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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20121023

Dossier : IMM-2127-12

Référence : 2012 CF 1214

Ottawa (Ontario), ce 23e jour d’octobre 2012

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

GAEL MUTANDA MBIKAYI

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, d’une décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) en date du 6 février 2012. L’agent a refusé la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire de Gael Mutanda Mbikayi (le demandeur).

 

[2]          Le demandeur est originaire de la République démocratique du Congo et est au Canada depuis 1996.

 

[3]          Le demandeur reproche principalement à l’agent de ne pas avoir appliqué le bon critère pour apprécier l’intérêt supérieur de ses trois enfants âgés respectivement de 9 mois, six ans et huit ans. Pour bien apprécier cet argument, il importe de reproduire ici intégralement la partie pertinente de la décision en cause :

Les enfants canadiens du demandeur ont maintenant cinq et trois ans. Le demandeur soumet une preuve que son épouse est enceinte et qu’elle attend un nouveau bébé.

 

Le demandeur soumet des lettres de l’école pré-maternelle de ses enfants et une lettre d’acceptation à une nouvelle école. Dans une lettre, datée du 24-5-2011, d’une école que son fils fréquentait trois fois par semaine, la directrice écrit que le demandeur est un papa très présent et impliqué dans la vie scolaire de son enfant, il conduit chaque matin son fils et il participe à toutes les activités parascolaires et assiste aux rencontres de parents auxquelles il est convoqué. Malgré le fait que ces documents montrent que le demandeur est impliqué dans le soin de ses enfants et que son absence peut causer une difficulté pour sa famille et ses enfants, ils ne montrent pas que son départ du Canada ou son absence causera une difficulté démesurée.

 

Je note que l’épouse n’a pas suffisamment expliqué comment le demandeur est impliqué dans la vie de ses enfants afin de montrer que son absence causera une difficulté démesurée pour ses enfants.

 

Je note que le demandeur a déjà passé approximativement huit mois en détention au Canada en relation avec des infractions criminelles, soit en détention préventive attendant des procès ou des sentences ou en purgeant une sentence d’emprisonnement. De plus en commettant plusieurs infractions criminelles au Canada, le demandeur, sans statut au Canada, s’est exposé à une expulsion du Canada. Le demandeur n’a pas adéquatement expliqué comment ces infractions criminelles commises étaient hors de son contrôle. Malgré le fait que les infractions ont été commises avant la naissance de son premier enfant en 2006, selon ses propres renseignements soumis sur les infractions criminelles, il a commis une entrave d’un policier, le 2-6-2006, après son mariage à son épouse actuelle. Le demandeur a été condamné criminellement pour cette infraction.

 

Le demandeur n’a pas expliqué adéquatement comment les autres membres de sa famille au Canada, par exemple sa mère, ses frères ou ses sœurs ne peuvent fournir une aide appropriée aux enfants du demandeur s’il est obligé de quitter le Canada. Par conséquent, malgré le fait que le demandeur s’implique dans la vie de ses enfants et son absence peut causer une difficulté, le demandeur n’a pas suffisamment montré que son départ du Canada causera une difficulté démesurée pour ses enfants canadiens.

                                                (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[4]          Il m’apparaît évident de la décision de l’agent que celui-ci n’a pas correctement considéré l’intérêt supérieur des enfants pour supporter cette conclusion. Les propos suivants de mon collègue le juge Michael L. Phelan dans la décision Sahota et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 739, s’appliquent bien au présent cas :

[7]     La norme de contrôle applicable en général aux décisions relatives à des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est la raisonnabilité (Singh Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 518). Par contre, c’est la décision correcte qui s’applique comme norme aux questions relatives au bon critère juridique appliqué et à l’équité procédurale (Gurshomov c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1212).

 

[8]     L’analyse de l’« intérêt supérieur de l’enfant » par l’agent est mal fondée en droit. L’agent a perverti l’analyse et a appliqué le mauvais critère juridique en imposant le fardeau de démontrer des « difficultés excessives », plutôt que d’appliquer le critère de l’« intérêt supérieur », qui s’imposait selon l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475. Bien que la question des « difficultés excessives » se pose en dernière analyse dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’analyse de l’« intérêt supérieur » constitue une considération distincte. L’agent a omis de préserver la distinction entre ces deux questions, de sorte que son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants est déraisonnable.

 

 

[5]          Ma collègue madame la juge Anne Mactavish a tenu des propos semblables dans Beharry et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 110 :

[11]     Le premier réside dans le critère ou les critères que l’agent semble avoir utilisés pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants. À différents endroits dans son analyse, l’agent a traité de l’intérêt supérieur des enfants en se demandant si les enfants seraient confrontés à des difficultés « inhabituelles, injustifiées et excessives » s’ils étaient contraints à retourner en Guyane. Toutefois, ce critère n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants : voir Arulraj c. Canada (MCI), 2006 CF 29, [2006] A.C.F. no 672 (QL) et Hawthorne c. Canada (MCI), 2002 CAF 475, 297 N.R. 187, paragraphe 9.

 

[12]     Je suis consciente du fait que le simple emploi de l’expression « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » dans le contexte d’une analyse de l’intérêt supérieur des enfants ne rend pas automatiquement une décision CH déraisonnable. L’utilisation de l’expression suffirait toutefois s’il était clair à la lecture de la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et a procédé à une analyse adéquate : Segura c. Canada (MCI), 2009 CF 894, [2009] A.C.F. n°1116 (QL), paragraphe 29.

 

[13]     Il est loin d’être clair que l’agent a appliqué le bon critère en l’espèce. En plus de l’emploi répété de l’expression [traduction] « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans son l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a également examiné leur situation pour voir s’ils étaient confrontés à une [traduction] « situation exceptionnelle » ou une [traduction] « circonstance inhabituelle qui pourrait justifier de lever tout ou partie des critères applicables ». Aucun de ces critères n’est approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants.

 

 

 

[6]          Je suis donc d’accord avec le défendeur que le simple emploi de l’expression « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » ou de l’expression « difficulté démesurée » dans le contexte d’une analyse de l’intérêt des enfants ne vicie pas, en soi, la décision s’il est clair, à la lecture de celle-ci, que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse adéquate, comme nous enseigne l’arrêt Segura c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 894.

[7]          Toutefois, dans le présent cas, ce n’est pas en raison d’une absence ou d’une insuffisance de preuve reliée à l’intérêt supérieur des enfants, comme le plaide le défendeur, que l’agent peut être considéré comme ayant correctement ou même raisonnablement considéré l’intérêt supérieur de ceux-ci. L’extrait ci-dessus de sa décision montre clairement, et ce à plus d’une reprise, que l’agent requérait une preuve suffisante pour lui permettre de conclure à « une difficulté démesurée » résultant aux enfants de l’absence de leur père. D’aucune autre façon l’agent s’interroge-t-il sur l’intérêt supérieur des enfants face à la preuve, même limitée, qui lui a été présentée.

 

[8]          En vue de ma conclusion sur cette question concernant l’intérêt supérieur des enfants, il n’est pas nécessaire de considérer les autres arguments soulevés par le demandeur.

 

[9]          Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire, retournée pour être reconsidérée par un autre agent d’immigration.

 

[10]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision rendue le 6 février 2012 par J. Gullickson, agent d’immigration, Citoyenneté et Immigration Canada, est annulée et l’affaire est retournée pour être reconsidérée par un nouvel agent d’immigration.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2127-12

 

INTITULÉ :                                      GAEL MUTANDA MBIKAYI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patil Tutunjian                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Lisa Maziade                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés Inc.                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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