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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20121023

Dossier : IMM-1136-12

Référence : 2012 CF 1211

Ottawa (Ontario), ce 23e jour d’octobre 2012

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Maria Isabel RUIZ COTO

Leslye Josefina MONTERO RUIZ

 

Demanderesses

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’Anna Brychcy, membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Le tribunal a rejeté la demande d’asile de Maria Isabel Ruiz Coto et de Leslye Josefina Montero Ruiz (les demanderesses), concluant qu’elles n’avaient pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]          La demanderesse principale, Maria Isabel Ruiz Coto, est âgée de 32 ans et est née dans l’État de Veracruz, au Mexique. La seconde demanderesse, la fille de madame Coto, Leslye Josefina Montero Ruiz, est âgée de 10 ans. À l’audience devant le tribunal, la demanderesse principale a été nommée représentante désignée de sa fille.

 

[3]          Avant de procéder à la considération des faits et d’évaluer la crédibilité de la demanderesse principale, le tribunal a dit avoir soigneusement examiné les directives du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[4]          Suite à l’analyse de toute la preuve au dossier, le tribunal a estimé que la demanderesse n’avait ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention », ni celle de « personne à protéger ».

 

[5]          Le tribunal a bien accepté les prétentions de la demanderesse à l’effet qu’elle avait été victime de violence dans le passé. Toutefois, la question déterminante pour ce dernier était celle reliée à la protection de l’État. Le tribunal a estimé que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État au Mexique, dans l’État de Veracruz, où elle résidait, et que des efforts avaient été faits pour assurer sa protection.

 

[6]          Tant la demanderesse que le défendeur s’accordent à l’effet que la norme de contrôle applicable au niveau du caractère suffisant de la protection de l’État est la norme de la décision raisonnable, vu qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait (voir Hinzman c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, [2007] 1 R.C.F. 561 au para 199 et Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 47 [Dunsmuir]).

 

[7]          J’ajouterai toutefois que cette cour doit faire preuve de déférence et exercer une grande retenue (Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 565) en déterminant si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles, « appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus). Il ne revient pas à cette cour de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal (Zrig c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761 au para 42).

 

* * * * * * * *

 

[8]          Le tribunal ayant accepté que la demanderesse ait été victime de violence par le passé, la question déterminante en l’espèce concerne donc strictement la protection de l’État.

 

[9]          En l’absence de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a une présomption à l’effet que l’État est en mesure de défendre ses citoyens. Cette « présomption sert à renforcer la raison d’être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d’aucune solution de rechange ». Ainsi, la responsabilité de la sécurité du réfugié repose en premier lieu sur l’État dont il est citoyen (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 à la page 726).

 

[10]      Je fais miennes les prétentions du défendeur selon lesquelles la Cour d’appel fédérale nous a rappelé dans l’affaire Carrillo c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636 [Carrillo] que la démocratie fonctionne au Mexique et qu’il y existe une forte présomption de capacité de protection étatique. Même si la situation n’est pas parfaite, le Mexique est un pays démocratique pouvant offrir, du moins en certaines circonstances, une protection à ses citoyens.

 

[11]      La demanderesse avait donc le fardeau de démontrer par une preuve claire et convaincante l’insuffisance ou l’inexistence de ladite protection et ce, selon la prépondérance des probabilités. Elle se devait de démontrer qu’elle avait offert à son pays la possibilité réelle d’intervenir, avant de pouvoir légitimement en déduire que celui-ci n’était pas en mesure de lui fournir la protection requise (Hinzman et al. c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1).

 

[12]      La présente cause se distingue de l’affaire Capitaine c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 98, à laquelle réfère la demanderesse, et ce, à plusieurs égards. Notamment, la présente demanderesse n’a pas cherché à s’établir dans un autre État au Mexique avant de demander le statut de réfugié au Canada. De plus, aucune preuve ne tend à démontrer qu’aucun autre État – ou même ville – au Mexique n’aurait pu la protéger. Il a même été raconté par la demanderesse que sa mère avait dû déménager dans une autre ville au Mexique suite aux menaces de son agresseur, M. Valencia, et que, suite à ce déménagement, sa mère n’avait plus reçu de menaces.

 

[13]      Je suis donc d’avis que la présente cause s’apparente plutôt à l’affaire Carrillo, ci-dessus (voir aussi Martinez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 1200 et Fuentes c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 457).

 

[14]      De plus, bien que la demanderesse ait prétendu que la police mexicaine était corrompue et qu’elle acceptait des pots-de vin, aucune preuve convaincante ne permet d’établir que ce fut ici le cas.

 

[15]      Faut-il souligner que le refus d’agir de certains policiers ne rend pas en soi l’État incapable de protéger ses citoyens. La demanderesse se devait d’aller plus loin que d’invoquer l’inaction de la police (voir la décision de la Cour d’appel fédérale dans Kadenko c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1996] A.C.F. no 1376, 206 N.R. 272).

 

[16]      Lorsque la demanderesse s’est adressée aux autorités compétentes et suite à son refus d’assister à une audience de confrontation, elle a été dirigée vers un refuge pour femmes battues. Un avocat, un  psychologue ainsi qu’un travailleur social ont été affecté à son cas. Tout cela démontre un effort de l’État mexicain de vouloir prendre son cas en main.

 

[17]      La demanderesse aurait quitté le refuge à l’encontre de l’avis des professionnels, fait qu’elle aurait omis de déclarer dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels.

 

[18]      Tout cela confirme le bien-fondé de l’avis du défendeur à l’effet que le tribunal était justifié d’accorder davantage de poids à la preuve documentaire démontrant que des organisations étaient vouées à la protection des femmes dans l’État de Veracruz, qu’il existait des lois pour la protection des femmes au Mexique et que ce pays fait des efforts réels pour protéger les femmes (Biachi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 589 aux para 13-14).

 

[19]      Il convient de rappeler, comme le soutient le défendeur, que l’évaluation de la preuve et de la protection effective que peut recevoir un citoyen dans son propre pays appartient au tribunal, spécialisé. Il ne revient pas à cette cour de se substituer au tribunal à cet égard (Navarro c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 358 au para 18).

 

[20]      En ce qui concerne la suffisance des motifs, suivant l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 :

Il n’est pas nécessaire que les motifs fassent référence à tous les arguments ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat. S’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent alors aux critères établis dans Dunsmuir.

 

 

 

[21]      Je suis d’avis que cette obligation a été respectée en l’espèce. Le tribunal a donné des motifs détaillés aux termes desquels il est possible de déceler précisément sur quels éléments repose sa décision. Le simple désaccord de la demanderesse avec les conclusions factuelles du tribunal n’équivaut pas à une erreur d’équité procédurale (Sidhu v. The Minister of Citizenship and Immigration, 2012 FC 515).

 

* * * * * * * *

 

[22]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concluant que Maria Isabel Ruiz Coto et Leslye Josefina Montero Ruiz n’avaient pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1136-12

 

INTITULÉ :                                      Maria Isabel RUIZ COTO, Leslye Josefina MONTERO RUIZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Manuel Antonio Centurion          POUR LES DEMANDERESSES

 

Me Margarita Tzavelakos                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Antonio Centurion                                         POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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