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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20120202


Dossier : IMM-4943-11

Référence : 2012 CF 133

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

MAHESH PARMAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) et visant le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 14 juillet 2011, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre du refus de délivrer des visas de résident permanent à ses parents, qui vivent en Inde.

 

Contexte factuel

[2]               Le demandeur, Mahesh Parmar, est citoyen de l’Inde et résident permanent du Canada, ayant été parrainé par son épouse. En 2004, il a présenté une demande afin de parrainer ses parents, ressortissants de l’Inde.

 

[3]               Pendant le traitement de la demande, le père du demandeur, Inderjit Singh Parmar (M. Parmar père), a reçu un diagnostic de cardiopathie ischémique. L’agent a établi que cet état de santé risquerait vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour le système de soins de santé, et que M. Parmar père devait peut-être être interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) de la Loi. L’agent a envoyé une lettre au père, datée du 30 janvier 2009, résumant la possible interdiction de territoire et lui accordant un délai de 60 jours pour répondre.

 

[4]               En réponse, M. Parmar père a envoyé une lettre datée du 12 mars 2009, à laquelle étaient joints les résultats d’une angiographie cardiaque. L’agent a conclu que cette réponse ne comportait aucun renseignement justifiant le réexamen du diagnostic de M. Parmar père. Ce dernier a donc été jugé interdit de territoire, et la demande a été refusée le 10 juin 2009.

 

[5]               Le demandeur a interjeté appel de la décision à la Commission. L’avocat du demandeur a indiqué que ce dernier ne contesterait pas la validité juridique du diagnostic, mais qu’il demanderait plutôt la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi. Pour appuyer l’appel, le demandeur a présenté une lettre de la Dre K.S. Hayer, datée du 28 mars 2010 (le rapport Hayer) (dossier du demandeur, page 137), dans laquelle elle donnait son avis relativement au pronostic d’une personne ayant le problème médical dont souffrait M. Parmar père et aux coûts des soins de santé qui y sont associés.

 

[6]               L’avocat du ministre s’est opposé à l’admission en preuve du rapport Hayer, soutenant qu’il était sans rapport avec la demande de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire. Il a fait valoir que le rapport Hayer constituait une tentative de contester la validité de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, et qu’il n’abordait pas les facteurs d’ordre humanitaire.

 

[7]               En réplique, l’avocat du demandeur a déclaré que le rapport Hayer n’avait pas été présenté dans le but de contester l’avis du médecin, mais plutôt dans le but de présenter l’ensemble des détails quant au pronostic et au traitement possible, afin qu’ils soient pris en considération dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Il a déclaré qu’il établirait un lien entre le rapport Hayer et le témoignage du demandeur concernant ses projets si son père venait au Canada.

 

[8]               Après avoir entendu les deux parties, la Commission a décidé d’exclure le rapport Hayer; voici les propos tenus par la Commission, qui se trouvent dans les transcriptions de l’audience (Dossier certifié du tribunal, page 20) :

[traduction]

J’affirmerai, en réponse à votre second point, qu’il s’agit de renseignements dont le tribunal doit tenir compte, vous savez, je vous le dis, M. Wong, cela me préoccupe puisqu’il serait difficile pour moi de m’interroger – de ne pas m’interroger – à savoir si je ne me retrouve pas – ne me retrouverais pas dans une position difficile. Toutefois, une autre déclaration d’un médecin agréé – j’utilise ce terme en connaissance de cause – si générale ou si bénigne puisse‑t‑elle être et susceptible d’aider, me préoccupe énormément, en partie en raison du fait que dans la jurisprudence, comme vous le savez, la Loi établit clairement la façon dont nous sommes censés procéder et je conclurai, pour cette raison, que nous ne l’admettrons pas en tant qu’élément de preuve.

 

Cependant, je vous encourage – et je suis certain que vous comprenez cela – à faire tout ce que vous pourrez dans le cadre de vos interrogatoires pour établir le bien-fondé – établir le bien-fondé de la demande concernant un motif d’ordre humanitaire, celui que vous soutenez avoir déjà exposé dans la lettre envoyée plus tôt à Mme Babcock.

[...]

 

Décision visée par le contrôle

[9]               La Commission a examiné le contexte factuel de la demande, dont les détails de la relation du demandeur avec ses parents, ainsi que le lieu de résidence et la situation des parents et d’autres membres de la famille du demandeur. Elle a également examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à l’état de santé de M. Parmar père.

 

[10]           La Commission a souligné que le seul motif d’appel était la question de savoir s’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Elle a cité la décision Lim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, [2002] ACF no 1250, au paragraphe 17, à titre de critère applicable à cette analyse  – déterminer si les difficultés seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[11]           La Commission a conclu que rien n’indiquait que l’état de santé de M. Parmar père s’était amélioré, et qu’il n’y avait pas de motif permettant de conclure que son état de santé ne risquait plus d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada, suivant le paragraphe 38(1) de la Loi. Elle a souligné que l’avis contenu dans l’évaluation de la médecin agréée constituait un avertissement – l’état de santé de M. Parmar père pourrait demeurer stable pendant un certain temps, mais pourrait se détériorer et entraîner des coûts excessifs liés aux soins de santé.

 

[12]           Au paragraphe 16 de sa décision, la Commission a conclu que les facteurs pertinents à prendre en considération dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire étaient les suivants :

[...] l’importance du fardeau pour les services de santé du Canada; toute amélioration qu’a pu connaître l’état de santé du demandeur; la disponibilité d’un traitement médical dans son pays d’origine; le soutien familial disponible dans son pays d’origine; les avantages potentiels pour la famille; et l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

 

[13]           La Commission a ensuite évalué la preuve afférente à chacun de ces facteurs. Elle a conclu que, d’après la déclaration de la médecin agréée, le fardeau pour les services de santé du Canada pourrait être considérable. La Commission a conclu qu’il n’y avait aucun facteur qui permettait de réduire la portée de l’avis de la médecin, selon lequel l’état de santé de M. Parmar père risquerait d’entraîner des coûts excessifs liés aux soins de santé.

 

[14]           La Commission a conclu, d’après les éléments de preuve présentés, que M. Parmar père pourrait recevoir des soins appropriés en Inde et qu’il pouvait aussi bénéficier du soutien des membres de sa famille en Inde. En ce qui concerne les avantages pour la famille, elle a reconnu le témoignage livré de vive voix par le demandeur relativement à la relation étroite qu’il entretenait avec ses parents; elle a toutefois conclu que la famille avait connu de longues périodes de séparation et qu’elle pourrait continuer ainsi.

 

[15]           La Commission a considéré l’intérêt supérieur du fils du demandeur et, aussi de celui des nièces du demandeur au Canada, dans une moindre mesure. Elle a reconnu les avantages que procurerait la présence des grands-parents au Canada pour les enfants, mais a conclu qu’il n’existait aucun désavantage aussi excessif que celui prévu par la Loi si les grands-parents demeuraient en Inde.

 

[16]           La Commission a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’appuyer l’argument du demandeur selon lequel, en cas de rejet de la demande, il serait obligé de se rendre fréquemment en Inde pour prendre soin de ses parents. Elle a conclu que ces derniers menaient une vie confortable en Inde et qu’ils bénéficiaient du soutien de personnes vivant assez près de chez eux. La Commission a donc conclu que le refus de l’agent des visas était valide juridiquement et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant qu’il soit fait droit à l’appel.

 

Questions en litige

[17]           La Cour estime que les questions litigieuses soulevées par les parties peuvent être reformulées ainsi :

a.       La décision rendue par la Commission était-elle déraisonnable, soit en raison de l’exclusion du rapport Hayer, soit en raison de son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

 

Les dispositions légales

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Section 4

 

Interdictions de territoire

 

Motifs sanitaires

 

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

Division 4

 

Inadmissibility

 

Health grounds

 

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

 

(a) is likely to be a danger to public health;

(b) is likely to be a danger to public safety; or

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

Section 7

 

Droit d’appel

 

Droit d’appel : visa

 

 

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

 

 

[...]

 

Division 7

 

Right of Appeal

 

Right to appeal — visa refusal of family class

 

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

...

 

Fondement de l’appel

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

[...]

Appeal allowed

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

...

 

Partie 4

Commission de l’immigration et du statut de réfugié

 

Section d’appel de l’immigration

 

Fonctionnement

 

175. (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration :

a) dispose de l’appel formé au titre du paragraphe 63(4) par la tenue d’une audience;

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

 

c) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

 

[...]

 

 

Part 4

Immigration and Refugee Board

 

Immigration Appeal Division

 

 

Proceedings

 

175. (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

(a) must, in the case of an appeal under subsection 63(4), hold a hearing;

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

 

 

(c) may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings that it considers credible or trustworthy in the circumstances.

...

La norme de contrôle

[19]           Les parties conviennent que l’analyse réalisée par la Commission relativement à l’intérêt supérieur des enfants doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Qui plus est, la Cour souscrit à la position suivante : la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant fait partie du processus d’évaluation dans le cadre d’une analyse des motifs d’ordre humanitaire, et commande la déférence au moment du contrôle (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339).

 

[20]           Le demandeur soutient que l’exclusion du rapport Hayer constituait un manquement à l’obligation d’équité procédurale et que, par conséquent, cette exclusion est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392). Le défendeur n’est pas d’accord avec cette interprétation : il affirme que l’exclusion du rapport Hayer s’est faite conformément aux règles de la Commission régissant le processus d’audience et que l’exclusion devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, car il s’agit d’un domaine spécialisé du droit.

 

[21]           La Cour est d’avis que la norme de contrôle applicable dans ce contexte est celle de la décision raisonnable. Il ne s’agissait pas d’un cas où la Commission a entravé son pouvoir discrétionnaire, puisqu’elle n’a pas appliqué à tort des règles de preuve strictes; elle s’est plutôt demandé s’il y avait lieu d’examiner un élément de preuve, ou autrement dit, si un élément de preuve était pertinent à l’appel. Il s’agit d’une question de fait et la Cour doit faire preuve de déférence (voir la décision Gil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 255, 1 Imm LR (3d) 294 (la décision Gil), au paragraphe 12). Par conséquent, la Cour souscrit à l’avis du défendeur selon lequel la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Ainsi, la Cour ne cherche pas se préoccupe pas de la question de savoir si la décision de l’agent était correcte, mais plutôt de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Arguments

Position du demandeur

[22]           Le demandeur soutient que la Commission a violé l’équité procédurale en décidant d’exclure le rapport Hayer et en ne motivant pas cette décision. Il soutient, en outre, que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par sa décision.

 

[23]           Le demandeur souligne que, selon le paragraphe 175(1) de la Loi, la Commission n’est pas liée par des règles de preuve strictes; elle peut considérer n’importe quel élément de preuve qu’elle juge crédible et digne de foi. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en imposant des règles de preuve strictes lorsqu’elle a décidé d’exclure le rapport Hayer.

 

[24]           Le demandeur soutient que la Commission, en concluant qu’elle ne pouvait pas considérer le rapport Hayer, a entravé son pouvoir discrétionnaire, ce qui constitue une violation de l’équité procédurale (voir la décision Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 813, [2011] ACF no 1014). Le demandeur invoque sur ce point la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Fajardo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993], 157 NR 392, 21 Imm LR (2d) 113, dans laquelle il est indiqué ce qui suit au paragraphe 4 : « [...]  Il n’appartient pas à la Section du statut de réfugié de s’imposer à elle-même ou d’imposer à des demandeurs des restrictions dont le Parlement les a libérés en ce qui a trait à la preuve ». Le demandeur souligne que ce raisonnement a aussi été appliqué à la Section d’appel de l’immigration (voir la décision Gil, précitée).

 

[25]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de rendre une décision quant à la pertinence du rapport Hayer dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Il prétend que les motifs fournis par la Commission pour exclure le rapport Hayer sont inintelligibles, comme en font foi les transcriptions de l’audience – la Commission mentionne le fait de se retrouver dans une position difficile, et elle mentionne que la jurisprudence établit clairement la façon de procéder, mais elle ne cite aucun cas de jurisprudence.

 

[26]           Le demandeur soutient aussi que, après avoir exclu le rapport Hayer, la Commission a encouragé l’avocat du demandeur à faire valoir la raison pour laquelle le rapport Hayer a été présenté lors de l’interrogatoire du demandeur. Toutefois, la Commission a empêché l’avocat du demandeur de poser des questions sur l’état de santé de M. Parmar père, déclarant que le demandeur n’était [traduction] « pas réellement qualifié pour affirmer quoi que ce soit à ce sujet [...] ». Le demandeur n’a donc pas été en mesure de présenter ses éléments de preuve ni par l’entremise du rapport Hayer ni grâce à un témoignage livré de vive voix.

 

[27]           Se fondant sur la décision Parmar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 723, 370 FTR 306, aux paragraphes 44 à 47, le demandeur allègue que la manière dont la Commission a exclu le rapport Hayer ne satisfait pas au critère des motifs suffisants. Comme il le fait remarquer, il n’est fait nulle mention, dans les motifs écrits de la Commission, de la décision d’exclure le rapport Hayer et ces motifs ne comportent aucun raisonnement permettant de justifier cette décision, manquant ainsi à l’obligation d’équité procédurale (voir la décision Kawtharani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, 146 ACWS (3d) 338).

 

[28]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision (voir la décision Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, 323 FTR 181). Il allègue que, selon le paragraphe 11 de la décision Lewis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 790, [2008] ACF no 990 (la décision Lewis), le décideur doit bien identifier et définir l’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur se fonde sur des décisions de la Cour, à savoir la décision Lewis, précitée, et la décision E.B. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110, 96 Imm LR (3d) 66, où elle a conclu qu’il faut tenir compte des difficultés auxquelles seraient confrontés les enfants, quelles qu’elles soient, et non seulement des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[29]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas bien identifié l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision, et qu’elle a donc commis une erreur, selon l’analyse énoncée au paragraphe 11 de la décision Lewis, précitée. Il affirme que la Commission a conclu que les difficultés que connaîtraient les enfants n’étaient pas équivalentes à celles « dans une mesure prévue par la Loi », ce qui contrevient au principe selon lequel il faut tenir compte de toute difficulté à laquelle seraient confrontés les enfants. Par conséquent, le demandeur soutient que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par la Commission était déraisonnable.

 

Position du défendeur

[30]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission d’exclure le rapport Hayer était raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale puisqu’elle a expliqué cette décision de vive voix à l’audience. Il affirme aussi que la Commission a examiné raisonnablement l’intérêt supérieur des enfants et que les arguments du demandeur équivalent à demander une nouvelle analyse de la preuve.

 

[31]           Le défendeur allègue que la Commission a pris en compte le rapport Hayer, et qu’elle a conclu qu’il pouvait être interprété comme une [traduction] « contestation attaque » de la validité juridique de l’avis médical, validité que le demandeur n’a pas contestée dans son appel. Le défendeur affirme que cette conclusion était raisonnable, car il est conclu dans le rapport Hayer  que l’état de santé de M. Parmar père ne risquerait pas vraisemblablement d’entraîner des coûts importants liés aux soins de santé. Il soutient que, puisque le demandeur n’avait pas contesté l’avis médical, il ne lui était pas loisible de présenter de nouveaux éléments de preuve visant à minimiser les coûts du traitement pour la maladie de M. Parmar père.

 

[32]           Selon le défendeur, aucun facteur d’ordre humanitaire associé au traitement médical n’a été abordé dans le rapport Hayer, lequel semblait contredire l’évaluation médicale initiale. Par conséquent, il était raisonnable pour la Commission de l’exclure à titre de facteur non pertinent à l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

 

[33]           Le défendeur soutient que la Commission n’était pas tenue de faire mention du rapport Hayer dans sa décision écrite, puisqu’il n’avait pas été admis en preuve à l’audience et qu’il n’en était pas tenu compte dans la décision. Il avance que le demandeur n’a pas été laissé dans le doute quant aux motifs d’exclusion du rapport Hayer, car des explications ont été fournies à l’audience. Ainsi, l’omission d’avoir fait mention du rapport Hayer dans la décision définitive était raisonnable et ne constituait pas une erreur.

 

[34]           Le défendeur soutient que les arguments du demandeur concernant l’intérêt supérieur des enfants équivalent à demander une réévaluation de la preuve, ce qui déborde du cadre de compétence de la Cour lors du contrôle judiciaire. Il prétend que le fait de forcer la Commission à identifier d’abord expressément l’intérêt supérieur de l’enfant avant de se pencher sur le degré de difficultés auquel ce dernier serait exposé reviendrait à privilégier la forme au détriment du fond (voir l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, 297 NR 187, au paragraphe 3).

 

[35]           Le défendeur soutient que la Commission a pris en compte l’intérêt supérieur des enfants et qu’elle a conclu que cet intérêt ne serait pas lésé si les grands-parents ne venaient pas au Canada. Il avance que cette conclusion appartenait sans conteste aux issues possibles raisonnables, car la décision ne privait pas les enfants de quoi que ce soit, mais qu’elle permettait plutôt de maintenir le statu quo – la relation entre les enfants et les grands-parents demeurerait telle qu’elle existait auparavant.

 

[36]           Le défendeur souligne que la Commission a reconnu que la présence des grands-parents dans la vie des enfants leur serait vraisemblablement enrichissante sur le plan culturel; la Commission a toutefois fait remarquer que les enfants étaient déjà exposés à la culture et à la langue indiennes grâce à leurs parents. La Commission a donc conclu que le refus de la demande n’entraînerait aucune difficulté importante, et cette conclusion était raisonnable.

 

Analyse

[37]           À l’audience de la Cour, le demandeur a mis l’accent sur ses observations relativement à la recevabilité du rapport Hayer.

 

[38]           En guise d’observation préliminaire, la Cour souligne que la tentative de la part du  demandeur de caractériser l’insuffisance des motifs de la Commission comme étant un manquement à l’équité procédurale doit être interprétée à la lumière d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62, aux paragraphes 20 à 22. Dans cette décision, la juge Abella a précisé que, même si l’obligation d’équité procédurale exige que des motifs soient fournis dans certaines circonstances, le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans le contexte du caractère raisonnable de la décision même :

[20]  La question de l’équité procédurale n’a été soulevée ni devant le juge siégeant en révision, ni devant la Cour d’appel, et notre Cour peut la trancher aisément. L’arrêt Baker établit que, « dans certaines circonstances », l’obligation d’équité procédurale requiert « une forme quelconque de motifs écrits » à l’appui d’une décision (par. 43). Il n’y est pas affirmé que des motifs s’imposent dans tous les cas, ni que leur qualité relève de l’équité procédurale. En fait, après avoir jugé que des motifs s’imposaient dans la situation qui l’occupait, la Cour a conclu dans Baker que les simples notes d’un agent d’immigration suffisaient pour remplir l’obligation d’équité procédurale (par. 44).   

 

[21]  Il m’apparaît inutile d’expliciter l’arrêt Baker en indiquant que les lacunes ou les vices dont seraient entachés les motifs appartiennent à la catégorie des manquements à l’obligation d’équité procédurale et qu’ils sont soumis à la norme de la décision correcte. Je fais mienne la mise en garde du professeur Philip Bryden selon laquelle [traduction] « les cours de justice doivent se garder de confondre la conclusion que le raisonnement du tribunal n’est pas adéquatement exposé et le désaccord au sujet des conclusions tirées par le tribunal sur la base de la preuve dont il disposait » (« Standards of Review and Sufficiency of Reasons : Some Practical Considerations » (2006), 19 C.J.A.L.P. 191, p. 217; voir aussi Grant Huscroft, « The Duty of Fairness : From Nicholson to Baker and Beyond », dans Colleen M. Flood et Lorne Sossin, dir., Administrative Law in Context (2008), 115, p. 136).

 

[22]  Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[39]           Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Elle rejette l’argument du demandeur selon lequel la Commission devait faire mention de l’exclusion du rapport Hayer dans sa décision définitive – il était suffisant de rendre la décision de vive voix durant l’audience, comme l’a fait la Commission. La Cour ne conclut pas non plus que la Commission a entravé son pouvoir discrétionnaire en appliquant les règles de preuve strictes – la Commission n’a jamais indiqué qu’elle avait l’impression qu’elle devait appliquer des règles de preuve strictes; elle s’est plutôt demandé si cet élément de preuve précis pouvait être pris en compte. La question clé que la Cour doit trancher est celle de savoir si la décision rendue par la Commission était rendue déraisonnable par l’exclusion du rapport Hayer.

 

[40]           Après examen des documents et des arguments présentés par les deux parties, la Cour conclut que l’exclusion du rapport Hayer par la Commission a rendu la décision déraisonnable.

 

[41]           En effet, contrairement aux observations du défendeur, la Cour estime que le demandeur a été laissé totalement dans le doute quant à la raison pour laquelle le rapport Hayer a été exclu. La décision rendue de vive voix par la Commission afin d’exclure le rapport Hayer est reproduite de nouveau ci‑dessous par souci de commodité (Dossier certifié du tribunal, page 20) :

[traduction]

J’affirmerai, en réponse à votre second point, qu’il s’agit de renseignements dont le tribunal doit tenir compte, vous savez, je vous le dis, M. Wong, cela me préoccupe puisqu’il serait difficile pour moi de m’interroger – de ne pas m’interroger – à savoir si je ne me retrouve pas – ne me retrouverais pas dans une position difficile. Toutefois, une autre déclaration d’un médecin agréé – j’utilise ce terme en connaissance de cause – si générale ou si bénigne puisse‑t‑elle être et susceptible d’aider, me préoccupe énormément, en partie en raison du fait que dans la jurisprudence, comme vous le savez, la Loi établit clairement la façon dont nous sommes censés procéder et je conclurai, pour cette raison, que nous ne l’admettrons pas en tant qu’élément de preuve.

 

[42]           Comme l’ont reconnu les deux parties, la Commission pouvait prendre en considération les éléments de preuve pertinents qu’elle jugeait crédibles et dignes de foi dans les circonstances – la question dont la Commission était saisie était donc de savoir si le rapport Hayer était crédible et digne de foi et s’il était pertinent à sa décision sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, ainsi que le soutient le demandeur, les motifs fournis par la Commission pour justifier l’exclusion du rapport Hayer se limitent à la mention du au fait de se retrouver en [traduction] « position difficile » et à un renvoi vague à la Loi et à la jurisprudence, sans aucune référence. En de telles circonstances, le demandeur – et la Cour – ne sait toujours pas pourquoi le rapport Hayer a été écarté.

 

[43]           Un raisonnement justifiant l’exclusion du rapport Hayer était nécessaire, car la Commission, dans sa décision définitive, a relevé l’importance des coûts liés aux soins de santé pour la maladie de M. Parmar père comme un facteur pertinent à son analyse des motifs d’ordre humanitaire (décision de la Commission, paragraphe 16). Le rapport Hayer abordait directement la question des coûts en matière de soins de santé que l’état de santé de M. Parmar père risquait d’entraîner – ce qui constituait un facteur à prendre en considération, selon la propre analyse de la Commission; il a donc été déraisonnable de la part de la Commission de refuser de tenir compte du rapport Hayer dans le cadre de son analyse de ce facteur, ce qui rend la décision de la Commission déraisonnable.

 

[44]           Par conséquent, puisque l’exclusion du rapport Hayer comme élément de preuve était déraisonnable, la Cour conclut que la décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4943-11

 

INTITULÉ :                                      Mahesh Parmar c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Boivin

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter W. Wong, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners, LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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