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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

 


Date : 20120928

Dossier : IMM-2674-12

Référence : 2012 CF 1145

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

DZANI JASAREVSKI

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire concerne une personne dont la demande d’asile a été rejetée par l’application de l’alinéa 1Fa) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, RT Can 1969 no 6 – raisons sérieuses de penser qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.

 

[2]               Il y a deux questions en litige dans le présent contrôle judiciaire :

1.         Le commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le commissaire) a-t-il appliqué le mauvais critère juridique d’exclusion?

2.         Le commissaire a-t-il tiré des conclusions relatives à la crédibilité qui ont mené à des inférences quant à l’implication du demandeur dans de tels crimes et inversé ainsi le fardeau relatif à l’exclusion?

 

II.        LES FAITS

[3]               Le demandeur est croate, rom et musulman. Il a passé son année de service obligatoire (1984‑1985) dans l’armée yougoslave, à titre de membre de la police militaire.

 

[4]               Il a plus tard été enrôlé en 1991, à titre de membre de la police militaire, au sein de l’Armée nationale de la Croatie, où, dit-il, il a servi deux ans – ce qui est plus que la période de service obligatoire pour tout homme âgé de plus de 18 ans.

 

[5]               Le demandeur a déclaré avoir quitté l’armée croate en 1993, à cause des agissements de cette dernière contre les musulmans.

 

[6]               Lors de sa seconde période de service militaire, le demandeur a été cantonné à Zagreb et aux alentours de cette ville. Il est bien documenté qu’au cours de cette période, l’armée croate a expulsé de leurs domiciles, battu et parfois tué des Serbes, et ce, au plus fort des guerres menées dans l’ancienne Yougoslavie, qui opposait les Croates aux Serbes (ainsi qu’au cours des guerres opposant les Bosniaques et les Kosovars).

 

[7]               Le demandeur a soutenu que les fonctions qu’il accomplissait à titre de membre de la police militaire avaient uniquement pour but de s’occuper de militaires en état d’ébriété.

 

[8]               Dans sa décision, le commissaire a exposé la jurisprudence pertinente, dont l’arrêt Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 224, autorisation d’interjeter appel devant la CSC accordée, 2012 CarswellNat 1173 (CSC) [Ezokola], oû il a été confirmé que le critère relatif à la complicité est la « participation personnelle et consciente » plutôt que la « connaissance personnelle et consciente », ce qui était le critère que la Cour fédérale avait appliqué dans Ezokola.

 

[9]               Nul ne conteste que le demandeur n’a commis aucun des crimes précisés à l’alinéa 1Fa) :

1.F.      Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a)         qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; […]

 

[10]           Le commissaire a ensuite analysé les facteurs qu’il convient d’examiner dans une affaire de complicité :

                     la méthode de recrutement;

                     la nature de l’organisation;

                     le rang occupé dans l’organisation;

                     la connaissance des atrocités;

                     le temps passé dans l’organisation;

                     la possibilité de quitter l’organisation.

 

[11]           La conclusion du commissaire est résumée au paragraphe 47 de sa décision :

Compte tenu de la preuve dont je suis saisi, j’estime que le demandeur d’asile s’est volontairement associé à la police militaire croate plus longtemps que ne l’exigeait la loi sur la conscription. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime qu’il était au courant des atrocités commises par la police militaire croate contre la population civile serbe et les personnes privées de leur liberté, qu’il s’agisse de civils ou de militants hors de combat, à Zagreb et partout en Croatie. Je conclus que la police militaire croate a aidé l’armée de la Croatie à atteindre son objectif qui consistait à [traduction] « expulser » les Serbes de la Croatie. Compte tenu du fait qu’il était membre d’une unité chargée de la « défense de Zagreb » et de son rôle de patrouilleur de rues, j’estime qu’il n’est pas crédible que son rôle se limitait à ramener les soldats en état d’ébriété aux casernes militaires. Ainsi, j’estime qu’il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur d’asile a également pris part aux activités militaires. Par conséquent, je conclus qu’il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur d’asile a facilité l’exécution de ces crimes et qu’il est complice de crimes contre l’humanité; il est donc exclu au titre de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention.

 

III.       ANALYSE

A.        La norme de contrôle applicable

[12]           La norme de contrôle qui s’applique à la question du critère relatif à la complicité est la décision correcte (Ezokola, au paragraphe 38).

 

[13]           C’est également la norme de la décision correcte qui s’applique au cadre analytique qui régit l’utilisation des conclusions quant à la crédibilité. Tant dans la décision La Hoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 762, 278 FTR 229, que dans la décision Ventocilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 575, 314 FTR 102, la Cour indique clairement que c’est le ministre qui supporte le fardeau d’établir les « raisons sérieuses de penser » et que l’on ne peut pas se servir de conclusions défavorables au sujet de la crédibilité pour inférer qu’une personne est complice quand ce fardeau n’a pas été acquitté au préalable.

 

[14]           Le cadre analytique approprié consiste à exiger du ministre qu’il s’acquitte du fardeau. Il est possible d’examiner la crédibilité quand la personne tente de minimiser ce qui, à première vue, satisfait à ce fardeau.

 

[15]           La question de savoir si les faits correspondent aux critères juridiques applicables est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Ezokola, précité).

 

B.        Le critère juridique applicable

[16]           Il importe de garder à l’esprit que le critère applicable est les « raisons sérieuses de penser », et il constitue un seuil moins exigeant que celui de la prépondérance des probabilités.

 

[17]           Le demandeur critique la décision en faisant valoir que le commissaire a employé [en anglais] le mot « awareness », plutôt que « knowledge » (ou « knowing »), et ce, au paragraphe 38 de la décision, sous la rubrique « Knowledge of Atrocities » [dans la version française : « Connaissance des atrocités »], de même qu’au paragraphe 47 déjà cité. L’emploi de ce mot, soutient-il, dénote l’existence du même problème que dans Ezokola, où la Cour fédérale s’était fondée sur le critère relatif à la « connaissance personnelle et consciente » plutôt que sur le critère correct : la « participation personnelle et consciente ».

 

[18]           La Cour d’appel fédérale a décrété que le critère relatif à la complicité est la « participation personnelle et consciente » plutôt que la simple « connaissance personnelle ». Il est une condition préalable à cette « participation » que la personne en question ait connaissance des actes criminels en cause. En l’espèce [dans la version anglaise de sa décision], le commissaire a employé le mot « awareness » [« connaissance »] en tant que synonyme des mots « knowledge » ou « knowing »; c’est-à-dire que les termes en question auraient le même sens.

 

[19]           Le mot « participation » dans le contexte de la complicité ne veut pas dire que la personne a réellement commis le crime dont il est question, mais qu’elle a pris part aux agissements généraux d’une organisation, en l’occurrence une organisation « poursuivant des fins limitées et brutales », en sachant que celle-ci était impliquée dans de tels crimes.

 

[20]           Le commissaire a effectivement conclu de manière déraisonnable que le demandeur devait être un officier, parce qu’il ne pouvait pas être à la fois « soldat » et « policier militaire ». Le mot « policier » ne dénote pas, voire ne sous-entend pas, que la personne avait le grade d’officier – une personne qui assume des responsabilités de commandement. Cependant, cette conclusion n’était pas d’une importance cruciale pour la conclusion de complicité. La complicité du demandeur ne découlait pas de son statut d’officier, mais de sa participation consciente à une organisation qui poursuivait des fins limitées et brutales. Le demandeur ne conteste pas cette conclusion concernant la police militaire croate. Le commissaire a compris et appliqué le critère juridique exact.

 

C.        Les conclusions quant à la crédibilité

[21]           Il était loisible au commissaire de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, relativement au rôle proprement dit que le demandeur avait joué en tant que policier militaire. Le ministre a établi que :

a)         le demandeur avait servi dans la police militaire plus longtemps que cela était exigé – un fait admis;

b)         il était au courant des atrocités commises par la police militaire croate – là encore, un fait dont il était au courant, a-t-il reconnu, parce que ces actes étaient rapportés dans les médias;

c)         la police militaire avait contribué à l’objectif d’épuration ethnique de l’armée croate, y compris à Zagreb – un fait que les documents ont établis;

d)         le demandeur avait pris part à des patrouilles menées dans les rues de Zagreb – un fait admis;

e)         son rôle ne consistait pas simplement à ramener des soldats au casernement – un fait nié.

 

[22]           C’est ce dernier fait qui donne lieu à la conclusion défavorable quant à la crédibilité. Compte tenu de la conclusion selon laquelle l’armée croate et sa police militaire avaient pour fins limitées et brutales de procéder à l’épuration ethnique des Serbes présents en Croatie, ainsi que des autres conclusions tirées, il était raisonnable de conclure que le ministre s’était acquitté de son fardeau.

 

[23]           Le demandeur a ouvert la question de la crédibilité en tentant de minimiser le rôle qu’il avait joué. Il était loisible au commissaire de souscrire à son témoignage ou de le rejeter. On pourrait dire (mais il n’est pas nécessaire que je tranche la question) que même si son rôle consistait à s’occuper de militaires en état d’ébriété, sa « participation personnelle et consciente » était suffisante pour qu’il soit considéré comme complice, vu la nature de l’organisation.

 

[24]           Le commissaire pouvait à juste titre arriver aux conclusions quant à la crédibilité qu’il a tirées.

 

IV.       CONCLUSION

[25]           Compte tenu de la décision dans son ensemble, il n’y a pas lieu, selon moi, que la Cour intervienne.

 

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2674-12

 

INTITULÉ :                                      DZANI JASAREVSKI

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 septembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marvin L. Klassen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARVIN L. KLASSEN

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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