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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date: 20121022

Dossier : IMM-6176-11

Référence : 2012 CF 1229

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

TEODORO VALDES VIVIAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [« la SPR »] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 16 août 2011, en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,

LC 2001 ch 27 [« la LIPR »]. Le tribunal a rejeté l’appel interjeté par le demandeur et a conclu que Teodoro Valdes Vivian [« le demandeur »] n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Les faits

[2]               Le demandeur est citoyen mexicain. Il a ouvert un commerce d’épicerie en février 2008. Le 12 août 2008, des hommes l’ont approché afin de lui demander qu’il les aide à vendre de la drogue, ce qu’il a accepté, car il craignait les conséquences d’un éventuel refus. Le lendemain, ces mêmes personnes sont revenues et ont porté des menaces à sa vie et à la vie de son épouse en lui demandant de trouver des personnes pour vendre de la drogue pour eux.

 

[3]               Cette même journée, le demandeur a fermé son commerce et a déménagé dans un autre quartier de Mexico, chez un cousin. Il a laissé son épouse chez sa belle-mère à Mexico et a quitté le Mexique pour le Canada en septembre 2008, suite au conseil de son cousin et a demandé l’asile.

 

II.        La décision révisée

[4]               La SPR était satisfaite de l’identité du demandeur, étant donné la preuve déposée. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas fait le nécessaire pour tenter de réclamer et d’obtenir la protection de l’État mexicain, suite aux menaces qui ont été proférées. Le demandeur n’a pas démontré qu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il puisse être persécuté. La SPR a conclu que le demandeur n’est ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une personne à protéger.

 

[5]               La SPR n’a pas été satisfaite des explications fournies par le demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas porté plainte aux autorités mexicaines. Celui-ci prétend que les autorités ne viennent en aide qu’aux personnes aisées et qu’il a perdu confiance en celles-ci, car elles n’ont rien fait lorsqu’il a porté plainte suite à l’éviction de son logement. La SPR a considéré que le demandeur n’a pas adopté le comportement d’une personne raisonnable et a jugé que les explications qu’il a fournies ne sont pas satisfaisantes. 

 

[6]               La preuve objective du présent dossier n’est pas à l’effet que les autorités mexicaines viennent uniquement en aide aux personnes qui ont de l’argent. Quant à la plainte pour éviction, celle-ci n’est pas liée aux menaces à sa vie qu’il a subies en août 2011. 

 

[7]               Le Mexique est un pays qui a certes, certains problèmes de corruption, mais il ne peut pas être déterminé que c’est un pays où l’appareil étatique est tel qu’il s’avère impossible pour le demandeur de réclamer la protection de l’État. Le Mexique possède une force policière et militaire établie. Le seul fait qu’un État ne réussisse pas toujours à offrir une protection efficace à ses citoyens ne justifie pas la prétention que l’État mexicain ne peut offrir de protection adéquate.

 

[8]               Le fait que le demandeur a décidé de quitter le Mexique quatre ou cinq jours après les événements démontre que celui-ci n’avait pas l’intention d’avoir recours à la protection de l’État mexicain.

 

[9]               Le demandeur n’a pas apporté de preuve convaincante selon laquelle les personnes qui l’ont interpellé et menacé à son commerce sont liées à un puissant groupe de narcotrafiquants, lequel serait d’une quelconque façon lié à l’État mexicain et que la recherche de protection serait donc inutile en l’espèce.

 

[10]           Suite à la fermeture de son commerce et à son déménagement, le groupe ne l’a pas recherché. De plus, son épouse qui est restée au Mexique, n’a pas été importunée par un membre du groupe.

 

III.       Les soumissions du demandeur

[11]           Le demandeur soumet que la SPR a commis une erreur en n’accordant pas de valeur probante aux explications fournies par le demandeur quant aux raisons qui sous-tendent sa décision de ne pas dénoncer la situation aux autorités mexicaines.

 

[12]           Selon le demandeur, la SPR a considéré le témoignage du demandeur sans toutefois analyser les éléments de la preuve documentaire concernant le degré de démocratie qui sont contraires à sa détermination que l’État mexicain est en mesure d’offrir une protection adéquate à ses citoyens. La présence de législation qui vise la protection des citoyens ne signifie pas qu’elle a un tel effet en pratique. De plus, il est déraisonnable d’exiger du demandeur qu’il mette sa vie en danger pour obtenir la protection de son gouvernement (Canada (Procureur général) c Ward (1993),

[1993] 2 RCS 689 au para 48, 103 DLR (4th) 1 [Ward]).

 

[13]           Le demandeur soumet que la conclusion de la SPR est erronée en ce sens qu’elle a considéré l’État mexicain comme pouvant être associé à une démocratie développée. Une telle conclusion a eu comme conséquence d’exiger au demandeur le fardeau de démontrer qu’il a épuisé tous les recours offerts et ce, de manière proportionnelle au degré de démocratie du Mexique. L’imposition d’un tel fardeau est erronée, car le Mexique ne peut pas être considéré comme une démocratie élevée étant donné les problèmes de corruption auxquels il fait face.

[14]           Le demandeur prétend que la SPR aurait dû traiter dans sa décision non seulement des mesures mises en place par l’État mexicain, mais aussi des problèmes de corruption et d’impunité, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a donc fait une analyse sélective de la preuve.

 

[15]           Aussi, la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur les efforts effectués par le gouvernement mexicain plutôt que d’analyser la situation réelle.

 

[16]           Lors de l’audience, l’avocate du demandeur présenta un argument spécifique qui n’était traité que de façon générale dans son mémoire. Elle reprochait à la SPR de ne pas avoir pris en considération l’explication du demandeur à l’effet qu’il ne pouvait avoir recours aux autorités étant donné que la police a été vue en compagnie des vendeurs de drogue, se donnant la main.

 

IV.       Les soumissions du défendeur

 

[17]           Le défendeur soumet que la conclusion de la SPR en ce qui a trait au niveau de protection étatique au Mexique est raisonnable et tient compte de l’ensemble de la preuve.

 

[18]           Le demandeur avait le fardeau de présenter une preuve claire pour réfuter la présomption de protection étatique, selon la prépondérance des probabilités. Le défendeur avance que la SPR a valablement rejeté ses explications quant à sa décision de ne pas porter plainte. Une explication convaincante, appuyée sur des éléments de preuve clairs, était nécessaire en l’espèce. Le demandeur n’en a pas fourni.

 

[19]           Le défendeur souligne que le demandeur n’a effectué aucune démarche pour tenter d’obtenir la protection de son État et a pris sa décision de demander l’asile au Canada quelques jours après le déroulement des événements qui sont à l’origine de son départ du Mexique.

 

[20]           Quant à l’argument soumis par l’avocate du demandeur à l’audience à l’effet que la SPR n’avait pas traité du fait que les vendeurs de drogue avaient été vus en présence de policiers, elle reconnaît que ce n’est pas commenté dans la décision, mais ajoute que celle-ci doit être prise dans son ensemble et qu’un décideur n’a pas à mentionner tout ce qui est soulevé lors de l’audience.

 

V.        La question en litige

[21]           La SPR, a-t-elle commis une erreur en déterminant que la protection de l’État mexicain est disponible au demandeur?

 

VI.       La norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle applicable à la question en litige est la norme de la décision raisonnable étant donné que c’est une question mixte de droit et de faits (Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 164-166, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     L’analyse

A. La protection étatique au Mexique

[23]           L’issue du présent litige est la raisonnabilité de la conclusion de la SPR quant au degré de protection offerte au demandeur par le gouvernement mexicain et de son rejet des explications du demandeur au sujet de son refus de porter plainte aux autorités mexicaines.  

[24]           Dans la décision Capitaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),

2008 CF 98 au para 20, 2008 CarswellNat 256, cette Cour a déjà établi que « le Mexique constitue une démocratie pour laquelle une présomption de protection de l’État s’applique, même si sa place dans l’« éventail démocratique » doit être appréciée pour déterminer quelle preuve crédible et digne de foi sera suffisante pour écarter cette présomption ». Le décideur a donc « l’obligation d’apprécier la preuve présentée pour établir que, au Mexique par exemple, l’État n’est pas en mesure (bien qu’il le veuille) de protéger ses citoyens ou qu’il était raisonnable pour le demandeur de refuser de se prévaloir de cette protection ». En effet, le Mexique est une démocratie fonctionnelle quoique la documentation disponible fasse état de problèmes de corruption au sein du gouvernement (Yanez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1059 au para 32, 93 Imm LR (3d) 144)  

 

[25]           De plus, il est bien établi dans l’arrêt Ward, précité, au para 50 qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est capable d’offrir une protection adéquate au demandeur.

 

[26]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, il ressort d’un examen de la décision que la SPR  n’a pas comparé les agissements du demandeur à un ressortissant d’un pays dont le niveau de démocratie est élevé. Il n’a pas reproché au demandeur de ne pas avoir exercé tous les recours qui lui étaient disponibles, comme c’est le cas dans ce type de démocratie (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 206 NR 272 au para 5, 143 DLR (4th) 532 (CA)). Il a plutôt considéré comme étant défavorable au demandeur le fait de ne pas avoir du tout recherché la protection des autorités au Mexique.

[27]           L’évaluation de la protection offerte par le Mexique à ses citoyens par la SPR en l’espèce est juste. La SPR a dans sa décision, considéré les divers mécanismes et ressources mis en place par le gouvernement mexicain pour assurer la protection des personnes qui sont à risque de subir les représailles de groupes criminels. Elle conclut ensuite que « le Mexique, bien qu’ayant certains problèmes de corruption, ne peut être décrit comme un pays où il y a effondrement complet de l’appareil étatique et où il est impossible d’obtenir la protection de l’État ».

 

[28]           Plus particulièrement, le demandeur avance que la SPR a erré en n’analysant pas spécifiquement le rapport sur le Mexique de 2008 du Département d’État. Le rapport traite de cas d’arrestations arbitraires, de corruption, et d’obtention de preuve dans des circonstances qui ne respectent pas les droits de la personne ainsi que d’autres problèmes. Ainsi, le demandeur ne peut s’appuyer sur ce rapport pour fonder sa décision de ne pas avoir porté plainte aux autorités mexicaines étant donné que les problèmes relatés ne font pas état d’une impossibilité générale pour une personne victime des groupes de narcotrafiquants d’aller porter plainte à la police.

 

[29]           De plus, contrairement à ce que prétend le demandeur, la SPR n’a pas évalué la preuve des mesures que le Mexique est en train de mettre en place, mais bien les ressources qui sont déjà disponibles aux citoyens, comme elle est requise de le faire (Garcia Bautista c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126 au para 15, 2010 CarswellNat 1440).

 

 

 

 

 

 

 

 

B.        Les explications fournies par le demandeur pour justifier son refus d’avoir recours aux

     autorités mexicaines

 

[30]           De façon générale, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas fourni d’explication ou de preuve convaincante pour justifier le fait de ne pas avoir porté plainte et ne s’est donc pas déchargé de son fardeau de renverser la présomption que le Mexique peut lui offrir une protection adéquate. En l’espèce, le fait de ne pas avoir eu recours aux autorités mexicaines était déraisonnable.

 

[31]           Une présomption de protection existe à l’égard du Mexique, quoiqu’elle soit moindre que dans d’autres démocraties. Ainsi, le fardeau de démontrer avec de la preuve claire et convaincante et selon la prépondérance des probabilités que l’État Mexicain ne peut apporter une protection adéquate au demandeur lui incombe (Cortes Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1200, 2010 CarswellNat 4516; Flores Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30, 69 Imm LR (3d) 309 (CA)).

 

[32]           Le demandeur n’a présenté aucune preuve jugée satisfaisante par la SPR, et spécifique à sa situation et ne se base que sur une crainte généralisée et une perte de confiance en le gouvernement mexicain (Escobar Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),

2010 CF 502 au para 14, 2010 CarswellNat 1296; Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1126 au para 10, 2005 CarswellNat 2443).

 

[33]           Quant à son témoignage selon lequel seules les personnes fortunées obtiennent l’aide de l’État, il était loisible à la SPR de rejeter le témoignage étant donné que la preuve documentaire ne corrobore pas celui-ci et la présomption de véracité du témoignage peut ainsi être écartée

(Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 53 ACWS (3d) 158,

1995 CarswellNat 2559 (CA)).

 

[34]           La SPR reconnaît que le Mexique fait face à des problèmes de corruption et qu’il n’est donc pas toujours déraisonnable pour un demandeur de ne pas se prévaloir de la protection de l’État.

Cependant, elle a valablement conclu en l’espèce qu’un tel comportement n’est pas raisonnable étant donné que rien dans la preuve soumise n’indique que le groupe de narcotrafiquants qui a proféré des menaces a des liens avec la police. Ainsi, sa décision de ne pas rechercher la protection de la police est déraisonnable dans les circonstances.

 

[35]           Quant à l’argument selon lequel épuiser ses recours mettrait en danger la vie du demandeur, aucune preuve n’a été déposée devant la SPR pour appuyer un tel fait. 

 

[36]           Quant à l’argument du demandeur selon lequel le fait que la plainte pour éviction n’ait fait l’objet d’aucun suivi, la SPR a  valablement jugé que celle-ci est sans lien avec les menaces proférées à son égard et à sa famille et ne constitue pas un obstacle à une éventuelle démarche auprès des autorités.

 

[37]           Pour conclure, en l’absence d’une explication convaincante, appuyée sur de la preuve solide, « le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile – du moins si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection à ses citoyens et possède les ressources nécessaires à cette fin » (Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830 au para 10, 2007 CarswellNat 2555). La SPR reproche au demandeur de ne pas avoir minimalement recherché la protection de l’État.

 

[38]           En ce qui concerne l’argument présenté oralement à l’effet que l’une des explications pour ne pas avoir recours aux autorités n’avait pas été mentionnée par la SPR dans sa décision (la rencontre des policiers avec les vendeurs de drogue où ils ont été vus par le demandeur se donnant la main). Il aurait été mieux de le commenter. Toutefois, une revue des notes sténographiques de l’audience dévoile que la SPR a abordé avec le demandeur et son avocate plusieurs sujets et tout en tenant compte de la précipitation à quitter le Mexique laissant son épouse sur place, dans son ensemble la décision est raisonnable.

 

VIII.    La conclusion

[39]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut soumise.

 

[40]           Pour conclure, il était raisonnable pour la SPR de rejeter la demande d’asile du demandeur sur la base que, dans les faits, la protection étatique était disponible au demandeur. En effet, indépendamment de la question de la place du Mexique dans l’ « éventail démocratique », il était raisonnable de conclure que le refus injustifié du demandeur de porter plainte aux autorités fait en sorte qu’il ne peut réfuter la présomption de protection de l’État.

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                                                                « Simon Noël »

Juge



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6176-11

 

INTITULÉ :                                      TEODORO VALDES VIVIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 22 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Gisela Barraza

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barraza & Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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