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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20121023

Dossier : IMM-2036-12

Référence : 2012 CF 1210

Ottawa (Ontario), ce 23e jour d’octobre 2012

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Beti PEREZ ACHAHUE

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Marie-Claude Paquette, membre de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). La SAI a refusé la demande de parrainage de Beti Perez Achahue (la demanderesse) au titre du regroupement familial de son époux, M. Abdelkebir Kamouni. La SAI a conclu que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

[2]          La demanderesse et M. Kamouni ont eu leur premier contact par téléphone le 22 décembre 2007 par l’entremise de Naima. Cette dernière est à la fois la sœur de M. Kamouni et une amie de la demanderesse.

 

[3]          M. Kamouni est âgé de 34 ans et est citoyen du Maroc. Il est de religion musulmane, il parle arabe et un peu le français. Il s’agissait de son premier mariage.

 

[4]          La demanderesse est âgée de 46 ans et est originaire du Pérou. Elle est arrivée au Canada en 1996 à titre de réfugiée. Elle parle l’espagnol et le français. Il s’agissait de son second mariage.

 

[5]          Après maintes conversations téléphoniques, la demanderesse voyagea au Maroc pour la première fois en décembre 2008, pour un total de 18 jours, en compagnie de Naima. La demanderesse a rencontré M. Kamouni en personne pour la première fois le 21 décembre 2008. Le 31 décembre 2008, M. Kamouni l’a demandée en mariage.

 

[6]          La preuve révèle la présence d’une étampe de l’Ambassade du Canada au Maroc sur le passeport de la demanderesse en date du 30 décembre 2008, soit la veille de la demande en mariage.

 

[7]          La preuve a également fait ressortir que M. Kamouni avait tenté sans succès d’obtenir un permis de visiteur au Canada en janvier 2008. Ce dernier aurait  oublié d’en aviser la demanderesse.

 

[8]          En mars 2009, la demanderesse est retournée au Maroc pour une semaine. Un mariage et une « fête » ont eu lieu le 4 mars 2009.

[9]          La demanderesse entreprit ensuite une demande de parrainage pour M. Kamouni à titre de « regroupement familial ». Cette demande fut rejetée le 7 avril 2010. Malgré ce refus, les époux auraient continué à garder contact par lettres ainsi que par téléphone.

 

[10]      La demanderesse est retournée au Maroc lors de ses vacances en juillet 2010. Les époux auraient tenu une célébration « formelle » de leur mariage au mois d’août 2010 – étant donné qu’ils avaient « manqué de temps » en mars 2009.

 

[11]      La demanderesse aurait également visité M. Kamouni en juillet 2011 lors de ses vacances estivales.

 

[12]      La demanderesse en a appelé du refus de parrainage à la SAI. L’appel fut rejeté le 6 février 2012. La présente demande de contrôle judiciaire vise cette dernière décision.

 

[13]      La décision négative de la SAI s’appuie sur de nombreuses contradictions et incohérences concernant la date de demande en mariage, la célébration du mariage, les projets futurs des époux, l’omission de M. Kamouni d’informer la demanderesse du refus de sa demande de visa, la langue de communication et de correspondance, la « copropriété » de la maison de la demanderesse, ainsi que sur des motifs d’ordre financier.

 

* * * * * * * *

 

[14]      Les dispositions suivantes de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) sont pertinentes :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

  63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

 

 

  66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

 

 

 

 

 

  67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

  (2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

 

 

 

 

 

 

  68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

  (2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

 

  (3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

 

  (4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  69. (1) L’appel est rejeté s’il n’y est pas fait droit ou si le sursis n’est pas prononcé.

 

 

  (2) L’appel du ministre contre un résident permanent ou une personne protégée non visée par le paragraphe 64(1) peut être rejeté ou la mesure de renvoi applicable, assortie d’un sursis, peut être prise, même si les motifs visés aux alinéas 67(1)a) ou b) sont établis, sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

  (3) Si elle rejette l’appel formé au titre du paragraphe 63(4), la section prend une mesure de renvoi contre le résident permanent en cause qui se trouve au Canada.

  63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

  66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

 

  67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

  (2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

  68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

  (2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

  (3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

  (4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

  69. (1) The Immigration Appeal Division shall dismiss an appeal if it does not allow the appeal or stay the removal order, if any.

  (2) In the case of an appeal by the Minister respecting a permanent resident or a protected person, other than a person referred to in subsection 64(1), if the Immigration Appeal Division is satisfied that, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case, it may make and may stay the applicable removal order, or dismiss the appeal, despite being satisfied of a matter set out in paragraph 67(1)(a) or (b).

 

  (3) If the Immigration Appeal Division dismisses an appeal made under subsection 63(4) and the permanent resident is in Canada, it shall make a removal order.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés :

  4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

 

  4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

(a) was entered into primarily for the  purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b) is not genuine.

 

* * * * * * * *

 

[15]      À l’audition devant moi, l’avocat de la demanderesse a essentiellement plaidé sur l’appréciation des faits faite par la SAI.

[16]      Il importe de rappeler que l’appel à la SAI est un appel de novo, au cours duquel la SAI examine à nouveau la question de savoir si la personne parrainée à titre d’époux, de conjoint de fait ou de partenaire conjugal appartient ou non à la catégorie de parent (voir The Minister of Employment and Immigration v. Gill (1991), 137 N.R. 373 (C.A.F.) et Kahlon v. The Minister of Employment and Immigration (1989), 97 N.R. 349 (C.A.F.)).

 

[17]      Tel qu’établi par la jurisprudence, le fardeau de la demanderesse devant la SAI était de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que son époux satisfaisait aux exigences de l’article 4 du Règlement (voir, entre autres, Mohammed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2055 CF 1442 et Mohamed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 696, 296 F.T.R. 73 [Mohamed]).

 

[18]      À la question pertinente de savoir si le mariage est authentique ou s’il a été contracté dans le but d’obtenir un privilège ou un statut en vertu de la Loi, la jurisprudence a déjà bien établi que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (voir Chen c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1268, Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 565 [Singh] et Mohamed, ci-dessus).

 

[19]      Il s’agit ici d’une question de nature factuelle dont la plus grande partie repose sur la crédibilité des époux (Sidhu v. The Minister of Citizenship and Immigration, 2012 FC 515 [Sidhu]). Cette cour doit donc faire preuve de déférence et exercer une grande retenue en déterminant si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles, appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 47). Il ne revient pas à cette cour de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal (Zrig c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761 au para 42).

 

[20]      Cette cour se doit de regarder la décision contestée comme un tout (Singh et Sidhu, ci-dessus) et non de s’adonner à une analyse microscopique de la preuve; pas plus que la Cour ne peut disséquer la décision du tribunal (Singh citant Carillo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 548).

 

[21]      Je fais également miennes les prétentions de mon collègue le juge Robert L. Barnes dans l’affaire Gan c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2006 CF 1329, selon lesquelles:

[16]     Le fait qu’un demandeur qui sollicite un contrôle judiciaire relève des erreurs au sujet de quelques-unes des conclusions de fait de la Commission, ou quelques faiblesses dans l’analyse que cette dernière a faite de la preuve, n’est pas suffisant. La décision sera maintenue si l’on peut juger qu’elle est étayée par d’autres conclusions de fait raisonnablement tirées.

 

 

 

[22]      À mon sens, les arguments de la demanderesse commandent un regard microscopique sur la décision du tribunal. Après avoir lu la décision dans son ensemble, avoir entendu les procureurs des parties et avoir révisé les éléments de preuve pertinents, je suis satisfait que la SAI a bien pris en considération les éléments de preuve devant elle et qu’il s’agit ici d’une décision raisonnable pouvant appartenir aux issues probables et acceptables.

 

[23]      En ce qui concerne les arguments développés par le procureur de la demanderesse dans ses mémoires écrits, je suis d’avis que l’application qu’il suggère des articles 63, 66, 67, 68 et 69 de la Loi et du paragraphe 4(1) du Règlement ne tiennent manifestement pas face à la jurisprudence ci-dessus citée en regard du caractère de novo de l’appel devant la SAI et du fardeau de la preuve qui y est imposé à la partie appelante.

 

[24]      Enfin, l’argument du procureur de la demanderesse relié à l’insuffisance des motifs dans la décision de la SAI, au sujet duquel le procureur réfère également dans ses prétentions écrites, je suis d’avis qu’il y a lieu ici d’appliquer l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, où la Cour suprême du Canada a énoncé :

Il n’est pas nécessaire que les motifs fassent référence à tous les arguments ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat. S’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent alors aux critères établis dans Dunsmuir.

 

 

 

[25]      De plus, on ne s’attend pas à la perfection ni que les motifs soient exhaustifs : «  les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221).

 

[26]      Je suis d’avis que cette obligation a été respectée en l’espèce. Le tribunal a donné des motifs détaillés aux termes desquels il est possible de déceler précisément sur quels éléments repose sa décision. Le simple désaccord de la partie demanderesse avec les conclusions factuelles du tribunal n’équivaut pas à une erreur d’équité procédurale (Sidhu, ci-haut).

 

[27]      Pour le reste, il n’y a rien dans les autres arguments écrits auxquels réfère le procureur de la demanderesse qui m’amène à conclure que la SAI a commis une erreur sujette à révision par cette cour.

 

[28]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[29]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2036-12

 

INTITULÉ :                                      Beti PEREZ ACHAHUE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun                            POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Suzon Létourneau                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun                                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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