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Date : 20121018

Dossier : IMM-955-12

IMM-957-12

Référence : 2012 CF 1216

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2012

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

SOMAEL CHOWDHURY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

          

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les présents motifs concernent deux demandes de contrôle judiciaire de décisions d’un agent principal d’immigration, datées du 2 décembre 2011. L’agent a rejeté la demande présentée par monsieur Somael Chowdhury (le demandeur) en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), en vue d’être dispensé, pour des motifs d’ordre humanitaire (CH), de devoir se conformer aux critères de sélection applicables aux demandes de résidence permanente faites au Canada, et l’agent a conclu, au terme d’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR), que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté ni au risque de subir un préjudice à son retour dans son pays d’origine.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, les deux demandes de contrôle judiciaire sont par les présentes rejetées. Les questions soulevées par le demandeur ne suffisent pas, ni prises individuellement ni prises ensemble, pour justifier l’intervention de la Cour.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Bangladesh âgé de 30 ans qui a travaillé comme gérant‑associé dans un magasin d’audio-vidéo à Dhaka. Il est venu au Canada muni d’un faux passeport le 5 mai 2006 et a demandé l’asile. Le demandeur a allégué que, de janvier 2003 à mai 2006, il avait milité au sein du parti Jatiya au Bangladesh et qu’à cause de ses affiliations politiques, il avait été harcelé, extorqué et attaqué par des fier-à-bras du parti nationaliste bangladais / Jamaat-e-Eslami qui voulaient qu’il quitte le parti Jatiya et se joigne à leur parti.

 

[4]               Le demandeur a dit qu’il était allé vivre dans une autre ville en espérant que les choses se calmeraient et qu’alors qu’il vivait dans cette ville, son partenaire d’affaires, qui avait des liens avec le parti nationaliste bangladais, avait profité de son absence et lui avait volé de l’argent. Alors qu’il tentait de négocier un règlement avec son partenaire d’affaires, celui-ci l’a informé que la police le recherchait au titre de ce que le demandeur croyait être de fausses accusations. Le demandeur a alors déménagé de nouveau dans une autre ville, où il a vécu pendant quatre mois avant de venir au Canada et d’y demander l’asile.

 

[5]                Le 15 juillet 2010, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a statué qu’en raison de préoccupations majeures concernant la crédibilité, notamment la crédibilité des éléments de preuve documentaire dont elle disposait, l’affiliation politique du demandeur au parti Jatiya et son statut de militant au sein de ce parti n’avaient pas été établis de manière convaincante. Le 5 novembre 2010, le demandeur s’est vu refuser l’autorisation de demander à la Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la SPR.

 

[6]               Le 11 janvier 2011, le demandeur a déposé une demande visant à obtenir un visa d’immigration en étant dispensé, pour des motifs CH, de devoir se conformer aux critères habituellement applicables, puis, le 21 février 2011, il a demandé une ERAR. Au soutien de ces demandes, le demandeur a produit de nouveaux éléments de preuve à prendre en compte. Ces nouveaux éléments de preuve comprenaient des articles de journaux traitant des conditions actuelles au Bangladesh, ainsi que les documents suivants :

 

a.       Une lettre de l’avocat du demandeur au Bangladesh, datée du 8 mars 2011, indiquant qu’une fausse accusation avait été portée contre le demandeur le 30 janvier 2011 et que celui-ci risquait d’être détenu et puni à son retour au Bangladesh;

b.      Une copie d’un mandat d’arrestation visant le demandeur, daté du 7 mars 2011, et un premier rapport d’information (PRI) émis à son nom;

c.       Un affidavit daté du 8 mars 2011, souscrit par le père du demandeur, qui y affirme que son fils possédait un commerce au Bangladesh et que son ancien partenaire d’affaires entretenait de bons rapports avec des terroristes pour protéger ses propres intérêts et profits. Il affirme également que son fils a milité au sein du parti Jatiya et qu’il a participé activement à divers projets de développement réalisés par son parti touchant les domaines des droits de la personne, l’emploi et l’éducation; il réitère les incidents qui auraient amené le demandeur à quitter le pays et affirme que son fils est encore en danger à cause de l’accusation portée contre lui plus récemment en janvier 2011.

 

[7]               Le demandeur a allégué que, bien qu’il ait éprouvé ses problèmes il y a plusieurs années, l’accusation de 2011 avait fort probablement été déposée alors que son avocat tentait de faire le suivi d’un mandat antérieur qui avait été décerné contre lui, ce qui l’avait porté de nouveau le à l’attention de la police.

 

Décision d’ERAR défavorable

[8]               L’agent a souligné que la SPR avait conclu que les principales allégations du demandeur manquaient de crédibilité, et il a affirmé qu’aucun autre élément de preuve provenant d’une source fiable et objective n’avait été présenté pour permettre de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur était ou avait été un membre influent du parti Jatiya ou qu’il était pourchassé par des terroristes, par la police ou par les autorités bangladaises. De même, aucun élément de preuve convainquant n’avait été présenté pour établir que le demandeur avait participé à des activités de développement au Bangladesh ou qu’il était associé en affaires à une personne du nom de Shoy(h)eb Chowdhury.

 

[9]               L’agent a refusé de tenir compte des éléments de preuve qui étaient disponibles ou qui auraient raisonnablement pu être obtenus avant que la SPR rende sa décision, et il accordé peu de valeur probante ou n’en a accordé aucune aux nouveaux éléments de preuve du demandeur. L’agent a affirmé :

[TRADUCTION] Je note tout d’abord qu’aucune copie des documents originaux n’a été présentée avec le mandat et le PRI. De même, le document photocopié qui est censé accompagner le PRI n’a pas été présenté et traduit. Aussi, les espaces réservés à la signature ou à l’identification des signataires ne comportent pas la signature de la personne attestant que la copie est conforme à l’original et que le document a été vérifié et déclaré exact.

 

Je note que la copie certifiée conforme du PRI indiquait la date à laquelle l’incident était survenu; toutefois, elle n’indique pas à quelle date le PRI a été émis. Je note aussi une incongruité entre les dispositions législatives mentionnées dans le mandat d’arrestation et dans le PRI. En effet, dans le mandat d’arrestation, les dispositions législatives citées sont les « Emergency Rules Section-34/6(1)(2) of 2007, dated 03-03-2011 »; dans le PRI, les dispositions législatives citées sont les : « Section-3/4/6(1)(2) breaking of Government and private assets ».


[...]


Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve provenant d’une source objective et fiable au soutien des allégations contenues dans l’affidavit, compte tenu de la conclusion de la SPR au sujet des allégations formulées et des craintes exprimées auparavant par le demandeur et analysées par la SPR, et puisque l’affidavit provient d’une source subjective qui n’est pas indépendante du demandeur, une très faible valeur probante y sera accordée.

 

 

[10]           L’agent a également rejeté les articles de journaux produits par le demandeur, en affirmant que, bien que ces articles fassent un compte rendu global du climat de violence, de corruption et de confrontation politique au Bangladesh, le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’un lien entre la documentation générale et les risques auxquels il disait être exposé personnellement. Ainsi, en raison de sérieux problèmes de crédibilité au regard des facteurs énumérés aux articles 96 et 97 de la LIPR et concernant les nouveaux éléments de preuve documentaire, la demande d’ERAR du demandeur a été rejetée.

 

Décision CH défavorable

[11]           Pour statuer sur la demande CH du demandeur, l’agent a d’abord examiné l’établissement du demandeur au Canada, en notant qu’il avait œuvré à différentes époques au Canada comme président, administrateur et premier dirigeant de trois entreprises, dont une dans laquelle il détenait une part de 25 %. Le demandeur a également présenté des preuves de transactions bancaires des sociétés au sein desquelles il avait œuvré, mais il n’a produit aucune déclaration de revenu des particuliers. L’agent a conclu que ces éléments de preuve n’étayaient pas de conclusion quant au revenu ou à l’autonomie financière du demandeur au Canada et n’amenaient pas à inférer que le départ du demandeur causerait, à lui-même, à ses partenaires d’affaires au Canada (qui ne savaient pas que le statut du demandeur au pays était incertain) ou à la collectivité canadienne, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. L’agent a affirmé que, bien qu’elles militent en sa faveur, les attaches économiques du demandeur Canada n’étaient pas réputées ipso facto constituer des motifs suffisants pour justifier le prononcé d’une décision CH favorable (Irmie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 26, 10 Imm L R (3d) 206 (Irimie)).

 

[12]           L’agent a affirmé en outre que le demandeur avait sa propre société au Bangladesh et que, depuis son arrivée au Canada, il avait démontré une grande capacité d’adaptation et de grandes qualités entrepreneuriales. Cela porte à croire que le demandeur pourra mettre cette capacité et ces qualités à profit dans le pays où il a passé la plus grande partie de sa vie. En conséquence, l’agent a conclu que le renvoi du demandeur au Bangladesh ne lui causerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

[13]           Pour les mêmes motifs que ceux qu’il avait exposés dans la décision d’ERAR, l’agent a affirmé qu’il accordait peu de valeur probante ou n’en accordait aucune aux nouveaux éléments de preuve du demandeur. La Cour souligne qu’une partie des motifs exposés dans la décision CH, plus précisément les paragraphes qui traitent de la valeur probante qu’il convient d’accorder aux nouveaux éléments de preuve, se rapporte aux risques et craintes allégués par le demandeur dans l’hypothèse de son retour au Bangladesh. En fait, cette partie des motifs semble avoir été reprise verbatim de la décision d’ERAR, avec des ajustements mineurs.

 

[14]           De même, l’agent a noté qu’il accordait peu de valeur probante au rapport psychologique du docteur Pilowsky, daté du 10 décembre 2008, indiquant que le demandeur souffre du syndrome de stress post-traumatique. L’agent rejette cet élément de preuve parce qu’il est adressé à un avocat et se fonde sur une seule rencontre avec le demandeur en décembre 2008 alors qu’aucun autre élément de preuve n’a été produit pour démontrer que le demandeur aurait suivi la thérapie que le psychologue lui avait recommandée.

 

Les questions en litige

[15]           Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent les questions suivantes :

i.        L’agent a-t-il commis une erreur de droit, ou a-t-il rendu une décision déraisonnable, en rejetant le mandat d’arrestation décerné contre le demandeur en janvier 2011, la lettre de son avocat au Bangladesh et l’affidavit de son père, aux fins de la décision d’ERAR et de la décision CH;

 

ii.      L’agent CH a-t-il commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de facteurs de difficulté pertinents et en tenant plutôt compte des facteurs de risque, alors que ces derniers ne sont pas pertinents dans une décision CH;

iii.    L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur de droit en appliquant une norme d’établissement plus sévère que le critère des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées;

iv.    L’agent CH a-t-il commis une erreur de droit en minimisant les difficultés qui seraient causées au demandeur.

 

Contrôle des décisions attaquées

 

 

Appréciation des nouveaux éléments de preuve par l’agent

 

[16]           Le demandeur soutient qu’en exigeant une photocopie des originaux des documents de plainte mentionnés dans le PRI, l’agent n’a pas tenu compte de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle un élément de preuve doit être pris en compte pour ce qu’il dit et non pour ce qu’il ne dit pas Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729, au paragraphe 11; Bagri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 784, au paragraphe 11).

 

[17]           Le demandeur conteste la conclusion de l’agent concernant la disparité entre les dispositions législatives citées respectivement dans le mandat d’arrestation et dans le PRI, en soutenant que l’agent ne possède aucune compétence spécialisée en matière de procédures pénales dans des ressorts étrangers. Le demandeur a également soutenu que l’évaluation des éléments de preuve par l’agent manquait de prise en compte de leur contexte. Selon le demandeur, les erreurs que l’agent a relevées étaient de peu d’importance puisqu’elles sont mineures et n’ont rien d’inhabituel dans les documents émanant des autorités bangladaises.

 

[18]           Le défendeur soutient que cette disparité entre les deux documents renforce la décision de l’agent de refuser d’accorder une valeur probante aux documents en question étant donné qu’aucune photocopie du document original qui aurait dû être jointe au PRI n’avait été traduite et présentée. Le PRI était également non daté, et ni le PRI ni le mandat n’était dûment certifié conforme à l’original.

 

[19]           La Cour est d’avis que ces questions suffisent à jeter un doute sur la valeur probante des documents en question selon la prépondérance des probabilités. Même si les compétences spécialisées de l’agent ne lui permettent pas de statuer sur l’authenticité de documents étrangers, les irrégularités qu’il a relevées étaient importantes, et son analyse était raisonnable. Rien n’empêchait l’agent d’exiger une copie des documents mentionnés dans le PRI. Le demandeur a produit le PRI afin d’établir qu’il demeurait exposé à un risque de persécution dans l’hypothèse de son retour au Bangladesh. Même si l’[TRADUCTION] « acte d’accusation écrit » ou les autres documents joints à l’origine au PRI n’étaient pas nécessaires pour établir les faits allégués, ils étaient raisonnablement nécessaires à la compréhension du PRI et, partant, à la compréhension du mandat d’arrestation.

 

[20]           Le demandeur a cité plusieurs décisions au soutien de sa prétention selon laquelle les conclusions concernant la crédibilité devraient être énoncées en des termes clairs et sans équivoque et l’agent n’avait pas formulé une conclusion conforme à cette exigence au sujet de la lettre de l’avocat du demandeur à laquelle étaient joints le PRI et le mandat d’arrestation. La lettre mentionne l’affaire en instance mettant en cause le demandeur au Bangladesh et, puisque l’agent a clairement expliqué dans ses motifs pourquoi il n’accordait pas de poids aux éléments de preuve documentaire qui avaient été produits dans le but d’établir l’existence de cette affaire en instance, l’agent n’était pas tenu de mentionner expressément la lettre de l’avocat dans une conclusion distincte.

 

[21]           Le demandeur s’inscrit également en faux contre l’avis de l’agent selon lequel l’affidavit du père de demandeur était intéressé et n’était pas [TRADUCTION] « objectif et fiable », comme l’exigeait l’agent. Le demandeur soutient que, selon la jurisprudence, un affidavit souscrit sous serment ne peut pas être rejeté au seul motif qu’il émane d’un parent (Grama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1030, [2004] ACF no 1254; Shafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, [2005] ACF no 896; Sukhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1662, [2005] ACF no 2036).

 

[22]           Je conviens avec le demandeur qu’il n’y a rien qui s’oppose à ce qu’un élément de preuve nouveau provenant d’un parent soit pris en compte. Cependant, les éléments de preuve présentés par le demandeur seront tout de même appréciés dans leur ensemble. L’affidavit du père tend à perpétuer les problèmes de crédibilité, notamment en ce qui a trait au mandat de 2011 et à l’affaire en instance mettant en cause le demandeur. L’affidavit n’est étayé par aucune pièce tandis que l’agent a fourni des motifs valables de ne pas croire à la véracité de bon nombre des faits qui y étaient énoncés. En fait, contrairement à ce qui était le cas dans les affaires citées par le demandeur, la Cour ne relève pas d’absence d’analyse du contenu de l’affidavit en l’espèce. Dans les circonstances, il était raisonnable que l’agent considère qu’un affidavit souscrit par le père du demandeur n’était pas suffisant pour rétablir la crédibilité du demandeur ni pour établir plusieurs faits par ailleurs controversés.

 

[23]           Je conclus que l’évaluation que l’agent a faite des nouveaux éléments de preuve du demandeur ne comportait aucune erreur de droit et n’était pas déraisonnable.

 

L’examen par l’agent des facteurs de difficulté pertinents

[24]           Le demandeur soutient que l’agent a effectué une analyse détaillée des facteurs de risque liés aux motifs de protection visés aux articles 96 et 97 de la LIPR, et qu’il a même cherché à évaluer si le demandeur risquerait de subir de la discrimination au Bangladesh, mais qu’il a omis d’évaluer si les conditions au Bangladesh causeraient des difficultés au sens plus large où on l’entend dans le contexte d’une demande CH. Le demandeur soutient que cela constitue une erreur de droit parce que l’agent a omis d’apprécier les facteurs de difficulté pertinents.

 

[25]           Pour qu’une demande CH soit accueillie, l’auteur de la demande doit démontrer qu’il éprouverait des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » s’il devait demander le statut de résident permanent à l’étranger. Le manuel de CIC intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (IP5), dresse, à la section 5.11, une liste non exhaustive des facteurs pertinents aux fins de l’appréciation des difficultés. Ceux-ci comprennent notamment :

-       l’établissement au Canada;

-       les liens avec le Canada;

-       l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande;

-       des facteurs dans le pays d’origine du demandeur (entre autres, incapacité d’obtenir des soins médicaux, discrimination n’équivalant pas à de la persécution, harcèlement ou autres difficultés non visées aux L96 et L97);

-       des facteurs relatifs à la santé;

-       des facteurs relatifs à la violence familiale;

-       les conséquences de la séparation des membres de la famille;

-       l’incapacité à quitter le Canada qui a conduit à l’établissement;

-       tout autre facteur pertinent invoqué par le demandeur et qui n’est pas visé aux L96 et L97.

 

 

[26]           Tel qu’indiqué précédemment, une partie des motifs exposés dans la décision CH, plus précisément les paragraphes qui traitent de la valeur probante des nouveaux éléments de preuve du demandeur, mentionne à titre incident les risques et craintes allégués par le demandeur dans l’hypothèse de son retour au Bangladesh. Cependant, ce n’est pas là-dessus que l’agent a fondé son analyse. Il a examiné l’établissement du demandeur au Canada et ses liens avec le Canada, les questions de santé et de discrimination alléguées et les conditions dans le pays d’origine du demandeur. L’agent a d’ailleurs souligné – et ce plus d’une fois – qu’il ne pouvait pas tenir compte des facteurs de risque ou de persécution visés aux articles 96 et 97 de la LIPR, et il n’y a rien dans les motifs qui indique que ces facteurs ont été pris en compte dans l’appréciation des difficultés.

 

[27]           En outre, l’agent n’a pas omis d’apprécier les difficultés au regard des conditions défavorables dans le pays. Il a tout simplement conclu que les éléments de preuve objective présentés sur ce point rendaient compte de conditions générales plutôt que de conditions touchant la situation personnelle du demandeur. Dans l’ensemble, je ne relève aucune erreur de droit dans l’analyse CH de l’agent.

 

 

L’appréciation par l’agent de l’établissement du demandeur au Canada

 

[28]           Le demandeur soutient que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique en élevant le critère de l’établissement au critère de la qualité d’élément essentiel à l’économie canadienne, tout en reconnaissant les efforts déployés par le demandeur pour démarrer diverses entreprises au Canada et sa contribution à ces entreprises.

 

[29]           Une lecture attentive des motifs attaqués ne laisse aucun doute que l’affirmation de l’agent selon laquelle [TRADUCTION] « les documents présentés au soutien de la demande du [demandeur] n’amènent pas à inférer que le demandeur est essentiel à l’économie du Canada » faisait écho à la prétention du demandeur selon laquelle [TRADUCTION] « il serait avantageux pour notre pays de le garder au Canada » parce que, selon les allégations du demandeur, celui-ci [TRADUCTION] « contribu[ait] à la croissance économique et à l’emploi futur de résidents permanents et de citoyens canadiens ». Après avoir apprécié le degré d’établissement du demandeur au Canada, l’agent a clairement indiqué que les éléments de preuve n’établissaient pas [TRADUCTION] « que son départ causerait, à lui-même, à ses partenaires d’affaires ou au pays, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. » Compte tenu des motifs exposés au soutien de cette conclusion, je ne suis pas d’accord pour dire que les affirmations attaquées de l’agent indiquent que celui-ci a appliqué un critère différent ou fixé la barre plus haut en ce qui a trait à l’établissement.

 

[30]           Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les preuves de l’établissement du demandeur. Il suffit de dire que la conclusion de l’agent est étayée par les éléments de preuve et qu’elle appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

 

L’appréciation faite par l’agent des difficultés qu’éprouverait le demandeur

 

[31]           Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur de droit et qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable en minimisant les difficultés qu’éprouverait le demandeur ou en minimisant d’autres facteurs positifs liés à son établissement qui étayaient sa demande de dispense.

 

[32]           La Cour n’a aucune raison de conclure que l’agent n’a pas appliqué les bons facteurs CH ou qu’il a minimisé des considérations pertinentes. L’agent a conclu à juste titre qu’à la lumière de la jurisprudence de la Cour, notamment la décision du juge Pelletier dans l’affaire Irmie, précitée, au paragraphe 26, les liens économiques d’un demandeur avec le Canada ne sont pas réputés ipso facto constituer un motif suffisant pour justifier le prononcé d’une décision CH favorable, puisqu’il s’ensuivrait que le processus CH servirait [TRADUCTION] « de procédure de sélection ex post facto qui supplanterait le processus de sélection prévu à la Loi et au Règlement sur l’immigration ». La décision Irmie pose aussi clairement que [TRADUCTION] « [l]e processus CH n’est pas conçu pour éliminer les difficultés; il est conçu pour protéger contre les difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». La Cour en est arrivée à une conclusion analogue dans la décision Willson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 488, [2007] ACF no 657, où elle a affirmé, au paragraphe 22 :  

 

[l]e représentant du demandeur a fait valoir, devant l’agent, que le demandeur vivait depuis longtemps au Canada pour des raisons indépendantes de sa volonté. Je conviens que la guerre civile qui sévissait au Libéria rendait difficile son retour, mais il faut néanmoins se méfier de l’argument de la durée du séjour. Comme je l’ai signalé dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, [2005] A.C.F. no 507 (QL), les demandes pour motifs d’ordre humanitaire ne doivent pas être interprétées de façon à encourager les demandeurs à parier que s’ils demeurent au Canada assez longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de personne que le Canada recherche ils seront autorisés à rester.

 

[33]           À mon avis, ce raisonnement s’applique parfaitement au cas du demandeur. Le demandeur reconnaît que le processus CH ne se veut pas un autre système de sélection à des fins d’immigration, mais il soutient pourtant que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par l’agent était inéquitable parce que l’établissement du demandeur est un facteur qui milite en sa faveur, et non contre lui, dans le cadre de l’évaluation. Je ne partage pas cet avis. Je suis saisie non pas de la question de savoir s’il est plus équitable que le demandeur reste au Canada mais bien de la question de savoir si la décision de l’agent appartient ou non aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la décision de l’agent ne satisfaisait pas à ce critère, tout comme il n’a pas réussi à relever un principe d’équité précis qui aurait été violé dans la décision CH attaquée.

 

[34]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers de la Cour portant les numéros IMM-955-12 et IMM-957-12 sont rejetées.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-955-12

                                                            IMM-957-12

 

INTITULÉ :                                      SOMAEL CHOWDHURY c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 septembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 18 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Sybil Sakle Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Barbara Jackman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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