Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20121011

Dossier : T-1652-10

 

  Référence : 2012 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

 

ASTRAZENECA CANADA INC. et ASTRAZENECA AB

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

PHARMASCIENCE INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande, les demanderesses, AstraZeneca Canada Inc. et AstraZeneca AB, collectivement appelées AstraZeneca, répondent aux allégations d’invalidité de brevet faites par la défenderesse, Pharmascience Inc. (Pharmascience), dans son avis d’allégation daté du 27 août 2010 (AA). L’AA a été déposé en conformité avec l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC) à l’égard des brevets canadiens no 2 290 531 (le brevet 531) et no 2 346 988 (le brevet 988). Dans une ordonnance datée du 8 août 2011, la protonotaire Mireille Tabib a rejeté la demande relative au brevet 988. La portée de la présente demande se limite donc au brevet 531.

 

[2]               AstraZeneca demande un jugement déclarant que l’AA n’est ni un avis d’allégation valide ni un énoncé détaillé au sens du Règlement AC. Subsidiairement, AstraZeneca demande une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Pharmascience un avis de conformité (AC) à l’égard de ses comprimés de 20 et de 40 mg d’ésoméprazole magnésien (les capsules de Pharmascience) avant l’expiration du brevet 531.

 

Le contexte

 

[3]               Pharmascience a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès du ministre afin d’obtenir un AC à l’égard de ses capsules. Celles‑ci sont destinées à traiter les ulcères duodénaux associés à l’infection à Helicobacter pylori. Dans sa PADN, Pharmascience compare ses capsules aux capsules de 20 et de 40 mg de NEXIUM d’AstraZeneca afin de démontrer leur bioéquivalence conformément au paragraphe 5(1) du Règlement AC.

 

[4]               Dans son AA, Pharmascience allègue que les revendications du brevet 531 ne sont pas pertinentes ou sont invalides pour les motifs suivants :

            -  divulgation insuffisante/revendications mal étayées;

            -  revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

            -  absence de nouveauté et antériorité découlant d’une utilisation antérieure;

            -  double brevet;

            -  absence d’activité inventive/évidence;

            -  pas une invention (au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets, LRC, 1985, ch P‑4);

            -  absence de prédiction valable et d’utilité;

            -  pas un brevet de sélection valide;

            -  intention d’induire en erreur l’agent des brevets (selon le paragraphe 34(1) et l’article 53 de la Loi sur les brevets).

 

[5]               Le principal polymère en litige est l’hydroxypropylméthylcellulose (HPMC). La HPMC a des propriétés différentes selon sa masse moléculaire. La masse moléculaire de la HPMC est proportionnelle à la viscosité d’une solution aqueuse de HPMC; ainsi, lorsque la masse moléculaire de la HPMC augmente, la viscosité d’une solution aqueuse de HPMC augmente aussi. La HPMC de haute masse moléculaire a une viscosité supérieure à 4 000 centipoises (cP) et se dissout lentement dans l’eau, ce qui la rend avantageuse pour les préparations à libération contrôlée qui exigent une libération lente des médicaments. En revanche, la HPMC de faible masse moléculaire a une viscosité variant de 5 à 15 cP et est souvent employée dans les films d’enrobage à cause de sa dissolution plus rapide dans l’eau.

 

Le brevet 531

 

[6]               Le brevet 531, intitulé Formulation pharmaceutique d’oméprazole, a été délivré le 12 décembre 2006 par suite d’une demande de brevet internationale déposée au Canada le 18 mai 1998. Le brevet 531 revendique la priorité sur la demande de brevet suédois no 9702000‑2, déposée le 28 mai 1997. Le brevet 531 a été publié le 3 décembre 1998 et expirera le 18 mai 2018.

 

[7]               Les inventeurs du brevet 531 sont Magnus Erikson (Suède) et Lars Josefsson (Suède). Le brevet est la propriété d’AstraZeneca AB et est inscrit au Registre des brevets du ministre pour les comprimés de 20 et de 40 mg d’ésoméprazole magnésien trihydraté d’AstraZeneca (marque nominative : NEXIUM).

 

[8]               Certains termes sont définis ainsi dans le brevet 531 :

[traduction]

L’oméprazole, un sel alcalin de l’oméprazole, l’énantiomère (-)- de l’oméprazole et un sel alcalin de l’énantiomère (-)- de l’oméprazole

 

[…]

 

Le point de trouble est la température à laquelle cette séparation de phase des polymères se produit. Le point de trouble est déterminé en mesurant la transmission lumineuse à travers la solution de polymère.

 

 

 

[9]               Le brevet 531 vise l’utilisation de HPMC de faible viscosité d’une qualité précise (déterminée par son point de trouble [PT]) dans une préparation à enrobage gastrorésistant d’oméprazole à libération immédiate. L’enrobage gastrorésistant, un acide, sert à protéger l’oméprazole, un composé labile dans l’acide, du milieu acide de l’estomac. La couche de HPMC sert d’agent liant ou de séparation entre le noyau contenant l’oméprazole et l’enrobage gastrorésistant. Les inventeurs déclarent avoir découvert, de façon surprenante, que des lots différents d’un même produit de HPMC de faible viscosité pouvaient avoir, selon leur point de trouble, une capacité différente d’influencer le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans une préparation à enrobage gastrorésistant.

 

Le « PT revendiqué »

 

[10]           Le PT revendiqué dans le brevet pour la HPMC de faible viscosité est décrit comme suit :

            -  un PT d’au moins 45,6 ˚C à une transmission lumineuse de 96 %, mesuré à l’aide d’un appareil FP90/FP81C de Mettler, où le PT est déterminé en dissolvant la HPMC à une concentration de 1,2 % (p/p) dans une solution mixte de tampon phosphate 0,235 M et de liquide gastrique simulé de pH 1,2 dans des proportions de 4:5 à un pH de 6,75 à 6,85;

            -  un PT d’au moins 44,5 ˚C à une transmission lumineuse de 95 %, mesuré avec un spectrophotomètre, où le PT est déterminé en dissolvant la HPMC de faible viscosité à une concentration de 1 % (p/p) dans une solution mixte de tampon phosphate 0,235 M et de liquide gastrique simulé de pH 1,2 dans des proportions de 4:5 à un pH de 6,75 à 6,85.

 

[11]           Le brevet indique que ce PT revendiqué garantit une libération suffisante du médicament contenu dans la préparation pharmaceutique. Par conséquent, lorsque l’on suit les enseignements du brevet 531, on réduit la quantité de produit jeté à cause d’une libération insuffisante, ce qui représente un avantage important.

 

Les revendications

 

[12]           Le brevet 531 comporte 20 revendications.

 

[13]           La première revendication vise une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant comprenant les trois couches suivantes :

            1.         un noyau constitué d’un principe actif (l’oméprazole, tel qu’il est défini ci‑dessus, en mélange avec un ou plusieurs excipients pharmaceutiquement acceptables et un agent liant facultatif) et d’un composé réactionnel alcalin facultatif;

            2.         une couche séparatrice recouvrant le noyau;

            3.         un enrobage gastrorésistant recouvrant la couche séparatrice.

 

[14]           L’agent liant facultatif et le constituant de la couche séparatrice sont formés de HPMC de faible viscosité dont le PT est égal ou supérieur au PT revendiqué.

 

[15]           Les revendications 2 à 8 ajoutent les spécifications suivantes :

            Revendication 2 : un sous-ensemble de la revendication 1 dans lequel le constituant de la couche séparatrice est de la HPMC de faible viscosité.

            Revendication 3 : un sous-ensemble de la revendication 2 dans lequel l’enrobage gastrorésistant est formé d’un copolymère d’acide méthacrylique.

            Revendication 4 : un sous-ensemble de la revendication 1 dans lequel l’agent liant est de la HPMC de faible viscosité.

            Revendication 5 : un sous-ensemble des revendications 1 à 4 dans lequel la HPMC de faible viscosité a une viscosité inférieure à 7,2 cP en solution aqueuse à 2 %.

            Revendication 6 : un sous-ensemble des revendications 1 à 5 dans lequel le principe actif est l’oméprazole.

            Revendication 7 : un sous-ensemble des revendications 1 à 5 dans lequel le principe actif est un sel de magnésium de l’oméprazole.

            Revendication 8 : un sous-ensemble des revendications 1 à 5 dans lequel le principe actif est un sel de magnésium de l’énantiomère (-)- de l’oméprazole.

 

[16]           Les revendications 9 et 10 visent une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant fabriquée avec un agent liant facultatif et une couche séparatrice de HPMC de faible viscosité ayant le PT revendiqué de 45,6 ˚C et de 44,5 ˚C, respectivement, conformément aux descriptions ci‑dessus. De même, les revendications 11 et 12 visent une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant qui ne renferme pas de couche séparatrice, mais qui contient au moins un agent liant de HPMC de faible viscosité ayant le PT revendiqué de 45,6 ˚C et 44,5 ˚C, respectivement, conformément aux descriptions ci‑dessus. La revendication 13 concerne l’une ou l’autre des revendications 9 à 12, mais la HPMC de faible viscosité y a une viscosité inférieure à 7,2 cP en solution aqueuse à 2 %.

 

[17]           Les revendications 14 à 17 décrivent le procédé de fabrication d’une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant conforme aux revendications 9 à 12, respectivement.

 

[18]           Les revendications 18 et 19 décrivent l’utilisation d’une préparation pharmaceutique telle qu’elle est définie dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 8 pour la fabrication d’un médicament servant au traitement de maladies gastro‑intestinales et pour le traitement de maladies gastro‑intestinales, respectivement.

 

[19]           Enfin, la revendication 20 décrit un conditionnement commercial renfermant une préparation pharmaceutique décrite dans l’une ou l’autre des revendications 1 à 8, ainsi que le mode d’emploi de ladite préparation pour le traitement de maladies gastro‑intestinales.

 

Les expériences

 

[20]           Trois expériences (exemples) sont présentées dans le brevet 531. Deux différents lots de HPMC de faible viscosité ont été mis à l’essai dans ces expériences : le type A et le type B.

 

[21]           Aux exemples 1 et 2, les inventeurs ont évalué le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans des granules d’oméprazole recouverts individuellement d’un des deux lots différents de HPMC de faible viscosité utilisée comme constituant de la couche séparatrice. Les granules d’oméprazole ont été préparés conformément à la description dans le brevet EP 247 983. La méthodologie de l’essai est décrite comme suit :

[traduction] Les granules ont été pré-exposés à du liquide gastrique simulé USP (sans enzyme) à 37 ˚C pendant 2 heures. Ensuite, la libération du médicament après 30 minutes dans une solution tampon de pH 6,8 a été déterminée par chromatographie en phase liquide. La solution tampon de pH 6,8 était un mélange constitué de 100,0 parties de liquide gastrique simulé USP (sans enzyme) et de 80,0 parties d’une solution d’hydrogénophosphate de disodium 0,235 M, et son pH devait se situer entre 6,75 et 6,85. Le liquide gastrique simulé USP (sans enzyme) a été préparé en dissolvant 2,0 g de NaCl et 7,0 ml de HCl concentré et en ajoutant de l’eau pour obtenir 1000 ml. La solution d’hydrogénophosphate de disodium 0,235 M a été préparée en dissolvant 41,8 g de Na2HPO4.2H20 et en ajoutant de l’eau pour obtenir 1000 ml.

 

 

 

[22]           La composition du noyau, de la couche séparatrice et de l’enrobage gastrorésistant des granules d’oméprazole mis à l’essai était indiquée aux pages 10 et 11 du brevet 531. La couche séparatrice était constituée de HPMC de type A ou de type B d’une viscosité de 6 cP.

 

[23]           La détermination des PT a été effectuée au moyen de deux appareils différents : un appareil commercial fabriqué par Mettler (exemple 1) et un spectrophotomètre doté d’un serpentin de chauffage et d’une fonction de mélange (exemple 2). Les résultats sont présentés dans un tableau à la page 11 du brevet 531 (le tableau de la page 11) :

Granules contenant de la HPMC

Point de trouble (°C)

Libération de l’oméprazole contenu dans les granules à enrobage gastrorésistant [%]

Ex. 1 (n = 2)

Ex. 2 (n = 1)

Type A

44,4

42,5

69 (60-84)

Type B

47,5

47,2

93 (93-94)

 

[24]           Les résultats des exemples 1 et 2 sont illustrés aux figures 1 et 2, respectivement. Comparativement à la libération en 30 minutes d’au moins 75 % de l’oméprazole dans une solution tampon exigée pour la commercialisation des capsules de Losec® (la norme de commercialisation), les résultats des essais des couches séparatrices de type A et de type B ont révélé, respectivement, une libération inacceptable (69 %, inférieure à 75 %) et acceptable (93 %, supérieure à 75 %) de l’oméprazole pour un produit pharmaceutique.

 

[25]           Le brevet mentionne aussi que :

[traduction] Les résultats d’un certain nombre d’expériences réalisées avec différents lots de HPMC indiquent que la HPMC ayant un point de trouble d’au moins 45,6 ˚C est souhaitable pour satisfaire aux exigences réglementaires relatives au pourcentage de libération de l’oméprazole, lorsque le point de trouble est mesuré par un appareil commercial de Mettler. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[26]           Dans l’exemple 3, les inventeurs ont mis à l’essai deux types de HPMC de faible viscosité utilisée comme agent liant pour la préparation du noyau des granules. Les granules n’étaient pas recouverts d’une couche séparatrice ni d’un enrobage gastrorésistant. Les noyaux ont été préparés en vaporisant une couche de sel de magnésium de l’oméprazole et de HPMC sur des sphères de sucre dans un lit fluidisé. La composition du noyau est indiquée à la page 13 du brevet 531. Les granules préparés ont ensuite été mis à l’essai afin de déterminer le pourcentage de libération de l’oméprazole dans une solution tampon de pH 6,8, d’une composition identique à celle de l’exemple 1, à 37 ˚C avec une vitesse de rotation de 100 tr/min. La libération de l’oméprazole a été mesurée à l’aide d’un spectrophotomètre.

 

[27]           Les résultats de l’exemple 3 sont présentés à la figure 3. Les graphiques montrent que la libération de l’oméprazole était retardée avec le type A comparativement au type B.

 

La preuve

 

[28]           Les témoins dont la preuve est au dossier sont les suivants :

            Pour Pharmascience : M. Colombo, M. Miller, M. Desbrières, M. Alderman.

            Pour AstraZeneca : M. Bodmeier.

 

Les experts de Pharmascience

 

[29]           M. Paolo Colombo est professeur au Département de pharmacie de l’Université de Parme, en Italie. Il travaille dans le milieu universitaire depuis qu’il a obtenu son doctorat en pharmacie, en 1968. M. Colombo a à son actif de nombreuses publications et effectue de la recherche sur les polymères de cellulose, telle la HPMC, depuis 1983. M. Colombo a été prié de fournir des renseignements généraux sur les formes pharmaceutiques à libération retardée et sur l’utilisation de la HPMC dans les préparations à libération retardée.

 

[30]           M. Colombo a fourni des renseignements généraux sur les préparations à libération retardée et a souligné que la forme pharmaceutique d’un produit pharmaceutique est choisie en fonction du site d’administration souhaité et de la période pendant laquelle l’agent thérapeutique doit être administré. Une forme pharmaceutique à libération retardée délivre l’agent thérapeutique dans le tube digestif. M. Colombo a expliqué que les formes à libération retardée renferment habituellement une couche externe résistante aux acides (ou enrobage gastrorésistant) qui protège le médicament. Cette couche se dissout dans le milieu neutre à basique de l’intestin, de sorte que le médicament est immédiatement libéré lorsque la forme pharmaceutique arrive dans l’intestin. Certains polymères habituellement utilisés comme enrobages gastrorésistants renferment des groupes acides qui peuvent dégrader les médicaments sensibles, et M. Colombo a mentionné avoir observé de tels problèmes avec les comprimés d’oméprazole.

 

[31]           En ce qui concerne la HPMC, M. Colombo a mentionné que ce polymère est très souvent employé comme enrobage sous forme de film mince sur les comprimés classiques depuis les années 1980. La HPMC de faible viscosité se dissout tant en milieu acide que basique et convient à la préparation de films qui se dissolvent rapidement à l’endroit ciblé. M. Colombo a fait mention d’un article de Rowe qui indique que le temps de désagrégation des comprimés enrobés de HPMC est directement lié à la masse moléculaire du polymère. Aux paragraphes 20 et 22 à 24 de son affidavit, M. Colombo parle de la HPMC de haute masse moléculaire/forte viscosité, qui est couramment utilisée pour former des matrices à libération contrôlée qui permettent la libération lente d’un médicament.

 

[32]           Vu sa connaissance étendue des préparations contenant de l’oméprazole ou de l’ésoméprazole, M. Colombo a examiné le brevet canadien no 1 292 693 et le brevet WO 95/01783 aux paragraphes 26 à 38 de son affidavit.

 

[33]           Le brevet canadien no 1 292 693 concerne une couche séparatrice, telle la HPMC de faible viscosité, utilisée pour empêcher le changement de couleur des préparations contenant de l’oméprazole par suite de l’interaction entre l’enrobage gastrorésistant et le principe actif. Le pourcentage de libération du médicament dépend du type et de l’épaisseur de l’enrobage gastrorésistant ainsi que de la quantité et du type des excipients employés dans le noyau, et non pas du type de film de HPMC employé, film qui, selon M. Colombo, ne constitue qu’une barrière physique entre l’oméprazole et la matière formant l’enrobage gastrorésistant. M. Colombo fait valoir qu’une personne versée dans l’art saurait que de la HPMC de faible viscosité serait nécessaire pour permettre la dissolution rapide dans l’eau.

 

[34]           Le brevet WO 95/01783 vise la même préparation que celle du brevet no 1 292 693, mais est axé sur une nouvelle forme physique de sel de magnésium de l’oméprazole. M. Colombo affirme que le pourcentage de dissolution signalé serait considéré comme une libération immédiate (93 % de dissolution en 30 minutes) et que ce pourcentage n’est pas réduit selon l’épaisseur de l’enrobage gastrorésistant.

 

[35]           Passant au brevet 531, M. Colombo observe que la préparation décrite est la même que celle décrite dans les deux brevets susmentionnés. Aux paragraphes 39 à 44, M. Colombo résume l’information contenue dans le brevet 531. Il souligne que les profils de libération différents des deux types de granules (l’un fait du type A et l’autre, du type B) mentionnés à la figure 3 semblent le fruit du hasard, car les deux types de granules ont été fabriqués par vaporisation de couches, et tous deux se sont dissous à plus de 90 % en 30 minutes. Cela concorde avec le fait que la quantité de HPMC dans le noyau n’aura pas d’incidence sur le pourcentage de libération. En ce qui concerne l’expérience décrite aux pages 10 et 11, qui laisse croire à des pourcentages de libération différents pour le type A et le type B, M. Colombo fait valoir que cette différence ne peut pas être attribuée à la HPMC de faible viscosité, qui se dissoudrait immédiatement, à moins d’un problème lié à l’absence de contrôle direct de la quantité de polymère déposée sur les granules. M. Colombo soutient que la différence ne serait pas causée par un PT différent.

 

[36]           En tentant de déterminer si le brevet 531 renferme assez d’information pour que la personne versée dans l’art comprenne la nature de l’invention et son fonctionnement, M. Colombo souligne les noms que les inventeurs attribuent à la HPMC dans le brevet : « type A » et « type B ». Comme la HPMC en vente sur le marché est bien caractérisée sur les plans de la viscosité et du degré de substitution méthoxyle et hydroxypropyle, M. Colombo doute de la pertinence de tels noms. Selon lui, pour reproduire la préparation et comprendre s’il existe une différence réelle entre les deux types de HPMC, la personne versée dans l’art aurait besoin de plus de renseignements sur les types de HPMC mis à l’essai.

 

[37]           M. Colombo affirme aussi que les données ne laissent pas croire à une différence réelle entre les deux types de HPMC employés. Plutôt que de montrer les résultats d’essais répétés (habituellement 12), le tableau de la page 11 ne fournit qu’une seule valeur acceptable pour l’échantillon de type A. M. Colombo conclut que, sans une caractérisation détaillée du film appliqué, il est impossible de conclure qu’un effet sur la dissolution du médicament puisse être attribué à la petite différence de PT mesurée entre les deux lots de HPMC ayant essentiellement la même viscosité.

 

[38]           Pour ce qui est de savoir si l’invention permet de réaliser la promesse du brevet, M. Colombo note que l’épaisseur du film déposé n’est pas précisée.

 

[39]           M. Colombo fait remarquer que la couche séparatrice de HPMC de faible viscosité (7,2 cP ou moins) décrite dans le brevet 531 n’a pas pour but de contrôler le pourcentage de libération du médicament ni ne permet d’exercer un tel contrôle. Pour que le pourcentage de libération du médicament puisse être contrôlé, il faudrait employer de la HPMC de forte viscosité (plus de 4 000 cP), qui entraîne la formation d’un solide gel de polymère. M. Colombo affirme que les formulateurs savent bien que la HPMC de faible viscosité convient le mieux à la préparation de films minces qui se dissolvent rapidement et complètement.

 

[40]           Au paragraphe 56 de son affidavit, M. Colombo explique qu’un autre paramètre essentiel pour déterminer s’il est possible de contrôler le pourcentage de libération du médicament est l’épaisseur de l’enrobage entourant le noyau. À la lumière des résultats des essais existants et des connaissances générales de la personne versée dans l’art, M. Colombo se dit d’avis que la HPMC de faible viscosité décrite dans le brevet 531 est trop mince pour exercer un quelconque contrôle du pourcentage de libération du médicament. Après avoir examiné les préparations décrites aux pages 10 et 11 du brevet, M. Colombo signale au paragraphe 59 de son affidavit que la quantité de HPMC de faible viscosité décrite dans le brevet 531 ne permet pas de contrôler le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans les noyaux qui y sont décrits.

 

[41]           Aux paragraphes 60 à 67, M. Colombo met en lumière l’information manquante dans le brevet, notamment :

            -  la forme pharmaceutique mise à l’essai;

            -  la dose de la forme pharmaceutique finale;

            -  les conditions dans lesquelles se sont déroulés les essais de dissolution;

            -  l’appareil utilisé pour les essais de dissolution;

            -  le nombre d’échantillons analysés;

            -  l’épaisseur ou l’uniformité de la couche séparatrice produite avec les deux types de HPMC.

 

[42]           M. Colombo affirme que la confusion la plus frappante concernant les chiffres présentés à la page 11 est l’affirmation qu’ils représentent la libération de l’oméprazole contenue dans une préparation, car, plutôt que de représenter la libération, ces chiffres correspondent à la dissolution de l’oméprazole dans la solution tampon à un moment donné.

 

[43]           Aux paragraphes 69 à 73, M. Colombo critique aussi les essais de dissolution signalés à la figure 3 du brevet 531, affirmant que, lorsqu’elle est employée comme agent liant, la HPMC ne peut pas contrôler le pourcentage de libération du médicament.

 

[44]           Finalement, M. Colombo s’interroge à savoir si la personne versée dans l’art serait d’avis que le brevet 531 divulgue une invention. Il souligne que les antériorités divulguent exactement la même préparation que celle décrite dans le brevet 531, y compris l’utilisation de HPMC de faible viscosité comme couche séparatrice sous forme de film. M. Colombo constate que :

[traduction]

80.       […] l’ajout d’un paramètre non pertinent, à savoir le point de trouble, ne crée pas de différence entre les préparations du brevet 531 et celles de l’art antérieur.

 

81.       La HPMC de faible viscosité (viscosité inférieure à 7,2 cP) appliquée sous forme de fine couche séparatrice ou utilisée comme agent liant ne permet pas de contrôler le pourcentage de libération de l’oméprazole. La biodisponibilité de l’oméprazole est déterminée par le pourcentage de dissolution de l’oméprazole dans le tube digestif. Elle n’est pas liée au point de trouble de la HPMC de faible viscosité.

 

 

 

[45]           Pour ces motifs, M. Colombo conclut que le brevet 531 ne peut pas être considéré comme une invention.

 

[46]           M. Robert Miller est président de MPD Consulting, société d’experts-conseils pour l’industrie pharmaceutique dans les domaines de la formulation de formes pharmaceutiques et la mise au point de procédés de fabrication. M. Miller a obtenu son doctorat en pharmacie en 1977. Il a travaillé dans l’industrie pharmaceutique de 1978 à 1994. De 1994 à 2002, il occupait un poste de professeur adjoint et offrait aussi au secteur privé des services techniques dans le domaine pharmaceutique.

 

[47]           Aux paragraphes 15 à 22 de son affidavit, M. Miller fait un résumé général de l’utilisation de la HPMC dans les préparations pharmaceutiques. Il fait valoir qu’aucune spécification à l’égard du PT n’est présentée dans l’édition de 1995 de la United States Pharmacopeia (USP) pour la HPMC de faible viscosité. Le PT n’est pas un paramètre qu’un formulateur de produits pharmaceutiques aurait considéré lorsqu’il aurait formulé une préparation en 1997, ni même aujourd’hui; les principaux facteurs à considérer sont plutôt la masse moléculaire et la viscosité. M. Miller note qu’une HPMC de faible masse moléculaire permettrait une libération immédiate. De même, si elle était utilisée comme agent liant dans une préparation, la HPMC n’aurait pas d’incidence sur le pourcentage de libération du principe actif contenu dans cette préparation.

 

[48]           Aux paragraphes 23 à 63 de son affidavit, M. Miller examine les brevets antérieurs suivants sur l’oméprazole : brevet canadien no 2 025 668; brevet canadien no 1 292 693; brevet canadien no 1 302 891; WO 94/27988; WO 95/01783; WO 96/01623; brevet canadien no 2 184 842; et brevet canadien no 2 184 037.

 

[49]           Cet examen a permis à M. Miller de relever divers facteurs dont la personne versée dans l’art apprendrait l’existence d’après les préparations de benzimidazoles, telles les préparations d’oméprazole et d’ésoméprazole. Ces facteurs, énumérés au paragraphe 64 de son affidavit, sont entre autres les suivants :

[traduction] L’utilisation de la HPMC est recommandée comme couche séparatrice entre le principe actif et l’enrobage gastrorésistant; et l’épaisseur recommandée de la couche séparatrice est de 2 à 4 µm (ce qui est un mince film)

 

[…]

 

la couche séparatrice doit être hydrosoluble ou se désagréger rapidement dans l’eau, ce qui signifie qu’une HPMC de faible viscosité/faible masse moléculaire comme ce type de HPMC se dissoudrait dans l’eau; …

 

 

 

[50]           La personne versée dans l’art prendrait ces facteurs en considération et utiliserait comme agent liant ou couche séparatrice une HPMC d’un grade qui n’aurait pas d’incidence sur le pourcentage de libération du principe actif contenu dans la préparation. La libération retardée du principe actif serait déterminée par l’enrobage gastrorésistant, qui résisterait au milieu acide de l’estomac, mais se dissoudrait immédiatement dans le milieu alcalin de l’intestin.

 

[51]           M. Miller parle ensuite du brevet 531 au paragraphe 66 de son affidavit. Il note que la température des essais décrits dans le brevet et d’utilisation clinique des capsules est de 37 ˚C. Cette température est inférieure à celle du PT revendiqué des deux types de HPMC dont il est question dans le brevet. M. Miller mentionne aussi que l’information suivante concernant les essais décrits dans le brevet n’est pas indiquée : la qualité précise de la HPMC, le nombre de groupes hydroxypropyle, le nombre de groupes méthoxyle et la HPMC précise qui a été soumise aux essais. M. Miller constate que les antériorités fournissent des indications concernant l’épaisseur et la masse de la couche de HPMC nécessaires pour obtenir un pourcentage de libération acceptable.

 

[52]           Pour ce qui est de savoir si la personne versée dans l’art dispose d’assez information pour comprendre la nature de l’invention et son fonctionnement, M. Miller affirme que le brevet ne divulgue pas assez d’information sur la nature de la HPMC de type A et de type B; par conséquent, il manque à la personne versée dans l’art de l’information clé pour lui permettre de se procurer de la HPMC de la bonne qualité. De plus, M. Miller indique que les essais mentionnés dans le brevet 531 ne démontrent pas que le PT de la HPMC a une influence sur la libération du médicament. D’après sa propre expérience, il doute que le PT puisse avoir en lui‑même un effet sur la libération. Il souligne également qu’aucun renseignement sur la quantité d’enrobage des sphères et sur la taille des sphères n’est fourni; des quantités différentes d’enrobage pourraient expliquer les chiffres fournis au tableau de la page 11. M. Miller estime que la personne versée dans l’art ne peut pas mettre l’invention en pratique sans difficulté parce qu’aucun renseignement n’est fourni sur le type de HPMC à se procurer.

 

[53]           En ce qui concerne l’idée avancée dans le brevet que différents lots de HPMC peuvent influer différemment sur le pourcentage de libération de l’oméprazole dans du liquide intestinal simulé, M. Miller affirme que, selon son expérience, il n’existait pas de différence notable en 1997 entre différents lots de HPMC d’une qualité donnée. Les caractéristiques générales de la HPMC d’une qualité donnée sont et étaient les mêmes d’un lot à l’autre. Au paragraphe 93 de son affidavit, M. Miller indique aussi que les pourcentages de libération différents signalés lors des essais sur la HPMC employée comme couche séparatrice ne peuvent pas être attribués au PT parce que cette température n’a pas été atteinte au cours des essais (réalisés à 37 ˚C). M. Miller conclut en disant que [traduction] « il n’y a rien d’inventif à ajouter des paramètres aux spécifications de la HPMC – c’est‑à‑dire le point de trouble – en particulier lorsque ces paramètres ne concernent pas l’utilisation de la préparation dans le corps ».

 

[54]           M. Jacques Desbrières est professeur à l’Université de Pau, en France. Il a obtenu un diplôme en génie chimique en 1980. Il a travaillé comme ingénieur de recherche et chef de projet dans une société pharmaceutique entre 1981 et 1988. En 1990, il est devenu membre du corps professoral de l’université où il travaille encore aujourd’hui. M. Desbrières a de nombreuses publications à son actif et enseigne la chimie physique et la science des polymères.

 

[55]           Aux paragraphes 15 à 24 de son affidavit, M. Desbrières fournit une description sommaire des polymères de la HPMC et de leurs propriétés physiques, dont la gélification thermique et le PT. M. Desbrières expose les conclusions d’une étude publiée par Sarkar en 1979. Dans cette étude, la température de gélification thermique et le PT de nombreux polymères de HPMC produits par Dow Chemical Corporation (Dow) sous le nom de marque METHOCEL ont été déterminés expérimentalement. L’une des conclusions les plus importantes de cette étude était que la température de gélification thermique et le PT sont principalement déterminés par le pourcentage de groupes méthoxyle présents sur le polymère. Cependant, lorsque les groupes méthoxyle et les groupes hydroxypropyle étaient similaires, le PT de polymères de HPMC ayant des masses moléculaires très différentes se situait dans un intervalle étroit.

 

[56]           Aux paragraphes 25 à 31 de son affidavit, M. Desbrières parle de ses expériences visant à déterminer le PT de divers types de HPMC de faible viscosité. Il a utilisé pour ses essais des échantillons de METHOCEL E5, E6 et E15 de Dow et des échantillons de Pharmacoat 603 et 606 de Shin-Etsu Chemical Corporation (Shin-Etsu). Au tableau 1 de son affidavit, il présente les résultats de ses expériences :

Échantillon

TP* tampon C = 1 %

 

PT* tampon PT = 1 %

%** de groupes méthoxyle

%** de groupes hydroxypropyle

Viscosité (cP)**

Mn* (g/mole)

Mp* (g/mole)

Pharmacoat 603

47,8

49,2

28,9

9,1

3,09

12 100

15 600

Pharmacoat 606

45,8

47

28,7

9,0

5,96

19 100

24 600

Dow E5

47,7

49,3

28,5

8,9

4,4

15 900

19 000

Dow E6

46,6

48

29,5

8,0

5,6

18 600

22 700

Dow E15

45,2

46,2

28,7

9,1

15

30 300

38 200

 * = Déterminés expérimentalement

** = Fournis par le fabricant

 

[57]           La première colonne, intitulée TP (température de précipitation), fournit les résultats qui correspondent au PT tel qu’il est défini dans le brevet 531 (température à laquelle la transmission lumineuse est réduite à 95 % lorsqu’elle est mesurée à l’aide d’un spectrophotomètre avec détecteur d’ultraviolet). La deuxième colonne, intitulée PT, donne les résultats qui correspondent à la température à laquelle la transmission lumineuse est réduite à 50 % (véritable PT; correspond à la définition qui, selon M. Desbrières, est courante dans la littérature et est comprise par la personne versée dans l’art). M. Desbrières constate que, pour les polymères dont la viscosité est inférieure à 7,2 cps, ces deux données sont associées à des intervalles de température étroits. Lors des essais réalisés sur les solutions tampons contenant des sels de phosphate, dont les résultats sont présentés au tableau 2 de l’affidavit de M. Desbrières (non reproduit ici), les TP et les PT des polymères de faible viscosité étaient abaissés et demeuraient à l’intérieur d’intervalles de température étroits.

 

[58]           M. Desbrières traite du brevet 531 aux paragraphes 33 à 37 de son affidavit. Il souligne que les valeurs de PT obtenues à l’aide de l’appareil FP90/FP81C de Mettler sont un peu plus élevées que celles obtenues avec un spectrophotomètre, ce qui explique pourquoi les courbes aux figures 1 et 2 sont légèrement différentes. En outre, M. Desbrières mentionne que ces figures montrent que les deux types de HPMC utilisés dans le brevet seraient totalement dissous à la température du corps.

 

[59]           Pour ce qui est de savoir si la personne versée dans l’art comprendrait la nature de l’invention et son fonctionnement, M. Desbrières affirme que [traduction] « revendiquer une HPMC de faible viscosité ayant un point de trouble précis semble être un moyen indirect de revendiquer une HPMC de faible viscosité ayant un certain degré de groupes méthoxyle et de groupes hydroxypropyle » (au paragraphe 38). Donc, selon M. Desbrières, pour mettre l’invention en pratique sans difficulté, les inventeurs du brevet auraient dû indiquer le degré de substitution des groupes méthoxyle et la substitution molaire des groupes hydroxypropyle; information fournie par les fabricants dans leurs certificats d’analyse.

 

[60]           Enfin, M. Desbrières explique qu’il ne voit pas de raison scientifique pour laquelle il faudrait choisir une HPMC ayant le PT revendiqué parce que, si elle était utilisée comme excipient dans une préparation pharmaceutique, la HPMC ne serait pas exposée à des températures dépassant la température du corps (37 ˚C). Par conséquent, le PT n’aurait pas d’incidence sur la solubilité du polymère dans les conditions physiologiques.

 

[61]           M. Daniel Alderman a obtenu un diplôme de génie chimique en 1975. De sa graduation jusqu’à l’an 2000, il a occupé chez DOW des postes de plus en plus élevés dans la hiérarchie dans les domaines des polymères en émulsion et des éthers de cellulose. De 2000 à 2002, M. Alderman a travaillé dans la division automobile de Dow. De 2002 jusqu’à sa retraite en 2008, M. Alderman était le chercheur d’entreprise et le gestionnaire du capital intellectuel – expansion des affaires chez Dow.

 

[62]           Aux paragraphes 11 à 20 de son affidavit, M. Alderman fournit des renseignements de base sur les produits de HPMC vendus par Dow. Les produits de HPMC de Dow destinés à l’industrie pharmaceutique pour la formation de films étaient METHOCEL E5 Premium et E6 Premium, deux produits de faible viscosité. Ces produits étaient conçus pour se dissoudre rapidement dans l’eau et le liquide gastrique. Ils n’étaient pas conçus pour modifier, ni ne modifiaient, la performance et la libération des principes actifs des comprimés. M. Alderman explique que, lorsque la HPMC de faible viscosité est utilisée pour former un film, il est important qu’elle soit appliquée de façon continue, sans trous ni craquelures. M. Alderman affirme que, autant qu’il s’en souvienne, Dow n’a jamais reçu de plaintes de clients (y compris AstraZeneca) concernant une variation de la performance d’un lot à l’autre de ses produits de HPMC de faible viscosité. M. Alderman fait aussi remarquer que les produits de HPMC fabriqués par Dow sous le nom de marque METHOCEL en 1997 et en 1998 sont les mêmes polymères de HPMC que ceux fabriqués aujourd’hui.

 

[63]           Aux paragraphes 14 à 17 de son affidavit, M. Alderman explique la structure chimique des polymères de HPMC de Dow de la gamme METHOCEL. M. Alderman explique aussi que Dow a mis au point des procédés innovateurs pour préparer des polymères de HPMC aux propriétés physiques contrôlées. La monographie de la HPMC dans l’USP a été créée selon les spécifications de Dow. Les spécifications de l’USP concernant la teneur en groupes méthoxyle et en groupes hydroxypropyle n’ont pas changé depuis les 25 dernières années. De plus, Dow et l’American Standards Association for Testing and Materials ont mis au point des méthodes d’analyse des polymères de HPMC.

 

[64]           M. Alderman traite du brevet 531 aux paragraphes 21 à 25 de son affidavit. Il mentionne que, bien qu’il soit très peu probable qu’il existe des variations notables entre différents lots de HPMC, de telles variations pourraient s’expliquer par des différences en ce qui concerne la continuité des couches séparatrices formées par la HPMC de type A et de type B décrite dans le brevet. M. Alderman observe que la formule de la couche séparatrice décrite à la page 11 ne renferme pas de plastifiant. Les plastifiants sont importants pour créer des films continus exempts d’imperfections. C’est particulièrement vrai des films très minces, dans lesquels les craquelures et autres imperfections ont un effet plus délétère, et des films faits de polymères de faible viscosité, qui sont plus cassants et sujets aux craquements.

 

[65]           Aux paragraphes 29 et 30 de son affidavit, M. Alderman explique le procédé de fabrication de la HPMC. Il mentionne qu’il est admis que la viscosité apparente d’une solution aqueuse d’un polymère de HPMC est proportionnelle à la masse moléculaire du polymère. De même, il est admis que la dissolution de la HPMC varie directement avec la masse moléculaire. M. Alderman explique que la viscosité des polymères de HPMC produits par Dow est contrôlée tout au long du processus de fabrication.

 

[66]           Aux paragraphes 34 à 38, M. Alderman décrit les résultats d’études sur la température de gélification thermique et le PT des polymères de HPMC. Il explique que les polymères de HPMC possèdent une propriété unique : une solubilité réduite dans l’eau au‑delà d’une température critique; par conséquent, lorsqu’une solution de HPMC est dissoute dans l’eau et chauffée au‑delà de cette température critique, la solubilité réduite de la HPMC se manifeste par une augmentation de la viscosité, et la solution devient trouble. La température à laquelle la quantité de lumière transmise à travers la solution est réduite à 50 % est le point de trouble; il dépend du pourcentage de groupes méthoxyle présents dans le polymère. La masse moléculaire et la viscosité d’un polymère ont un très faible effet sur le PT. L’augmentation de la turbidité est réversible lorsqu’on refroidit la solution. Au paragraphe 35 de son affidavit, M. Alderman explique que ce phénomène est attribuable à l’association des groupes méthoxyle sur la même chaîne polymère et à l’association des groupes méthoxyle sur différentes chaînes polymères.

 

[67]           Au paragraphe 43 de son affidavit, M. Alderman écrit ce qui suit concernant le PT d’une solution de HPMC :

[traduction] Le point de trouble d’une solution d’une HPMC donnée est une propriété du polymère qui découle de ses propriétés physiques, en particulier le pourcentage de groupes méthoxyle présents sur la chaîne polymère. Si les propriétés physiques d’un polymère de HPMC donné sont connues, par exemple le pourcentage de groupes méthoxyle, le point de trouble d’une solution aqueuse du polymère peut être déduit dans un intervalle très étroit. Methocel E5 et Methocel E6 ont le même pourcentage de groupes méthoxyle (et les mêmes viscosité et masse moléculaire) depuis 1997, au moins, et l’ont encore aujourd’hui.

 

 

 

[68]           Aux paragraphes 47 à 49 de son affidavit, M. Alderman examine les revendications du brevet 531 et évalue si l’invention revendiquée était évidente pour la personne versée dans l’art. Comme la HPMC de faible viscosité ayant un PT précis est essentiellement une revendication d’une propriété intrinsèque d’une matière connue, M. Alderman conclut que le brevet 531 est évident pour la personne versée dans l’art.

 

[69]           Enfin, M. Alderman s’interroge à savoir si le brevet 531 renferme assez d’information pour permettre à la personne versée dans l’art de comprendre la nature de l’invention et son fonctionnement. Cependant, comme le brevet ne divulgue pas l’information qui aurait été présentée dans les spécifications de la HPMC en 1998, à savoir le pourcentage de groupes méthoxyle et la masse moléculaire, M. Alderman conclut que la personne versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de choisir la bonne HPMC ayant le PT précisé. Par conséquent, cette personne n’aurait pas pu reproduire les résultats décrits dans le brevet et n’aurait pas pu s’y fier pour mettre l’invention en pratique.

 

L’expert d’AstraZeneca

 

[70]           M. Roland Bodmeier est professeur à l’Institute für Pharmazie de la Freie Universität Berlin, en Allemagne. Il a obtenu un doctorat en pharmacie en 1986 et un diplôme post-doctoral en 1993. Il occupe ses fonctions actuelles depuis 1994. M. Bodmeier a de nombreuses publications à son actif et agit à titre de consultant pour l’industrie pharmaceutique dans les domaines des formes pharmaceutiques des médicaments et des systèmes de délivrance de médicaments à libération contrôlée.

 

[71]           Aux paragraphes 11 et 12, M. Bodmeier explique la terminologie relative à la HPMC et au PT. Il souligne qu’il n’existe pas de pourcentage généralement admis de transmission lumineuse qui définisse un PT; un pourcentage se situant entre 50 et 97,5 est habituellement choisi.

 

[72]           En ce qui concerne le brevet 531, M. Bodmeier note que, en décembre 1998, les inventeurs ont découvert que la capacité de la HPMC de faible viscosité d’influer sur le pourcentage de libération de l’oméprazole dans une préparation à enrobage gastrorésistant différait d’un lot à l’autre; cette différence, mesurable grâce au PT, aurait été surprenante pour la personne versée dans l’art pour deux raisons.

 

[73]           Premièrement, il n’était pas généralement admis que l’utilisation de HPMC de faible viscosité dans une préparation pharmaceutique pouvait influer sur le pourcentage de libération. On aurait plutôt cru le contraire, car la HPMC de faible viscosité se dissout rapidement dans l’eau. Donc, si une personne versée dans l’art avait constaté que le pourcentage de libération de l’oméprazole dans ses préparations gastrorésistantes était variable, elle aurait envisagé d’autres procédés ou d’autres paramètres de formulation plutôt que d’étudier la variabilité de différents lots de sous‑types d’une famille précise de produits de HPMC. Ainsi, la déclaration de M. Alderman selon laquelle il ne se souvenait pas avoir déjà reçu de plaintes de clients au sujet d’une variation d’un lot à l’autre n’a rien de surprenant. M. Bodmeier insiste aussi sur le fait que la personne versée dans l’art aurait compris que les différents lots mentionnés dans le brevet correspondent à différents lots d’un sous‑type de HPMC, et non pas à différents lots de différents sous‑types. Deuxièmement, le PT n’était pas un facteur pris en compte lorsqu’une HPMC de faible viscosité était choisie comme agent liant ou couche séparatrice.

 

[74]           M. Bodmeier poursuit en disant que le facteur qui influe le plus sur le PT de la HPMC de faible viscosité est le pourcentage de substitution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle d’un polymère de HPMC donné. Étant donné que, dans la USP, les catégories de HPMC sont définies par rapport à des intervalles précis de pourcentage de substitution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle, il existe un nombre infini de combinaisons possibles qui auront toutes une influence sur le PT. M. Bodmeier souligne que d’autres facteurs peuvent aussi influer sur le PT, telles la nature des substitutions sur une chaîne principale de cellulose ainsi que la masse moléculaire et la viscosité du polymère. Par ailleurs, comme les polymères de HPMC sont constitués de dizaines voire de centaines d’unités de glucose formant un motif répété, le pourcentage fixé de substitution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle représente simplement une moyenne de la substitution de toutes les unités de glucose dans le polymère. Par conséquent, même lorsque des lots ont la même viscosité et le même pourcentage de groupes méthoxyle et hydroxypropyle, le profil de substitution et de distribution peut varier, ce qui aura une incidence sur le PT.

 

[75]           Comme il est fort improbable que différents lots aient des profils de substitution identiques, le nombre de sites de substitution sur la chaîne polymère dépassant de loin le nombre de substituants possibles, le PT d’un lot de HPMC ne peut être connu que par une mesure directe. M. Bodmeier souligne également que les intervalles acceptables de viscosité et de pourcentage de substitution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle, tels qu’ils figurent dans le certificat d’analyse de METHOCEL E5 de Dow, témoignent du nombre infini de variations dans un sous‑type de HPMC. De plus, la distribution des groupes substitués sur la chaîne polymère et sur les unités de glucose individuelles ajoute à la complexité. Comme l’a expliqué M. Bodmeier, en caractérisant la HPMC en fonction de son PT, les inventeurs du brevet 531 ont fourni un critère de substitution ingénieux et objectif pour évaluer l’effet global de la combinaison infinie de ces variables. Parallèlement, les inventeurs ont déterminé que, lorsque le PT dépasse une certaine valeur lorsqu’il est mesuré par un appareil particulier, la libération de l’oméprazole en 30 minutes est accrue.

 

[76]           Aux paragraphes 35 à 50 de son affidavit, M. Bodmeier résume les revendications du brevet 531. Dans le reste de son affidavit, il répond aux affidavits des experts de Pharmascience.

 

[77]           Aux paragraphes 51 à 55 de son affidavit, M. Bodmeier répond à l’affidavit de M. Desbrières. Il se dit en désaccord avec la façon dont M. Desbrières définit le PT, soit qu’il s’agit de la température à laquelle la transmission lumineuse est réduite à 50 %. Il affirme plutôt qu’il y n’avait pas et qu’il n’y a toujours pas consensus en ce qui concerne la réduction de la transmission lumineuse qui définit un PT. M. Bodmeier soutient que les essais décrits dans l’affidavit de M. Desbrières reposent sur une compréhension erronée de l’invention du brevet 531. Plutôt que de comparer des lots d’un seul sous‑type de HPMC de faible viscosité, les essais de M. Desbrières comparent différents sous‑types de produits de HPMC. Les résultats de ces essais ne fournissent donc aucun renseignement pertinent.

 

[78]           M. Bodmeier mentionne aussi que, même si la HPMC est censée se dissoudre totalement à 37 ˚C, cela ne veut pas dire que tous les lots se dissolvent à la même vitesse. M. Bodmeier affirme que M. Desbrières a ignoré les données du tableau de la page 11 du brevet 531 qui montrent explicitement que, lorsqu’ils ont été soumis à des essais dans des conditions gastriques simulées à 37 ˚C, deux lots de HPMC affichaient des pourcentages moyens de libération de l’oméprazole différents, l’un qui correspondait à la norme de commercialisation et l’autre non. Donc, différents lots d’un sous‑type de HPMC interagissent différemment avec l’eau, ce qui se traduit par des pourcentages différents de libération de l’oméprazole.

 

[79]           Aux paragraphes 56 à 68 de son affidavit, M. Bodmeier répond à l’affidavit de M. Alderman. Il commence par signaler que MM. Desbrières, Miller, Colombo et Alderman ont produit plusieurs déclarations semblables. Dans de tels cas, ses commentaires sur un affidavit s’appliquent aux autres affidavits.

 

[80]           M. Bodmeier souligne l’affirmation de M. Alderman selon laquelle la HPMC de faible viscosité n’a pas d’incidence sur la libération du principe actif contenu dans le comprimé. Toutefois, M. Bodmeier montre que M. Alderman se contredit lui‑même lorsqu’il affirme que la dissolution de la HPMC varie en fonction de la masse moléculaire et qu’il existe une corrélation évidente entre l’augmentation de la viscosité et l’augmentation du temps de désagrégation. S’appuyant sur les données concernant la viscosité et le temps de désagrégation des comprimés présentées dans l’étude Rowe et sur l’intervalle de viscosité mentionné dans le certificat d’analyse de METHOCEL E5 (de 4,0 à 6,0 mPas), M. Bodmeier montre que la variation d’un lot à l’autre de la viscosité de METHOCEL E5 est corrélée avec une différence approximative de 30 secondes du temps de désagrégation entre les lots. Par conséquent, M. Bodmeier est d’avis que la déclaration de M. Alderman selon laquelle la HPMC n’a pas d’influence sur le pourcentage de libération du principe actif est fausse.

 

[81]           En réponse à l’hypothèse de M. Alderman selon laquelle les pourcentages différents de libération observés avec différents lots de HPMC (comme l’indique le tableau de la page 11) pourraient s’expliquer par des imperfections du film causées par l’absence de plastifiant, M. Bodmeier se dit d’avis qu’il semble s’agir d’une supposition sans fondement. De plus, aucun des lots ne renferme de plastifiant.

 

[82]           M. Bodmeier note aussi l’observation incorrecte de M. Alderman voulant que ce soient les groupes méthoxyle, plutôt que les groupes hydroxypropyle, qui soient responsables de la turbidité. L’article de Sarkar montre clairement que les deux groupes sont responsables de la turbidité causée par la transition de phase. De plus, M. Bodmeier n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. Alderman voulant que, si les propriétés physiques d’un polymère de HPMC donné sont connues, le PT d’une solution aqueuse du polymère peut être prédit à l’intérieur d’un intervalle très étroit. Le PT est plutôt influencé par la nature de la substitution et de la distribution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle sur la chaîne polymère et sur les unités de glucose individuelles ainsi que par la masse moléculaire et la viscosité du polymère.

 

[83]           En ce qui a trait à la suffisance de la divulgation, M. Bodmeier n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. Alderman selon laquelle la personne versée dans l’art ne pourrait pas choisir la bonne HPMC ayant le PT précisé sans connaître le pourcentage de groupes méthoxyle. Il souligne que les groupes méthoxyle ne sont pas les seuls déterminants du PT. Par ailleurs, cette affirmation ne tient pas compte de l’invention du brevet 531, qui constitue une amélioration par rapport aux préparations d’oméprazole de l’art antérieur en fournissant un moyen (HPMC ayant le PT revendiqué) qui évite de devoir connaître les propriétés physiques d’un lot donné de HPMC pour choisir le lot qui entraînera la libération voulue de l’oméprazole en 30 minutes. Par conséquent, le brevet 531 enseigne clairement à la personne versée dans l’art comment choisir de la HPMC d’une qualité précise pour les préparations d’oméprazole à enrobage gastrorésistant.

 

[84]           Aux paragraphes 69 à 76 de son affidavit, M. Bodmeier répond à l’affidavit de M. Miller. Il constate qu’aucun des brevets que cite M. Miller à titre d’antériorités ne fait état de préoccupations concernant une variation de la HPMC d’un lot à l’autre ni n’incite la personne versée dans l’art à choisir une HPMC ayant un PT supérieur au PT revendiqué. L’invention du brevet 531 n’est pas évidente à la lumière des antériorités citées. M. Bodmeier observe que la critique de M. Miller concernant l’absence d’information sur la qualité de la HPMC mise à l’essai, la quantité de HPMC employée pour l’enrobage des sphères ou la taille des sphères n’est pas pertinente au regard de l’invention. À la lecture du brevet 531, la personne versée dans l’art comprendrait qu’elle peut employer n’importe quelle quantité de HPMC de faible viscosité de qualité satisfaisante comme enrobage dans une préparation d’oméprazole à enrobage gastrorésistant pourvu que son PT dépasse le PT revendiqué.

 

[85]           L’observation de M. Miller selon laquelle la libération avec la HPMC de type A était acceptable pour au moins un des lots de granules enrobés parce que l’intervalle de libération atteignait 84 % n’est pas non plus pertinente. Ce que le brevet enseigne, c’est un moyen de choisir une qualité précise de HPMC de façon à éviter les variations. De plus, M. Bodmeier n’est pas d’accord avec l’affirmation de M. Miller selon laquelle les résultats de la dissolution des deux noyaux des types A et B présentés à la figure 3 ne varient pas beaucoup. Il existe plutôt une différence approximative de 6 minutes entre les deux profils, ce qui équivaut à environ 20 % de la durée totale de libération d’environ 30 minutes, une différence significative pour des granules non enrobés à libération immédiate.

 

[86]           De plus, contrairement à l’affirmation de M. Miller selon laquelle le brevet 531 n’indique pas le type de HPMC que la personne versée dans l’art devrait se procurer, M. Bodmeier affirme que le brevet indique clairement à la personne versée dans l’art qu’elle devrait se procurer une HPMC de faible viscosité ayant le PT revendiqué. Si une HPMC ayant le PT revendiqué est choisie, le brevet enseigne que tous les lots libéreront 75 % du principe actif en 30 minutes (conformément aux normes de commercialisation), ce qui est suffisant et réduit la quantité de produit à jeter parce qu’une préparation ne répond pas aux normes.

 

[87]           Enfin, aux paragraphes 77 à 88 de son affidavit, M. Bodmeier répond à l’affidavit de M. Colombo. Il souligne l’affirmation de ce dernier selon laquelle la quantité de HPMC dans le noyau serait inférieure à 3 % et n’aurait donc aucune influence sur le pourcentage de libération. M. Bodmeier affirme toutefois que ce calcul est incorrect. Le pourcentage de HPMC est plutôt d’environ 15 %, ce qui est une quantité importante dans le médicament et devrait avoir une influence sur le pourcentage de libération du médicament. De plus, même s’il est généralement admis que la HPMC de faible viscosité se dissout rapidement, les pourcentages de dissolution de la HPMC varient, et la HPMC de faible viscosité utilisée comme enrobage influe sur le pourcentage de libération immédiate du principe actif.

 

[88]           M. Bodmeier soutient également que l’affirmation de M. Colombo selon laquelle les essais de dissolution exigent 12 dissolutions répétées est inexacte. En règle générale, selon la littérature scientifique, on utilise plutôt trois à six répétitions au maximum. M. Bodmeier souligne que le brevet indique que les résultats sont basés sur [traduction] « un certain nombre d’expériences ». M. Bodmeier critique plusieurs des affirmations de M. Colombo parce qu’elles concernent des préparations à libération contrôlée et non pas des préparations à libération immédiate, objet du brevet 531.

 

[89]           M. Bodmeier fait également ressortir l’affirmation de M. Colombo selon laquelle le brevet 531 ne mentionne pas expressément la forme pharmaceutique finale et la dose mises à l’essai, de sorte que la personne versée dans l’art ne sait pas quelles normes USP choisir pour comparer les essais et ne connaît pas le type d’appareil utilisé pour les essais de dissolution. Néanmoins, M. Bodmeier affirme que la personne versée dans l’art, à la lecture du brevet dans son ensemble, comprendrait facilement que les résultats des essais doivent être comparés à une libération de 75 % en 30 minutes (la norme de commercialisation) et que l’appareil utilisé était l’appareil de dissolution 2 (à palette). M. Bodmeier soutient aussi que la critique de M. Colombo à l’égard du mot « libère » par rapport au mot « dissout » n’est pas fondée et découle d’une confusion entre la libération contrôlée et la libération immédiate. M. Bodmeier affirme finalement que le calcul que fait M. Colombo des facteurs de similitude entre les deux profils de libération avec les granules enrobés présentés à la figure 3 du brevet 531 comporte des erreurs et n’est pas fondé.

 

Les questions en litige

 

[90]           Le point en litige pour AstraZeneca est le suivant :

            Les allégations d’invalidité du brevet 531 formulées par Pharmascience sont‑elles fondées?

 

[91]            Les points en litige pour Pharmascience sont les suivants :

            1.         Le brevet est-il invalide pour cause d’inutilité?

            2.         Le brevet satisfait-il aux critères de suffisance?

            3.         L’invention revendiquée est‑elle évidente?

 

[92]           Je reformulerais ces questions de la façon suivante :

            1.         Le brevet 531 porte‑t-il sur une invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets, étant donné qu’il ne fait que confirmer les propriétés d’une substance connue?

            2.         Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à l’utilité?

            3.         Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à la suffisance de la divulgation?

            4.         Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à l’évidence?

 

Les observations écrites d’AstraZeneca

 

La preuve

 

[93]           AstraZeneca allègue que Pharmascience doit strictement se limiter à présenter des observations concernant les allégations d’invalidité à l’égard desquelles elle a déposé des éléments de preuve, soit : l’évidence, l’insuffisance et l’absence d’utilité démontrée. Par conséquent, Pharmascience ne peut pas s’appuyer sur ses autres allégations d’invalidité, à l’égard desquelles elle n’a pas déposé d’éléments de preuve, soit : l’absence de nouveauté, la portée trop large des revendications, le double brevet, l’absence de prédiction valable, l’allégation que le brevet n’est pas d’un brevet de sélection valide et l’intention d’induire en erreur le Bureau des brevets.

 

[94]           AstraZeneca fait aussi remarquer que l’ordre de présentation de la preuve a été inversé par la protonotaire Tabib dans une ordonnance datée du 15 février 2011. Une telle inversion vise à définir plus étroitement les allégations d’invalidité dont débattra l’entreprise qui souhaite produire le médicament générique et limite ainsi les questions en litige.

 

L’interprétation du brevet

 

[95]           AstraZeneca soutient que, lorsque le brevet 531 a été publié en décembre 1998, la découverte des inventeurs que différents lots de HPMC de faible viscosité, d’après leur PT, pouvaient influer différemment sur le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans une préparation à enrobage gastrorésistant était très surprenante pour la personne versée dans l’art. C’est qu’il n’était pas généralement admis que l’utilisation de HPMC de faible viscosité dans une préparation pharmaceutique pouvait avoir une influence sur le pourcentage de libération. En fait, la personne versée dans l’art aurait plutôt cru le contraire, car la HPMC de faible viscosité est un polymère qui se dissout rapidement dans l’eau. AstraZeneca fait aussi valoir que la personne versée dans l’art aurait clairement compris à la lecture du brevet que les différents lots dont il est question correspondent à différents lots du même sous‑type de HPMC de faible viscosité.

 

[96]           AstraZeneca souligne que les experts des deux parties s’entendent pour dire que, en décembre 1998, la personne versée dans l’art n’aurait pas parlé de la HPMC en faisant mention de son PT ni classé cette substance à l’aide de ce critère. Cependant, à la lecture du brevet, la personne versée dans l’art aurait compris que, en choisissant une HPMC de faible viscosité selon son PT, les inventeurs avaient trouvé un critère de substitution pour évaluer l’effet global des combinaisons infinies de différentes variables dont on savait qu’elles influaient sur le PT et sur le pourcentage de libération de l’oméprazole.

 

[97]           AstraZeneca souligne l’énoncé du brevet disant qu’une limite supérieure de PT n’est pas essentielle et qu’il n’est donc pas nécessaire de la préciser. La personne versée dans l’art en aurait conclu que, lorsqu’elle choisit une HPMC de faible viscosité, la limite supérieure n’est pas importante dans la mesure où les exigences définies dans les monographies officinales et le PT revendiqué sont respectés. Comme un PT plus élevé indique une plus grande solubilité dans l’eau, il ne devrait pas diminuer le pourcentage de libération de l’oméprazole. Ainsi, c’est la limite inférieure, et non pas la limite supérieure, qu’il est essentiel de connaître pour obtenir le pourcentage de libération souhaité.

 

[98]           Par ailleurs, les inventeurs indiquent dans le brevet que la réduction de la quantité de produit jeté représente un avantage économique réel du choix d’une HPMC de faible viscosité conforme au PT revendiqué. En suivant les enseignements du brevet, la personne versée dans l’art apprendrait aussi comment réduire les variations imprévisibles du pourcentage de libération entre différents lots de préparations, ce qui réduirait encore plus la quantité de produit jeté.

 

[99]           Enfin, AstraZeneca signale qu’aucun des experts de Pharmascience n’a parlé de la façon dont la personne versée dans l’art explique la variation d’un lot à l’autre décrite dans le brevet 531. C’est essentiel à la compréhension de l’invention du brevet. Les experts ne croient généralement pas que les différences observées avec la HPMC de faible viscosité, déterminée par le PT, peuvent influer sur la libération d’un médicament, mais ils ne fournissent aucun élément de preuve contredisant la corrélation ni aucun motif valable pour justifier leur incrédulité.

 

L’invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets

 

[100]       AstraZeneca est d’avis que l’allégation de Pharmascience selon laquelle le brevet 531 n’est pas une invention est fondamentalement fausse, car elle repose sur une interprétation erronée du brevet. Lorsqu’il est bien interprété, le brevet fait plus qu’enseigner à vérifier le PT, il révèle que, en choisissant une HPMC de faible viscosité ayant un PT supérieur au PT revendiqué, un formulateur de produits pharmaceutiques peut réduire la quantité de produit jeté qui ne satisfait pas aux spécifications relatives à la libération de l’oméprazole. C’est là un enseignement surprenant et inattendu qui procure un avantage substantiel.

 

[101]       En outre, la preuve de Pharmascience selon laquelle le brevet 531 revendique une propriété intrinsèque d’un composé connu est déficiente, car elle s’appuie sur des essais qui indiquent prétendument que le PT de la HPMC de faible viscosité de 1998 et d’aujourd’hui serait supérieur au PT revendiqué. Ces essais n’ont pas tenu compte de la variation du PT d’un lot à l’autre. Parallèlement, ils indiquent clairement que le PT de certains lots d’un même produit de HPMC de faible viscosité peut réellement être inférieur au PT revendiqué.

 

L’utilité

 

[102]       AstraZeneca allègue que les inventeurs du brevet ont démontré que, lorsqu’on choisit une HPMC de faible viscosité ayant le PT revendiqué pour les préparations d’oméprazole à enrobage gastrorésistant, au moins 75 % de l’oméprazole est libéré dans une solution tampon dans les 30 premières minutes (conformément aux normes de commercialisation). En lisant cela dans le contexte du brevet dans son ensemble, la personne versée dans l’art comprendrait clairement que différents lots d’un sous‑type de HPMC peuvent avoir un PT différent. Cette différence peut faire en sorte qu’un lot ayant un certain PT libère l’oméprazole dans les 30 minutes prescrites, mais pas un autre lot ayant un PT différent.

 

[103]       AstraZeneca fait observer que la Cour d’appel fédérale a explicitement rejeté l’idée que l’utilité doive être démontrée dans le mémoire descriptif. Néanmoins, AstraZeneca souligne la mention, dans le brevet, des résultats d’un certain nombre d’expériences. Ces expériences démontrent qu’il est souhaitable de choisir un lot de HPMC ayant au moins le PT revendiqué pour satisfaire aux normes de commercialisation.

 

[104]       AstraZeneca allègue que l’incrédulité des experts de Pharmascience, qui s’appuie sur les essais de M. Desbrières, n’est que simple conjecture et ne repose sur aucune preuve. Pour appuyer ses dires, AstraZeneca souligne que les essais de M. Desbrières ne portent pas sur l’invention du brevet 531 et ne visent pas à déterminer s’il y a variation du PT d’un lot à l’autre d’un sous‑type donné de HPMC de faible viscosité. De plus, l’incrédulité des experts ne tient pas la route devant les données présentées dans le brevet 531 et dans un tableau produit par Pharmascience à la page 60 de son allégation.

 

[105]       AstraZeneca observe que Pharmascience n’a pas transmis cette information à ses témoins, y compris M. Desbrières avant qu’il mène les essais décrits dans son affidavit. Après avoir pris en considération cette information, M. Desbrières, comme le souligne AstraZeneca, a admis en contre‑interrogatoire que les résultats des essais montraient que certains lots de HPMC de faible viscosité avaient un PT inférieur à 44,5 ˚C. Ces résultats contredisent sa preuve par affidavit selon laquelle toute HPMC a un PT se situant au‑dessus du PT revendiqué. De même, AstraZeneca relève la preuve par affidavit produite par M. Alderman selon laquelle, d’après les essais de M. Desbrières, le PT de METHOCEL E5 en 1996 et aujourd’hui aurait été supérieur à 45 ˚C. Néanmoins, en contre‑interrogatoire, M. Alderman a admis qu’il n’avait pas vu les résultats des essais de M. Desbrières lorsqu’il a donné son opinion et qu’il n’avait pas non plus écrit cette phrase précise dans son affidavit.

 

[106]       AstraZeneca fait aussi remarquer que les experts de Pharmascience s’entendent pour dire que, dans un sous‑type de HPMC de faible viscosité, il existe une variation acceptable du pourcentage de groupes méthoxyle et de groupes hydroxypropyle et que les deux ont un effet sur le PT. De plus, lors de la fabrication d’un sous‑type particulier de HPMC, il est très improbable que la distribution des substituants soit identique dans deux lots, car le nombre de sites sur la chaîne polymère où les substitutions se produisent dépasse de loin le nombre de substituants possibles. M. Desbrières a admis que, dans un procédé industriel hétérogène, la distribution des substituants de la HPMC varie d’un lot à l’autre. La preuve fournie par M. Desbrières montre aussi que la distribution des substituants peut avoir un effet sur la température de gélification, ce qui peut se traduire par une différence de PT d’au moins 20 ˚C.

 

[107]       Selon AstraZeneca, les experts s’entendent aussi pour dire que, dans un sous‑type donné de HPMC de faible viscosité, il existe une variation acceptable de la masse moléculaire et de la viscosité. Ces deux éléments ont aussi une influence sur le PT, quoique dans une moindre mesure. Ces différences imprévisibles auront un effet sur le PT, et AstraZeneca observe que nul ne conteste le fait que le PT d’un lot de HPMC de faible viscosité ne peut être établi que par une mesure directe.

 

[108]       AstraZeneca fait remarquer que Pharmascience a demandé à M. Desbrières de mener des essais sur certains échantillons de HPMC pour étayer ses allégations d’invalidité. M. Desbrières a admis qu’il n’avait pas comparé le PT de différents lots d’un sous‑type donné de HPMC, mais qu’il avait plutôt comparé le PT de différents sous‑types. Étant donné que les essais de M. Desbrières ne visaient pas à vérifier la variation d’un lot à l’autre dont il est question dans le brevet et reposent sur une compréhension fondamentalement erronée du brevet, AstraZeneca allègue que les résultats de ces essais ne fournissent aucun renseignement pertinent.

 

[109]       AstraZeneca prétend aussi qu’il ne faudrait pas tenir compte des essais de M. Desbrières, car ce dernier n’était pas au courant de la chaîne de possession de certains des échantillons de HPMC qu’il avait analysés, en particulier ce qui était arrivé aux échantillons entre le moment où ils avaient été expédiés par Dow et celui où son avocat, puis finalement lui‑même, les avait reçus. AstraZeneca allègue aussi ce qui suit pour étayer son argument que la preuve fournie par M. Desbrières devrait être traitée avec circonspection. M. Desbrières :

            1.         n’est pas expert en formulation d’enrobages gastrorésistants et n’a jamais mené d’essai de libération dans l’acide gastrique;

            2.         a fourni une opinion selon laquelle les différences de pourcentage de libération divulguées dans les essais de libération dans l’acide gastrique du brevet 531 pouvaient être erronées même s’il ne connaissait pas la marge d’erreur de ces essais et n’en avait jamais réalisé;

            3.         a laissé entendre que le PT revendiqué n’était pas un véritable PT parce qu’il n’était pas défini comme la température à laquelle la transmission lumineuse est réduite à 50 %. Il a cependant admis par la suite qu’il n’existait pas de définition établie du PT et n’a pas expliqué pourquoi il avait utilisé pour définir le PT un pourcentage de 95 % dans un article publié en 1997;

            4.         a affirmé, dans sa preuve par affidavit, que la HPMC de faible viscosité aurait un PT d’au moins 44,5 ˚C. Néanmoins, il a par la suite admis qu’il ne disposait d’aucune donnée montrant si le PT de multiples lots d’un sous‑type de HPMC se situerait ou non en deçà de cette température et a admis que les données fournies par Pharmascience dans son AA montraient que plusieurs lots du même sous‑type de HPMC avaient un PT en deçà de cette température;

            5.         a examiné le brevet 531 d’une façon inappropriée, ayant appliqué toutes les connaissances qu’il avait acquises jusqu’au moment où il a rédigé son affidavit, au lieu de se concentrer sur la façon dont la personne versée dans l’art aurait compris le brevet à la date de sa publication.

 

[110]       AstraZeneca constate aussi que, bien que les experts de Pharmascience aient indiqué dans leur affidavit que le PT n’a pas d’effet sur le pourcentage de libération, M. Desbrières a admis que les propriétés de gélification (liées au PT) ont un effet sur la libération et que l’hétérogénéité des substitutions fait en sorte qu’il est difficile de prévoir le pourcentage de libération. En ce qui concerne l’hypothèse de M. Alderman selon laquelle les pourcentages de libération différents pourraient s’expliquer par des imperfections du film causées par la non‑utilisation d’un plastifiant, AstraZeneca la considère comme une supposition sans fondement. De plus, M. Alderman a une expérience en formulation de produits pharmaceutiques à libération contrôlée, et non pas à libération immédiate, et il n’a pas effectué de travaux dans le domaine de la libération contrôlée depuis 1988, environ.

 

[111]       AstraZeneca soutient que l’affirmation de M. Miller selon laquelle la libération avec la HPMC de type A était acceptable pour au moins un des lots de granules enrobés n’est pas pertinente. Le fait que, dans un exemple, le pourcentage de libération se situe dans les limites exigées n’est pas pertinent. Le brevet enseigne que la variation du pourcentage de libération peut être évitée en choisissant une HPMC dont le PT dépasse le PT revendiqué.

 

[112]       En réponse à l’affirmation de M. Colombo voulant que les différences de pourcentage de libération avec différents types de HPMC ne peuvent pas être attribuées à des PT différents parce que la HPMC se dissoudrait immédiatement, AstraZeneca souligne qu’il est généralement admis que les HPMC de faible viscosité se dissolvent rapidement. Cependant, il est faux de dire qu’il n’existe pas de différence de pourcentage de dissolution de la HPMC ou que la HPMC de faible viscosité, utilisée comme enrobage, n’a pas d’effet sur le pourcentage de libération du principe actif. Avant la publication du brevet 531, la personne versée dans l’art aurait plutôt cru que, en général, les caractéristiques de libération de la HPMC de faible viscosité conçue pour les préparations à libération immédiate ne variaient pas façon significative.

 

[113]       Étonnamment, le brevet 531 montre clairement que les différences entre les lots de HPMC de faible viscosité, déterminées par le PT, se traduisent véritablement par des pourcentages de libération de l’oméprazole différents. En conséquence, la sélection de lots de HPMC de faible viscosité dont le PT dépasse le PT revendiqué garantit une libération d’oméprazole qui répond systématiquement aux normes de commercialisation. AstraZeneca allègue que l’affirmation de M. Colombo concernant la dissolution rapide de la HPMC de faible viscosité et le fait que celle‑ci n’est pas utilisée dans les préparations à libération contrôlée ne fait que créer de la confusion, car aucune de ces situations n’est traitée dans le brevet 531. Le brevet 531 enseigne qu’il faut éviter les variations dans les préparations à libération immédiate.

 

[114]       Pour ce qui est de l’exemple 3, dans lequel la HPMC de faible viscosité est utilisée comme agent liant plutôt que comme couche séparatrice, AstraZeneca soutient que, en affirmant que le taux de dissolution des deux noyaux ne variait pas beaucoup, M. Miller n’a pas tenu compte du fait que le test était réalisé sur des noyaux non enrobés, pour lesquels il existe une différence significative sur le plan de la libération immédiate. De plus, lorsqu’il a calculé le facteur de similitude entre les deux profils de libération, M. Colombo ne disposait pas de l’information nécessaire provenant du brevet et n’a pas indiqué non plus ses suppositions. Quoi qu’il en soit, la figure sur laquelle M. Colombo s’est basé pour ses calculs (figure 3) a été créée d’après une expérience portant sur l’utilisation de HPMC de faible viscosité comme agent liant. La HPMC de faible viscosité n’a pas été exposée à l’acide gastrique dans cette expérience, ce qui aurait été le cas d’une préparation à enrobage gastrorésistant comportant une couche séparatrice contenant de la HPMC de faible viscosité.

 

[115]       AstraZeneca affirme que la propre preuve de Pharmascience démontre que la cause la moins importante de différence de PT, la viscosité, a aussi un effet sur la libération. Cette preuve montre que la variation de la viscosité de METHOCEL E5 d’un lot à l’autre est corrélée avec une différence d’environ 30 secondes du temps de désagrégation entre les lots à l’une ou l’autre des limites de l’intervalle acceptable.

 

[116]       Enfin, AstraZeneca fait valoir que, même si la HPMC est censée se dissoudre complètement à 37 ˚C, cela ne veut pas dire que tous les lots de HPMC se dissolvent à la même vitesse. En fait, comme l’a admis M. Miller, des lots différents de HPMC se dissolvent à des pourcentages différents, et ces pourcentages sont importants pour la libération du principe actif d’une forme pharmaceutique. AstraZeneca allègue que l’argument de Pharmascience concernant la température du corps s’attache également à la solubilité de la HPMC isolément. Ce n’est pas là l’objet du brevet 531, qui concerne plutôt l’effet de la HPMC sur la libération du principe actif. En fait, les données du brevet montrent que, lorsque deux lots ont été mis à l’essai dans des conditions simulant le liquide gastrique à 37 ˚C, les pourcentages moyens de libération de l’oméprazole étaient différents, et un seul lot de HPMC répondait aux normes de commercialisation. Ces données montrent que différents lots d’un sous‑type de HPMC dans des préparations identiques à tous autres égards interagissent différemment avec l’eau, ce qui se traduit par des pourcentages différents de libération de l’oméprazole.

 

La suffisance

 

[117]       AstraZeneca affirme qu’une contestation au motif d’insuffisance est une contestation technique et qu’elle ne peut être accueillie que si la personne versée dans l’art, aidée de ses connaissances générales courantes, ne peut pas mettre l’invention en pratique. En l’espèce, AstraZeneca soutient que, à la lecture du brevet dans son ensemble, la personne versée dans l’art aurait clairement accès à toute la prétendue information manquante. Par conséquent, les allégations d’insuffisance ne sont pas fondées.

 

[118]       AstraZeneca soutient que la preuve de Pharmascience démontre que l’utilisation de HPMC de faible viscosité dans une couche séparatrice et comme agent liant était bien connue à la date de publication. Le brevet 531 ajoute à cet art antérieur en enseignant que le PT de la HPMC devrait se situer au-delà d’une certaine limite (le PT revendiqué) pour obtenir les caractéristiques de libération souhaitables. Comme il n’y a aucun doute que le PT tel qu’il est défini dans le brevet est compris et peut être déterminé, la divulgation n’est pas insuffisante.

 

[119]       Pour ce qui est de l’affirmation des experts de Pharmascience selon laquelle le brevet 531 n’indique pas le type de HPMC qu’un formulateur devrait choisir ou se procurer, AstraZeneca est d’avis que le brevet ne peut manifestement être plus clair. AstraZeneca soutient que la personne versée dans l’art comprendrait que toute HPMC de faible viscosité de qualité acceptable peut être utilisée dans une préparation d’oméprazole à enrobage gastrorésistant pourvu que son PT dépasse le PT revendiqué. Qui plus est, le brevet explique clairement comment déterminer le PT. Ainsi, la personne versée dans l’art pourrait mettre l’invention en pratique en déterminant que le PT dépasse le PT revendiqué.

 

[120]       AstraZeneca soutient par ailleurs que, contrairement à la preuve fournie par M. Colombo, il n’est pas nécessaire de répéter 12 fois l’analyse dans un essai de dissolution. Dans la littérature scientifique, la norme est plutôt de trois à six répétitions. Par conséquent, il est difficile de croire M. Colombo lorsqu’il évoque l’impossibilité de comprendre les données du brevet à cause du nombre de répétitions.

 

[121]       En réponse à l’affirmation de M. Colombo selon laquelle l’appareil utilisé pour les essais de dissolution n’était pas divulgué dans le brevet, AstraZeneca fait valoir que la personne versée dans l’art, lisant dans le brevet qu’une libération de 75 % en 30 minutes (la norme de commercialisation) est exigée et qu’une palette a été utilisée, comprendrait tout de suite que les inventeurs se sont servis de l’appareil de dissolution 2 (à palette). Le brevet indique aussi clairement que des granules à enrobage gastrorésistant ont été employés dans les essais. AstraZeneca souligne que M. Colombo est revenu sur sa position en contre‑interrogatoire.

 

[122]       En ce qui concerne l’affirmation de M. Miller selon laquelle le brevet ne renferme aucun renseignement sur la quantité de HPMC employée pour l’enrobage des sphères ni sur la taille des sphères, AstraZeneca fait valoir que la personne versée dans l’art comprendrait que toute quantité adéquate de HPMC de faible viscosité peut être utilisée comme couche séparatrice dans les préparations à enrobage gastrorésistant pourvu que son PT dépasse le PT revendiqué.

 

[123]       AstraZeneca soutient par ailleurs que l’allégation des témoins de Pharmascience selon laquelle la personne versée dans l’art ne pourrait pas choisir la bonne HPMC sans connaître le pourcentage de groupes méthoxyle témoigne de leur incompréhension et de leur caractérisation erronée du brevet 531. Ce brevet enseigne comment améliorer les préparations d’oméprazole de l’art antérieur en garantissant une libération satisfaisante sans qu’il soit nécessaire de connaître ou de déterminer les propriétés physiques précises d’un lot donné de HPMC de faible viscosité. En outre, comme l’ont admis les experts de Pharmascience, certaines caractéristiques ne peuvent pas être déterminées facilement. Par conséquent, le brevet offre un moyen ingénieux de combiner les différentes propriétés physiques de la HPMC de faible viscosité qui influent sur la libération en se servant du PT comme critère de substitution.

 

[124]       Enfin, AstraZeneca fait valoir que M. Colombo est le seul à avoir relevé le fait que le brevet 531 ne mentionne pas expressément la forme pharmaceutique finale et la dose analysées dans les essais de libération. M. Colombo prétend que, pour cette raison, la personne versée dans l’art ne saurait pas quelles normes USP choisir pour comparer les essais de libération du brevet. Néanmoins, AstraZeneca allègue que la personne versée dans l’art, après avoir lu le brevet et les nombreuses mentions relatives à l’USP et à Losec®, aurait compris que les résultats des essais de libération devaient être comparés à une libération de 75 % en 30 minutes (la norme de commercialisation). AstraZeneca souligne que M. Colombo est revenu sur cette opinion en contre‑interrogatoire.

 

L’évidence

 

[125]       AstraZeneca relève la mention par Pharmascience d’autres brevets qui constitueraient des antériorités. AstraZeneca fait cependant valoir qu’aucun de ces brevets ne fait état de problèmes de variation de la HPMC d’un lot à l’autre. De plus, aucun des autres brevets n’incite la personne versée dans l’art à choisir et à utiliser une HPMC dont le PT dépasse un PT donné pour réduire la quantité de produit jeté pendant la fabrication.

 

[126]       AstraZeneca argue que l’invention du brevet 531 n’est pas évidente d’après l’ensemble des antériorités citées ou l’une ou l’autre d’entre elles. En fait, avant 1998, la personne versée dans l’art n’aurait pas pensé à mettre en cause la HPMC de faible viscosité si elle avait constaté que des préparations d’oméprazole à enrobage gastrorésistant affichaient différents pourcentages de libération du principe actif. Cette personne aurait plutôt envisagé le recours à d’autres formulations ou paramètres de fabrication pour résoudre le problème.

 

[127]       Tous les experts sont d’accord pour dire que le PT n’était pas pris en compte lors du choix d’une HPMC de faible viscosité comme agent liant ou couche séparatrice. En effet, le PT de la HPMC de faible viscosité vendue commercialement en décembre 1998 n’était pas fourni et n’était pas pris en considération par la personne versée dans l’art qui choisissait ou concevait une préparation pharmaceutique. Le lien entre le PT de la HPMC de faible viscosité et le pourcentage de libération constitue une innovation importante. Il ne peut être déduit par la logique et a pu être établi grâce aux données du brevet 531concernant les différences de libération.

 

[128]       En conclusion, AstraZeneca soutient que les allégations d’invalidité de Pharmascience ne sont pas fondées. Elle demande donc à la Cour d’interdire au ministre de délivrer un AC à Pharmascience pour ses comprimés avant l’expiration du brevet 531.

 

Les observations écrites de Pharmascience

 

[129]       Pharmascience allègue que le brevet 531 ne divulgue pas une invention ou une contribution utile à la science de la formulation. Elle prétend plutôt qu’une lecture attentive du brevet 531 amène à conclure qu’il n’y a là nulle invention.

 

La preuve

 

[130]       Pharmascience souligne qu’il est bien établi en droit qu’il incombe à AstraZeneca de réfuter les allégations d’invalidité de Pharmascience selon la prépondérance des probabilités. Par contre, Pharmascience a simplement l’obligation de produire une preuve qui suffise à conférer une vraisemblance à ses allégations d’invalidité.

 

[131]       Pharmascience fait valoir qu’elle a fait appel à quatre experts différents pour fournir une preuve, et que tous l’ont fait sans détour. Par contre, AstraZeneca n’a fait appel qu’à un seul expert (M. Bodmeier) et à aucun des inventeurs du brevet. Lors de son témoignage, M. Bodmeier a agi comme défenseur des intérêts d’AstraZeneca. Pharmascience prétend donc que, dans la mesure où la preuve présentée par les deux parties est contradictoire, la preuve de ses propres témoins devrait être privilégiée.

 

[132]       Pharmascience souligne que la viscosité de la HPMC est contrôlée tout au long du processus de fabrication. Elle soutient que l’article de Rowe montre que le temps de désagrégation des comprimés enrobés de HPMC est directement lié à la masse moléculaire. La seule variation d’un lot à l’autre que l’expert d’AstraZeneca a pu relever dans cet article était une variation de 30 secondes avec METHOCEL E5.

 

[133]       Par ailleurs, un article publié par Sangalli montre qu’un enrobage de METHOCEL E5 n’est pas assez épais pour contrôler le pourcentage de libération du médicament. Il est bon de noter que l’enrobage de METHOCEL E5 dans cet essai était 30 fois plus épais que la couche séparatrice utilisée dans le brevet 531.

 

[134]       Pharmascience soutient donc que, d’après les publications scientifiques, la HPMC de faible viscosité employée comme agent liant ou couche séparatrice dans une préparation pharmaceutique ne retarde pas la libération du médicament. Elle souligne qu’AstraZeneca n’a fourni aucun document scientifique indiquant que la HPMC de faible viscosité a une incidence sur la libération du médicament. De plus, M. Bodmeier soit n’a signalé aucun effet de la HPMC sur la libération du médicament soit a constaté que la HPMC de faible viscosité augmentait le pourcentage de libération des médicaments dans les articles dont il est auteur.

 

Les brevets de l’art antérieur

 

[135]       Pharmascience allègue que les brevets de l’art antérieur visant des préparations d’oméprazole ont toujours divulgué des formes comportant les trois couches suivantes :

            1.         un noyau renfermant de l’oméprazole et un composé alcalin ou un sel alcalin d’oméprazole;

            2.         un enrobage hydrosoluble ou se désagrégeant rapidement dans l’eau qui consiste en substances inertes non acides telles que la HPMC;

            3.         un enrobage gastrorésistant.

 

[136]       Pharmascience affirme que la personne versée dans l’art comprendrait que la HPMC utilisée dans la couche d’enrobage ainsi que comme agent liant dans le noyau serait une HPMC de faible viscosité. De plus, la plupart des brevets de l’art antérieur montrent qu’une dissolution rapide de la préparation dans l’intestin est nécessaire et que la forme pharmaceutique qui permet une telle dissolution est celle qui comporte trois couches. Il s’agit de la forme décrite dans le brevet 531.

 

[137]       Pharmascience résume ainsi les principaux enseignements des brevets de l’art antérieur :

            - l’oméprazole peut se dégrader en milieu acide réactionnel ou en milieu neutre;

            - une forme pharmaceutique d’oméprazole totalement biodisponible doit libérer le principe actif rapidement dans la partie proximale du tube digestif;

            - l’oméprazole doit être protégé du liquide acide de l’estomac au moyen d’un enrobage gastrorésistant;

            - les enrobages gastrorésistants sont faits de composés acides, et, si ces enrobages sont appliqués directement sur l’oméprazole, le contact provoque chez cette dernière un changement de couleur important;

            - la forme à trois couches sert à protéger l’oméprazole, la couche séparatrice protégeant l’oméprazole de l’enrobage gastrorésistant.

 

[138]       Selon Pharmascience, les brevets de l’art antérieur enseignent à utiliser la forme à trois couches pour la formulation de benzimidazoles, telles l’oméprazole et l’ésoméprazole, et à utiliser la HPMC dans la couche séparatrice en tant qu’élément d’une forme à dissolution rapide. Le formulateur versé dans son art saurait que la HPMC de faible viscosité utilisée comme couche séparatrice ou agent liant n’aura pas d’influence sur le pourcentage de libération du principe actif contenu dans la préparation. De plus, aucun problème de dissolution de la HPMC n’est mentionné dans les brevets de l’art antérieur et aucun problème de variation d’un lot à l’autre n’a été signalé par AstraZeneca à son fournisseur, Dow. Pharmascience allègue que le PT de la HPMC n’était pas pris en considération lors de la formulation d’une préparation en 1997 et ne l’est pas non plus aujourd’hui. Les principaux facteurs à considérer sont plutôt la masse moléculaire et la viscosité.

 

Le point de trouble (PT)

 

[139]       Pharmascience fait valoir que les deux principaux fabricants de HPMC (Dow et Shin‑Etsu) fabriquent ce produit en se servant de la même technologie et que leurs produits sont conformes aux mêmes spécifications officinales. Les polymères de HPMC qui étaient offerts sur le marché en 1997 sont les mêmes que ceux qui sont offerts aujourd’hui : METHOCEL E3, E5 et E15, et Pharmacoat 603, 606 et 615.

 

[140]       Pharmascience argue que le PT d’une solution de HPMC est une propriété intrinsèque du polymère qui découle de ses propriétés physiques, en particulier, le pourcentage de groupes méthozyle présents sur la chaîne polymère. Ce pourcentage est mesuré tout au long du processus de fabrication. Comme METHOCEL E5 et METHOCEL E6 possèdent le même pourcentage de groupes méthozyle, leurs PT se situeraient dans un intervalle étroit. De plus, étant donné que les spécifications de METHOCEL E6 et de Pharmacoat 606 sont identiques, ces deux produits peuvent être considérés comme deux lots du même sous‑type. Pharmascience indique que les PT de Pharmacoat 606, METHOCEL E6 et METHOCEL E5 se situent entre 45,8 ˚C et 47,7 ˚C et dépassent donc tous le PT revendiqué.

 

[141]       En réponse à l’argumentation d’AstraZeneca concernant la chaîne de titres des échantillons expédiés à M. Desbrières, Pharmascience souligne que les échantillons provenaient soit de l’avocat, soit directement du fabricant, deux sources fiables.

 

[142]       De plus, bien qu’AstraZeneca allègue que les différences en ce qui concerne la substitution des groupes méthoxyle et hydroxypropyle sur la chaîne principale de la HPMC ont un effet significatif sur le PT, aucune donnée scientifique ne vient étayer cette allégation. De plus, bien qu’AstraZeneca tente de s’appuyer sur les propriétés de gélification de la HPMC et leur corrélation avec la libération du médicament, il n’est pas question de ces éléments dans le brevet 531.

 

L’interprétation du brevet

 

[143]       Pharmascience fait valoir qu’il est admis dans le brevet 531 que l’information considérable au sujet des ingrédients en litige en l’espèce était déjà connue. Le principal élément que le brevet ajoute concerne le PT de la HPMC.

 

[144]       Contrairement à l’affirmation d’AstraZeneca voulant que la forme pharmaceutique soit une forme à libération immédiate, Pharmascience allègue qu’il s’agit plutôt d’une forme à libération retardée, car le médicament n’est pas libéré avant que la préparation n’ait traversé l’estomac et ne soit arrivée dans l’intestin.

 

[145]       Pharmascience fait valoir que le brevet ne présente aucun essai ou donnée pour expliquer la raison du choix des PT revendiqués. Il s’agit donc de choix arbitraires. Par ailleurs, Pharmascience souligne que le brevet 531 n’enseigne pas que le PT de la HPMC a un effet quelconque sur la libération du médicament. Il montre plutôt le contraire, car les essais qu’il mentionne ne portent que sur un seul lot de HPMC de faible viscosité ayant le PT revendiqué. Ces essais ne peuvent donc pas révéler une variation d’un lot à l’autre. En outre, Pharmascience fait remarquer que les trois essais mentionnés dans le brevet 531 ont pour but de comparer deux types non identifiés de HPMC, l’un dont le PT se situe au‑dessus du PT revendiqué et l’autre, en dessous. Comme AstraZeneca admet que ces deux types sont équivalents, Pharmascience prétend que ce pourrait être un lot de METHOCEL E6 et un lot de Pharmacoat 606.

 

[146]       Pharmascience constate aussi que les figures 1 et 2 du brevet 531 indiquent que les deux types de HPMC se dissolvent totalement à la température du corps. En conséquence, le brevet ne révèle aucune relation de cause à effet entre le PT de la HPMC et la libération du médicament à la température du corps. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme AstraZeneca, M. Miller n’était pas d’accord pour dire que différents lots de HPMC se dissolvaient à des vitesses différentes. Il a plutôt dit que la HPMC de faible viscosité permettrait une libération immédiate, alors que la HPMC de forte viscosité ne se dissoudrait pas aussi rapidement.

 

[147]       Pour ce qui est des résultats des essais décrits à la figure 3 du brevet 531, Pharmascience souligne que la HPMC était utilisée comme agent liant dans cette expérience et qu’il n’y avait pas de facteur de confusion tel qu’un enrobage gastrorésistant. Les résultats de ces essais montrent que les deux types de HPMC sont conformes aux spécifications de l’oméprazole en matière de dissolution et que, lorsqu’elle est employée comme agent liant, la HPMC ne peut pas contrôler le pourcentage de libération du médicament.

 

[148]       Pharmascience constate également qu’AstraZeneca tente d’écarter les essais de son propre brevet, alléguant que la HPMC n’était pas exposée à l’acide gastrique dans cette expérience, ce qui aurait été le cas d’une forme gastrorésistante. Cependant, Pharmascience soutient que cet argument ne tient pas compte du fait que l’enrobage gastrorésistant est censé résister au liquide gastrique et se dissoudre au pH plus élevé de l’intestin. Ce n’est qu’à cet endroit que la couche de HPMC se dissout. C’est ce que le brevet d’AstraZeneca visant la forme à trois couches montre clairement.

 

[149]       Pharmascience constate aussi qu’il manque des données importantes concernant les essais sur les granules à enrobage gastrorésistant dont il est question dans le brevet 531 : le nombre de granules fabriqués et mis à l’essai; si les granules ont été mis à l’essai individuellement ou sous forme de capsule ou de comprimé; la forme pharmaceutique mise à l’essai (granules, capsules ou comprimés); la dose finale de la forme pharmaceutique; l’épaisseur de l’enrobage gastrorésistant; la quantité d’oméprazole dans les granules lorsqu’ils ont été déposés dans la solution tampon; si les mêmes conditions ont été employées avec les granules contenant du HPMC de type A ou de type B; le nombre d’essais de dissolution réalisés avec les granules contenant les différents types de HPMC; et l’information concernant les analyses statistiques effectuées.

 

[150]       Pharmascience souligne que, contrairement à l’allégation d’AstraZeneca, une libération à l’intérieur du délai de 30 minutes s’est produite avec une partie du lot de type A. De plus, comme il n’y avait qu’un seul lot de HPMC de type A, les différences en ce qui concerne la dissolution ne sont pas dues à la nature ou aux propriétés de la HPMC. Par ailleurs, comme les granules faits de HPMC de type A se sont dissous conformément aux spécifications, rien n’indique que la HPMC a une influence sur la dissolution. Enfin, Pharmascience fait valoir que les spécifications officinales de l’oméprazole prévoient une dissolution de 70 % en 30 minutes pour les capsules de 40 mg. À cette dose, tous les granules faits de HPMC de type A ou de type B étaient conformes aux spécifications.

 

[151]       Pharmascience soutient que le brevet 531 ne montre pas que la HPMC est l’élément qui contrôle le pourcentage de dissolution du médicament. Il est plutôt probable que la différence signalée dans le brevet 531 soit attribuable à un élément de l’enrobage gastrorésistant plutôt que du sous‑enrobage. De plus, si une personne voulait déterminer si la HPMC influe sur la libération du médicament présent dans les granules enrobés, elle devrait mettre à l’essai des granules avec et sans HPMC. Aucun essai du genre n’a été réalisé dans le brevet 531. En l’absence de lien de cause à effet direct dans le brevet 531entre la HPMC et la dissolution du médicament, Pharmascience soutient qu’il est clair qu’une autre explication s’impose, et elle propose les suivantes :

            1.         la libération peut être influencée par l’épaisseur du polymère et par les types et la quantité de plastifiants utilisés dans l’enrobage gastrorésistant à base de polymère;

            2.         des agrégats peuvent se former pendant l’enrobage et créer une couche plus épaisse sur certaines sphères que sur d’autres;

            3.         les excipients dans le noyau peuvent avoir un effet sur la libération de l’oméprazole;

            4.         l’épaisseur et l’uniformité de la couche séparatrice produite avec les deux types de HPMC peuvent être différentes, et si la couche séparatrice est très mince, son intégrité en est réduite et elle peut présenter des craquelures, des trous ou des déformations;

            5.         une pulvérisation trop rapide de la HPMC peut faire en sorte que les granules s’agglutinent, ce qui réduirait l’intégrité du film;

            6.         une perte d’oméprazole a pu se produire (sans être mesurée) à la première étape de l’essai, en milieu acide.

 

[152]       Pharmascience affirme que, avant décembre 1988, la personne versée dans l’art aurait étudié d’autres paramètres qui peuvent être à l’origine d’une libération retardée, par exemple la vitesse de vaporisation, la température du produit et la circulation d’air. Pharmascience constate aussi qu’aucune spécification de la HPMC rédigée après la date de publication du brevet 531 ne donne une valeur de PT. Néanmoins, les formulateurs de produits pharmaceutiques continuent de prendre en considération des facteurs tels que la viscosité et la masse moléculaire, comme ils le faisaient avant cette date.

 

L’invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets

 

[153]       Pharmascience soutient que, en mai 1998, il était généralement admis que la HPMC de faible viscosité se dissout dans des solutions aqueuses en milieu basique (intestin) ou acide (estomac). Cette propriété fait en sorte qu’elle convient à la préparation de films qui se dissolvent rapidement à l’endroit ciblé. De plus, lorsqu’elle est utilisée en couche mince sur l’extérieur d’un comprimé ou encore comme couche séparatrice, elle permet une libération immédiate et n’exerce aucun contrôle sur le pourcentage de dissolution ou de libération du médicament.

 

[154]       Pharmascience prétend donc que le brevet 531 ne renferme aucune invention. Les brevets de l’art antérieur divulguent la forme à trois couches faite de HPMC de faible viscosité tant comme agent liant que comme couche séparatrice. À 41 ˚C, la HPMC devient trouble, et sa viscosité augmente. Cependant, cela n’a aucune incidence sur la préparation, car elle doit se dissoudre à 37 ˚C (température du corps).

 

[155]       Même si la Cour concluait que le PT est pertinent, Pharmascience soutient que ce facteur est déterminé principalement par le pourcentage de groupes méthoxyle dans la HPMC. Pharmascience souligne que, selon la preuve non contredite obtenue par les essais, la HPMC de faible viscosité ayant le pourcentage de groupes méthoxyle utilisé depuis plus de 30 ans a un PT qui correspond au PT revendiqué.

 

L’utilité

 

[156]       Pharmascience allègue que le brevet 531 ne répond pas à l’exigence d’utilité. Il ne suffit pas de dire que les essais ont été réalisés. Lorsque le titulaire d’un brevet fait l’objet d’une contestation, il doit produire une preuve concernant ces essais. En l’espèce, AstraZeneca n’a pas produit de preuve d’utilité, et Pharmascience allègue que l’utilité n’est pas démontrée dans le brevet 531. Pharmascience avance aussi que, lorsqu’un brevet promet une utilité commerciale, le titulaire du brevet doit satisfaire à cette norme. AstraZeneca n’ayant pas réussi à satisfaire à cette norme, le brevet n’offre rien d’autre que les formes pharmaceutiques à trois couches connues de l’art antérieur.

 

[157]       Pharmascience soutient qu’une seule donnée ne peut pas démontrer une constance dans tout un intervalle. Aussi, un seul lot ne peut-il pas démontrer une variation d’un lot à l’autre. Si une invention revendiquée n’a pas l’utilité promise, telles une meilleure dissolution et l’élimination de la variation d’un lot à l’autre, une contestation de sa validité est justifiée.

 

[158]       Si la personne versée dans l’art ne peut pas en arriver à une conclusion utile d’après l’information contenue dans le brevet, la Cour conclura à l’inutilité. En l’espèce, deux des trois essais montrent clairement qu’il n’existe pas de différence de dissolution entre les deux types de HPMC. Dans le troisième essai, comme certaines des unités évaluées donnaient un résultat satisfaisant, on ne peut pas conclure que le PT de la HPMC était la cause des problèmes de dissolution. En conséquence, le brevet ne démontre pas l’utilité de la HPMC ayant un certain PT. Par ailleurs, Pharmascience soutient que le fondement du brevet n’est présenté ni dans le brevet ni dans la preuve. Par conséquent, le brevet 531 est invalide pour cause d’inutilité.

 

La suffisance

 

[159]       Pharmascience soutient que le brevet 531 ne fournit au public aucune information nouvelle et utile sur la fabrication de comprimés à trois couches. Le brevet a également un caractère insuffisant parce que les données qui le sous‑tendent montrent que le résultat est de beaucoup inférieur à ce qui était promis.

 

L’évidence

 

[160]       Enfin, Pharmascience prétend qu’il n’y a rien d’original à trouver une solution à un problème qui n’a jamais existé. AstraZeneca ne s’est jamais plainte à son fournisseur de HPMC d’une quelconque variation d’un lot à l’autre. Comme le PT n’est pas un paramètre pertinent, Pharmascience argue qu’il n’existe pas de différence entre la forme pharmaceutique à trois couches de l’art antérieur et celle revendiquée dans le brevet 531.

 

[161]       Même si la Cour admettait que le PT revendiqué a une certaine utilité, il s’agit d’une propriété intrinsèque de la HPMC de faible viscosité qui était utilisée dans les brevets de l’art antérieur. Il s’agissait donc d’un paramètre connu et mesurable. Rien ne laisse non plus croire que la mesure du PT soit une activité inventive. Enfin, Pharmascience fait valoir qu’une revendication fondée sur une HPMC ayant un certain PT est indirectement une revendication fondée sur le pourcentage de groupes méthozyle dans la HPMC, information qui était déjà bien connue.

 

[162]       Pour tous ces motifs, Pharmascience réclame le rejet de la demande.

 

Analyse et décision

 

Les questions péliminaires

 

[163]       Les défendeurs allèguent que M. Bodmeier a agi à titre de défenseur des intérêts d’AstraZeneca et que, conséquemment, s’il y a divergence entre la preuve présentée par leurs propres experts et celle présentée par M. Bodmeier, la preuve fournie par leurs experts devrait être privilégiée. J’ai revu la preuve fournie par M. Bodmeier et je ne suis pas d’avis qu’il agissait à titre de défenseur. Il précisait plutôt ses réponses.

 

[164]       J’admets également la preuve de M. Bodmeier selon laquelle le brevet 531 traite de différents lots du même produit de HPMC. Il affirme ce qui suit au paragraphe 19 de son affidavit (recueil de l’audience d’AstraZeneca Canada Inc., partie 1, onglet 5, volume 6, page 2224 du dossier de la demande) :

[traduction] Il faut souligner que, lorsque le brevet 531 fait mention de « différents lots », on comprend qu’il s’agit de différents lots du même produit de HPMC, par exemple, un sous‑type précis de HPMC. Il était admis que la qualité des excipients, y compris de la HPMC, pouvait varier selon le sous‑type, et il aurait était contraire aux pratiques admises d’utiliser différents sous‑types de HPMC pour la fabrication commerciale de préparations pharmaceutiques, étant donné que l’uniformité est essentielle. La personne versée dans l’art comprendrait qu’un sous‑type précis de HPMC aurait été choisi pour la fabrication de la préparation finale et que la variation d’un lot à l’autre concerne donc différents lots de ce sous‑type. Par exemple, Dow Chemical fabrique plusieurs familles de produits de HPMC, dont METHOCEL A, E, F, J et K. METHOCEL E comprend plusieurs sous‑types tels que E5, E6 et E15. Par conséquent, lorsque le brevet fait mention de différents lots, il s’agit de différents lots d’un sous‑type de HPMC parmi ceux énumérés ci‑dessus, par exemple différents lots de METHOCEL E5. Les vendeurs commerciaux désignent les différents lots d’un sous‑type de HPMC par leur numéro de lot.

 

 

 

[165]       La preuve montre que les essais de M. Desbrières portent sur cinq sous‑types différents de HPMC de faible viscosité plutôt que sur différents lots du même sous‑type.

 

[166]       Il convient de souligner dès le départ le processus réglementaire en cause. La Cour d’appel fédérale a décrit brièvement comme suit ce processus dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, [2012] ACF no 386 :

4     Pour pouvoir vendre un nouveau médicament au Canada, un innovateur doit obtenir l’approbation réglementaire du ministre de la Santé sous le régime de la section 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues, CRC c. 870. Cette approbation est donnée sous forme d’avis de conformité, lequel ne peut être délivré que si suffisamment de renseignements et de documents ont été fournis au ministre pour lui permettre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité du médicament, notamment des comptes rendus détaillés des essais effectués en vue d’établir l’innocuité du médicament, aux fins et selon le mode d’emploi recommandé, ainsi que de solides éléments de preuve démontrant l’efficacité clinique du médicament en question.

 

5     Le fabricant qui par la suite souhaite commercialiser une version générique du médicament doit soumettre au ministre de la Santé un document (appelé présentation abrégée de drogue nouvelle) dans laquelle il procède à des comparaisons spécifiques entre son médicament générique et le médicament de l’innovateur pour satisfaire aux conditions énumérées à la section 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues en vue d’obtenir un avis de conformité pour le médicament générique.

 

6     Le Règlement AC, qui a été pris en application de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, permet à l’innovateur qui dépose une présentation de drogue nouvelle de soumettre également au ministre de la Santé une liste de brevets se rapportant à sa demande. Il est ensuite possible d’ajouter les brevets figurant sur cette liste au registre des brevets tenu par le ministre.

 

7     Le fabricant de médicaments génériques qui sollicite un avis de conformité pour un médicament et qui compare ce médicament avec un autre médicament commercialisé au Canada aux termes d’un avis de conformité doit, pour chacun des brevets inscrits au registre pour l’autre médicament, accepter d’attendre l’expiration du brevet avant d’obtenir l’approbation du ministre ou alléguer (au moyen de ce qu’on appelle un « avis d’allégation ») que le brevet n’est pas valide ou qu’il ne serait pas contrefait, et notamment fournir un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation (article 5 du Règlement AC).

 

8     L’innovateur à qui est signifié un tel avis d’allégation peut demander à la Cour fédérale de prononcer une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité au fabricant de médicaments génériques tant que son brevet ne sera pas expiré. La Cour doit rendre cette ordonnance si elle conclut que les allégations relatives au brevet figurant dans l’avis d’allégation ne sont pas fondées (article 6 du Règlement AC).

 

9     Suivant la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de notre Cour, il s’agit en pareil cas d’une procédure sommaire éminemment factuelle qui vise uniquement à interdire la délivrance d’un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Les questions relatives à la contrefaçon ou la validité d’un brevet ne peuvent donc être tranchées de façon définitive dans le cadre de cette procédure (Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, aux paragraphes 95 et 96; Merck Frost Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), pages 319 et 320; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), page 600).

 

10     Si l’innovateur obtient gain de cause dans l’instance en question, il est alors interdit au ministre de la Santé de délivrer au fabricant de médicaments génériques un avis de conformité pour son médicament générique tant que le brevet applicable n’a pas expiré. En revanche, si le fabricant de médicaments génériques obtient gain de cause, le ministre peut alors lui délivrer un avis de conformité pour sa version générique du médicament. Peu importe l’issue de l’instance introduite en vertu du Règlement AC, les instances relatives à la validité ou à la contrefaçon des brevets qui sont introduites sous le régime de la Loi sur les brevets peuvent être engagées ou poursuivies par les parties devant le tribunal compétent. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[167]       L’avis d’allégation délimite le cadre de l’instance introduite en vertu du Règlement AC. Par conséquent, toute allégation qui ne fait pas partie de cet avis ne peut être examinée dans l’instance (Pfizer Canada (2012), précité, au paragraphe 29).

 

[168]       Dans l’arrêt GlaxoSmithKline Inc c Pharmascience Inc, 2011 CF 239, [2011] ACJ n287, le juge Roger Hughes résume comme suit les principes directeurs relatifs aux avis d’allégation :

40        Je dirai, sans exprimer d’opinion sur la question de savoir s’ils sont justes ou erronés du point de vue de l’« équité », que certains principes, notamment les suivants, ont été dégagés de l’interprétation judiciaire des avis d’allégation :

 

i.          L’avis d’allégation ne peut plus être modifié une fois qu’une instance a commencé, sauf que certaines allégations faites peuvent être omises ou ne plus être invoquées (par exemple, Hoffmann-La Roche Ltd c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3rd) (CAF); Bayer A/G c. Novopharm Ltd. (2006), 46 C.P.R. (4th) 46, aux paragraphes 72 à 84 (CF)).

 

ii.         L’avis d’allégation doit être suffisant pour que la « première personne » soit pleinement informée des motifs soulevés relativement à l’invalidité ou à la non‑contrefaçon (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1, aux paragraphes 19 à 21 (CAF)).

 

iii.        Dans une instance instituée devant la Cour, une seconde personne ne peut présenter une preuve et une argumentation visant une question qui déborde le cadre de l’avis d’allégation (par exemple, Ratiopharm Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 58 C.P.R. (4th) 97, au paragraphe 25 (C.A.F.)).

 

iv.        Au cours de l’instance, la seconde personne ne peut pas changer de motifs ou soulever un nouveau motif qui n’a pas été soulevé dans son avis d’allégation (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 54 C.P.R. (4th) 279, aux paragraphes 70 et 71 (CF)).

 

41        Dans les instances judiciaires, la première personne est tenue d’établir, conformément au paragraphe 6(2) du Règlement AC, « qu’aucune des allégations n’est fondée ». Ainsi, l’objet de l’instance consiste à examiner les allégations, à analyser la preuve, à appliquer la loi et à déterminer si l’allégation faite dans l’avis d’allégation est fondée. Une telle décision, par exemple sur la question de savoir si une allégation d’invalidité est fondée, n’empêche pas cette question d’être débattue dans une action ordinaire concernant le brevet; en d’autres termes, il n’y a pas chose jugée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401, au paragraphe 7 (C.A.F.)). [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[169]       En l’espèce, AstraZeneca demande un jugement déclarant que l’AA n’est ni un avis d’allégation valide ni un énoncé détaillé au sens du Règlement AC. La suffisance de l’avis d’allégation est une question mixte de droit et de fait (Pfizer Canada (2012), précité, au paragraphe 30).

 

[170]       Dans Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 26, 59 CPR (4th) 183 (conf. Par 2007 CAF 195, autorisation de pourvoi refusée [2007] CSCR no 371), le juge James O’Reilly décrit le fardeau de la preuve dans une instance relative à un AC (au paragraphe 12) :

Pour résumer, Pfizer a l’obligation légale d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Apotex assume simplement l’obligation de faire jouer ses prétentions et de produire une preuve qui suffise à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité. Si Apotex s’acquitte de cette obligation, alors la présomption de validité du brevet de Pfizer sera réfutée. Je devrai alors dire si Pfizer a prouvé que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Si Apotex ne s’acquitte pas de son obligation de présentation de preuve, alors Pfizer pourra simplement invoquer la présomption de validité pour obtenir l’ordonnance d’interdiction qu’elle sollicite.

 

 

 

[171]       Après avoir examiné l’AA en litige, j’estime que Pharmascience a fourni un énoncé suffisamment détaillé du fondement juridique et factuel de ses allégations, comme l’exige le sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement AC. Comme je l’ai déjà mentionné, Pharmascience a fourni dans son AA des observations détaillées concernant les motifs d’invalidité suivants :

1.      divulgation insuffisante/revendications mal étayées;

2.      revendications d’une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée;

3.      absence de nouveauté et antériorité découlant d’une utilisation antérieure;

4.      double brevet;

5.      absence d’activité inventive/évidence; pas une invention (au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets);

6.      absence de prédiction valable et d’utilité;

7.      pas un brevet de sélection valide;

8.      intention d’induire en erreur l’agent des brevets (selon le paragraphe 34(1) et l’article 53 de la Loi sur les brevets).

 

[172]       En l’espèce, Pharmascience a limité ses observations aux motifs suivants : pas une invention (no 6), absence d’utilité (no 7), divulgation insuffisante (no 1) et absence d’activité inventive /évidence (no 5). Comme tous ces motifs ont été correctement présentés dans l’AA, je conclus que Pharmascience s’est acquittée de son obligation de faire jouer ses prétentions. Par conséquent, conformément à l’alinéa 6(2) du Règlement AC, il incombe maintenant à AstraZeneca de démontrer que les allégations de Pharmascience sur ces questions ne sont pas fondées. Pour rendre sa décision, la Cour doit « examiner les allégations, analyser la preuve, appliquer la loi et déterminer si l’allégation faite dans l’avis d’allégation est fondée » (GlaxoSmithKline, précité, au paragraphe 41).

 

[173]       Première question en litige

            Le brevet 531 porte‑t‑il sur une invention au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets, étant donné qu’il ne fait que confirmer les propriétés d’une substance connue?

            Pharmascience soutient que le brevet 531 ne renferme aucune invention parce qu’il ne concerne que le PT de la HPMC de faible viscosité, propriété physico-chimique intrinsèque principalement déterminée par le pourcentage de groupes méthoxyle dans la HPMC. Pour étayer ses allégations, Pharmascience a fourni les résultats d’expériences menées par M. Desbrières. Les produits de HPMC de faible viscosité que M. Desbrières a mis à l’essai avaient des pourcentages différents de groupes méthoxyle et de groupes hydroxypropyle. Les PT obtenus par M. Desbrières, mesurés conformément à la méthodologie présentée dans le brevet 531, dépassaient le PT revendiqué pour chaque type de HPMC de faible viscosité mis à l’essai (moins de 7,2 cP), ce qui laisse croire que les produits de HPMC de faible viscosité couramment vendus sur le marché ont déjà un PT conforme au PT revendiqué.

 

[174]       Pharmascience fait aussi valoir que les brevets de l’art antérieur divulguent les formes à trois couches faites de HPMC de faible viscosité, le HPMC servant tant d’agent liant que de couche séparatrice. Par ailleurs, Pharmascience affirme que le PT revendiqué n’a pas d’effet sur la préparation, car, dans les faits, il doit se dissoudre à la température plus basse de 37 ˚C (la température du corps). Pharmascience allègue aussi que, lorsqu’elle est employée comme mince couche sur l’extérieur des comprimés ou comme couche séparatrice, la HPMC de faible viscosité permet une libération immédiate et n’exerce aucun contrôle sur le pourcentage de dissolution ou de libération du principe actif.

 

[175]       En revanche, AstraZeneca soutient que l’allégation de Pharmascience est fondamentalement fausse, car elle repose sur une interprétation erronée du brevet 531. Une interprétation correcte dévoile un enseignement surprenant, soit que la quantité de produit jeté peut être réduite en ne choisissant que les lots de produits de HPMC de faible viscosité dont le PT dépasse le PT revendiqué. AstraZeneca prétend que cet avantage découle de la découverte faite par les inventeurs du brevet que le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans une préparation à enrobage gastrorésistant varie selon le PT des différents lots d’un même produit de HPMC de faible viscosité. AstraZeneca soutient que cet enseignement était clairement fourni au tableau de la page 11 du brevet, qui montrait qu’un lot dépassait la norme de commercialisation, alors qu’un autre lot de la même HPMC de faible viscosité ne le dépassait pas. Par suite d’un certain nombre d’expériences, les inventeurs du brevet ont déterminé le PT revendiqué, qui garantit une libération constante de 75 % de l’oméprazole en 30 minutes (norme de commercialisation). Par conséquent, AstraZeneca argue que le brevet enseigne que la sélection d’un lot de HPMC de faible viscosité conforme au PT revendiqué garantit que la norme de commercialisation sera invariablement respectée, ce qui réduit la quantité de produit jeté parce qu’il ne répond pas aux exigences de libération du médicament.

 

[176]       Après avoir examiné la preuve et le brevet 531, je souscris à l’opinion d’AstraZeneca que l’information fournie par le brevet dépasse la simple description des propriétés physico‑chimiques intrinsèques d’une substance connue. Comme l’affirme AstraZeneca, le brevet traite plutôt de la variation d’un lot à l’autre d’un seul produit de HPMC de faible viscosité et d’une propriété qui peut être mesurée pour garantir une libération de l’oméprazole constante et conforme aux normes de commercialisation.

 

[177]       Les deux premières expériences décrites dans le brevet montrent que l’utilisation de différents lots d’un même type de HPMC de faible viscosité peut se solder par des pourcentages différents de libération de l’oméprazole contenu dans les granules à enrobage gastrorésistant. Fait à noter, la troisième expérience montre bien que la libération de l’oméprazole avec les deux lots répond aux normes de commercialisation. Cependant, cette expérience n’a pas été réalisée sur des granules à enrobage gastrorésistant et le résultat pertinent de cet essai est plutôt que les différents lots affichent des pourcentages de libération de l’oméprazole différents.

 

[178]       Enfin, bien que les résultats des essais de M. Desbrières laissent croire que les produits de HPMC de faible viscosité dépassent déjà le PT revendiqué, je constate que celui‑ci n’a fourni aucun résultat d’essais menés sur différents lots du même type de HPMC de faible viscosité. Je conclus donc que ses résultats ne sont pas suffisants pour que les données présentées dans le brevet 531 soient considérées uniquement comme des propriétés physico‑chimiques intrinsèques d’une substance connue.

 

[179]       Deuxième question en litige

            Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à l’utilité?

            L’exigence qu’une invention ait une « utilité » a pour fondement l’article 2 de la Loi sur les brevets, qui définit une invention comme une chose « présentant le caractère de la nouveauté

et de l’utilité ». D’entrée de jeu, il est important de savoir que l’utilité ne dépend pas des possibilités de commercialisation. Comme l’a indiqué la juge Judith Snider dans la décision Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, [2009] ACF no 986, au paragraphe 145 :

lorsqu’on détermine l’utilité d’une invention, on ne se demande pas si l’invention est suffisamment utile pour pouvoir être commercialisée, à moins que l’utilité commerciale soit expressément promise

 

 

 

[180]       L’utilité doit être démontrée ou il doit y avoir eu une prédiction valable d’utilité fondée sur l’information et l’expertise disponibles au moment de la prédiction, à la date pertinente (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 143). La date pertinente est la date de dépôt de la demande de brevet au Canada (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 145).

 

[181]       La démonstration ou la prédiction valable qu’une invention produira au moins un résultat utile ou aura « la “moindre parcelle” d’utilité » suffit si aucun résultat précis n’a été promis (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 145). Cependant, lorsque le mémoire descriptif du brevet promet un résultat particulier, les revendications doivent démontrer ou prédire de façon valable que ce résultat sera obtenu ou que cette promesse sera remplie (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 145).

 

[182]       Pour interpréter le mémoire descriptif d’un brevet, « la promesse doit être bien définie, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet » (Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, [2010] ACF no 951, autorisation de pourvoi refusée [2010] CSCR no 377, au paragraphe 80). Par conséquent, si la détermination de la promesse (ou de l’absence de promesse) d’un brevet est une question de droit, l’aide d’experts est utile pour cette évaluation.

 

[183]       Dans GlaxoSmithKline, précité, le juge Roger Hughes explique la manière générale dont le mémoire descriptif d’un brevet doit être interprété :

84     Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, la Cour suprême du Canada a énoncé comme suit, aux pages 520 et 521, la manière d’interpréter le mémoire descriptif d’un brevet :

 

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation) [1950] R.C.S. 36], sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [TRADUCTION] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

 

[…]

 

89     Dans son livre intitulé « The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention », 4e éd., Carswell, Toronto, 1969 (Fox on Patents), feu Harold Fox a fourni un éclairage utile sur ces questions aux pages 208 et 209 (notes de bas de page omises) :

 

[traduction]

 

INTERPRÉTATION IMPARTIALE

 

Au départ, les brevets étaient considérés défavorablement au motif qu’ils relevaient de la nature des monopoles et on avait généralement tendance à donner au brevet une interprétation inutilement rigoureuse à l’encontre du breveté. La tendance s’est ensuite inversée et les tribunaux faisaient souvent preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit envers le titulaire de brevet qui avait introduit un nouveau procédé. Il ne devrait pas être nécessaire de souligner qu’une interprétation qui est trop rigoureuse ou trop large, même dans la moindre mesure, cesse d’être une interprétation impartiale et est, par conséquent, inappropriée. Le mémoire descriptif d’un brevet est assujetti aux mêmes principes d’interprétation impartiale que ceux qui s’appliquent habituellement aux documents écrits en général. Comme le juge Chitty l’a indiqué dans Lister v. Norton : « Il ne devrait certainement pas être interprété de façon rigoriste; je ne dirais pas qu’il devrait être interprété en faisant preuve d’ouverture d’esprit; je dis qu’il devrait être interprété équitablement. Il doit être lu par un esprit désireux de comprendre, et non pas par un esprit désireux de ne pas comprendre. »

 

...

 

Lorsqu’il interprète un mémoire descriptif, le tribunal devrait alors être un arbitre juste et impartial entre le titulaire du brevet et le public. L’interprétation doit être raisonnable, équitable et logique, conforme à la façon d’interpréter tous les documents écrits en se fondant sur l’intention véritable. Rien ne devrait être présumé en faveur du breveté ou d’un contrefacteur présumé, bien qu’il soit normal que le tribunal tente de justifier un brevet si un tel exercice peut être honnête et équitable et ne pas verser dans une interprétation erronée, car il est raisonnable de présumer que le titulaire d’un brevet ne revendiquerait rien qui pourrait faire annuler son brevet. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[184]       Comme je l’ai déjà mentionné, si l’utilité d’une invention n’a pas été démontrée à la date pertinente, un inventeur peut toujours s’appuyer sur la règle de la prédiction valable pour justifier les revendications contenues dans son brevet. Le juge Ian Binnie a expliqué le but de cette règle dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153 (au paragraphe 66) :

La règle de la « prédiction valable » établit un équilibre entre l’intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu’on en ait vérifié l’utilité par des tests (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l’intérêt public qu’il y a à éviter d’encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation.

 

 

 

[185]       La règle pour déterminer s’il y a eu prédiction valable de l’utilité est exposée dans l’arrêt Apotex, précité :

70        La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnement peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous‑jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

 

71        Il vaut la peine de répéter que la question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait. Il faut présenter, comme on l’a fait en l’espèce, une preuve de ce qui était connu ou inconnu à la date de priorité. Tout dépendra, dans chaque cas, des particularités de la discipline en cause. En l’espèce, les conclusions de fait nécessaires à l’application de la règle de la « prédiction valable » ont été tirées et j’estime que les appelantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur dominante ou manifeste.

 

 

[186]       Plus récemment, la juge Snider a brièvement résumé ces trois éléments comme suit (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 146) :

1.         la prédiction doit avoir un fondement factuel;

 

2.         l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

 

3.         il doit y avoir divulgation suffisante.

 

[187]       La juge Snider a ajouté que, pour être valable, la prédiction ne doit pas nécessairement correspondre à une certitude, car elle n’exclut pas le risque que puisse ultérieurement être établi le défaut d’utilité de certains composés entrant dans le champ revendiqué (Sanofi-Aventis, précité, au paragraphe 147).

 

[188]       Lorsqu’elle a déterminé le type de preuve qui satisferait aux trois éléments de la règle de la prédiction valable, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit dans l’arrêt Eli Lilly, précité :

84     L’arrêt sur l’AZT ne définit pas le poids que doit avoir la preuve sur la question de la prédiction valable. Toutefois, de l’avis du juge Binnie, il faut plus que de simples spéculations (paragraphe 69). Il donne également les indices suivants :

 

* les revendications doivent être honnêtement fondées sur la divulgation contenue dans le brevet (paragraphe 59);

 

* il doit, à première vue, être raisonnable que le titulaire du brevet puisse formuler une revendication (paragraphe 60);

 

* il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une certitude (paragraphe 62);

 

* il doit être possible d’inférer le résultat souhaité du fondement factuel (paragraphe 70).

 

85     À mon avis, ces indices laissent entendre qu’une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Fait à noter, dans l’arrêt sur l’AZT, le fondement factuel de la prédiction valable d’une utilisation nouvelle d’un composé reposait sur les résultats des tests in vitro effectués pour vérifier l’action de l’AZT sur le VIH dans une lignée cellulaire humaine, ainsi que sur les données de Glaxo sur l’AZT obtenues notamment lors de tests effectués sur des animaux (paragraphe 72). La connaissance que Glaxo possédait du mécanisme de reproduction d’un rétrovirus constituait le raisonnement nécessaire.

 

 

[189]       En l’espèce, Pharmascience soutient que le brevet 531 n’indique pas que de quelconques essais aient été réalisés pour démontrer que la HPMC de faible viscosité a bien l’utilité revendiquée, et aucune donnée concrète n’a été fournie pour démontrer l’utilité promise. Selon Pharmascience, si l’utilité est contestée, il ne suffit pas de dire que des essais ont été menés, il faut fournir des éléments de preuve concernant ces essais. De plus, comme AstraZeneca a fait une promesse d’utilité commerciale, le brevet doit satisfaire à cette norme, et, selon Pharmascience, AstraZeneca a failli à cet égard. Par conséquent, Pharmascience soutient que le brevet 531 n’offre rien d’autres que la forme à trois couches connue de l’art antérieur.

 

[190]       AstraZeneca allègue que la Cour d’appel fédérale a explicitement rejeté l’idée que l’utilité doive être démontrée dans la description du brevet. Elle s’appuie sur l’arrêt Pfizer Canada Inc c Novopharm Ltd, 2010 CAF 242, [2010] ACF no 1200 (autorisation de pourvoi accordée dans [2010] CSCR no 443, actuellement en délibéré), où il est dit :

87     Bien qu’il n’y ait pas de jurisprudence précisant s’il est nécessaire ou non de démontrer l’utilité dans l’exposé de l’invention du brevet, je suis d’avis que la réponse est qu’il n’est pas nécessaire que l’utilité soit démontrée dans l’exposé de l’invention du brevet. Premièrement, il n’y a rien dans la Loi qui donne à penser qu’une telle démonstration est nécessaire. Deuxièmement, il n’existe a priori aucune raison de penser que l’exposé de l’invention du brevet devrait contenir une preuve de tous les éléments requis pour qu’on puisse obtenir le brevet. Au §25 de leur ouvrage, Hughes & Woodley expliquent comme suit l’objectif visé par l’exposé de l’invention :

 

[traduction] La description de l’invention […] vise à fournir au public une description adéquate de l’invention de nature à permettre à un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, de construire ou d’exploiter l’invention quand sera terminée la période de monopole. Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation, c.‑à‑d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications) c’est une description de l’invention et de la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoutent une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués.

.

 

88     En d’autres termes, l’exposé de l’invention fournit aux praticiens, non pas une preuve, mais des orientations : il explique comment mettre l’invention en application. Il ne leur prouve pas son utilité, bien qu’ils puissent exiger cette preuve en introduisant une instance en invalidité.

 

89     D’ailleurs, dans sa décision la plus récente portant sur l’utilité, l’arrêt Wellcome (CSC), précité, la Cour suprême ne mentionne nulle part la nécessité de prouver l’utilité dans l’exposé de l’invention. Au paragraphe 56 de ses motifs, le juge Rothstein écrit :

 

[56] Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

90     L’argument de l’appelante suivant lequel Pfizer était tenue d’inclure dans l’exposé de l’invention du brevet des éléments de preuve pour démontrer l’utilité est non fondé. On peut satisfaire aux exigences en matière de démonstration de l’utilité en présentant des éléments de preuve au cours d’une instance en invalidité plutôt que dans le brevet lui‑même. Il semble que, dès lors que l’exposé de l’invention cite une étude qui démontre l’utilité, il n’y ait aucune autre exigence à satisfaire pour respecter l’article 2. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[191]       AstraZeneca soutient qu’elle démontre l’utilité lorsqu’elle indique à la page 12 du brevet 531 que : [traduction] « [l]es résultats d’un certain nombre d’expériences réalisées avec différents lots de HPMC indiquent que la HPMC ayant un point de trouble d’au moins 45,6 ˚C est souhaitable pour satisfaire aux exigences réglementaires relatives au pourcentage de libération de l’oméprazole ». AstraZeneca avance que cette affirmation lui permet de s’acquitter de son fardeau de prouver l’utilité. Bien que cette affirmation soit relativement non descriptive, je ne suis pas d’avis que la loi impose à AstraZeneca un fardeau plus lourd.

 

[192]       AstraZeneca fait aussi valoir que bien que l’expert de Pharmascience ne croie pas que le PT de la HPMC de faible viscosité varie à un point où il puisse se situer sous le PT revendiqué, les données incluses dans l’AA le contredisent directement. Plus précisément, AstraZeneca attire l’attention sur le tableau au bas de la page 60 de l’AA. Ce tableau présente différents PT de différents lots du même sous‑type de HPMC. Trois des échantillons ont un PT en deçà du PT revendiqué. AstraZeneca a questionné M. Desbrières au sujet de ces résultats en contre‑interrogatoire. Cependant, M. Desbrières a souligné que les échantillons dont le PT était en deçà du PT revendiqué étaient décrits dans une colonne du tableau comme étant « non approuvés ». Bien que M. Desbrières ait été incapable de fournir davantage de détails sur la signification de cette classification, j’estime que, étant donné que ces échantillons ont été classés comme « non approuvés », AstraZeneca peut difficilement s’appuyer sur eux pour affirmer que des lots de HPMC de faible viscosité ont un PT qui se situe en deçà du PT revendiqué.

 

[193]       Néanmoins, je ne suis pas d’avis que les résultats des essais réalisés par M. Desbrières renforcent la position de Pharmascience. Tous ces essais ont été réalisés sur différents sous‑types de HPMC de faible viscosité. Tous les échantillons avaient un PT qui se situait au-delà du PT revendiqué, mais M. Desbrières n’a pas analysé différents lots du même produit de HPMC de faible viscosité. Je conclus donc que ses résultats ne remettent pas suffisamment en cause les résultats du « certain nombre d’expériences » mentionné dans le brevet 531. Le risque de variation entre différents lots du même sous‑type est accentué par le nombre de facteurs influant sur le PT que M. Bodmeier a signalés dans son affidavit.

 

[194]       Enfin, je relève l’affirmation de Pharmascience selon laquelle AstraZeneca se devait d’établir l’utilité commerciale. À l’examen du brevet 531, je conclus que la « promesse » pertinente d’une telle utilité est la suivante (page 4) :

[traduction] D’un point de vue économique, il est avantageux de préciser et de vérifier la qualité de la HPMC et de ne devoir jeter qu’une faible quantité de produit pharmaceutique.

 

 

 

[195]       Comme je l’ai déjà mentionné, rien n’oblige à démontrer les possibilités de commercialisation pour établir l’utilité. Toutefois, lorsqu’une promesse est faite, elle doit être tenue. Je ne suis pas d’avis que cette phrase constitue clairement une promesse d’utilité commerciale. Elle promet plutôt que, en suivant les enseignements du brevet, la quantité de produit pharmaceutique jeté sera faible. Le brevet enseigne que, en déterminant au préalable le PT d’un lot particulier de HPMC de faible viscosité et en n’utilisant dans les préparations pharmaceutiques orales à enrobage gastrorésistant que les lots dont le PT dépasse le PT revendiqué, on obtient systématiquement un pourcentage de libération de l’oméprazole qui satisfait aux normes de commercialisation. Sans cet enseignement, certains lots de HPMC de faible viscosité pourraient être employés pour la fabrication de préparations pharmaceutiques orales à enrobage gastrorésistant, préparations qui devraient plus tard être jetées parce qu’elles ne répondent pas aux normes de libération de l’oméprazole. J’en arrive donc à la conclusion que le brevet remplit sa promesse.

 

[196]       En résumé, je conclus que Pharmascience n’a pas réussi à démontrer [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera » (Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504; et Eli Lilly, précité, au paragraphe 75).

 

[197]       Troisième question en litige

            Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à la suffisance de la divulgation?

            Le mémoire descriptif d’un brevet doit divulguer assez d’information pour que la personne versée dans l’art puisse fabriquer l’invention revendiquée et l’exploiter. La suffisance est une question de droit, déterminée à la date de publication. L’obligation de suffisance est prévue au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets.

 

[198]       Le critère permettant de déterminer s’il y a divulgation suffisante a été établi dans l’arrêt Pioneer Hi‑Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623, au paragraphe 27 :

[…]Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle-ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1113), et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316). [Non souligné dans l’original.]

 

 

[199]       Plus récemment, dans Eli Lilly, précité, la Cour d’appel fédérale a expliqué les exigences relatives à la suffisance de la divulgation (au paragraphe 113) :

 En plus de satisfaire aux critères de la brevetabilité, une invention doit également être suffisamment divulguée. Le mémoire descriptif représente une sorte de marché entre Sa Majesté, agissant pour le public, et l’inventeur (Consolboard). Par conséquent, le brevet doit contenir suffisamment de renseignements pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Les revendications doivent être énoncées de façon précise sans avoir une portée trop large. S’il n’est pas satisfait aux exigences de divulgation, le brevet sera invalide même s’il est nouveau, utile et non évident. Les exigences relatives au mémoire descriptif d’un brevet sont prévues aux paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[200]       En l’espèce, Pharmascience soutient que le brevet 531 ne décrit pas suffisamment l’invention et ne fournit pas au public des renseignements utiles ou nouveaux sur la fabrication d’un comprimé à trois couches. Le brevet n’indique pas non plus le type précis de HPMC de faible viscosité employé dans les expériences. Par conséquent, le brevet ne divulgue pas suffisamment la présumée invention.

 

[201]       En revanche, AstraZeneca affirme que les allégations d’insuffisance ne sont pas fondées parce qu’une lecture attentive du brevet permettrait clairement à la personne versée dans l’art de connaître les prétendus renseignements manquants. AstraZeneca observe que l’utilisation de HPMC de faible viscosité dans une couche séparatrice et comme agent liant était bien connue à la date de publication. De plus, il n’y a aucun doute que le PT tel qu’il est défini dans le brevet pouvait être compris et déterminé à l’aide des instructions dudit brevet.

 

[202]       En réponse à l’allégation de Pharmascience selon laquelle le brevet n’indique pas le type de HPMC à utiliser, AstraZeneca fait valoir que la personne versée dans l’art comprendrait facilement qu’elle peut employer n’importe quelle HPMC de faible viscosité de qualité acceptable dans une préparation d’oméprazole à enrobage gastrorésistant pourvu que son PT dépasse le PT revendiqué. Le brevet fait clairement mention de HPMC ayant une viscosité de 6 cP. De même, AstraZeneca soutient que la mention des normes de commercialisation et de l’utilisation d’un appareil à palette aurait facilement fait comprendre à la personne versée dans l’art que les inventeurs avaient utilisé l’appareil de dissolution 2.

 

[203]       Par ailleurs, AstraZeneca affirme que la personne versée dans l’art aurait aussi compris à la lecture du brevet que toute quantité adéquate de HPMC de faible viscosité peut être utilisée comme enrobage dans une préparation d’oméprazole à enrobage gastrorésistant pourvu que son PT dépasse le PT revendiqué.

 

[204]       Après avoir lu le brevet 531, je suis d’accord avec les motifs qu’évoque AstraZeneca pour dire que la divulgation est suffisante dans le brevet. Je constate que le dernier point mentionné par AstraZeneca, qui concerne la quantité d’enrobage, est quelque peu épineux à la lumière de la preuve fournie par les experts de Pharmascience sur l’importance d’une couche adéquate. Je remarque cependant que ces experts n’ont offert aucune preuve concrète que l’épaisseur de l’enrobage était à l’origine de la variabilité mentionnée dans le brevet et, par conséquent, je n’ai pas jugé leur preuve déterminante.

 

[205]       Je remarque aussi que le brevet 531 ne mentionne pas explicitement la température de la solution tampon dans laquelle la libération de l’oméprazole a été mesurée. Cependant, à la page 10 du brevet 531, on peut lire que : [traduction] « les essais ont été réalisés conformément aux règles d’approbation de commercialisation des préparations de Losec® en capsules; “ [l]es granules ont été pré-exposés à du liquide gastrique simulé USP (sans enzyme) à 37 ˚C pendant 2 heures ”; et la solution tampon comprenait du “ liquide gastrique simulé USP (sans enzyme) ”. Cela laisse croire que les essais ont été réalisés à 37 ˚C (température du corps). Je remarque que la mention ultérieure de températures variant de 35 ˚C à 50 ˚C (à la page 12 du brevet) concerne la détermination du PT des deux différents lots (type A et type B) de la même HPMC de faible viscosité. Par conséquent, ces températures ne sont clairement pas celles utilisées pour mesurer la libération de l’oméprazole dans la solution tampon.

 

[206]       En résumé, je conclus que le brevet 531 décrit suffisamment la nature de l’invention et la façon de la mettre en opération. D’après la description présentée, j’estime que la personne versée dans l’art pouvait apprendre des enseignements fournis et choisir un lot adéquat de HPMC de faible viscosité à utiliser dans une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant comme le prévoit le brevet 531.

 

[207]       Quatrième question en litige

            Le brevet 531 satisfait‑il aux critères de validité relatifs à l’évidence?

            Pour être valide, un brevet ne doit pas être évident, il doit comporter une activité inventive. Cette obligation est prévue à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

 

[208]       Dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265, la Cour suprême du Canada a adopté une démarche à quatre volets pour évaluer l’évidence. Écrivant au nom de la Cour, le juge Marshall Rothstein explique ce qui suit :

67        Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

[TRADUCTION] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

            (1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

            (2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

            (3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

            (4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

 

68        Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

69        Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’art antérieur fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

70        Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

 

[209]       En l’espèce, Pharmascience soutient qu’il n’y a rien d’original à trouver une solution à un problème qui n’a jamais existé. Étant donné que le PT est un paramètre non pertinent, le brevet ne renferme aucune idée qui n’était pas déjà connue dans l’art antérieur. Il faut aussi souligner que le PT dépend indirectement du pourcentage de groupes méthozyle dans la HPMC, fait qui était déjà bien connu.

 

[210]       Par contre, AstraZeneca fait remarquer qu’aucune des antériorités ne prend en considération la variation d’un lot à l’autre d’un sous‑type de HPMC de faible viscosité ni n’incite les personnes versées dans l’art à choisir des lots dont le PT dépasse le PT revendiqué pour réduire la quantité de produit jeté. En fait, avant 1998, la personne versée dans l’art n’aurait pas pensé à mettre en cause la HPMC de faible viscosité si elle avait constaté que des préparations d’oméprazole à enrobage gastrorésistant affichaient différents pourcentages de libération du principe actif. Il n’est donc pas étonnant que M. Alderman ne se souvienne pas avoir reçu de plaintes au sujet de la variabilité d’un lot à l’autre et de l’effet de ladite variabilité sur la libération de l’oméprazole.

 

[211]       Pour évaluer cette allégation, il est nécessaire de suivre la démarche à quatre volets adoptée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité.

 

[212]       Le premier volet consiste à identifier la personne versée dans l’art et à déterminer les connaissances générales courantes de cette personne. Dans leurs observations, les parties présentent des descriptions similaires de la personne versée dans l’art. Pour AstraZeneca, il s’agit d’un [traduction] « formulateur de produits pharmaceutiques qui possède des connaissances au sujet de la HPMC utilisée dans les préparations pharmaceutiques ». Pour Pharmascience, il s’agit d’un [traduction] « formulateur de produits pharmaceutiques, d’un chimiste des polymères ou d’un ingénieur en chimie titulaire d’un doctorat ou encore d’une maîtrise ou d’un baccalauréat doublé d’une expérience pertinente en chimie des polymères ». Cette personne aurait de [traduction] « bonnes connaissances au sujet de la HPMC de faible viscosité utilisée dans les films minces ou comme agent liant qui se dissout facilement dans l’eau » et « connaîtrait bien les préparations d’oméprazole qui comportent une couche séparatrice entre le noyau et l’enrobage gastrorésistant ».

 

[213]       M’appuyant sur ces définitions, je conclus que la personne versée dans l’art pertinente est un formulateur de produits pharmaceutiques, un chimiste des polymères ou un ingénieur en chimie qui possède une expérience en chimie des polymères et des connaissances au sujet de la HPMC de faible viscosité et des préparations d’oméprazole.

 

[214]       Le deuxième volet consiste à définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation. En l’espèce, l’idée originale est qu’il existe une variation d’un lot à l’autre des produits de HPMC de faible viscosité utilisés comme agents liants ou comme constituants d’une couche séparatrice dans une préparation pharmaceutique orale à enrobage gastrorésistant. Cette variation peut influencer le pourcentage de libération de l’oméprazole contenu dans la préparation et se solder par une incapacité à satisfaire aux normes de commercialisation. Cependant, il est possible de satisfaire systématiquement à ces normes si la préparation est fabriquée uniquement avec des lots de HPMC de faible viscosité dont le PT dépasse le PT revendiqué.

 

[215]       Le troisième volet consiste à recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’art antérieur et l’idée originale définie au deuxième volet. Les experts de Pharmascience ont fourni un bilan exhaustif des antériorités. Les connaissances qu’on y trouve peuvent se résumer ainsi :

            - l’oméprazole peut se dégrader en milieu acide réactionnel ou en milieu neutre;

            - une forme pharmaceutique d’oméprazole totalement biodisponible doit libérer le principe actif rapidement dans la partie proximale du tube digestif;

            - l’oméprazole doit être protégé du liquide acide de l’estomac au moyen d’un enrobage gastrorésistant;

            - les enrobages gastrorésistants sont faits de composés acides, et, si ces enrobages sont appliqués directement sur l’oméprazole, le contact provoque chez cette dernière un changement de couleur important;

            - la forme à trois couches sert à protéger l’oméprazole, la couche séparatrice protégeant l’oméprazole de l’enrobage gastrorésistant.

 

[216]       Il existe des différences nettes entre l’idée originale du brevet 531, telle qu’elle a été décrite au deuxième volet, et les antériorités. Comme il a été mentionné, les antériorités ne traitent pas de la variation d’un lot à l’autre des produits de HPMC de faible viscosité. Elles ne fournissent pas non plus de renseignements sur les PT, ni sur les PT revendiqués décrits dans le brevet 531.

 

[217]       Enfin, le quatrième volet consiste à déterminer si ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité. D’après la preuve au dossier, je conclus que ces différences dénotent quelque inventivité et n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art. Le fait que le PT de la HPMC de faible viscosité pouvait être déterminé aurait pu être évident pour la personne versée dans l’art, mais je ne crois pas que l’importance de cette propriété par rapport au pourcentage de libération de l’oméprazole, ou le PT revendiqué au-delà duquel les variations dans la libération de l’oméprazole entre des lots du même produit auraient été réduites, aurait été évidente pour la personne versée dans l’art. Je conclus donc que le brevet 531 n’était pas évident à la date de la revendication.

 

[218]       Étant donné que j’ai conclu qu’AstraZeneca s’était acquittée de son fardeau de démontrer que les allégations soulevées par Pharmascience dans son AA et sur lesquelles cette dernière s’est appuyée à l’audience ne sont pas fondées, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Pharmascience un avis de conformité à l’égard de ses capsules d’ésoméprazole magnésien de 20 mg et de 40 mg sera rendue.


[219]       JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience à l’égard de ses capsules de 20 et de 40 mg d’ésoméprazole magnésien avant l’expiration du brevet canadien no 2 290 531.

2.         AstraZeneca a droit aux dépens de la demande.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les brevets, LRC, 1985, c P-4

2. Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

. . .

 

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

 

27. Le mémoire descriptif doit :

 

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

27. (3) Le mémoire descriptif doit :

 

 

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

 

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

 

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

 

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

2. In this Act, except as otherwise provided,

 

 

. . .

 

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

 

27. The specification of an invention must

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

27. (3) The specification of an invention must

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

 

 

 

 

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

 

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

 

 

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

 

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

 

5. (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans sa présentation :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

 

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

 

(i) la déclaration présentée par la première personne aux termes de l’alinéa 4(4)d) est fausse,

 

(ii) le brevet est expiré,

 

(iii) le brevet n’est pas valide,

 

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

 

. . .

 

(3) La seconde personne qui inclut l’allégation visée à l’alinéa (1)b) ou (2)b) doit prendre les mesures suivantes :

 

a) signifier à la première personne un avis de l’allégation à l’égard de la présentation ou du supplément déposé en vertu des paragraphes (1) ou (2), à la date de son dépôt ou à toute date postérieure;

 

b) insérer dans l’avis de l’allégation :

 

(i) une description de l’ingrédient médicinal, de la forme posologique, de la concentration, de la voie d’administration et de l’utilisation de la drogue visée par la présentation ou le supplément,

 

(ii) un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation;

 

c) joindre à la signification une attestation par le ministre de la date du dépôt de la présentation ou du supplément;

 

 

d) signifier au ministre la preuve de toute signification des documents et renseignements visés aux alinéas a) à c).

. . .

 

5. (1) If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

 

(a) state that the second person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

 

(b) allege that

 

 

(i) the statement made by the first person under paragraph 4(4)(d) is false,

 

 

(ii) the patent has expired,

 

(iii) the patent is not valid, or

 

(iv) no claim for the medicinal ingredient, no claim for the formulation, no claim for the dosage form and no claim for the use of the medicinal ingredient would be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission is filed.

 

 

. . .

 

(3) A second person who makes an allegation under paragraph (1)(b) or (2)(b) shall

 

(a) serve on the first person a notice of allegation relating to the submission or supplement filed under subsection (1) or (2) on or after its date of filing;

 

 

(b) include in the notice of allegation

 

(i) a description of the medicinal ingredient, dosage form, strength, route of administration and use of the drug in respect of which the submission or supplement has been filed, and

 

(ii) a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

 

(c) include in the material served a certification by the Minister of the date of filing of the submission or supplement; and

 

(d) serve proof of service of the documents and information referred to in paragraphes (a) to (c) on the Minister. . . .

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1652-10

 

INTITULÉ :                                                  ASTRAZENECA CANADA INC. et

                                                                        ASTRAZENECA AB

 

                                                                        - et -

 

                                                                        PHARMASCIENCE INC. et

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT RENDUS PAR :             Le juge J. O’KEEFE

 

DATE :                                                          Le 11 octobre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Yoon Kang

Vik G. Tenekjian

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Carol Hitchman

Rosamaria Longo

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

 

Personne n’a comparu

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Gardiner Roberts LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.