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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120919

Dossier : IMM-1462-12

Référence : 2012 CF 1096

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

LUCENE HELEN CHARLES

AJOHKE AHADZIE

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’exécution (l’agente) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) en date du 3 février 2012. Dans sa décision, l’agente a refusé de reporter le renvoi du Canada des demanderesses, Lucene Charles et sa fille, Ajohke Ahadzie, en vertu du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               La demanderesse principale (la demanderesse), Lucene Charles, est de citoyenneté saint‑vincentaise. Elle est venue au Canada pour la première fois en 1992, en tant que visiteur. Lors de ce premier séjour au Canada, elle a épousé un citoyen canadien et a eu avec lui ses deux premiers enfants. Elle n’a pas sollicité la résidence permanente.

 

[4]               En 1999, la demanderesse et sa famille ont déménagé en Gambie, où est né son troisième enfant. Les trois enfants ont la double citoyenneté canadienne et saint‑vincentaise. En 2000, la demanderesse et son mari se sont séparés. Ils ont obtenu, en 2006, de la Haute Cour de Gambie, un divorce, la garde des trois enfants ayant été accordée à la demanderesse par la justice gambienne. Une ordonnance d’injonction a par ailleurs été prononcée à l’encontre de l’ex-mari de la demanderesse, lui interdisant de [traduction] « importuner, harceler, agresser ou menacer de quelque manière que ce soit la requérante » (dossier de la demande, pièce A, page 12).

 

[5]               En 2007, le quatrième enfant de la demanderesse, Ajohke Ahadzie, est né d’une nouvelle relation, nouée avec un citoyen gambien. Cette enfant, de citoyenneté gambienne et saint‑vincentaise, est, en l’espèce, la demanderesse secondaire.

 

[6]               En 2007, la demanderesse est revenue au Canada avec ses quatre enfants. À leur arrivée au Canada, sa fille et elle se sont vu accorder pour une période de six mois le statut de visiteur. La demanderesse s’est vu par la suite vu refuser plusieurs demandes de renouvellement ou de rétablissement de son statut au Canada :

•           Demande de permis de travail : rejetée le 22 janvier 2008 au motif qu’elle ne pouvait pas présenter une telle demande depuis le Canada. Demande d’autorisation et de contrôle judiciaire rejetée le 15 mai 2008.

•           Première demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (demande CH) : rejetée le 13 février 2008. Demande d’autorisation accordée le 22 août 2008, mais demanderesse déboutée à l’issue du contrôle judiciaire (voir Charles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1345, [2008] ACF no 1718).

•           Demande de prorogation du visa de visiteur : rejetée le 11 juin 2008.

•           Demande d’asile : rejetée le 25 novembre 2010.

•           Deuxième demande CH : rejetée le 3 août 2011.

•           Examen des risques avant renvoi (ERAR) : décision défavorable rendue le 3 août 2011.

 

[7]               Des formulaires de confirmation de départ volontaire ont été envoyés à la demanderesse avec le rejet de sa demande initiale de permis de travail et elle a été déclarée interdite de territoire, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, une première fois le 14 février 2008, puis de nouveau le 13 janvier 2009. Le 13 janvier 2009, des mesures d’interdiction de séjour conditionnelles ont été prises contre sa fille et elle.

 

[8]               Après le rejet de sa deuxième demande CH et la décision défavorable rendue à l’issue de l’ERAR, l’ASFC a fait savoir à la demanderesse qu’elle devait prendre ses dispositions en vue de son renvoi du Canada. On lui a demandé de se rendre en novembre 2011 à une entrevue au Centre d’exécution de la Loi du Grand Toronto (CELGT), l’entrevue n’ayant en fait lieu que le 1er décembre 2011. Le 9 janvier 2012, la demanderesse a présenté par écrit une demande de report du renvoi, et une autre entrevue a eu lieu le 12 janvier 2012. L’ASFC a, le 16 janvier 2012, reporté la mesure de renvoi jusqu’à nouvel ordre, se donnant ainsi le temps d’étudier les documents qui lui étaient présentés par la demanderesse.

 

[9]               Lors d’une entrevue avec un agent de l’ASFC le 3 février 2012, la demanderesse a fait savoir qu’elle avait récemment déposé une nouvelle demande CH, ainsi qu’une demande de permis de résidence temporaire.

 

II.        Décision en cause

 

[10]           Dans sa décision refusant le report, l’agente a conclu que [traduction] « le conseil de la demanderesse n’a pas produit d’éléments de preuve objectifs démontrant que la demanderesse et sa fille, Ajohke, se retrouveraient dans des circonstances exceptionnellement difficiles de nature à justifier le report de leur renvoi à Saint-Vincent ». L’agente a précisé que son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi était limité, et que lorsqu’un agent d’exécution choisit d’exercer ce pouvoir, il doit le faire tout en appliquant la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent.

 

[11]           L’agente a reconnu que les enfants allaient à l’école et participaient à la vie sociale de leur communauté, relevant par contre que la demanderesse avait eu [traduction] « amplement le temps de décider si elle souhaitait que tous ses enfants rentrent avec elle à Saint-Vincent, ou si elle préférait les confier à quelqu’un au Canada ». Lors d’une entrevue avec l’ASFC, la demanderesse avait dit qu’elle entendait transférer à son prêtre la garde de ses enfants et qu’elle avait, au Canada, des proches qui pourraient aussi s’occuper d’eux. Si la demanderesse avait décidé de les emmener avec elle à Saint-Vincent, les enfants auraient joui de tous les avantages que procure la citoyenneté saint-vincentaise et auraient pu y poursuivre leurs études. L’agente a ajouté que la demanderesse s’était déjà rendue avec ses enfants dans un pays dont elle n’avait pas la citoyenneté, et où elle a habité plusieurs années.

 

[12]           L’agente s’est par ailleurs penchée sur les circonstances particulières de la demanderesse. Elle a relevé que la demanderesse n’avait, lors de son premier séjour au Canada, ni demandé ni reçu une prorogation de son statut de visiteur. À l’inverse, la demanderesse avait obtenu, en Gambie, le statut de résidente. Elle avait pu, aussi bien lors de son séjour en Gambie que lors de son retour au Canada, trouver un emploi. L’agente en a inféré que la demanderesse serait capable de trouver un emploi à Saint-Vincent, ajoutant que dans son pays d’origine, la demanderesse dispose d’un réseau de soutien constitué par des membres de sa famille, y compris ses parents et ses frères et sœurs. L’agente a ajouté que la demanderesse recevait de son ancien mari une pension alimentaire, à la fois pour elle et pour ses enfants, et recevait également un soutien financier du père de son quatrième enfant.

 

[13]           Depuis son retour au Canada, la demanderesse avait par ailleurs présenté deux demandes de résidence permanente qui [traduction] « donnaient des détails très précis concernant sa situation au Canada, y compris son établissement, ses liens avec le Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les difficultés auxquelles elle aurait à faire face si elle était renvoyée à Saint-Vincent ». L’agente a précisé que l’ASFC s’était montrée compréhensive quant au besoin qu’avait la demanderesse de se procurer certains documents de droit de la famille, accordant à la demanderesse plus de temps pour obtenir les ordonnances nécessaires.

 

[14]           L’agente a fini par conclure que la demanderesse [traduction] « avait épuisé tous les recours qui auraient pu lui permettre de demeurer légalement au Canada », ajoutant que :

[traduction] L’examen du dossier de Mme Charles et de la preuve produite par son conseil ne me convainc pas qu’un report du renvoi de Mme Charles, quelle que soit sa durée, la pousserait à prendre les dispositions nécessaires à elle et à ses enfants pour se préparer à leur renvoi du Canada.

 

III.       Questions en litige

 

[15]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         Au vu de quel dossier l’agente avait-elle à se prononcer?

 

b)         Compte tenu du dossier dont elle disposait, la décision à laquelle l’agente est parvenue était-elle raisonnable?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[16]           La décision que prend un agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi d’un demandeur est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2009] ACF no 314, au paragraphe 25). La Cour n’interviendra que si le processus décisionnel n’est ni justifié, ni transparent, ni intelligible, ou si la décision ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

A.        Le dossier au vu duquel devait se prononcer l’agente

 

[17]           La demanderesse affirme qu’elle avait demandé que soit reportée l’exécution de la mesure de renvoi la visant en attendant :

a)         que ses enfants terminent l’année scolaire;

b)         que des dispositions soient prises en vue de la garde de ses enfants;

c)         qu’elle parvienne à réunir l’argent nécessaire pour survivre lors de son arrivée à Saint-Vincent;

d)         que soit traitée sa plus récente demande CH.

 

[18]           Elle affirme que sa demande de report fondée sur les motifs a) à c) a été présentée de vive voix lors de son entrevue du 1er décembre 2011. La demanderesse affirme que sa demande écrite présentée le 9 janvier 2012, dans laquelle elle invoque le motif d), vient [traduction] « s’ajouter » à la demande qu’elle avait formulée lors de la réunion du 1er décembre 2011. La demanderesse soutient en outre que lors de l’entrevue du 12 janvier 2012, elle a réitéré sa demande de report, et qu’on ne lui a jamais dit que seules les demandes présentées par écrit seraient examinées. La demanderesse estime par conséquent que l’agente était tenue d’examiner chacune de ses demandes, et qu’elle ne l’a pas fait.

 

[19]           Le défendeur fait pour sa part valoir qu’aucune demande de report n’a été présentée à l’entrevue avant renvoi du 1er décembre 2011, et que l’agente n’était régulièrement saisie que des demandes de report présentées par écrit. Le défendeur ne conteste pas qu’une demande de report ait été présentée de vive voix lors de la réunion du 12 janvier 2012. Il affirme plutôt que l’agent Matadar de l’ASFC, qui a mené les entrevues en question et qui n’est pas l’agente dont la décision est en cause en l’espèce, a rejeté la demande de report présentée lors de la réunion du 12 janvier 2012 et que cette décision prise oralement n’est pas en cause en l’espèce. Cela étant, je considère que, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, il n’existe aucun différend quant à la manière dont doit être présentée une demande de report. Les parties sont toutes deux d’accord pour dire qu’une telle demande peut être présentée soit oralement, soit par écrit.

 

[20]           Le défendeur soutient par ailleurs que, dans sa décision écrite du 3 février 2012, l’agente n’était pas tenue de prendre en compte nombre des motifs ou des circonstances personnelles que la demanderesse invoque en l’espèce étant donné que ces diverses considérations n’étaient pas évoquées dans les documents produits à l’appui de la demande de report le 9 janvier 2012. Le défendeur relève en outre que ce n’est qu’après l’envoi de ces documents que la demanderesse a présenté sa troisième demande CH.

 

[21]           J’ai pris connaissance de l’affidavit produit par la demanderesse au sujet de la réunion du 1er décembre 2011 avec l’agent Matadar. Le premier affidavit rédigé par la demanderesse en vue de sa requête en sursis a été signé plus de deux mois après la réunion en question. Le deuxième affidavit, signé par son ami Robert Stevens, est de date très récente – soit sept mois après les événements en question. Le défendeur relève à juste titre que les deux affidavits diffèrent quant à ce qui s’est produit le 1er décembre 2011, ce qui n’est guère surprenant étant donné que ces affidavits ont été rédigés assez longtemps après la réunion. Cela étant, je leur préfère l’affidavit de l’agent Matadar.

 

[22]           Je suis par conséquent convaincu, étant donné la teneur des notes prises par l’agent Matadar à l’occasion des réunions du 1er décembre 2011, du 12 janvier 2012 et du 3 février 2012, qu’aucune demande de report n’a été présentée oralement à la réunion du 1er décembre 2011. Une demande de report d’une mesure de renvoi est une chose importante qui ne manquerait pas de retenir l’attention d’un agent d’exécution au courant de la procédure de renvoi. En fait, les notes consignées dans le système à la suite des réunions que l’agent Matadar a eues avec la demanderesse le 12 janvier 2012 et le 3 février 2012 font apparaître qu’à ces deux occasions l’agent Matadar a précisé qu’une demande de sursis avait été présentée oralement. Rien ne permet de penser qu’entre la réunion du 1er décembre 2011 et les réunions qui ont eu lieu au cours des deux mois suivants, il se soit produit quelque chose qui porterait à penser que l’agent Matadar n’avait pas, lors de la première réunion, été en mesure de s’apercevoir qu’une telle demande lui avait été présentée.

 

[23]           Je considère, par conséquent, que le dossier soumis à l’agente, qui n’avait assisté à aucune des réunions en question, ne comprenait que les observations que la demanderesse avait présentées par écrit le 9 janvier 2012 et le dossier de cette dernière.

 

B.        Le caractère raisonnable de la décision de l’agente

 

(i)         Le pouvoir discrétionnaire de l’agente

 

[24]           La Cour d’appel fédérale a insisté sur le fait que « le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (Baron, précité, au paragraphe 49). L’article 48 de la LIPR comporte, en matière d’application d’une mesure de renvoi, une obligation positive :

Mesure de renvoi

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

Conséquence

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

Enforceable removal order

 

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

Effect

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

[25]           L’agent chargé du renvoi peut, pour décider si « les circonstances permettent » l’application de la mesure de renvoi, prendre en compte un certain nombre de facteurs tels que la maladie, d’autres raisons s’opposant au voyage et les demandes CH qui ont été présentées en temps opportun, mais qui n’ont pas encore été réglées en raison de l’arriéré des dossiers, la scolarité des enfants, ainsi que des naissances ou décès imminents (Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 936, 7 Imm LR (3d) 141, au paragraphe 12; Baron, précité aux paragraphes 49 à 51; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.), 2001 CFPI 148, [2001] ACF no 295, au paragraphe 44).

 

[26]           Tout en reconnaissant l’existence d’un certain pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de décider du moment où il convient d’appliquer la mesure de renvoi, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont déclaré qu’il convient de « réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain » (Wang, précité, au paragraphe 48; Baron, précité, au paragraphe 51). Le simple fait qu’une demande CH soit en instance, si elle n’est pas fondée sur des menaces à la sécurité d’une personne, ne peut justifier le report d’une mesure de renvoi valable (Baron, précité, au paragraphe 51; Wang, précité, au paragraphe 45).

 

[27]           Selon le défendeur, la demanderesse avait sollicité le report indéfini de son renvoi, ce qui dépassait les compétences de l’agente. La Cour a précisé qu’un report est « une mesure temporaire, appliquée pour composer avec un obstacle concret et sérieux à un renvoi immédiat » (Griffiths c Canada (Solliciteur général), 2006 CF 127, [2006] ACF no 182, au paragraphe 19; Ferraro c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 815, [2008] ACF no 1035, au paragraphe 33), et qu’il n’y a rien au paragraphe 48(2) de la LIPR qui autorise à accorder un report indéfini. J’estime, cependant, que dans les observations qu’elle a présentées le 9 janvier 2012, la demanderesse ne sollicitait pas le report indéfini de son renvoi, et que l’agente était tenue d’examiner la raison de sa demande ainsi que la preuve soumise à l’appui de celle‑ci (Chetaru c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 436, [2009] ACF no 515, au paragraphe 18).

 

(ii)        Les circonstances particulières de la demanderesse

 

[28]           Selon la demanderesse, c’est à tort que l’agente n’a pas pris en compte les circonstances impérieuses de sa situation. Elle fait valoir, plus précisément, que l’agente n’a tenu aucun compte de ses antécédents de mauvais traitements, et de l’impact qu’ils avaient eu sur sa capacité de se préparer en vue de son renvoi. Il ressort clairement de la jurisprudence que le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut s’exercer que dans des circonstances très précises. Le report d’une mesure de renvoi doit être réservé aux affaires où le défaut de report ferait que la vie du demandeur serait menacée ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain (Baron, précité, au paragraphe 51; Wang, précité, au paragraphe 48).

 

[29]           Les antécédents de mauvais traitements de la demanderesse sont tragiques, mais il n’entrait pas dans les compétences discrétionnaires de l’agente d’en tenir compte pour décider s’il y avait lieu ou non de reporter le renvoi. Précisons qu’une demande de report ne doit pas être considérée comme une demande préalable à la demande CH et que l’agent d’exécution n’est pas obligé d’examiner le bien‑fondé la demande CH (Chetaru, précitée, au paragraphe 19; Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 614, [2003] ACF no 805, au paragraphe 32; Simoes, précitée, au paragraphe 11). Selon moi, la demanderesse demandait alors à l’agente de se prononcer sur le bien-fondé de sa demande CH, demande qu’elle n’avait à cette époque pas encore présentée. Sur ce point, la décision de l’agente était raisonnable.

 

[30]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que c’est à tort que l’agente n’a pas tenu compte du fait que si elle était renvoyée du Canada, son ancien mari pourrait demander la garde des enfants. Je reconnais qu’il peut s’agir là d’un facteur important qu’il aurait appartenu à l’agente d’apprécier, mais il n’y avait, dans dossier soumis à l’agente, rien pour confirmer la possibilité d’une telle éventualité. On ne saurait, par conséquent, reprocher à l’agente de ne pas avoir pris en compte un élément dont elle ne disposait pas.

 

(iii)       L’intérêt supérieur des enfants

 

[31]           Selon la demanderesse, c’est également à tort que l’agente n’a pas tenu compte de l’intérêt à court terme des enfants. La demanderesse affirme notamment que l’agente était tenue de prendre en compte : (i) les conséquences que son renvoi aurait pour les enfants, compte tenu de leurs incapacités et de leurs antécédents traumatiques; (ii) la probabilité qu’en son absence son ancien mari demande la garde des enfants, ou les enlève; et (iii) le temps qu’il lui faudrait et les difficultés qu’elle éprouverait pour trouver un tuteur légal à ses enfants canadiens afin de les protéger de son ancien mari. J’ai déjà conclu que l’agente n’a commis aucune erreur en ne prenant pas en compte ce que pourrait faire l’ancien mari de la demanderesse afin d’obtenir la garde des enfants, étant donné que l’agente ne disposait d’aucun élément de preuve à cet effet.

 

[32]           La Cour a affirmé que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’applique, dans le contexte d’une mesure de renvoi, que de manière restreinte aux agents d’exécution (Baron, précité, au paragraphe 57). Il est en effet de droit constant que « l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi » (Baron, précité, au paragraphe. 57), et que « les immigrants illégaux ne peuvent se soustraire à l’exécution d’une mesure de renvoi valide simplement parce qu’ils sont les parents d’enfants nés au Canada » (Baron, précité, au paragraphe. 57).

 

[33]           La demanderesse invoque notamment à l’appui de sa thèse la décision Munar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2005] ACF no 1448, dans lequel la Cour a estimé qu’il est dans le mandat d’un agent d’exécution de vérifier si des dispositions ont été prises pour que l’enfant qui reste au Canada soit confié aux bons soins d’autres personnes si ses parents sont renvoyés (voir le paragraphe 40).

 

[34]           En l’occurrence, l’agente s’est enquise des dispositions qui avaient été prises pour le soin des trois enfants canadiens de la demanderesse dans l’hypothèse où elle déciderait de les laisser au Canada, et des possibilités qui leur seraient offertes à Saint-Vincent, si leur mère décidait de les emmener avec elle. L’agente pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse avait eu suffisamment de temps pour organiser la garde de ses enfants canadiens. En l’absence d’éléments de preuve quant au temps qu’il faudrait pour transférer la garde, et aux complications auxquelles cela pourrait donner lieu, il était parfaitement loisible à l’agente de conclure que la demanderesse avait pris des dispositions pour le soin de ses enfants canadiens lorsqu’elle avait fait part de son désir d’en transférer la garde. En fait, comme le souligne le défendeur, l’agente a, dans ses motifs, reconnu que les dispositions en vue de la tutelle ou de la garde des enfants n’avaient pas été complétées lorsqu’elle a précisé que la demanderesse [traduction] « avait exprimé le désir de transférer la tutelle des garçons ». Je constate que c’est plusieurs mois après avoir initialement été informée qu’elle devait être à brève échéance renvoyée du Canada que la demanderesse a indiqué qu’elle préférerait laisser ses enfants canadiens ici. Je comprends fort bien la situation dans laquelle se trouvait la demanderesse, et je reconnais qu’il n’a pas dû lui être facile de prendre cette décision, mais l’agente n’a à cet égard commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[35]           Il était par ailleurs raisonnable, de la part de l’agente, de conclure que la demanderesse a, au Canada, de la famille dont on pouvait s’attendre à ce qu’elle s’occupe des enfants. La demanderesse affirme maintenant qu’il y avait là une erreur de fait étant donné que sa tante a, depuis, quitté le Canada, et que la demanderesse n’a presque aucun contact avec les membres de sa famille qui demeurent encore ici, mais cela, l’agente n’en avait pas été clairement informée lorsqu’elle a pris sa décision. Encore une fois, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un agent fonde sa décision sur des faits qui ne lui ont pas été communiqués.

 

[36]           Et enfin, je conviens avec le défendeur que la demanderesse demande que soit appliquée en espèce, dans le contexte de l’alinéa (i) ci-dessus, une analyse qui convient davantage à une demande CH.

 

[37]           Bref, j’estime que la décision de l’agente concernant l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable.

 

(iv)       Les erreurs

 

[38]           Et enfin, la demanderesse soutient que l’agente a mal interprété ses observations et qu’elle est parvenue à des conclusions de fait déraisonnables. Je me suis déjà prononcé sur les arguments de la demanderesse concernant le soutien que sa famille est susceptible de lui apporter au Canada, et sur la question de la tutelle de ses enfants. Le dernier argument avancé par la demanderesse concerne la prise en compte par l’agente de sa situation financière et de ses antécédents de travail. La demanderesse fait plus précisément valoir que l’agente a, au vu de ses antécédents professionnels, incorrectement apprécié sa capacité à subvenir à ses besoins. Je ne saurais retenir les arguments de la demanderesse. Compte tenu des éléments qui lui étaient présentés, l’agente a procédé à une évaluation raisonnable des compétences et antécédents professionnels de la demanderesse. Le curriculum vitæ de la demanderesse rend compte de ses antécédents professionnels et des fonctions qu’elle a exercées dans chacun de ses emplois. Dans sa demande de permis de travail, la demanderesse se présente comme [traduction] « très qualifiée ».

 

[39]           Il était également raisonnable, de la part de l’agente, de conclure qu’à Saint-Vincent la demanderesse pourrait trouver un soutien auprès de sa mère, en particulier à la lumière du fait que la lettre de sa mère, versée au dossier à titre d’affidavit, n’avait pas été communiquée à l’agente.

 

[40]           Faute de preuve que, depuis l’ordonnance rendue par un tribunal de l’Ontario en juillet 2011, l’ancien mari de la demanderesse ne respecte pas ses obligations alimentaires, il était également, de la part de l’agente, raisonnable de conclure que la demanderesse disposait là d’une source de revenus. Mais, même s’il y a eu sur ce point une erreur, le montant de la pension alimentaire n’est pas un élément essentiel de la décision de l’agente et il n’y a donc pas eu, à cet égard, d’erreur susceptible de contrôle.

 

VI.       Conclusion

 

[41]           Pour les motifs ci-dessus exposés, je conclus que la décision de l’agente était raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1462-12

 

INTITULÉ :                                      LUCENE HELEN CHARLES ET AL c MSPPC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 5 SEPTEMBRE 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 19 SEPTEMBRE 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacqueline Swaisland

 

POUR LES DEMANDERESSES

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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