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 Date : 20120119


Dossier : T-1236-01

Référence : 2012 CF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

WEATHERFORD CANADA LTD.,

WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP,

EDWARD GRENKE et

GRENCO INDUSTRIES LTD.

 

 

 

demandeurs/

défendeurs dans la demande reconventionnelle

 

et

 

 

CORLAC INC.,

NATIONAL-OILWELL CANADA LTD. et NATIONAL OILWELL INCORPORATED

 

 

 

défenderesses/

demanderesses
dans la demande reconventionnelle

 

 

 

 

 

            MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge PHELAN

 

[1]               Il s’agit de la nouvelle décision relative à la question de l’incitation que la Cour d’appel fédérale a renvoyée à la Cour fédérale.

 

[2]               Dans la décision qu’elle a rendue concernant la contrefaçon du brevet 937 des demandeurs, la Cour fédérale a conclu que les défenderesses avaient contrefait la revendication 17, qui est une revendication de méthode.

 

[3]               La Cour d’appel fédérale, qui a confirmé dans une grande mesure la décision de la Cour fédérale sur les autres aspects, a exprimé des préoccupations au sujet de la conclusion relative à la contrefaçon de la revendication 17 par incitation. La  Cour d’appel fédérale a décidé que les défenderesses n’avaient pas contrefait directement la revendication 17, parce qu’elles ne pratiquaient pas elles-mêmes la méthode de la revendication en question.

 

[4]               Au paragraphe 34 de son jugement, la Cour d’appel fédérale a défini la position des défenderesses au sujet de la contrefaçon de la revendication 17 comme une objection relative au caractère insuffisant de la preuve montrant que les clients des défenderesses avaient réellement utilisé leurs boîtes à garniture d’une manière qui contrefaisait la méthode décrite dans la revendication.

34     L’argument des appelantes relativement à la revendication 17 ne porte pas sur l’interprétation. Les appelantes soutiennent que la revendication 17 est une [traduction] « revendication de méthode pour l’utilisation du système  d’étanchéité de la revendication 1 » : mémoire des faits et du droit des appelantes, paragraphes 7 et 73. Cela indique que l’interprétation de la revendication 17 touche dans une grande mesure à l’interprétation de la revendication 1. Cependant, la véritable contestation des appelantes relativement à la revendication 17 est que le juge a erronément conclu à la violation de la revendication sans la présentation de la preuve que les clients de l’appelante avaient réellement utilisé leurs boîtes à garniture d’une manière qui contrefaisait la méthode décrite dans la revendication : mémoire des faits et du droit des appelantes, paragraphes 153 à 155 et 157. Je traiterai de cet argument plus loin dans les présents motifs.

 

[Souligné dans l’original.]

 

Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2011 CAF 228

 

[5]               Le juge de première instance a conclu explicitement que le manuel d’instructions des défenderesses enseignait la pratique de la méthode de la revendication 17. Cette conclusion n’a pas été modifiée en appel (motifs du jugement rendu en appel, paragraphe 164).

 

[6]               Les défenderesses soutiennent en l’espèce que leur manuel d’instructions n’enseigne pas la méthode de la revendication 17, parce qu’il concerne un port pétrolier fermé, tandis que la revendication des demandeurs concerne un port ouvert. Or, en invoquant cet argument, les défenderesses tentent de plaider une question qui avait déjà été tranchée contre elles, laquelle conclusion n’a pas été modifiée en appel. Le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique à cette question. 

 

[7]               La Cour d’appel fédérale a décidé que, étant donné que les défenderesses ne pratiquaient pas leur méthode d’enseignement d’une façon qui contrefaisait la revendication 17, elles ne pourraient être responsables que du fait d’avoir incité des tiers à violer ladite revendication. C’est cette seule question de l’incitation qui a été renvoyée à la Cour fédérale pour nouvelle décision (motifs du jugement rendu en appel, paragraphe 171).

 

[8]               Compte tenu de la directive donnée par la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale doit examiner les faits nécessaires pour appuyer une conclusion selon laquelle des tiers ont utilisé la méthode de la revendication 17, et ce, parce qu’ils ont été incités à le faire par les défenderesses.

 

[9]               Le critère applicable à l’incitation, que la Cour d’appel a confirmé, comporte trois volets :

1.         L’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct.

2.         L’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu.

3.         L’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

 

[10]           Bien que la Cour d’appel fédérale ait décrit le critère comme un critère « difficile à satisfaire » et un critère « rigoureux », je ne crois pas que ces commentaires signifient que la norme de preuve relative à la détermination de l’incitation est différente de celle qui s’applique par ailleurs en matière civile, soit la prépondérance des probabilités.

 

[11]           La Cour suprême du Canada a confirmé qu’il n’existe que deux normes de preuve : la preuve « selon la prépondérance des probabilités » et la preuve « hors de tout doute raisonnable » (voir F.H. c McDougall, 2008 CSC 53). Elle a également précisé que la norme civile est celle de la vraisemblance :

[] Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu. (Paragraphe 49)

 

[12]           La Cour suprême a rejeté les autres normes ou critères d’analyse de la preuve différents (arrêt F.H., précité aux paragraphes 39 et 40).

 

[13]           La Cour d’appel fédérale a énoncé une liste non exhaustive, mais utile des types de questions à prendre en compte aux fins d’une analyse de l’incitation :

                     Les exploitants de puits de pétrole étaient-ils des clients des défenderesses?

                     Qui était l’utilisateur final?

                     Le manuel d’instructions était-il fourni à l’utilisateur final?

                     Le manuel d’instructions était-il fourni dans le cours normal des affaires des défenderesses?

 

[14]           En ce qui concerne l’utilisation réelle de la méthode de la revendication 17 enseignée dans les manuels d’exploitation/d’entretien (les actes de contrefaçon), il convient de souligner trois faits principaux :

a)         Les appareils de forage sur lesquels les pièces contrefaites ont été posées appartenaient aux sociétés pétrolières qui étaient des clients des défenderesses. Dans le cadre de la preuve que les deux parties ont présentée en première instance, il a été confirmé que cette technologie a été achetée directement auprès du fabricant/fournisseur par des sociétés pétrolières qui étaient des utilisateurs finaux. Cette preuve figure également dans les extraits de l’interrogatoire préalable des défenderesses qui ont été versés au dossier.

b)         La preuve présentée en première instance comportait des photographies d’unités d’entraînement de Corlac auxquelles des boîtes à garniture Enviro étaient fixées. Selon l’exposé conjoint des faits, les défenderesses ont commencé à vendre ces boîtes en 2000, des années avant l’instruction.

c)         Les manuels d’exploitation/d’entretien ont été fournis lors de l’interrogatoire préalable, d’après les extraits versés au dossier, en réponse à une question concernant les [traduction] « procédures d’entretien des boîtes à garniture ». Il n’a nullement été sous-entendu que les sociétés pétrolières n’ont pas suivi ces procédures. De plus, eu égard aux autres éléments de preuve établissant l’importance des boîtes à garniture pour les activités des sociétés pétrolières et aux responsabilités environnementales pouvant découler des fuites et déversements, ces procédures seraient vraisemblablement suivies en pratique. Rien ne permet de croire qu’une autre méthode était disponible et l’achat ne serait motivé que par des raisons liées à l’exploitation et à l’entretien du dispositif. 

 

[15]           En conséquence, je suis d’avis que la revendication 17 a été pratiquée par les contrefacteurs directs, soit les sociétés pétrolières/utilisateurs finaux. La Cour sait qu’il peut être difficile pour une partie demanderesse de convoquer comme témoins des clients éventuels qui viendraient confirmer qu’ils ont violé une revendication; cependant, ce problème n’atténue pas le fardeau de preuve qui lui incombe. À mon avis, les demanderesses ont présenté en l’espèce suffisamment d’autres éléments de preuve, directs ou circonstanciels, pour s’acquitter de ce fardeau.

 

[16]           En ce qui concerne l’influence exercée par les défenderesses sur les sociétés pétrolières qui étaient des clients/utilisateurs finaux, les faits qui suivent sont importants :

a)         La preuve des deux parties a permis de confirmer que l’efficacité de l’utilisation du dispositif d’entraînement rotatif pour tête de puits sur le terrain par les sociétés pétrolières reposait sur le manuel d’exploitation/d’entretien des défenderesses.

b)         Le manuel d’exploitation/d’entretien était adressé aux clients, qui devaient communiquer avec leur [traduction] « représentant de National Oilwell Varco » le plus rapproché en cas de problème.

c)         Le manuel d’exploitation/d’entretien contenait des mises en garde au sujet de l’utilisation du dispositif en dehors des paramètres du manuel :

[traduction] L’utilisation de ces unités en dehors des paramètres énoncés dans le présent manuel sans l’approbation du fabricant peut causer des dommages au matériel ou au personnel, auquel cas National Oilwell Varco ne peut être tenue responsable et rejette toute responsabilité à cet égard.

 

Source : préface de National Oilwell Varco : mise en garde (Manuel d’exploitation et d’entretien des dispositifs d’entraînement électriques pour tête de puits)

 

d)         La garantie donnée par les défenderesses est destinée aux premiers utilisateurs finaux et comporte des clauses sur les éléments couverts et sur ceux qui ne le sont pas (tel qu’il est mentionné plus haut) afin d’assurer le respect du manuel d’exploitation/d’entretien et de prévoir des sanctions en cas de manquement. Les défenderesses ont utilisé les clauses de garantie et de mise en garde suivantes :

[traduction] En cas de réparations ou de modifications des marchandises « sans l’autorisation écrite ou verbale de la Société », d’utilisation de carburant ou de lubrifiants qui ne conviennent pas, d’utilisation des marchandises qui dépasse la capacité nominale, de failles découlant de la négligence, de pratiques d’entretien inappropriées ou de conditions susceptibles d’endommager les marchandises, la présente garantie sera nulle.

 

Source : énoncé de la garantie de National Oilwell Varco (Manuel d’exploitation et d’entretien des unités d’entraînement hydrauliques pour tête de puits)

 

National Oilwell Varco garantit par les présentes toutes les unités d’entraînement électriques pour tête de puits neuve, à l’exclusion des pièces fabriquées à l’extérieur, pour une période de 12 mois, laquelle garantie couvre les pièces et la main-d’œuvre à l’égard des réparations découlant des vices de matériau ou de fabrication. La garantie relative aux pièces fabriquées à l’extérieur est celle du fabricant externe. La présente garantie s’applique uniquement au premier utilisateur final. La garantie couvrant les boîtes à garniture intégrales et de rattrapage est en vigueur pendant trois mois et couvre les pièces et la main-d’œuvre à l’égard des réparations découlant des vices de matériau ou de fabrication. La garantie ne couvre pas les dommages causés par l’abrasion. National Oilwell Varco n’est pas responsable des dommages accessoires, indirects ou spéciaux ou autres dommages de quelque nature que ce soit.

 

Source : énoncé de la garantie de National Oilwell Varco (Manuel d’exploitation et d’entretien des unités d’entraînement électriques pour tête de puits)

 

[17]           Selon la prépondérance des probabilités et l’ensemble de la preuve, y compris les éléments mentionnés plus haut, les clients ont vraisemblablement acheté les produits contrefaits et les ont utilisés conformément au manuel d’exploitation/d’entretien fourni aux sociétés pétrolières qui en étaient les utilisateurs finaux.

 

[18]           Ce n’est pas seulement le manuel lui-même qui mène à cette conclusion, mais également le témoignage des témoins experts, la garantie offerte et la perte de cette garantie en cas d’inobservation du manuel, ainsi que la nature de la clientèle, soit des clients importants et aguerris au sujet desquels il est possible de présumer, en l’absence d’autres éléments de preuve, qu’ils se conforment à ces directives dans leur propre intérêt.

 

[19]           En ce qui concerne la question de savoir si cette influence était connue, il convient de souligner que, vers 1999, Corlac a engagé Glenn Schneider et a décidé de créer un produit qui, d’après ce qu’elle savait ou aurait dû savoir, constituerait une contrefaçon du brevet 937.

 

[20]           Il est impossible de croire que les défenderesses ont produit un manuel d’exploitation/d’entretien auquel ils ont joint des clauses relatives à la garantie et à l’exclusion de la garantie sans vouloir que leurs clients agissent conformément au manuel en question et à la méthode d’utilisation qui y est exposée.

 

[21]           Les conclusions tirées en ce qui a trait à la pratique de la revendication 17 sont appuyées par le témoignage d’experts, par les documents établis par les défenderesses, par la nature de la clientèle et par le simple bon sens. Une déduction raisonnable tirée de la preuve a une valeur probante (motifs du jugement rendu en appel, paragraphe 169).

 

[22]           Compte tenu des précédents, je conviens avec les demandeurs que, lorsqu’un brevet comporte à la fois des revendications de produit et de méthode et que le fabricant défendeur a fabriqué et vendu à des clients des articles qui sont couverts par des revendications de produit et visés par des directives exigeant qu’ils soient utilisés conformément à la méthode brevetée, le fabricant sera également tenu responsable avec les clients en cas de contrefaçon des revendications de méthode. Il en est ainsi notamment lorsque le fabricant offre des incitatifs pour favoriser le respect de ses directives et énonce des sanctions en cas d’inobservation.

 

[23]           Une réponse a été donnée à tous les exemples de questions que la Cour d’appel fédérale a proposés :

                     Les clients des défenderesses étaient des sociétés pétrolières.

                     Les utilisateurs finaux étaient les sociétés pétrolières, soit, en l’occurrence, Amoco et Pan Canadian.

                     Le manuel de directives était fourni à l’utilisateur final ainsi que les clauses de garantie.

                     Le manuel de directives était fourni dans le cours normal des affaires, comme l’a confirmé le propre témoin expert des défenderesses.

 

[24]           En conséquence, la Cour conclut que les défenderesses ont contrefait la revendication 17 du brevet 937 en incitant leurs clients à pratiquer la méthode de cette revendication.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 19 janvier 2012

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1236-01

 

INTITULÉ :                                      WEATHERFORD CANADA LTD., WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP, EDWARD GRENKE et GRENCO INDUSTRIES LTD.

 

                                                            et

 

                                                            CORLAC INC., NATIONAL-OILWELL CANADA LTD. et NATIONAL OILWELL INCORPORATED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 12 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adam Bobker

 

POUR LES DEMANDERESSES,

WEATHERFORD CANADA LTD. et

WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

 

Bruce Stratton

Vincent Man

POUR LES DEMANDEURS,

EDWARD GRENKE et

GRENCO INDUSTRIES LTD.

 

Christopher Kvas

Adrian Lambert

POUR LES DÉFENDERESSES

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bereskin & Parr LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES,

WEATHERFORD CANADA LTD. ET

WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP

 

Dimock Stratton LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS,

EDWARD GRENKE et

GRENCO INDUSTRIES LTD.

 

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

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