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Date : 20120928

Dossier : IMM‑8005‑11

Référence : 2012 CF 1144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

ARIF ZAHERALI HASSANA ALI DHALLA

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen tanzanien. Il est instruit et parle anglais. À l’en croire pourtant, son dossier a été pris en charge par un consultant peu scrupuleux et il a été représenté par un avocat négligent dont il n’avait pas retenu les services. Il décline toute responsabilité en ce qui concerne la situation fâcheuse dans laquelle il se trouve actuellement, et en impute la faute au consultant et à l’avocat.

 

[2]               Voici ce que l’on peut dire avec certitude : le demandeur cherche à faire annuler la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a prononcé le désistement de sa demande d’asile. Presque tout le reste dans ce dossier est sujet à caution, car la preuve est contradictoire, déroutante et suspecte. Dans la section suivante, j’exposerai cette preuve et procéderai à son examen.

 

Contexte

Le demandeur et le consultant

[3]               Le demandeur a produit à l’appui de sa demande un affidavit qui, combiné aux pièces qui y sont jointes et au dossier certifié du tribunal (DCT), fait état de ce qui suit.

 

[4]               Le demandeur déclare : [traduction] « lorsque j’ai présenté ma demande d’asile pour la première fois, j’ai retenu les services d’un conseil, Ademola Oladapo (M. Oladapo), pour me représenter », et d’après ce qu’on lui aurait dit, ce conseil était autorisé à agir en cette qualité; il lui a versé [traduction] « environ 3 000 $ ou 4 000 $ » pour ses services, mais n’a aucun reçu à présenter.

 

[5]               À la rubrique « Déclaration d’un tiers » du formulaire intitulé « DEMANDE D’ASILE AU CANADA » versé au DCT, on peut lire :

Est‑ce qu’une personne vous a aidé à remplir le formulaire? Si oui, celle‑ci doit signer la déclaration suivante.

 

Je, (écrire clairement le nom au complet) Ademola Oladapo, déclare solennellement avoir aidé la personne concernée à remplir avec exactitude le présent formulaire. Cette dernière m’a affirmé, et je crois, qu’elle comprend parfaitement la nature et l’objet de ce formulaire, et je fais cette déclaration solennelle la croyant en conscience vraie et sachant qu’elle a la même force et le même effet que si elle avait été faite sous serment.

 

 

M. Oladapo a coché la case « Consultant » et a signé la déclaration le 13 septembre 2009.

 

[6]               Le 14 octobre 2009, le demandeur a fourni une déclaration portant sa signature, selon laquelle les renseignements contenus dans le formulaire étaient exacts. Le 15 octobre 2009, la Commission lui a envoyé une lettre‑type accusant réception de sa demande d’asile et l’informant qu’il devait lui faire parvenir son formulaire de renseignements personnels (FRP) rempli dans les 28 jours, sans quoi il devait comparaître le 25 novembre 2009 à une audience sur le désistement. La lettre lui expliquait aussi son droit à la représentation juridique en ces termes :

  à vos frais ou par l’entremise de l’Aide juridique si vous y êtes admissible. Pour obtenir des renseignements au sujet de l’Aide juridique, veuillez lire la brochure intitulée Demande d’asile – Aperçu du processus;

  si vous décidez de retenir les services d’un conseil, vous devez le faire immédiatement afin que celui‑ci puisse transmettre votre FRP à la CISR dans le délai prévu et se préparer en vue de votre audience;

  vous devez retenir les services d’un conseil qui pourra transmettre à temps votre FRP à la CISR ou être prêt à poursuivre la procédure à la date d’audience prévue. Sinon, vous devrez retenir les services d’un autre conseil qui pourra le faire;

  si votre conseil fournit ses services contre rémunération, il doit être membre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration pour pouvoir vous représenter devant la CISR;

  si vous (sic) conseil fournit ses services contre rémunération, il doit fournir le numéro de membre et le nom de l’organisation dont il est membre;

  si vous retenez les services d’un conseil après la date fixée pour votre audience, vous devez vous assurer qu’il sera disponible et prêt à poursuivre la procédure à la date prévue;

  vous devez vous assurer que votre conseil sera disponible à la date prévue. La SPR ne changera pas nécessairement la date ou l’heure de l’audience parce que votre conseil ne peut se présenter. Le cas échéant, vous devrez retenir les services d’un nouveau conseil qui sera disponible à la date prévue;

  si vous retenez les services d’un conseil ou si vous changez de conseil, vous devez transmettre à la SPR et à CIC, par écrit et sans délai, les coordonnées du conseil (nom, adresse postale, numéros de téléphone et de télécopieur, adresse électronique, le cas échéant, et si vous (sic) conseil fournit ses services contre rémunération, le numéro de membre et le nom de l’organisation dont il est membre); [non souligné dans l’original]

 

 

[7]               Le FRP a été déposé à temps et le demandeur a signé la déclaration A (puisqu’il n’avait pas besoin de l’assistance d’un traducteur), qui se lit comme suit :

Les renseignements que j’ai fournis dans ce formulaire et tous les documents annexés sont complets, vrais et exacts. Je sais lire [le français] et je suis en mesure de bien comprendre le contenu de ce formulaire et tous les documents annexés. Je sais que ma déclaration a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment.

 

 

[8]               Le FRP contient une section intitulée « Votre conseil » dont la première question est : « Êtes‑vous représenté par un conseil? » La case « non » a été cochée par un X, et le reste de la section où doivent figurer l’adresse et d’autres renseignements détaillés concernant le conseil portait l’inscription « S/O ». Nonobstant le fait qu’il a attesté sous serment que son FRP était complet et exact, le demandeur déclare dans son affidavit : [traduction] « Je viens juste de remarquer que la section relative au conseil n’a pas été remplie. »

 

[9]               D’après le DCT, un formulaire intitulé « AVIS DE CONVOCATION À UNE CONFÉRENCE DE MISE AU RÔLE », daté du 2 mars 2011, a été envoyé par la poste au demandeur (et à nul autre) afin de l’informer de la tenue d’une conférence de mise au rôle le 21 mars suivant. À la fin du formulaire se trouvait la note suivante : « Note : Si vous avez retenu les services d’un conseil, veuillez vous présenter avec une lettre dans laquelle ce dernier confirme que vous avez retenu ses services et qu’il est prêt à commencer l’audience. Cette lettre doit aussi indiquer [au moins six dates] auxquelles le conseil est disponible pour l’audience relative à votre demande d’asile » [non souligné dans l’original].

 

[10]           Le demandeur a assisté seul à la conférence de mise au rôle. Il n’a présenté aucune lettre de la part de son prétendu conseil et la date d’audience relative à sa demande d’asile a été fixée, en sa présence, au 23 juin 2011. D’après la [traduction] « FEUILLE D’INFORMATION RELATIVE À L’AUDIENCE DE MISE AU RÔLE » déposée à la conférence de mise au rôle par le président de l’audience, aucun conseil n’était présent. Le président aurait expliqué au demandeur la définition de réfugié au sens de la Convention, en plus de lui faire part de son droit d’être représenté par un conseil. Sur le formulaire, à la rubrique [traduction] « Commentaires se rapportant à ce qui précède : (efforts effectués pour retenir les services d’un conseil, probabilité que de tels services soient retenus, etc.) », il n’y a aucune mention, et dans son affidavit, le demandeur n’a pas non plus indiqué qu’il avait informé la Commission qu’il était représenté par un conseil.

 

[11]           À la conférence de mise au rôle, le demandeur s’est vu remettre un formulaire intitulé « AVIS DE CONVOCATION PÉREMPTOIRE », l’informant qu’il devait comparaître le 23 juin 2011 à l’audience relative à sa demande d’asile. Ce formulaire contenait aussi la déclaration suivante :

[traduction] Vous devez être présent et prêt à comparaître à l’heure prévue. Si vous ou votre conseil ne comparaissez pas comme prévu, la SPR peut, après vous avoir donné la possibilité raisonnable de vous faire entendre, conclure au désistement de la demande d’asile [non souligné dans l’original].

 

 

[12]           Personne n’a comparu le 23 juin 2011. Le demandeur a expliqué qu’il avait un rendez‑vous chez le médecin ce jour‑là.

[traductionAprès [la conférence de mise au rôle], j’ai malencontreusement pris rendez‑vous chez le médecin pour le 23 juin 2011. Lorsque j’ai reçu l’avis de comparution concernant l’audition de ma demande d’asile fixée au 23 juin 2011, j’ai donné des instructions à Oladapo. Ce dernier m’a assuré qu’il ne serait pas difficile de fixer une nouvelle date d’audience. Je lui ai remis la note du médecin se rapportant au rendez‑vous et il m’a donné l’assurance qu’il se présenterait à l’audience pour en faire reporter la date en mon nom, et je l’ai cru. Je n’ai pas conservé de copie de la note. J’aimerais souligner que je me serais certainement présenté si j’avais su qu’un rendez‑vous chez le médecin n’était pas un motif valable pour fixer une nouvelle date d’audience [non souligné dans l’original].

 

 

[13]           La preuve objective dont dispose la Cour contredit la partie soulignée de la déclaration sous serment du demandeur. Il atteste avoir pris son rendez‑vous chez le médecin après la conférence de mise au rôle et ne s’être rendu compte du conflit de date qu’au moment de recevoir l’avis de convocation; cependant, ce formulaire fait foi qu’il en a personnellement reçu signification à la conférence de mise au rôle. Par conséquent, contrairement à ce qu’il affirme dans son affidavit, le demandeur connaissait la date de l’audience avant d’avoir pris le prétendu rendez‑vous chez le médecin.

 

[14]           Comme le demandeur n’a pas comparu, la Commission lui a envoyé par la poste, le 23 août 2011, un avis l’informant qu’une audience de justification aurait lieu le 5 octobre suivant. Le demandeur reconnaît qu’il a reçu l’avis en question, mais qu’une fois de plus il ne s’est pas présenté. Il affirme qu’il avait de nouveau un rendez‑vous chez le médecin :

[traduction] Malheureusement, j’avais aussi un rendez‑vous chez le médecin le 5 octobre 2011. Lorsque j’ai reçu l’avis de convocation pour cette même date, j’ai parlé à Oladapo et lui ai remis la note du médecin se rapportant à ce rendez‑vous. Il m’a de nouveau assuré qu’il se présenterait en mon nom et que le report de l’audience ne poserait aucun problème; je l’ai cru.

 

Je dois ajouter qu’à ce moment‑là, j’ignorais qu’Oladapo n’avait pas comparu à l’audience du 23 juin. Si je l’avais su, j’aurais immédiatement retenu les services d’un nouveau conseil et me serais certainement présenté à l’audience du 5 octobre pour expliquer tout ceci.

 

 

[15]           Cette explication n’est pas crédible. Le demandeur ne pouvait pas croire que son rendez‑vous chez le médecin permettrait de reporter l’audience prévue pour octobre puisque le même motif n’avait pas suffi pour faire reporter celle de juin. À tout le moins, le demandeur aurait dû s’interroger sérieusement sur les mesures prises par son consultant pour faire reporter l’audience ou justifier ses rendez‑vous chez le médecin. Si l’on en croit le demandeur, il a tout simplement pris ce que M. Oladapo lui a dit comme argent comptant et n’a eu aucun des doutes qu’une personne raisonnable ou consciencieuse aurait eus, compte tenu de ce qui s’était passé jusque-là.

 

[16]           Personne n’a comparu à l’audience de justification du 5 octobre 2011 et la Commission a prononcé le désistement de la demande d’asile. Un avis de désistement daté du 13 octobre 2011 a été envoyé au demandeur; les motifs écrits ont été communiqués ensuite, le 4 janvier 2012, jour où la présente demande a été introduite.

 

[17]           Le demandeur déclare qu’il a été « choqué » d’apprendre le désistement de sa demande d’asile. Une fois de plus, il s’est adressé à M. Oladapo, qui lui a affirmé qu’il déposerait un [traduction] « appel devant la Cour fédérale, ce qu’il a fait apparemment », en référence à la présente demande. À première vue, l’adresse de signification du demandeur figurant dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est la suivante : [traduction] « Arif Zaherali Hassan Dhalla, 2413, avenue Islington, appartement 604, Etobicoke (Ontario) M3W 3X6. Numéro de téléphone 416‑802‑1463 et numéro de télécopieur 416‑746‑4080. » La Cour constate que c’est l’adresse que M. Oladapo a fournie comme étant la sienne dans la déclaration qu’il a faite dans le FPR. Il ne s’agit ni de l’adresse ni du numéro de téléphone du demandeur.

 

[18]           C’est à ce moment‑là que le demandeur a retenu les services du cabinet d’avocats qui le représente désormais. Il affirme que son avocat a appelé M. Oladapo en sa présence pour lui demander ce qui s’était passé aux audiences. Le demandeur atteste ce qui suit :

[traduction] Oladapo a déclaré qu’il avait transmis mes avis médicaux par télécopieur à la SPR. Il a consenti à me voir le 6 décembre 2011 à son appartement (c’est toujours là que je le rencontrais) pour me remettre une copie de mon dossier, y compris la correspondance avec la SPR. Il m’a demandé de l’appeler pour confirmer ce rendez‑vous.

 

Les 6 et 7 décembre 2011, je l’ai appelé au même numéro que [mon avocat] avait composé, mais il n’a pas répondu et sa messagerie vocale était pleine.

 

 

[19]           L’avocat du demandeur a donc déposé devant la Commission une demande fondée sur les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et a reçu, le 1er décembre 2011, des copies de tous les documents se rapportant au demandeur qui se trouvaient dans les dossiers de la Commission (la divulgation au titre de l’AIPRP). Plutôt que de résoudre les difficultés, cette divulgation en a soulevé davantage.

 

[20]           La première difficulté que soulève le demandeur concerne deux lettres médicales.

 

[21]           La première de ces lettres contenues dans le dossier de la Commission est celle d’un dentiste, portant mention qu’elle a été reçue par la Commission le 23 juin 2011 vers 13 h 40, après l’arrêt de l’audience relative à la demande d’asile pour défaut de comparution. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’un faux :

[traduction] Cette lettre n’est pas celle que j’ai remise à Oladapo, c’est la première fois que je la vois et je ne reconnais pas le nom du prétendu auteur ou du centre dentaire. Il s’agit manifestement d’un faux produit par quelqu’un d’autre.

 

 

[22]           Dans ses observations orales, le demandeur soutient que le niveau de langue de la lettre est si pauvre qu’il est évident qu’elle n’a pas été écrite par un dentiste. Cette lettre du Dr Neelum Jamal, du Midtown Dental Centre, datée du 22 juin 2011, et adressée à qui de droit, est textuellement reproduite ci‑dessous :

[traduction
Le 22 juin 2011.

 

Monsieur, Madame,

 

À QUI DE DROIT

 

Le patient susnommé du nom de Arif Zaherali H Dhalla souffre actuellement de douleurs dentaires et subira des traitements à notre centre dentaire; ces soins nécessiteront quelques jours de congé.

 

La présente demande découle du fait qu’il doit subir une intervention de traitement de canal pour ses dents. Un traitement endodontique s’impose en raison d’une infection due à des caries qui affectent sa dent en profondeur.

 

Je vous remercie à l’avance pour votre aide et votre coopération à l’égard du patient susnommé.

 

Cordialement,

 

Dr Neelum Jamal.

 

 

[23]           Le deuxième document médical contenu dans le dossier de la Commission est une lettre d’un médecin que la Commission a reçue le 6 octobre 2011, vers 9 h; le demandeur affirme qu’il s’agit aussi d’un faux :

[traduction] Je n’ai jamais vu ce bordereau de télécopie ou cette note médicale auparavant. Ce bordereau n’est pas de moi, et ce n’est pas mon écriture. La note médicale – qui ressemble à ce que je vois à la fausse note médicale du 23 juin – ne me concerne pas et le prétendu auteur n’est pas mon médecin. Il s’agit aussi manifestement d’un faux. C’est la première fois que je vois cette note et j’en suis choqué.

 

 

[24]           Cette lettre du Dr Hank C. Lee de la Regent Medical Clinic, datée du 5 octobre 2011, est adressée à qui de droit et reproduite textuellement ci‑dessous :

[traduction
Le 5 octobre 2011.

 

Monsieur, Madame,

 

À QUI DE DROIT

 

Le patient susnommé du nom de Arif Zaherali H Dhalla souffre actuellement de migraines causées par une activité cérébrale anormale provoquée par le stress, certains aliments, des facteurs environnementaux, et il nécessitera quelques jours de congé.

 

Sa crise migraineuse peut avoir été déclenchée par un stress physique ou émotionnel, le tabagisme ou l’exposition à la fumée, des réactions allergiques, des bruits forts, certaines odeurs ou parfums ou par le fait d’avoir sauté des repas.

 

Je recommande par conséquent que le patient subisse un tomodensitogramme ou un EEG pour exclure les crises convulsives.

 

Je vous remercie à l’avance pour votre aide et votre coopération à l’égard du patient susnommé.

 

Cordialement,

 

Dr Hank C. Lee.

 

 

[25]           La Cour convient avec le demandeur qu’il existe entre ces lettres des similitudes remarquables. Le format est le même, la première ligne est identique – notamment en ce qui a trait au caractère inhabituel de la présentation et au soulignement du nom du demandeur, le dernier paragraphe est le même et les fautes de grammaire dans la formule de salutation (en anglais) sont identiques. Ces deux documents sont extrêmement suspects et, à mon avis, ce sont des faux.

 

Le demandeur et l’avocat

[26]           Le demandeur fait valoir que le deuxième problème lié à la divulgation au titre de l’AIPRP a trait au fait que, d’après les dossiers de la Commission, il a été représenté à un moment donné par un avocat dénommé MAdetayo G. Akinyemi. Il déclare ce qui suit dans son affidavit : [traduction] « Je ne sais absolument pas qui est cette personne, et ne l’ai jamais rencontrée. » Il prétend également avoir déposé une plainte auprès du Barreau du Haut‑Canada au sujet de Me Akinyemi, et joint en pièce à son affidavit une copie de cette lettre. Le ministre a indiqué, assez justement, que rien dans l’affidavit ou ailleurs n’indique que cette plainte a été déposée ou qu’elle est actuellement examinée par le Barreau.

 

[27]           Les choses en étaient là jusqu’à quelques minutes avant l’audition de la présente demande, lorsqu’une lettre de Me Akinyemi, datée du 20 septembre 2012, adressée au juge chargé de l’instruction de l’audience ainsi qu’à l’avocat du demandeur, nous est parvenue. La Cour a appris à l’audience que l’avocat du défendeur avait communiqué avec Me Akinyemi, ce qui l’avait apparemment amené à écrire ce qui suit :

[traduction] Je suis un avocat en immigration exerçant à Toronto, je représente et continuerai de représenter des clients devant la Cour fédérale.

 

Je fais parvenir la présente déclaration écrite à cette honorable Cour afin de m’assurer que ma réputation ne soit pas ternie, puisque je n’ai pas l’intention de m’exprimer sur le fond du dossier de ce demandeur.

 

Je NE connais PAS et n’ai jamais rencontré M. Ali Dhalla, ce qui ressort clairement du contenu de son affidavit daté du 7 décembre 2011, en particulier l’alinéa 16a) (copie de l’affidavit jointe).

 

Par ailleurs, je ne connais pas d’Ademola Oladapo et n’ai jamais eu d’employé ou de représentant portant ce nom.

 

En fait, dans sa plainte adressée au Barreau, M. Dhalla pense que je suis une femme, ce qui n’est pas le cas (copie de la plainte jointe).

 

Par ailleurs, dans son FRP, le demandeur d’asile n’a pas indiqué qu’il était représenté par un conseil (copie du FRP jointe).

 

J’ai appris pour la première fois l’existence de M. Dhalla lorsque la Commission du statut de réfugié m’a fait parvenir des documents à divulguer concernant ce client, en me désignant comme son conseil, ce qui était manifestement une erreur.

 

En recevant ce message, j’ai craint d’avoir égaré ou oublié le dossier d’un de mes clients et j’ai immédiatement donné comme instruction à mon assistante, Mme Anyudy Urena, de demander par écrit à la Commission du statut de réfugié des copies du FRP de ce client, de manière à ce que je puisse effectuer un suivi, étant donné que le nom de M. Dhalla ne figurait pas sur la liste de mes clients. (Copie de la lettre adressée par mon assistante à la Commission ci‑jointe.)

 

En dépit de cette lettre envoyée à la Commission, je n’ai jamais reçu de copie du FRP du client, et lorsque mon assistante a contacté la Commission pour demander si mon nom figurait sur le FRP, on lui a répondu que ce n’était pas le cas.

 

J’ignore de quels renseignements ou documents la Commission du statut de réfugié s’est servie pour me contacter; conformément à mes instructions, mon assistante a notifié à la Commission que je n’étais pas le conseil de cet individu, dans l’espoir que le bureau corrige toute erreur d’envoi.

 

Il est assez troublant que M. Ali Dhalla ait pris des « rendez‑vous » chez le médecin les deux jours où il devait assister à son audience, surtout après l’épisode du 23 juin 2011 et la lettre subséquente du 23 août de la CISR. C’est à la Cour fédérale qu’il appartient de trancher cette question lorsqu’elle statuera sur sa demande d’autorisation.

 

Quant à l’erreur commise par la Section du rôle de la CISR, je n’ai pas préparé le moindre document concernant le dossier de M. Dhalla en son nom, et je demande instamment à cette honorable Cour de me donner raison en conséquence.

 

Je soumets respectueusement tout ceci à votre attention.

 

Fait le 20 septembre 2012

Veuillez agréer mes sincères salutations.

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

 

 

[28]           Le demandeur a suggéré à l’audience que la lettre de Me Akinyemi contenait de fausses déclarations puisqu’il prétend avoir entendu parler de lui pour la première fois lorsque la Commission lui a fait parvenir les documents à divulguer, mais ceux‑ci ont été reçus des mois après qu’il eut demandé par écrit à la SPR de lui communiquer le FRP du demandeur. Après avoir examiné attentivement le dossier, la Cour est convaincue que l’observation est inexacte et qu’elle repose sur une mauvaise compréhension de la preuve. Deux séries de documents à divulguer ont été transmises à Me Akinyemi; la première ne lui est parvenue que quelques jours avant qu’il n’envoie sa lettre à la Commission. Néanmoins, la question de savoir s’il s’est occupé de la demande d’asile du demandeur et dans quelles circonstances, et celle qui concerne la nature de sa participation, le cas échéant, demeurent mystérieuses et en appellent d’autres.

 

[29]           Le DCT et la divulgation au titre de l’AIPRP contenaient les communications suivantes émanant de la Commission et de Me Akinyemi.

 

[30]           La première référence à Me Akinyemi se trouve dans un document interne de la Commission, la déclaration de signification, suivant laquelle la Commission a signifié, le 2 mai 2011, les documents habituels à divulguer sur la Tanzanie, datés du 27 avril 2011, au « conseil », soit Me Akinyemi. Aucun des dossiers n’indique que la Commission a été informée par quiconque qu’il représentait le demandeur. Je soupçonne fortement qu’il s’agit d’une erreur administrative de la part d’un agent de la Commission.

 

[31]           Les documents transmis à Me Akinyemi lui ont fait craindre, comme il l’explique dans sa lettre, d’avoir oublié ou égaré le dossier d’un client. Par conséquent, sa secrétaire a écrit à la Commission à sa demande. Cette lettre/télécopie d’une page datée du 6 mai 2011 mentionne le numéro de dossier du demandeur à la Commission et se lit comme suit : [traduction] « Ayez l’obligeance d’envoyer une copie du formulaire de renseignements personnels de mon client à l’adresse susmentionnée. »

 

[32]           Me Akinyemi indique n’avoir jamais reçu le FRP demandé, et son assistante a été correctement informée, en faisant son suivi, qu’il n’était pas nommé sur le FRP du demandeur comme son conseil. Cependant, la copie de sa lettre/télécopie figurant dans les documents divulgués par la Commission au titre de l’AIPRP porte une inscription manuscrite estampillée du 17 mai 2011, qui semble se lire comme suit : [traduction] « Copie du FRP [?BC NCR?] envoyée au conseil. Jessie. » Les lettres entre crochets entourées de points d’interrogation sont celles que j’ai réussi à déchiffrer. Cette note peut ou non indiquer que Jessie a envoyé le FRP à Me Akinyemi – seule Jessie le sait.

 

[33]           Me Akinyemi ajoute qu’il ignorait sur quoi la Commission s’était fondée pour lui envoyer les documents à divulguer, mais qu’il avait demandé à son assistante de communiquer avec la Commission pour lui notifier qu’il n’était pas le conseil du demandeur. Je n’ai aucune raison de douter de ce que dit Me Akinyemi, mais j’aimerais faire remarquer que la Cour ne dispose d’aucun document qui confirme objectivement l’existence d’une telle communication émanant de son bureau. Quoi qu’il en soit, il appert qu’à partir de ce moment, la Commission a parfois considéré, mais pas toujours, que le demandeur n’avait pas de conseil.

 

[34]           La Cour fait remarquer, par exemple, que sur la feuille d’information préparée à l’intention du commissaire en vue de l’audience du 23 juin 2011, il est indiqué que le demandeur n’a [traduction] « Pas de conseil ». Le relevé de décision de la SPR se rapportant à cette audience nous apprend la même chose. Par ailleurs, dans ce qui ressemble aux notes préparatoires du commissaire en vue de l’audience du 23 juin 2011, on trouve la mention : [traduction] « Pas de conseil – rien au dossier ».

 

[35]           Cependant, d’autres documents versés par la suite au DCT et faisant partie des documents divulgués au titre de l’AIPRP indiquent que la Commission considérait que Me Akinyemi était le conseil du demandeur, et en particulier les suivants :

  • un formulaire de demande de remise au rôle pour les audiences remises/ajournées, daté du 24 juin 2011, désigne Me Akinyemi comme le conseil, et contient son numéro de téléphone et une note sous la rubrique des instructions spéciales selon laquelle le 27 juin 2011, un représentant de la Commission [traduction] « a parlé avec le conseil » qui a accepté que l’affaire soit mise au rôle le 5 octobre 2011 à 13 h;
  • le 23 août 2011, le greffe de la Commission a envoyé un avis de convocation relatif à l’audience de justification, qui devait avoir lieu le 5 octobre 2011, au demandeur et à Me Akinyemi en qualité de [traduction] « conseil du demandeur d’asile »;
  • Le nom de Me Akinyemi figure à titre de conseil au dossier sur le formulaire de la Commission préparé à l’intention du commissaire en vue de l’audience de justification qui devait avoir lieu le 5 octobre 2011, ainsi que sur le relevé de décision de la SPR;
  • une déclaration de signification de la Commission atteste que le 1er septembre 2011, Me Akinyemi a reçu signification des documents habituels à divulguer sur la Tanzanie datés du 31 août 2011;
  • le formulaire d’envoi/de déclaration de signification daté du 13 octobre 2011 indique que la Commission a signifié et au demandeur et à Me Akinyemi sa décision de prononcer le désistement de la demande d’asile.

 

Question en litige

[36]           Le demandeur soulève une seule question : ses conseils, M. Oladapo et/ou Me Akinyemi, ont‑ils agi de manière incompétente ou malhonnête, et entraîné le désistement de sa demande d’asile au mépris de l’équité procédurale et de la justice naturelle?

 

Analyse

[37]           Le demandeur et Me Akinyemi conviennent tous deux que Me Akinyemi n’a jamais été embauché par le demandeur et qu’il n’a jamais agi en son nom. Je suis convaincu que les documents de la Commission indiquant qu’il était son conseil trahissent une erreur administrative de sa part. Le document attestant que l’un des employés de la Commission a discuté avec Me Akinyemi de la mise au rôle de l’audience de justification est plus problématique. Si cette conversation a bien eu lieu, je suis disposé à accepter, en l’absence de preuve à l’effet contraire, que Me Akinyemi n’a pas réalisé que l’affaire concernait l’appelant et non l’un de ses clients. C’est là un élément que la Commission pourrait se proposer d’éclaircir; cependant, que l’échange rapporté ait eu lieu ou non, il n’a rien à voir avec le fait que le demandeur n’a pas comparu à l’audience de justification. Il en connaissait la date, mais ne s’est pas présenté.

 

[38]           Le demandeur soutient que la négligence ou la conduite malhonnête d’un conseil peut contrevenir à la justice naturelle. Dans certains cas exceptionnels et appropriés, il est possible d’échapper aux conséquences de la conduite de son propre conseil. Cependant, comme l’a justement fait remarquer le demandeur dans son exposé des arguments, la Cour a récemment déclaré que « la négligence d’un avocat ne devrait pas causer préjudice au demandeur qui a agi avec prudence » [non souligné dans l’original] : Unetelle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 284, par. 28.

 

[39]           Une des choses dont je suis certain est que le demandeur n’a pas démontré qu’il avait agi avec prudence avant le prononcé du désistement.

 

[40]           L’histoire que le demandeur raconte au sujet de M. Oladapo n’est tout simplement pas crédible. Rien dans la preuve n’indique que le demandeur a fait appel à M. Oladapo pour autre chose que l’aider à présenter sa demande d’asile initiale. Je ne crois pas que ce dernier ait accepté d’agir en qualité de conseil à l’audience et que le demandeur n’ait remarqué que son nom ne figurait pas dans le FRP que lorsqu’il en a reçu une copie avec les documents divulgués au titre de l’AIPRP. Le demandeur s’est présenté seul à la conférence préparatoire, et bien qu’il ait été informé de son droit d’être représenté par un conseil, il n’a rien fait alors ou par la suite pour informer la Commission qu’il en avait déjà engagé un. Si, comme il le prétend, il était représenté par un conseil, il n’a pas expliqué pourquoi il ne l’a jamais signalé à la Commission.

 

[41]           Par ailleurs, je ne crois pas qu’il ait pris par mégarde deux rendez‑vous chez le médecin coïncidant avec la date de l’audience relative à sa demande d’asile et celle de l’audience de justification. J’ai déjà relevé cette contradiction dans sa preuve par affidavit quant à la date du premier rendez‑vous et la date fixée pour l’audience. Je trouve également significatif qu’il n’ait fourni aucune explication quant à l’objet ou à la nature de ses deux prétendus rendez‑vous chez le médecin, sans parler des documents à l’appui. Il n’est pas retourné chez les médecins qu’il avait soi‑disant consultés pour obtenir des notes d’excuse, ni produit le moindre document pour confirmer qu’il s’était effectivement présenté à ces rendez‑vous. Plus significativement, si le demandeur avait remis à M. Oladapo des billets de médecin authentiques, la raison qui aurait poussé ce dernier à fabriquer d’autres billets à l’intention de la Commission reste inexpliquée. Je ne crois pas que le demandeur pensait obtenir un ajournement parce qu’il avait un rendez‑vous chez le médecin à la même date, compte tenu des mises en garde explicites contenues dans les avis de la Commission selon lesquelles le désistement de la demande d’asile pouvait être prononcé en cas de non‑comparution. Même si je devais lui accorder le bénéfice du doute pour le premier épisode, il est tout simplement incroyable que le demandeur se soit imaginé obtenir un ajournement la deuxième fois alors qu’on le lui avait refusé la première fois.

 

[42]           Je ne crois pas le demandeur lorsqu’il assure qu’il ignorait que M. Oladapo n’avait pas comparu à l’audience de juin 2011, puisqu’il reconnaît avoir reçu un avis à cet effet. Je ne puis croire qu’une personne raisonnable aurait, encore et encore, continué à faire appel à M. Oladapo, et à se fier à lui au mépris du bon sens et des instructions que la Commission lui avait remises.

 

[43]           Même si je croyais l’histoire du demandeur – ce qui n’est pas le cas – la seule conclusion possible est qu’il s’est montré tout sauf « consciencieux » dans la poursuite de sa demande d’asile. Il n’a pas cherché à déplacer ses prétendus rendez‑vous chez le médecin. Il n’a pas lu les instructions claires que la Commission lui a communiquées à plusieurs occasions. Il n’a pas interrogé M. Oladapo après avoir reçu l’avis de désistement, ni pris de précautions supplémentaires. Franchement, rien ne suggère qu’il ait jamais agi consciencieusement pour faire valoir sa demande d’asile.

 

[44]           En bref, je conclus que le demandeur, et personne d’autre, est responsable de la déclaration portant désistement. Il est l’auteur de sa propre infortune. La décision de la Commission est raisonnable et juste.

 

[45]           Aucune partie ne propose de question à certifier.

 

[46]           J’ordonne au greffe de la Cour d’envoyer des copies du présent jugement et des motifs qui l’accompagnent à Me Akinyemi de même qu’au président de la Commission, pour leur information et dans l’espoir que chacun prenne les mesures correctives qu’il jugera nécessaires pour empêcher qu’une telle situation ne se reproduise.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑8005‑11

 

INTITULÉ :                                                  ARIF ZAHERALI HASSANA ALI DHALLA c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 28 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Sandaluk

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann, Sandaluk & Kingswell, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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