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Date : 20121003

Dossier: IMM-2640-12

Référence : 2012 CF 1165

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2012

En présence de madame la juge Gagné

 

ENTRE :

 

SARBJEET KAUR

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 31 janvier 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SPR] a refusé de reconnaître à la demanderesse (une citoyenne de la République d’Inde) la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

 

 

[2]               Mise à part l’analyse de la protection étatique objectivement disponible à la demanderesse dans son pays, la SPR a fourni une analyse de la situation personnelle de la demanderesse et de la crédibilité de son récit. La demanderesse conteste la légalité de cette seconde partie de la décision de la SPR, notamment en raison des références erronées qui y sont faites à des éléments de preuve extérieurs à son dossier.

 

[3]               Après avoir soigneusement examiné le dossier et considéré les représentations écrites et orales des procureurs, ainsi que  la jurisprudence soumises, la Cour ne peut conclure au maintien de la décision. Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Faits

[4]               La demanderesse allègue qu’alors qu’elle visitait son pays pendant quelques semaines aux mois d’avril et mai 2007, elle a été arrêtée à deux occasions par la police de son pays qui la soupçonnait d’être liée à des membres de la Fédération des étudiants sikhs de l’Inde.  Elle a été subséquemment libérée contre paiement d’un pot de vin et sous condition de ne pas quitter son village au Pendjab sans permission de la police. À cette époque la demanderesse vivait et travaillait à Malte.

 

 

 

 

[5]               Les problèmes de la demanderesse ont commencé le 20 avril 2007. Ce jour là, la demanderesse, son amie et le frère de son amie (qui était un membre de longue date de la Fédération des étudiants sikhs de l’Inde) voyageaient en autobus vers leur village. Des policiers ont arrêté et fouillé leur autobus et ont arrêté le frère de son amie. Ils ont ensuite demandé au chauffeur de quitter avec les autres passagers.

 

[6]               La demanderesse allègue que pas la suite, le père de son amie s’est rendu à différents postes de police pour comprendre ce qui était arrivé à son fils. Les policiers ont nié l’avoir arrêté. La demanderesse a donc décidé d’accompagner le père de son amie à un poste de police où elle a reconnu un des policiers qui avaient obligé le frère de son amie à descendre de l’autobus. Le policier aurait tout nié, de sorte qu’ils n’ont réussi à obtenir aucun renseignement sur la situation du frère de son amie ce jour là.

 

[7]               Le lendemain, soit le 25 avril 2007, des policiers seraient venus chez la demanderesse pour l’arrêter et l’amener au poste de police avec son amie et le père de son amie.  Elle aurait été interrogée et battue, puis libérée contre un pot de vin de 100,000 roupies qu’a payé son père. Quant à l’amie et son père, la demanderesse allègue qu’une fois libérés, ils ont quitté leur village sans parler à personne de ce qui s’était produit. Plus tard, la demanderesse aurait appris du sarpanch du village (chef du conseil du village) que son amie avait été violée par un policier, lorsque retenue au poste de police.

 

 

[8]               Le 30 avril 2007, les policiers seraient de nouveau venus chez la demanderesse pour l’arrêter et l’amener au poste de police. Cette fois, les policiers ont pris sa photo et ses empreintes digitales, et ils l’ont obligée à signer certains documents en blanc. La demanderesse allègue que les policiers l’ont aussi interrogée au sujet de la famille de son amie. Ils l’ont frappée et insultée et l’ont accusée d’aider la famille de son amie et de détenir des informations sur eux. La demanderesse a été libérée le même jour contre paiement de 75000 roupies et sous condition de ne pas quitter le village.

 

[9]               La demanderesse allègue que sa famille a été très ébranlée à cause de ces incidents et ils lui ont conseillé de quitter le pays le plus tôt possible. Elle est retournée travailler à Malte le 2 mai 2007.

 

[10]           Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], la demanderesse mentionne qu’alors qu’elle était à Malte, elle a appris que des policiers seraient venus à la résidence de ses parents et auraient amené son père à la station de police. Ils l’auraient alors interrogé au sujet de la demanderesse et du fait qu’elle aurait brisé sa condition de ne pas quitter le village. À cette occasion la police aurait confisqué l’agenda du père de la demanderesse et aurait ainsi trouvé son numéro de téléphone et son adresse.

 

[11]           La demanderesse allègue qu’à cette époque elle travaillait comme domestique chez une famille de Malte. Un jour son employeur a reçu un appel d’un inconnu qui s’informait sur la demanderesse. Elle aurait reçu un certain nombre d’appels de l’ambassade de l’Inde, et aurait été questionnée au sujet de son adresse à Malte. On lui aurait dit que ces informations étaient nécessaires pour mettre à jour les dossiers des citoyens indiens qui travaillent à Malte.

 

 

[12]           La demanderesse aurait raconté son histoire à ses employeurs qui auraient fait une demande de visa pour elle et lui auraient conseillé de venir au Canada avec eux afin de protéger sa vie.

 

[13]           La demanderesse est arrivée au Canada avec un visa valide jusqu’au 27 mars 2008. Elle a demandé l’asile au Canada le 30 mai 2008.

 

Motifs de la SPR

[14]           D’entrée de jeu, la SPR mentionne que la protection de l’État constitue la question déterminante dans cette affaire, bien que la crédibilité des allégations de la demanderesse soit également analysée.  Le commissaire reconnaît toutefois que puisqu’il n’a pas confronté la demanderesse aux préoccupations qu’il avait par rapport à la crédibilité de son témoignage, son analyse ne se limitera pas à cette seule question.

[15]           Dans une décision assez volumineuse, énonçant pour une grande partie les principes jurisprudentiels applicables, la SPR conclut que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de son État et qu’elle n’a pas tenté d’obtenir une telle protection, soit en informant les autorités gouvernementales ou des organisations non gouvernementales [ONG], soit en exerçant un recours judiciaire contre la police.

 

 

 

 

[16]           Après avoir passé en revue la preuve documentaire objective relative à la situation du pays (notamment, Cartable national de documentation [CND] sur l’Inde, du 30 mai 2011, onglet 2.6 : IND103452.EF. 29 avril 2010. Information sur le traitement réservé aux militants politiques et aux membres des partis de l’opposition au Pendjab (2008-2010) et onglet 2.1 : États Unis. 8 avril 2011. Department of State. « India ». Country Reports on Human Rights Practices for 2010), la SPR a conclut que les gouvernements, tant dans l’État du Pendjab qu’au niveau national, sont démocratiques et que malgré la corruption, les délais importants, les injustices éventuelles et les incidents de torture par la police (CND sur l’Inde, onglet 7.1: Human Rights Watch. Août 2009. « Human Rights Violations by Police ». Broken System: Dysfunction, Abuse, and Impunity in the Indian Police, chapitre III), le système judiciaire indien est toujours fonctionnel.

 

[17]           La SPR mentionne qu’il existe en Inde des mécanismes de contrôle et des codes de conduite à respecter au sein même des corps policiers (CND sur l’Inde, onglet 10.3: Commonwealth Human Rights Initiative (CHRI). 2008. Police Organisation in India, aux pages 13-15 et 22-28) et que certains ONG viennent en aide aux personnes ayant des difficultés à obtenir la protection de l’État. La SPR précise qu’au Pendjab, il existe une Commission des droits de la personne créée en 1997, dont le mandat est de faire des enquêtes relativement aux plaintes de violations des droits de la personne dans la région (CND sur l’Inde, onglet 2.5 : Royaume-Uni. 17 avril 2008. Home Office. Operational Guidance Note: India, à la page 5, para 3.6.7.).

 

 

 

 

[18]           De la même façon, la SPR rejette l’argument de la demanderesse voulant qu’elle n’ait pas l’obligation de chercher à obtenir la protection des autorités de son pays, étant donné que son agent persécuteur est la police elle-même. La SPR mentionne que selon l’état actuel de la jurisprudence « la véritable question à se poser est de savoir s’il est raisonnable d’exiger du demandeur qu’il ait sollicité la protection de son État, d’une quelconque manière, même dans les cas où la police est l’agent persécuteur » (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 136, [2006] ACF 153 aux para 21-22).

 

[19]           Au début de son analyse de la protection étatique en Inde, la SPR s’est dite consciente de l’importance d’évaluer l’ensemble de la preuve présentée devant elle, dont l’exposé circonstancié qui en constitue la principale source, pour bien comprendre la situation personnelle de la demanderesse. Sur ce point, le commissaire a correctement rappelé que selon une jurisprudence bien établie de cette Cour, en l’absence d’une véritable analyse de la crainte subjective d’un demandeur d’asile, toute conclusion à l’effet que ce dernier peut objectivement se prévaloir de la protection de son État, sera déraisonnable (voir notamment Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503 au para 32, [2010] ACF 607 [Flores]; Jimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727 au para 17, [2010] ACF 879; Pikulin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 979 au para 13, [2010] ACF 1244 et Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 aux para 14-15, [2008] ACF 399).

 

 

[20]           Dans son analyse de la crainte subjective de la demanderesse, la SPR note qu’elle n’a présenté aucune preuve qui « aurait pu permettre d’établir, d’une part, qu’en Inde tous les policiers agissent de façon concertée, sans s’interroger sur la légalité des agissements de leur collègues, ou, d’autre part, que le seul fait pour elle de s’adresser à une autorité judiciaire par exemple, afin de dénoncer la situation qu’elle a vécue de la part de certains policiers, l’aurait immédiatement placée dans une situation mettant en danger sa vie, l’exposant à la torture ou l’exposant à subir une plus grande persécution. » (paragraphe 31 des motifs). De plus, la demanderesse aurait pu se faire assister par des ONG spécialisées dans le domaine des droits de la personne ou alerter les autorités indiennes, notamment en exerçant un recours judiciaire contre les policiers (paragraphe 34 des motifs).

 

[21]           À ce titre, la SPR mentionne qu’elle a procédé à une analyse approfondie de la preuve documentaire déposée au dossier. Ce faisant, la SPR fait une erreur évidente à la face même du dossier, lorsqu’elle mentionne que la demanderesse a l’appui d’un avocat qui aurait entrepris des démarches judiciaire pour elle en Inde et d’un sarpanch qui aurait signé un affidavit corroborant son témoignage sur les actes illégaux commis par des policiers. Dans une note de bas de page, la SPR fait référence à deux lettres datées de janvier 2012 dont l’une est signée par un avocat indien et l’autre par un citoyen de Delhi.

 

[22]           Ces pièces n’ont pas été déposées par les parties dans la présente affaire et sont probablement reliées à un autre dossier devant la SPR.

 

 

[23]           Il n’est pas sans intérêt de reprendre ici les conclusions de la SPR sur ce point :

[E]n tenant compte de l’ensemble de la preuve documentaire, tant les aspects positifs que les aspects négatifs de la situation qui y sont analysés, et en tenant compte de la situation personnelle de la demanderesse, qui a obtenu de la part d’un avocat une lettre et du Sarpanch de son village un affidavit corroborant, l’un et l’autre, ses allégations essentielles, je juge que le témoignage de la demanderesse et les arguments présenté par son avocate pendant ses observations, ne constituent pas une preuve convaincante permettant de conclure que la présomption de la capacité des autorités indiennes de protéger ses citoyens a été renversée dans son cas personnel.

 

[24]           En ce qui concerne la question de crédibilité, l’analyse de la SPR est fort simple. Elle s’est contentée de noter que pendant l’audience, la demanderesse était nerveuse et anxieuse; qu’elle a commencé son témoignage en faisant erreur sur les dates auxquelles se seraient produit les  évènements; et qu’elle aurait récité ce qu’elle semblait avoir appris par cœur au lieu de répondre directement aux questions du commissaire. La SPR précise que sa conclusion sur l’absence de crédibilité de la demanderesse ne découle pas tant des quelques erreurs commises lors de son  témoignage, mais plutôt du fait que ce témoignage, dans son ensemble, n’était pas spontané et semblait avoir été appris par cœur.

 

[25]           De plus, la SPR a reproché à la demanderesse d’avoir omis d’intégrer certains faits dans son FRP, soit le fait que depuis son départ, les policiers sont toujours à sa recherche et le fait qu’ils soient venus chez elle et aient harcelé et battu son père à deux ou trois reprises, et le fait que les policiers l’accusent maintenant d’être engagée avec les extrémistes à l’extérieur du pays.

 

 

[26]           Puisque ces faits n’apparaissent pas à son FRP, la SPR conclu que la crédibilité de la demanderesse est affectée sur la question de savoir si, oui ou non, son père a été battu par des policiers depuis qu’elle a quitté le pays. Cependant, dans le même paragraphe, la SPR mentionne que ces allégations sont corroborées par un affidavit signé par le sarpanch du village de la demanderesse. L’extrait pertinent de cet affidavit se lit comme suit:

9. […] I leanrt that in Malta, [the applicant] was followed by phone. Callers claiming themselves calling from India and Indian Embassy Malta. [The applicant]’s employer helped to send her to Canada. She left Malta and reached Canada and over there, she had filed her asylum case to save her life.

10. That time to time, police come to harass her family at the village and alleging that [the applicant] working with militants from foreign land. Police also told her family that now police are trying to made a contact with Indian Embassy in Canada to get her back to India.

11. That I being the sarpanch and other panchayat members helped to release [the applicant] and her father whenever they were arrested by the police.

 

[27]           Pour tous ces motifs, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée.

 

Questions en litige

[28]           Les arguments de la demanderesse s’articulent autour des trois questions suivantes :

1)      La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection étatique en Inde?

a.       en tenant compte des éléments de preuve provenant manifestement d’un autre dossier ; et,

b.      en négligent des éléments de preuve au dossier corroborant les allégations de la demanderesse

2)      La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse?

 

 

 

3)      La SPR a-t-elle contrevenu à son obligation d’équité procédurale en omettant d’analyser, sous le paragraphe 97(1) de la LIPR, les risques personnellement encourus par la demanderesse advenant son retour en Inde ?

 

Analyse

La SPR a commis une erreur dans son analyse de la possibilité de la protection d’État dans le cas personnel de la demanderesse

 

[29]           La demanderesse soumet que le fait pour la SPR de croire qu’elle pouvait avoir l’aide d’un avocat qui agirait pour elle en Inde et qui lui aurait écrit une lettre corroborant ses allégations, était déterminante dans son analyse de la possibilité pour la demanderesse de bénéficier de la protection étatique. Je suis d’accord avec la demanderesse sur ce point.

 

[30]           La jurisprudence de cette Cour sur l’exigence d’une analyse de la crainte subjective précédant celle de la crainte objective est non équivoque. Dans Flores, précitée, au para 32, le juge Mainville écrit :

L’analyse de la crainte objective doit donc normalement se faire après l’analyse de la crainte subjective, puisque le contexte particulier propre à chaque cas est souvent déterminant dans le cadre de l’analyse objective. Ainsi, un demandeur d’asile qui n’a aucune crainte subjective de persécution ne peut normalement alléguer l’absence de protection de l’État. De même, l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État varie considérablement selon la crainte subjective en cause.

Ainsi, une crainte subjective à l’égard d’un petit revendeur de marijuana pourrait mener à une conclusion radicalement différente dans l’analyse de la crainte objective, par rapport à une crainte subjective d’être poursuivi par un important et puissant cartel de la drogue aux moyens quasi illimités. Dans un cas, la protection étatique pourrait être disponible, mais elle pourrait ne pas l’être dans l’autre cas, d’où l'importance pour le tribunal de se prononcer dans une décision motivée sur la crainte subjective de persécution préalablement à l’analyse de la crainte objective de persécution qui comprend l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État.

[mes soulignements]

 

[31]           Il est donc clair que l’analyse ne peut se limiter à la disponibilité de la protection de l’État mais doit refléter la possibilité d’obtenir une telle protection dans les circonstances de chaque cas. Or, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas établi par une preuve convaincante que la présomption de la capacité des autorités indiennes de protéger ses citoyens a été renversée dans son cas personnel, est, du moins en partie, basée sur une preuve extérieure au dossier.

 

[32]           Le défendeur soumet qu’il ne s’agit pas d’une erreur fatale dans la détermination de la protection de l’État. Il m’a référée à une jurisprudence abondante qui nous enseigne que des erreurs non matérielles telles qu’une mauvaise référence à un affidavit, non déterminante pour l’issue de la décision (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1498 aux para 22-24, [2004] ACF 1828), une « erreur typographique » (Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1504 au para 20, [2011] ACF 1827) ou encore « des gaucheries de langage et d’expression » (Osaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1656 au para 6, [2005] ACF 2109) ne devraient pas, à elles seules, entacher une décision par ailleurs bien fondée.  On ne parle toutefois pas de ces types d’erreurs dans le présent cas. La SPR a fondé en partie une conclusion de fait déterminante (la protection de l’État), sur une preuve documentaire qui n’appartient pas à ce dossier.

 

 

[33]           Le défendeur soumet à juste titre que la demanderesse avait l’obligation de démontrer qu’elle avait offert à son pays la possibilité réelle d’intervenir avant de pouvoir légitimement en déduire qu’il n’est pas en mesure de lui fournir la protection requise, ou encore de démontrer le caractère raisonnable de son omission de se prévaloir de cette protection. Toutefois, les erreurs commises par la SPR ne relèvent pas de son analyse du fait que la demanderesse n’a posé aucun geste réel afin d’essayer d’obtenir la protection de son pays, mais plutôt de sa mauvaise appréciation de la preuve (ou d’une appréciation de la mauvaise preuve), tant documentaire que testimoniale, qui a vicié sa décision dans l’ensemble.

 

[34]           Ce constat est d’autant plus déterminant que la SPR n’a pas confronté la demanderesse aux préoccupations qu’elle avait sur sa crédibilité. Comme le juge Martineau l’exprime dans Kabongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1106 aux para 36-39, [2011] ACF1369 :

[L]a décision d’accueillir ou de rejeter une demande d’asile n’est pas une action fortuite ou anodine; celle-ci exige désintéressement, objectivité, réflexion et analyse de tous les éléments pertinents, incluant le témoignage du demandeur d’asile, de la part du tribunal. C’est d’ailleurs sur la qualité des motifs écrits qui sont fournis le cas échéant par le tribunal, donc de l’analyse des faits de la cause, qu’une cour siégeant en révision judiciaire pourra déterminer si la conclusion du tribunal constitue une issue possible et acceptable dans les circonstances (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

Considérant que la crainte de persécution comporte un élément subjectif et un élément objectif, le tribunal a notamment l’obligation de porter un jugement critique sur la crédibilité ou sur la conduite du demandeur d’asile (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Il va sans dire que le tribunal ne peut porter un jugement sur la crédibilité du demandeur d’asile et écarter les éléments de preuve qu’il a soumis, sans lui donner la chance d’être entendu et de faire valoir sa cause par son procureur.

 

 

Dans un premier temps, le tribunal devra donc s’assurer lors de l’audition qu'il aura confronté le demandeur d’asile à toute contradiction réelle ou apparente de son récit de persécution, et ce, en se gardant à cette occasion de formuler des critiques, des blâmes, des commentaires désobligeants ou de faire montre d’agressivité et d’impatience injustifiées, d’autant plus que c’est souvent la seule occasion où le demandeur d’asile aura la chance d’être entendu en personne. Voir Jaouadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1347, [2003] FCJ 1714; Guermache c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870, [2004] FCJ 1058; Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 179 au paras 44-45, [2010] FCJ 199.

 

Dans un deuxième temps, lorsqu’il aura pris sa décision (qu’elle soit communiquée oralement ou par écrit), le tribunal devra être en mesure d’expliquer pourquoi il n’accepte pas les explications du demandeur d’asile, le cas échéant. […]

[mes soulignements]

 

[35]           Si la SPR avait l’obligation de confronter la demanderesse à toutes les lacunes et contradictions dans sa preuve testimoniale, elle avait également l’obligation d’appuyer ses conclusions sur la preuve au dossier et de les justifier. En ce sens, je ne peux conclure comme le défendeur qu’il ne s’agissait pas d’une erreur fatale puisque la décision de la SPR n’aurait peut-être pas été différente en l’absence de cette erreur.  Puisque la SPR s’est fondée sur certains documents n’appartenant pas au dossier de la demanderesse et ce, pour un élément central de sa décision, il est impossible de spéculer quant à ce qu’aurait été sa décision sans cette erreur.

 

 

 

 

 

 

 

 

La SPR a tiré des conclusions déraisonnables dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse

[36]           Le défendeur prétend que la détermination de la crédibilité de la demanderesse par la SPR était raisonnable et déterminante du sort de sa demande d’asile en l’espèce. Cependant, cette conclusion n’est pas appuyée par la preuve, ni par la transcription du témoignage de la demanderesse lors de l’audience. 

 

[37]           Si la SPR voulait retenir contre la demanderesse le fait que son FRP ne faisait pas état des faits postérieurs à son arrivée au Canada, lesquels sont corroborés par l’affidavit du sarpanch, elle devait, tout comme pour toute autre question relative à la crédibilité de la demanderesse, confronter cette dernière avec ses doutes et lui permettre de s’expliquer.

 

[38]           Compte tenu de ma conclusion relative aux erreurs commises par la SPR dans son analyse de la crainte subjective de la demanderesse et de sa crédibilité, il n’est pas nécessaire que j’examine la dernière question soulevée par la présente demande, à savoir si la SPR a procédé à une analyse distincte, fondée sur le paragraphe 97(1) de la LIPR, et a donné des motifs adéquats de son refus. La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

 

[39]           Je suis d’avis que l’analyse de la crainte subjective de la demanderesse, ainsi que l’analyse de la protection de l’État dont elle aurait pu bénéficier, sont entachées de deux erreurs importantes qui rendent la décision sous étude déraisonnable.

 



[40]           À l’audience, le procureur de la demanderesse a suggéré la question suivante comme en étant une de portée générale : Le fait pour la SPR de fonder une conclusion de fait en partie sur des éléments de preuve extérieurs au dossier est-t-il fatale? La Cour est d’opinion qu’il s’agit plutôt d’une question dont la détermination est propre à chaque espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

1.                                          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue par la SPR le 31 janvier 2012, cassée.

2.                                          L’affaire est renvoyée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle détermination de la présente demande d’asile et pour une nouvelle audition devant un autre membre de la Section de la protection des réfugiés.

3.                                          Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2640-12

 

INTITULÉ :                                      SARBJEET KAUR et  MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 30 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 3 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Jean-Philippe Verreau

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Me Michel Le Brun

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Complexe Guy Favreau

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

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