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Date : 20121017

Dossier : IMM-7722-11

Référence : 2012 CF 1209

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

IFEANYI PATRICK UBAH

 

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

        MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               « Certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise : » Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. La question dont le décideur était saisi dans la présente affaire est une de ces questions; cependant, le demandeur n’aurait pas eu gain de cause peu importe la réponse choisie par le décideur parce qu’une femme ne peut pas donner naissance à un enfant 11 jours après qu’un médecin eut déclaré qu’elle n’était pas enceinte. Devant les faits contradictoires d’une naissance et d’un avis médical selon lequel la mère n’est pas enceinte, il n’y a que peu d’explications vraisemblables, et toutes sont aussi vraisemblables les unes que les autres. Le conseiller qui a statué sur la demande de résidence permanente de M. Ubah en a choisi une. Son choix ne peut pas être qualifié de déraisonnable; en conséquence, la présente demande doit être rejetée.

 

Le contexte

[2]               Monsieur Ubah, un citoyen très fortuné du Nigéria, a présenté une demande de résidence permanente indiquant qu’il avait quatre enfants, nés respectivement en 1999, 2002, 2006 et 2007.

 

[3]               Le 17 mars 2011, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a envoyé une lettre à M. Ubah indiquant que le ministère procédait à un examen préliminaire de sa demande et que le dossier ne comportait aucun certificat de naissance pour les deux plus jeunes enfants. Il était demandé à M. Ubah de transmettre ces documents dans les 90 jours. En réponse, CIC a reçu une « Déclaration de naissance vivante » pour Desire Dumebi Ubah, né le 9 janvier 2006, et un certificat de naissance pour Marvel Chibuikem Ubah, né le 20 mai 2007.

 

[4]               Le 2 mai 2011, le conseiller du haut-commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a exprimé brièvement, dans un courriel interne envoyé à un collègue à Lagos, au Nigeria, ses préoccupations liées au fait que la Déclaration de naissance vivante de Desire ne concordait pas avec d’autres renseignements figurant au dossier de la CIC. Plus précisément, le document indiquait que Desire était né au Canada le 9 janvier 2006, mais les notes consignées au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) indiquaient que la mère de l’enfant, l’épouse de M. Ubah, avait fait une demande de visa de résidente temporaire (VRT) à partir de Lagos, au Nigéria, le 29 décembre 2005, que des instructions avaient été données le même jour exigeant qu’elle subisse un test de grossesse, et que le résultat du test était négatif. En outre, ce VRT n’avait été délivré que le 18 janvier 2006; neuf jours après la date à laquelle Desire serait né à Toronto, au Canada.

 

[5]               Le conseiller exposait le raisonnement suivant dans son courriel : soit Mme Ubah avait subi le test médical à Lagos, auquel cas elle n’allait pas accoucher au Canada et le certificat de naissance était frauduleux, soit elle avait effectivement accouché au Canada le 9 janvier 2006, auquel cas ce n’était pas elle qui avait subi l’examen médical au Nigéria. Cette possibilité a été évoquée puisque Mme Ubah avait obtenu auparavant un VRT valide du 17 août 2005 au 15 novembre 2005. 

 

[6]               Le conseiller a envoyé une lettre d’équité à M. Ubah le 2 mai 2011, dans laquelle il exposait précisément ces détails et ces préoccupations, de même que sa conclusion préliminaire selon laquelle des fausses déclarations avaient été faites au sujet du lieu de naissance, de la citoyenneté et de la filiation de Desire.

 

[7]               M. Ubah a répondu le 28 juin 2011, près de mois plus tard, en affirmant que les renseignements contenus dans la Déclaration de naissance vivante – indiquant que Mme Ubah avait donné naissance à Desire à Toronto le 9 janvier 2006 – étaient exacts. Il affirmait également qu’une erreur avait dû se glisser dans le rapport médical du 29 décembre 2005, puisque Mme Ubah était de toute évidence et assurément enceinte à cette époque. Toutefois, M. Ubah n’a pas indiqué quand ni comment Mme Ubah était venue au Canada.

 

[8]               Le 2 août 2011, le conseiller à écrit à M. Ubah pour l’informer qu’il avait conclu que M. Ubah avait fait une fausse déclaration par le biais de la Déclaration de naissance vivante de Desire. Le conseiller a réitéré les préoccupations qu’il avait exposées dans la lettre d’équité, il a noté la réponse de M. Ubah, et il a indiqué qu’aucune explication n’avait été donnée quant à savoir comment Mme Ubah avait pu venir au Canada avant que le VRT ait été délivré. Le conseiller a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Ubah n’était pas au Canada au moment de la naissance de Desire et que le certificat de naissance était donc frauduleux, et que cette fausse déclaration avait entraîné une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, en particulier puisque Desire aurait été considéré comme un citoyen canadien et n’aurait pas dû être assujetti à un contrôle à titre de personne à charge accompagnant le demandeur. En conséquence de cette conclusion, en vertu de l’alinéa 40(2)a) de la Loi, M. Ubah est interdit de territoire au Canada pour une période de deux ans à partir de la date de la décision.

 

La question en litige

[9]               La seule question soulevée est celle de savoir si la décision du conseiller est déraisonnable.

 

Analyse

[10]           Les préoccupations que ces faits ont soulevées dans l’esprit du conseiller étaient légitimes parce que les faits sont contradictoires. La personne qui avait traité la demande de VRT de M. Ubah et son épouse en 2005 [TRADUCTION] « se préoccupait de la possibilité que l’épouse soit enceinte » et avait donc demandé qu’elle subisse un test de grossesse. Il n’y a pas de copie du rapport médical au dossier, mais, d’après les notes consignées au STIDI, le rapport indiquait que Mme Ubah n’était pas enceinte. Le demandeur a produit par la suite un document, la Déclaration de naissance vivante, délivrée au Canada, selon lequel Mme Ubah aurait accouché de Desire à peine 11 jours plus tard à Toronto.

 

[11]            M. Ubah affirme que son épouse a effectivement accouché le 9 janvier 2006 et qu’elle était enceinte en décembre 2005. Il soutient que les notes consignées au STIDI selon lesquelles elle n’était pas enceinte le 29 décembre 2005 sont forcément erronées. Cependant, cela soulève la question, comme l’a fait le conseiller, de savoir comment Mme Ubah a pu venir au Canada à peine 11 jours avant d’accoucher et sans VRT valide. Comme le décideur l’a souligné : [TRADUCTION] « Vous n’avez pas cherché à expliquer cette contradiction importante, à savoir comment Mme Uchenna Ubah avait pu venir au Canada avant que le visa soit délivré. » D’ailleurs, M. Ubah n’a toujours pas expliqué comment son épouse avait pu être présente au Canada en janvier 2006, et le seul argument qu’il a formulé dans la présente demande – soit que Mme Ubah a peut-être prolongé son séjour après l’expiration de son VRT de 2005 – contredit carrément sa réponse à la lettre d’équité, dans laquelle il affirmait que Mme Ubah avait subi une évaluation médicale au Nigeria en décembre 2005, soit après que le VRT de 2005 eut expiré. 

 

[12]            M. Ubah a vaillamment tenté d’appuyer la position de son client et de convaincre la Cour que la décision faisant l’objet du présent contrôle était déraisonnable. Les arguments qu’il a avancés ne peuvent pas prospérer. Il tente d’expliquer l’inexplicable.

 

[13]           Voici les points soulevés par M. Ubah :

(i)                 sa réponse à la lettre d’équité était adéquate, et appropriée et [TRADUCTION] « il n’y avait aucun autre élément de preuve qu[‘il] aurai[t] pu présenter pour réfuter les allégations [du conseiller] »; 

(ii)               la Déclaration de naissance vivante était corroborée par le passeport canadien de Desire, délivré le 27 février 2006, qui indique que Passeports Canada [TRADUCTION] « n’avait clairement aucune réserve quant aux pièces d’identité de [Desire] », mais le conseiller a omis d’en tenir compte;

(iii)             il y avait une explication quant à la présence de Mme Ubah au Canada le 9 janvier 2006, soit le fait qu’un VRT lui avait été délivré en 2005;

(iv)             le conseiller s’est fié aux notes consignées au STIDI quant aux détails relatifs à l’évaluation médicale, et rien au dossier n’indique qu’il se soit fié au dossier médical comme tel ni à aucun autre élément de preuve documentaire;

(v)               peu importe l’explication quant au rapport médical, aucune erreur n’aurait été provoquée dans l’application de la Loi.

 

           


Aucun autre élément de preuve n’aurait pu être communiqué

[14]           Dans la lettre d’équité, le conseiller exprimait ses réserves liées au fait que Mme Ubah avait subi, au Nigéria, en décembre 2005, un examen médical qui indiquait qu’elle n’était pas enceinte, et que le VRT de janvier 2006 avait seulement été délivré le 18 janvier 2006. La préoccupation du conseiller comportait clairement deux aspects : d’une part, le résultat de l’évaluation médicale, d’autre part, le fait que [TRADUCTION] « le visa de résidente temporaire avait été délivré [] neuf jours après la naissance de l’enfant au Canada. »

 

[15]           En réponse à la lettre d’équité, M. Ubah a simplement confirmé que son épouse avait subi l’examen médical au Nigéria et qu’elle avait donné naissance au Canada le 9 janvier 2006. Ce sont peut-être là les seuls éléments de preuve qu’il pouvait présenter quant au premier volet de la lettre d’équité, sauf que celle-ci comporte un autre volet important, soit la question de savoir comment Mme Ubah avait pu se trouver au Canada, en train d’accoucher, alors qu’on ne lui avait délivré un VRT que neuf jours après la naissance. S’il y avait une explication à cela, aucune n’a été donnée. M. Ubah aurait pu relater ses souvenirs des événements ou présenter des billets d’avion, des pages de passeports estampillés et d’autres documents qui indiquaient quand et comment Mme Ubah était venue au Canada. Cependant, il n’a présenté aucun élément de preuve de la sorte. 

 

            Le passeport canadien

[16]           M. Ubah soutient que la naissance de Desire au Canada est corroborée par son passeport canadien et que le conseiller aurait dû tenir compte de ce passeport et y accorder un poids considérable parce que Passeport Canada avait déjà été convaincu de l’authenticité du certificat de naissance et le conseiller, qui n’est pas un expert en authentification de documents, ne devrait pas remettre en question le jugement de Passeport Canada.

 

[17]           Le défendeur soutient que [TRADUCTION] « le passeport canadien a sûrement été délivré sur la foi du certificat de naissance canadien, mais il ne fait rien pour expliquer les éléments de preuve contradictoires dont certains indiquent que [Mme Ubah] était au Nigéria à l’époque où elle lui aurait donné naissance ». Je suis tout à fait d’accord avec le défendeur. 

 

            Le VRT de 2005

[18]           M. Ubah laisse entendre que Mme Ubah a pu se trouver au Canada le 9 janvier 2006 parce qu’un VRT lui avait été délivré en 2005. M. Ubah affirme que le conseiller a évoqué cette possibilité, mais qu’il a omis d’en tenir compte et de l’analyser dans ses motifs. M. Ubah affirme que le défaut de ce faire rend la décision déraisonnable, surtout parce que le raisonnement s’accorde avec la Déclaration de naissance vivante. Je ne souscris pas à cette affirmation.

 

[19]           Premièrement, M. Obah omet de mentionner que le VRT a expiré le 15 novembre 2005. Aussi, si Mme Ubah se trouvait au Canada le 9 janvier 2006, elle n’y était pas autorisée. Deuxièmement, et chose beaucoup plus importante, M. Ubah a admis, à tout le moins implicitement, dans sa réponse à la lettre d’équité, qu’en décembre 2005, son épouse avait été présente au Nigéria, où elle avait alors subi une évaluation médicale aux fins du VRT délivré le 18 janvier 2006. Le VRT de 2005 n’explique donc d’aucune façon comment Mme Ubah en est venue à être présente au Canada, à moins que la personne qui a subi l’examen médical n’ait pas été Mme Ubah, chose qui, évidemment, est hautement problématique en soi

 

            Le recours aux notes consignées au STIDI

[20]           M. Ubah se plaint de ce que le conseiller n’a pas eu accès au rapport médical comme tel et a fondé sa décision entièrement sur une note laconique consignée au STIDI, qui devrait être prise en compte avec les précautions qui s’imposent, et qu’il a dû y avoir une erreur dans le rapport médical établi au sujet de son épouse en décembre 2005. Cette observation est seulement pertinente au regard de la question de savoir si Mme Ubah était effectivement enceinte en décembre 2005. Le moment et le lieu d’origine du rapport médical ne sont pas contestés. C’est sur cet élément de preuve que le conseiller s’est appuyé pour en arriver à sa conclusion selon laquelle, selon la prépondérance des probabilités, le certificat de naissance était frauduleux, parce que Mme Ubah ne se trouvait pas au Canada le 9 janvier 2006, étant donné qu’elle était au Nigéria le 29 décembre 2005 et ne possédait aucun titre de voyage valide lui permettant d’entrer au Canada.

 

            Aucune erreur dans l’application de la Loi

[21]           M. Ubah soutient que peu importe les erreurs que contient le rapport medical établi aux fins du VRT ou la confusion qui entoure ce rapport, celui-ci n’aurait entraîné aucune erreur dans l’application de la Loi :

[TRADUCTION] [P]eu importe ce qui est arrivé [à l’ambassade canadienne au Nigéria en 2006], cela a peu d’incidence, sinon aucune, sur le VRT dont il est ici question. [Desire] est né au Canada le 9 janvier 2006, sa Déclaration de naissance vivante est authentique, et il est un citoyen canadien; par conséquent, il n’était pas une personne à charge et il n’avait pas à être assujetti à un contrôle dans le contexte de la demande de résidence permanente du demandeur.

 

[22]           Cette prétention est rejetée. L’erreur qu’aurait comportée le rapport médical n’a rien à voir avec le moment de la venue de Mme Ubah au Canada, qui constitue la prémisse sur laquelle le conseiller a fondé sa conclusion.

 

[23]           Pour ces motifs, la décision faisant l’objet du présent contrôle est raisonnable et la demande doit être rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B..


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7722-11

 

INTITULÉ :                                      IFEANYI PATRICK UBAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 26 septembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

                           POUR LE DEMANDEUR

David Cranton

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BELLISSIMO LAW GROUP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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