en litige

 

[12]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         L’agent a-t-il commis une erreur de fait et de droit en omettant de tenir compte, ou en ne tenant pas dûment compte, des faits pertinents?

            2.         L’omission du défendeur de s’assurer que la demande de la demanderesse soit examinée par l’agent ayant examiné la demande de sa sœur constitue-t-elle un manquement à l’équité procédurale? 

            3.         Le fait que des décisions opposées ont été rendues à l’égard de demandes présentées par les deux sœurs constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale?

            4.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en omettant de communiquer avec l’agent ayant statué sur la demande de la sœur de la demanderesse?

            5.         L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

            6.         La demande CH de la demanderesse a-t-elle été rejetée en raison de l’incompétence de son représentant, et ce rejet constitue-t-il une erreur susceptible de contrôle?

 

[13]           Je reformulerais ainsi les questions en litige :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant la demande?

            3.         L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[14]           La demanderesse soutient que, vu que sa situation personnelle et ses difficultés étaient essentiellement les mêmes que celles de sa sœur, leur demande CH aurait dû connaitre la même issue.

 

[15]           La demanderesse soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle son grand‑oncle et sa grand-tante ne pouvaient, d’un point de vue financier, subvenir à ses besoins était déraisonnable, puisqu’ils le faisaient déjà depuis 2005. En ce qui concerne l’affirmation de l’agent portant qu’il n’y avait pas de documents appuyant l’existence d’une tutelle à son égard, la demanderesse a fourni une déclaration solennelle de sa mère, par laquelle cette dernière donnait la garde exclusive au grand‑oncle et à la grand‑tante de la demanderesse.

 

[16]           La demanderesse soutient qu’il est évident que sa mère ne peut subvenir à ses besoins et qu’elle est très attachée à son grand‑oncle et à sa grand‑tante. Aucune preuve ne démontre que ces derniers ne peuvent subvenir à leurs besoins. L’agent a tiré une conclusion déraisonnable, sans se livrer à une analyse des revenus et des dépenses. La demanderesse devrait vivre avec son grand‑oncle et sa grand‑tante, étant donné que sa mère ne peut subvenir à ses besoins. Vu que l’agent n’a pas demandé de renseignements supplémentaires concernant les revenus ou les dépenses du grand‑oncle et de la grand‑tante de la demanderesse, il n’aurait pas dû tirer l’inférence déraisonnable selon laquelle ceux-ci ne pouvaient subvenir aux besoins de la demanderesse.

 

[17]           Il aurait dû être clair pour l’agent que le grand‑oncle et la grand‑tante de la demanderesse avaient subvenu à ses besoins pendant une longue période, soit plus de six ans, et que la demanderesse n’avait pas eu de contact avec sa mère au cours de cette période. Renvoyer une personne âgée de 17 ans dans un pays où elle n’a pas de famille chez qui rester et où elle ne dispose d’aucun moyen de subsistance l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[18]           La sœur de la demanderesse avait, elle aussi, présenté une demande CH. Il ne fait aucun doute, selon les motifs de la décision relative à cette demande, que l’agent ayant rendu cette décision avait reconnu que son grand‑oncle et sa grand‑tante subvenaient de manière appropriée aux besoins de la sœur de la demanderesse et qu’elle n’aurait pu vivre chez ses parents à Sainte‑Lucie. La demanderesse estt venue au Canada à un plus jeune âge que sa sœur, ce qui fait en sorte que sa cause est encore plus solide.

 

[19]           La demanderesse se fonde sur plusieurs décisions où la Cour a annulé des décisions relatives à des demandes CH en raison de l’omission d’un agent d’examiner correctement l’ensemble de la preuve. La demanderesse soutient que, dans la présente affaire, l’agent a omis de tenir compte de la déclaration solennelle fournie par la mère de la demanderesse et du fait que le grand‑oncle et la grand‑tante de la demanderesse avaient subvenu à ses besoins pendant sept ans. Cette omission de tenir compte de faits pertinents constituait une erreur de droit susceptible de contrôle. 

 

Les observations écrites du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas établi que CIC ait été informée, à quelque moment, que les deux sœurs avaient présenté des demandes concomitantes, puisque ce fait n’était mentionné dans aucune des lettres d’accompagnement. Elles n’avaient pas employé le même nom de famille dans leur demande. Aucune des sœurs n’a fait mention de l’autre sœur dans la partie du formulaire de demande réservée aux détails au sujet des membres de la famille. La sœur de la demanderesse avait nommé sa mère adoptive et n’avait pas fait mention de sa mère biologique. CIC n’avait donc aucune raison de joindre les demandes. Par conséquent, il n’y a pas eu violation des droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale.

 

[21]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à l’appréciation d’une demande CH par un agent est la norme de la raisonnabilité, qui appelle à la retenue judiciaire. De telles appréciations sont de nature hautement discrétionnaire, et aucune issue précise, parmi une vaste gamme d’issues possibles, n’est garantie. Les demandes sont examinées individuellement lorsqu’elles ne sont pas jointes. La demanderesse n’a pas avisé son ancien conseil au sujet des allégations d’incompétence qu’elle a formulées à son endroit; la Cour ne peut donc pas se pencher sur cet argument.

 

[22]           Le défendeur prétend que la décision de l’agent est raisonnable à première vue. L’agent n’était pas saisi de la déclaration solennelle de la mère de la demanderesse, et cette déclaration permettait seulement à la demanderesse de se rendre au Canada avec sa grand‑tante et son grand‑oncle ainsi que de résider avec eux pendant la période requise pour répondre aux exigences en matière d’adoption. Il n’y avait pas officiellement de garde ou de tutelle.

 

[23]           L’agent avait des réserves quant à la crédibilité de la déclaration de la demanderesse selon laquelle sa mère l’avait abandonné aux soins de parents éloignés qui étaient à la retraite et qui avaient un faible revenu. L’agent a mis l’accent sur les éléments de la demande qui posaient problème. Personne n’avait la garde légale ou la tutelle légale de la demanderesse au Canada, et le grand‑oncle et la grand‑tante de cette dernière ont fourni peu de renseignements à propos de leur situation financière. Le défendeur prétend que la demanderesse demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, et que ce n’est pas l’objet d’un contrôle judiciaire.

 

[24]           Bien que la demanderesse prétende qu’il était contraire à la raison de conclure que les membres de la famille ne pouvaient pas subvenir à ses besoins à long terme, le défendeur soutient que la demanderesse avait fourni peu de renseignements sur leur situation financière pour établir qu’ils pouvaient continuer à subvenir à de tels besoins. Il incombait à la demanderesse de fournir tous les éléments de preuve et les renseignements nécessaires. Le fardeau de demander des éléments de preuve supplémentaires n’était pas transféré à l’agent.

 

[25]           L’agent n’a pas omis de tenir compte de la déclaration solennelle, puisque celle-ci ne faisait pas partie de la demande. Même si cette déclaration avait été versée en preuve, il n’y a pas de mention au sujet de la garde; il n’est question que d’un consentement à ce que la demanderesse se rende chez le grand‑oncle et la grand‑tante et à ce qu’elle vive avec eux de manière temporaire. L’agent n’a pas eu tort de conclure que la garde n’avait jamais été confiée.

 

[26]           L’agent a bien apprécié l’intérêt supérieur de l’enfant, puisque toute son analyse portait sur l’intérêt de la demanderesse. Par conséquent, la demande devrait être rejetée.

 

Les observations écrites supplémentaires de la demanderesse

 

[27]           La demanderesse soutient que la conduite de son représentant lui a porté préjudice et que ce préjudice équivalait à une violation de l’équité procédurale. Si l’agent avait su que la mère de la demanderesse avait permis que la sœur de la demanderesse soit adoptée au Canada, la preuve présentée par la demanderesse aurait été plus crédible. Le représentant avait aussi fait preuve d’incompétence en omettant d’informer la demanderesse qu’elle devait soumettre des documents financiers pour étayer sa demande CH. La demanderesse a fourni un avis à son ancien consultant en immigration.

 

Les observations écrites supplémentaires du défendeur

 

[28]           Le défendeur prétend que la réponse fournie par l’ancien consultant en immigration de la demanderesse ne corrobore pas la preuve présentée par la demanderesse. Par conséquent, la Cour ne dispose pas d’une assise factuelle suffisante pour conclure que les gestes posés par ce consultant ont entraîné un préjudice pour la demanderesse.

 

Analyse et décision

 

[29]           La première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Lorsque la jurisprudence a défini la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[30]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, [2008] ACF no 995, au paragraphe 13; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’égard du décideur quant à ces questions (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[31]           Il est bien établi que les conclusions tirées par un agent dans le contexte de demandes de résidence permanente présentées au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2009] ACF no 713, au paragraphe 18; Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1193, [2009] ACF no 1489, au paragraphe 14; Garcia De Leiva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717, [2010] ACF no 868, au paragraphe 13).

 

[32]           Lors du contrôle de la décision d’un agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la Commission est parvenue à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible, et qui n’appartient pas aux issues acceptables eu égard à la preuve dont elle disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Khosa, précité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable, et il ne rentre pas non plus dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (au paragraphe 59).

 

[33]           La deuxième question en litige

      L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant la demande?

            La demanderesse prétend que la décision de l’agent était déraisonnable, car celle‑ci ne se penchait pas adéquatement sur la preuve portant que la demanderesse dépend des membres de sa famille depuis 2005 et qu’elle ne pourrait subvenir à ses besoins si elle devait retourner à Sainte‑Lucie. En revanche, le défendeur se fonde surtout sur la déférence importante dont il faut faire preuve à l’égard des décisions relatives à des demandes CH pour prétendre que la décision de l’agent était raisonnable. Je vais examiner la décision de l’agent en fonction des critères de la norme de la raisonnabilité : la transparence, la justification et l’intelligibilité (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Les décisions relatives aux demandes CH sont de nature discrétionnaire, et il existe donc une vaste gamme d’issues possibles (Holder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 337, [2012] ACF no 353, au paragraphe 18).

 

[34]           Le fait que l’agent se soit fondé sur la faiblesse du revenu combiné de la famille pour remettre en question leur capacité à subvenir aux besoins de la demanderesse ne respecte pas le principe de transparence. Il n’y a pas d’indication à savoir pourquoi 24 000 $ est un montant insuffisant ou quel montant serait adéquat, ni de mention d’une preuve relative au coût de la vie à Toronto. Il s’agit d’un raisonnement tout à fait obscur.

 

[35]           L’agent semble aussi avoir considéré comme un scénario hypothétique le fait que la demanderesse vivait avec les membres de sa famille. Il a mentionné que : [traduction] « [la demanderesse] fréquentait l’école au Canada et que, par conséquent, elle serait, d’un point de vue financier, un fardeau beaucoup plus important » (non souligné dans l’original). La dépendance de la demanderesse envers les membres de sa famille n’est pas une hypothèse, puisque, selon la preuve qu’elle a présentée, elle vit bel et bien chez ceux‑ci depuis six ans. Cette preuve est manifestement pertinente quant à la question de savoir si les membres de sa famille peuvent subvenir à ses besoins d’un point de vue financier, et l’agent ne donne pas de justification à savoir pourquoi le fait que la demanderesse vit avec les membres de sa famille est analysé comme un changement de situation plutôt que comme le maintien du statu quo.

 

[36]           L’agent a eu raison de mentionner qu’il n’existait aucune preuve que les membres de la famille de la demanderesse étaient ses tuteurs. Toutefois, cette question n’est pas déterminante dans la présente demande. Selon la preuve présentée par la demanderesse, elle ne sait pas où se trouve sa mère, de sorte qu’elle serait une mineure complètement abandonnée dans l’éventualité où elle devait être renvoyée. Par conséquent, elle prétend que sa situation au Canada ne devrait pas être examinée en termes absolus, mais plutôt relativement aux difficultés auxquelles elle serait exposée si elle devait être renvoyée.

 

[37]           En réponse à cette allégation de difficultés, l’agent [traduction] « jugeait non crédible » le fait que la demanderesse ait été envoyée au Canada à partir de Sainte‑Lucie. Par conséquent, sa demande avait seulement été examinée comme si un renvoi à Sainte‑Lucie signifiait qu’elle retournerait sous les soins de sa mère. L’agent n’a offert aucun raisonnement expliquant en quoi la preuve présentée par la demanderesse était invraisemblable.

 

[38]           La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’avait [traduction] « pas de membres de sa famille proche au Canada » n’est pas intelligible, tout comme le fait qu’il mentionne à plusieurs reprises que le grand‑oncle et la grand‑tante de la demanderesse sont des parents éloignés. L’agent n’a pas établi ce qui constituerait un lien de parenté suffisamment rapproché, ni la raison pour laquelle ces membres de la famille de la demanderesse, qui avaient vécu avec elle et avaient subvenu à ses besoins pendant six ans, ne répondaient pas à ce critère.

 

[39]           La preuve ne dicte aucune issue précise, et ce, pour chacune de ces conclusions; il s’agit de la raison pour laquelle il revient à l’agent d’examiner la preuve et de tirer des conclusions. Même en faisant preuve de la déférence qui s’impose envers l’agent, les motifs en l’espèce n’expliquent simplement pas pourquoi l’agent en est venu à ces conclusions.

 

[40]           Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve dans la présente demande. La Cour a cependant pour rôle d’apprécier la transparence, l’intelligibilité et la justification de la décision. Dans la présente affaire, la capacité des membres de la famille de la demanderesse à subvenir à ses besoins ainsi que la question d’établir si la demanderesse serait sous les soins de sa mère dans l’éventualité où elle devait retourner à Sainte‑Lucie étaient les deux questions factuelles au cœur de sa demande. L’agent n’a fourni qu’une simple conclusion et une explication inadéquate, et ce, à l’égard de ces deux questions. Même en examinant la décision dans son intégralité, et sans isoler chacune de ces deux questions, la décision ne répond pas au critère de l’arrêt Dunsmuir.

 

[41]           Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent était déraisonnable.

 

[42]           Je n’ai pas à traiter de la troisième question en litige, compte tenu de ma conclusion quant à la deuxième question.

 

[43]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[44]           Aucune partie n’a souhaité proposer une question grave de portée générale pour examen en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agent est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER                                          IMM-9565-11

 

INTITULÉ :                                      TANA GEORGE

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 16 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 25 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Napal

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Rahaman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NLC Lawyers

Brampton (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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