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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121019

Dossier : IMM-1508-12

Référence : 2012 CF 1220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

VERONICA COX

CASTOR COX

KURTIS MAGNUS COX (MINEUR)

INDRA VERONIC THOMAS (MINEURE)

DARLIA VERNITA THOMAS (MINEURE)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 26 janvier 2012 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle la Commission a statué que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger visés respectivement aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

 

I.          Faits

 

[3]               Les demandeurs sont une famille composée de la demanderesse principale (Veronica Cox), de son époux (Castor Cox) et de leurs trois enfants mineurs (Indra Veronic Thomas, Darlia Vernita Thomas et Kurtis Magnus Cox). Les deux aînées sont les enfants biologiques de la demanderesse principale et de son conjoint de fait décédé. Le benjamin est l’enfant biologique des deux demandeurs adultes. Tous sont citoyens de Sainte-Lucie.

 

[4]                La demanderesse principale est venue au Canada avec ses trois enfants le 28 octobre 2010, et elle a présenté leur demande d’asile le 15 novembre 2010, sur le fondement de leur crainte de leur ancien voisin, que la demanderesse principale soupçonne d’avoir tué son conjoint de fait à l’époque. M. Cox est arrivé au Canada le 3 avril 2011, et il a présenté sa demande d’asile à son arrivée. Sa demande est fondée sur les mêmes motifs.

 

[5]               La demanderesse principale relate que M. Maximus Agdomar a construit une maison très près de celle de la demanderesse principale et de son conjoint de fait. Ils partageaient beaucoup de choses avec M. Agdomar, notamment leurs lignes d’alimentation en électricité, et ils covoituraient pour amener tous leurs enfants à l’école. Toutefois, la relation entre les voisins s’est rapidement détériorée en mai 2005 lorsque plusieurs petits incidents sont survenus. La cause principale de leur dispute n’est toujours pas claire.

 

[6]               Selon la demanderesse principale, M. Agdomar, qui était policier à Sainte-Lucie, a commencé à harceler et à menacer la demanderesse principale et son conjoint de fait, qui conduisait des taxis de nuit. M. Agdomar appelait chez les demandeurs tard le soir, alors que le conjoint de fait était absent de la résidence parce qu’il était au travail, et il rôdait autour de leur propriété. Il aurait lancé de la boue dans leur entrée de cour et l’aurait bloquée avec des blocs de ciment, et il aurait proféré régulièrement des menaces de mort. M. Agdomar a admis avoir tué au moins un des animaux de compagnie des demandeurs. Tel qu’indiqué précédemment, cette conduite a commencé en mai 2005.

 

[7]               La demanderesse principale a dénoncé les activités de M. Agdomar à la police à plusieurs reprises, et elle lui a signifié une lettre dans laquelle elle menaçait d’intenter un recours en justice. M. Agdomar a répondu par une lettre de son avocat, dans laquelle il menaçait d’intenter à son tour une action au civil. Le 17 mai 2005, la demanderesse principale a déposé une plainte initiale auprès de la Commission des plaintes contre la police, qui mène des enquêtes internes au sujet de cas d’inconduite de policiers. La réponse de la commission a indiqué que celle-ci avait terminé son enquête au sujet de la plainte et qu’elle recommandait que l’affaire soit classée. Une rencontre avec la commission a été fixée au 25 octobre 2005 à la suite d’une lettre datée du 19 octobre 2005 contestant les conclusions de la commission. L’affaire a été entendue le 29 novembre 2005. La seule chose qui ressort clairement du dossier quant à l’issue de cette audience est que la demanderesse principale était insatisfaite du résultat.

 

[8]               Le 15 juin 2006, le conjoint de fait de la demanderesse principale a été trouvé sur le capot de son taxi, avec une blessure par balle à la tête. Il a été déclaré mort à l’hôpital plus tard ce jour-là. M. Agdomar aurait été arrêté par la police, mais il aurait été remis en liberté 72 heures plus tard. Aucune accusation n’a jamais été portée dans cette affaire, et une enquête est apparemment toujours en cours.

 

[9]               Peu après cela, la maison de M. Agdomar a brûlé, et celui-ci a déménagé en ville, chez sa mère, à environ 15 minutes en voiture de chez les demandeurs. Un entrepôt contenant différentes armes à feu et munitions ainsi que des ordinateurs et des motocyclettes aurait été trouvé dans les décombres de la maison.

 

[10]           La demanderesse principale explique que les menaces et la traque ont continué, même après qu’elle eut épousé M. Cox en 2010, et ce, jusqu’au moment où elle a quitté Sainte-Lucie pour venir au Canada.

 

[11]           L’audience de la demanderesse devant la Commission a eu lieu le 2 décembre 2011. Le conseil des demandeurs a ensuite présenté des observations écrites à la suite de l’audience ainsi qu’une demande d’autorisation à produire des éléments de preuve additionnels.

 

II.        Décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[12]           La Commission a conclu que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés à Sainte-Lucie pour des motifs prévus à la Convention et qu’ils n’étaient pas non plus exposés à une menace à leur vie ni au risque d’être assujettis à des traitements ou peines cruels et inusités ou à la torture. La Commission a émis des réserves concernant la crédibilité au soutien de sa conclusion.

 

[13]           Plus précisément, la Commission a conclu qu’il était « plus probable que le contraire que, si un agent qui a le profil, les moyens, l’influence et le comportement mentionnés par les demandeurs d’asile continue d’avoir intérêt à les persécuter après la période de 2005-2006, s’il y a un fondement objectif aux allégations des demandeurs d’asile voulant que la famille de la demandeure d’asile et lui aient été mêlés à un différend et s’il connaissait la plupart ou l’ensemble des activités et des déplacements liés au lieu de résidence, au travail et aux études des demandeurs d’asile, alors lui ou les personnes agissant en son nom auraient gravement maltraité un ou plusieurs des demandeurs d’asile bien avant qu’ils quittent Sainte-Lucie à la fin d’octobre 2010 ».

 

[14]           L’explication des demandeurs selon laquelle M. Agdomar aurait peut-être voulu les torturer d’abord n’a pas suffisamment convaincu la Commission pour qu’il soit passé outre aux « invraisemblances importantes contenues dans les allégations fondamentales présentées dans la demande d’asile ».

 

[15]           La Commission a souligné en outre l’absence d’éléments de preuve corroborante sur de nombreux points, notamment l’allégation selon laquelle un des demandeurs mineurs aurait eu besoin de counseling relativement à la demande d’asile des demandeurs et l’allégation selon laquelle la demanderesse principale aurait fait des dénonciations à la police. De plus, la Commission a conclu que le fait que M. Cox soit resté à Sainte-Lucie pour s’occuper des propriétés et des véhicules du couple était incompatible avec une crainte subjective véritable du préjudice imminent qu’ils disaient risquer de subir. Enfin, la Commission a retenu contre les demandeurs le fait qu’ils n’aient pas quitté leur demeure pour des raisons de sécurité, ne fût-ce que temporairement, à la suite des menaces de mort.

 

[16]           Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation à produire des éléments de preuve additionnels après l’audience. La Commission a statué que ces éléments de preuve étaient inadmissibles parce qu’on ne lui avait pas bien expliqué la raison pour laquelle les documents transmis après l’audience n’avaient pas pu être demandés, obtenus et présentés à la Commission dans les délais prévus aux Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), ni même à l’audience. La Commission a noté en outre qu’« aucune explication digne de foi ne [pouvait] être dégagée ou déduite à cet égard [le retard] des documents présentés après l’audience ».

 

III.       Questions en litige

 

[17]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

(a)        L’exclusion par la Commission des éléments de preuve transmis après l’audience constitue-t-elle un manquement à l’équité procédurale?

(b)        La conclusion de la Commission concernant la crédibilité était-elle raisonnable?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[18]           La question de savoir si des éléments de preuve transmis après l’audience sont admissibles a été jugée être une question d’équité procédurale (Nagulesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1382, [2004] ACF no 1690, au paragraphe 17; Ahanin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 180, [2012] ACF no 188, au paragraphe 37). Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[19]           Inversement, à titre de questions de fait et de questions mixtes de fait et de droit, les conclusions concernant la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Baykus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 851, [2010] ACF no 1058, au paragraphe 14; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438, au paragraphe 29).

 

[20]           Comme la Cour suprême l’a exposé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

V.        Analyse

 

A.        Les éléments de preuve transmis après l’audience et l’équité procédurale

 

[21]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté les [traduction] « éléments de preuve documentaire très probants qui corroborent la crainte subjective des demandeurs » alors que les documents en question avaient été communiqués 20 jours avant que la Commission rende sa décision. Ils invoquent l’article 30 des Règles au soutien de leur prétention selon laquelle la Commission n’a pas pris en considération les éléments énumérés à cette règle et n’a pas motivé sa décision de ne pas en tenir compte. Plus précisément, les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas statué sur la pertinence et la valeur probante des documents ni sur la preuve nouvelle qu’ils auraient pu apporter.

 

[22]            Le défendeur rétorque que c’est l’article 37 des Règles qui régit la situation, plutôt que l’article 30. De plus, le défendeur soutient que la Commission n’avait aucune obligation de traiter expressément dans ses motifs de la demande d’autorisation à produire les éléments de preuve en question parce que cette demande ne satisfaisait pas à toutes les exigences de l’article 37 des Règles. En particulier, le défendeur souligne l’absence d’explication dans la demande quant à savoir pourquoi les éléments de preuve n’auraient pas pu être produits à temps pour l’audience.

 

[23]           Je note que, bien que les éléments que la Commission doit prendre en compte en vertu de l’article 30 et en vertu de l’article 37 des Règles soient similaires, le défendeur a raison d’affirmer que c’est l’article 37 qui s’applique en l’espèce :

Documents supplémentaires après l’audience

 

37. (1) Pour transmettre, après l’audience, un document à la Section pour qu’elle l’admette en preuve, la partie en fait la demande à la Section.

 

Forme de la demande

 

(2) La partie fait sa demande selon la règle 44 et y joint une copie du document, mais elle n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle.

 

 

Éléments à considérer

 

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) la pertinence et la valeur probante du document;

 

 

b) toute preuve nouvelle qu’il apporte;

 

 

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

 

Additional documents after the hearing has ended

 

37. (1) A party who wants to provide a document as evidence after a hearing must make an application to the Division.

 

Written application

 

(2) The party must attach a copy of the document to the application. The application must be made under rule 44, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

 

Factors

 

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including:

 

 

(a) the document’s relevance and probative value;

 

(b) any new evidence it brings to the proceedings; and

 

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29.

 

 

[24]           La Commission a conclu que la demande faite par les demandeurs était régulière. Je rejette donc la prétention du défendeur selon laquelle la Commission n’avait aucune obligation de mentionner expressément les considérations en question dans ses motifs. D’ailleurs, en conformité avec la jurisprudence citée par le défendeur, la Commission avait l’obligation de traiter expressément des éléments de preuve nouvellement transmis (Matingou-Testie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 389, [2012] ACF no 401, au paragraphe 43).

 

[25]           Comme la Cour l’a déjà affirmé, la Commission « pouvait tout simplement mentionner dans sa décision que, ayant examiné la lettre, elle a décidé de ne pas tenir compte des éléments de preuve en raison des facteurs énumérés au paragraphe 37(3) ou elle pouvait accepter de prendre en compte les nouveaux éléments de preuve et en traiter dans sa décision » (Nagulesan, précitée, au paragraphe 17; Howlader c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 817, [2005] ACF no 1041, au paragraphe 4).

 

[26]           Je ne suis pas convaincu que la Commission a respecté ses obligations au titre de l’équité procédurale en l’espèce. Bien qu’elle n’ait pas tout simplement tenu aucun compte des éléments de preuve présentés, comme cela avait été le cas dans les affaires Nagulesan et Howlader, précitées, la Commission a seulement soupesé un des éléments énumérés au paragraphe 37(3) des Règles. Je conviens avec les demandeurs que la pertinence et la valeur probante des documents constituaient des éléments importants que la Commission aurait dû prendre en considération dans son traitement de la demande d’autorisation à produire des éléments de preuve après l’audience, compte tenu en particulier du fait que l’autre motif de refus de la demande d’asile des demandeurs est lié à la vraisemblance de leur récit.

 

[27]           La Commission a souligné que les demandeurs avaient été représentés par un conseil versé en matière de droit des réfugiés à toutes les époques pertinentes tout au long de l’instance, qu’ils  n’avaient pas expliqué pourquoi les éléments de preuve n’avaient pas été communiqués plus tôt et qu’ils n’avaient pas expliqué pourquoi ils ne semblaient pas avoir fait d’efforts raisonnables pour obtenir les documents avant la fin de l’audience – des considérations qui relèvent toutes de l’alinéa 37(3)c) des Règles. Néanmoins, la Commission était tenue de prendre en considération la pertinence, la valeur probante et le caractère nouveau des documents, c’est-à-dire les éléments énumérés aux alinéas 37(3)a) et b) des Règles. Bien que la liste des éléments à prendre en considération aux termes du paragraphe 37(3) ne soit pas exhaustive, l’emploi du mot « notamment » plutôt que des mots « tel que » avant l’énumération des éléments en question indique que le législateur a voulu que chacun des éléments énumérés à cette disposition soit pris en considération. Ne pas le faire constitue un manquement à l’équité procédurale

 

[28]           Puisque la demande de contrôle judiciaire est accueillie uniquement sur le fondement de l’équité procédurale, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question.

 

VI.       Conclusion

 

[29]           Le fait que la Commission n’ait pas examiné deux des trois éléments énumérés au paragraphe 37(3) des Règles constitue un manquement à l’équité procédurale.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1508-12

 

INTITULÉ :                                      VERONICA COX ET AL c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 2 OCTOBRE 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 19 OCTOBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LES DEMANDEURS

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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